Extraits de l’interview entre Solange Le Magueresse et Hubert de la Rochemacé
28 septembre 2023

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Hommages
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En hommage à Solange Le Magueresse, voici des extraits de l’interview qu’elle m’a accordé le 14 avril 2023 à son domicile en hommage à Contardo Calligaris décédé le 30 mars 2021 et à propos de son séjour au Brésil durant dix années.

Hubert de la Rochemacé

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Solange Le Magueresse – J’ai connu Contardo et j’ai travaillé avec lui dans la décennie 1980-1990. Il était membre de l’Ecole freudienne jusqu’au moment de sa dissolution en janvier 1980. Lacan mourra en septembre 1981. L’Association Freudienne sera constituée, pour mémoire, en 1982.

Période très difficile, où les psychanalystes se maltraitaient, les groupes se constituaient, les collègues se séparaient, les amis se fâchaient, les prises de position étaient douloureuses. Contardo a pris position comme d’autres, il a choisi de travailler avec Melman, Czermak, Berges et quelques autres selon la formule consacrée.

Je suis arrivée en 1980 au Brésil. Je n’étais pas membre de l’école freudienne à cette époque. Octave Mannoni à ma demande m’avait recommandée auprès d’Alduisio qui travaillait à Porto Allegre.

Contardo Calligaris

 

Dans les années 1980-1982, j’ai rencontré Contardo à Paris. Nous avions, Euvaldo et moi été reçus par Melman par l’intermédiaire de Jean Berges, Euvaldo travaillait à la Salpetrière avec Jean son ami et Marika l’épouse de celui-ci.

Cette période à Salvador a été difficile pour les raisons évoquées plus haut, nous avons beaucoup travaillé avec les moyens techniques de l’époque   comme le rappelle avec humour Marie-Christine Laznik. Qu’avions- nous comme support pour travailler ? Les séminaires de Lacan publiés au Seuil, les Ecrits ; ils étaient dans les mains de Jacques-Alain Miller qui ne les lâchaient pas, nous disposions de polycopiés, de prises de notes, c’était tout… Peu d’entre eux étaient traduits en portugais.

Dans ce contexte Contardo est venu faire une première conférence en français, c’est je crois la seule qu’il fera dans cette langue (il apprend le portugais immédiatement). Ses interventions ont été une bouffée d’oxygène, jusque-là on ramait sur des traductions on rencontrait des collègues qui, curieux de Lacan, attendaient un travail universitaire.

Contardo disait des choses étonnantes ou formulait de manière épatante des choses que nous avions jusqu’alors croisées dans une nébuleuse plus ou moins épaisse. Pour moi, ce qu’il a installé pas à pas de la structuration du sujet comme stratégie de défense de la Demande, la Demande imaginaire de l’Autre, a été – si j’ose dire – fondatrice. Ces notions abordées avec maestria nous ont mis au travail. A partir de là, a pu être écrit, transcrit, et enfin imprimé « Introduction à une clinique psychanalytique » qui a, je crois, contribué à son « Hypothèses sur le fantasme » et a accompagné ses avancées sur le « déclenchement des psychoses ». Il y a eu pas mal de monde à ses conférences, des psychanalystes de différentes orientations, qui étaient en relation pour la plupart avec des collègues parisiens. On a vu beaucoup de psychanalystes parisiens à Salvador pendant cette période, il y a eu, de mémoire, Safouan, Siboni, Moscovitz, Roustang et les collègues de l’Ali… A partir de 1986, Contardo s’est établi au Brésil, à Porto Allegre. Des relations suivies se sont instaurées entre Porto Allegre, Salvador, Sao Paulo et Paris.

Transcrire, réécrire, donc forcément discuter concepts et textes en mettant les langues au travail, cela a donné une manière particulière de travailler dans notre association ALEF ( Assocaçao lacanienae de estudos freudiano ). On s’est organisés en groupes de travail, comme nous savions déjà le faire, nous autorisant alors à nous éloigner du suivi mot à mot des séminaires de Lacan, Contardo nous a mis le pied à l’étrier en nous offrant une matière autre, une manière de lire et de s’approprier des questions, les questions soulevées par sa clinique et bientôt par les nôtres.

Mais, si Contardo attendait une participation active à ses conférences il savait aussi en faire un vrai travail. Si, en t’avançant en terrain mal éclairci, tu amenais une question un peu gauche, il reprenait la chose, et tu découvrais ce que tu n’avais pas soupçonné : le coté pertinent de ton interrogation. Alors on entendait : « Comme dit Machin ou comme dit Solange … » moi, ça m’a fait un bien fou ! Il faisait ça avec tous ou presque. C’était une manière d’écouter, une manière d’enseigner.

Contardo était quelqu’un de brillant, qui provoquait un transfert de travail là où il était nécessaire. Il avait aussi de nombreuses relations de travail avec des gens qui venaient d’autres disciplines. C’est quand même venu un peu de là notre option à ALEF avec des gens qui travaillaient dans d’autres orientations que la psychanalyse.

Dans les années 1990 Contardo est parti aux USA. Après son retour, plus tardivement, il a eu une chronique dans la FOLHA, le plus grand journal de Sao Paulo.

H R – J’ai entendu Melman dire de Laznik à propos de leurs interventions qu’il était toujours surpris et enchanté de les écouter et il a dit la même chose de Contardo Calligaris en soulignant son originalité. Est-ce lié à la culture brésilienne ? Son origine latine ?

S L – Non, ce n’est pas une question de pays, de « culture ». Il y a autant de conformistes, de mal-embouchés et de malfaisants au Brésil qu’ailleurs.

H R – N’est-il pas question de refoulement ? Si, dans les langues latines, italiennes, portugaises, le refoulement n’est pas le même que dans d’autres langue, anglo-saxonnes par exemple, peut-on s’autoriser prendre certaines libertés dans une langue qui n’est pas la sienne ?

S L – On peut dire que l’un comme l’autre (Laznik et Calligaris) ils parlaient dans une langue qui n’est pas leur langue maternelle ; c’est la question et surtout l’intérêt de parler dans une langue autre. Les gens qui parlent et qui écrivent dans une langue autre, ne sont pas soumis à la castration de leur langue maternelle. C’est la langue qui est porteuse de la castration, nombreux témoignages d’écrivains nous le confirment.

H R– Je me demande si cela ne facilite pas son style, parce qu’il s’autorise à beaucoup de libertés au travers de ses voyages et de ses liens ; il s’autorise par exemple une interview très intéressante dans Playboy qui n’est pas du tout olé olé, où il est question de couples, de sexe et de perversion. Cet homme a une liberté de mouvements, de langues dans son travail. (Il a écrit une chronique hebdomadaire dans un grand journal de Sao Paulo). Quels étaient ses centres d’intérêt, il a travaillé sur le fantasme ?

S L – S’autoriser certaines libertés, c’est quand même ce qu’on peut espérer d’une analyse.

S’agissant de centres d’intérêt, cette longue carrière mériterait d’en faire le cheminement. Ce n’est pas mon propos. Je peux dire que dans notre cahier : « Introduction à une clinique psychanalytique », il y a beaucoup de choses intéressantes qui m’ont accompagnée dans mon travail. Pour essayer d’en rendre compte assez rapidement, je pourrais en reprendre les prémisses.

Lorsqu’un enfant arrive au monde, il doit résoudre une hétérogénéité entre son corps qui est du réel et là où il arrive, une nébuleuse langagière qui est symbolique.    

Donc, là où arrive, le petit être humain : «  ça parle ». Si ça parle c’est que « ça désire », mais « ça désire  quoi ? » On n’en sait rien. Ce désir est indéterminé tout comme est indéterminée la place du nouveau-né dans ce désir. Pour continuer à vivre il lui faut une signification minimum face à ce désir indéterminé donc total et terrifiant.   Pour que ce désir soit moins terrifiant, déterminé et partiel, il faut qu’il devienne Demande, demande imaginaire de l’Autre. Être pris dans la demande de l’Autre, c’est de l’ordre de l’angoisse, une place dangereuse dont il faut se défendre. Les différentes formes de structuration du sujet sont des stratégies de défenses. Il s’agit de trouver un savoir sur la Demande de l’Autre, savoir qui pourrait permettre de s’en protéger.

Il y a au moins 3 stratégies de défense, manières de faire avec cette demande.

–          C’est ou bien la stratégie autiste : « ce serait mieux de ne pas être né. »

–          La stratégie du névrosé qui pense qu’il y en a « au moins un » qui sait comment faire avec la demande de l’Autre.

–          Et celle du psychotique qui fait lui aussi appelle à un savoir mais un savoir universel non attribué à un sujet supposé.

H R – Est-ce que la position du psychotique n’est pas, de passer à côté, de ne pas être crocheté par la demande de l’Autre, de faire un pas de côté ?

S L – Dans cette mise en place de la structuration de la psychose, Contardo parle de la structuration psychotique, « hors de la crise », ce qui n’implique pas un déclenchement de celle-ci. Dans la crise le patient reçoit une injonction à se référer à une fonction phallique dont le signifiant fait pour lui défaut.    

H R – Dans le Trimestre on trouve en 1988 ses articles : quoi attendre côté liberté d’une cure psychanalytique, le symptôme dans la structure et l’espoir pervers ?

 

S L – Je parle ici de la perversion comme lien social. La perversion ce n’est pas le masochisme, l’exhibitionnisme, le voyeurisme, etc. Ce sont là des perversions sexuelles, des déviances par rapport aux normes en place à tel endroit et à telle époque. Ce n’est pas de cela dont il s’agit, mais de montage pervers, de ces montages très courants dans la vie quotidienne, associative, sociale…

Chaque névrosé se défend d’être objet de la jouissance de l’Autre, il s’en défend en paroles, en « Sujet barré », au nom du père. Dans son fantasme il joue entre cette position d’objet et de sujet. Il joue, mais seul. Le pervers lui, tiendra les deux positons : celle d’objet de la jouissance de l’Autre mais aussi celle de savoir sur cette jouissance. Cette position du pervers c’est le rêve du névrosé, il pourra s’en approcher par un montage avec un autre névrosé, un groupe, une association, un parti politique…Il s’agira de faire jouir et de jouir de ce montage…

            Je souhaitais ici, dans cet hommage dire combien je dois à Contardo. J’ai travaillé une dizaine d’années avec lui, je ne saurais parler mieux que d’autres de son trajet et de ses travaux ultérieurs. Il a publié plusieurs livres, des articles que chacun peut retrouver par exemple à la bibliothèque d’Alef d’Orléans, ce que je vous souhaite à tous.