Freud, La naissance de la psychanalyse, extrait du « Manuscrit G » 1895 (puf, p 93)
(…) Avant d’être en mesure d’utiliser ce matériel, nous devons nous procurer de solides points d’appui. C’est ce que les considérations suivantes semblent devoir nous fournir :
a) L’affect qui correspond à la mélancolie est celui du deuil, c’est-à-dire le regret amer de quelque chose de perdu. Il pourrait donc s’agir, dans la mélancolie, d’une perte — d’une perte dans le domaine de la vie pulsionnelle ;
b) La névrose alimentaire parallèle à la mélancolie est l’anorexie. L’anorexie des jeunes filles — qui est un trouble bien connu — m’apparaît, après observation poussée, comme une forme de mélancolie chez des sujets à sexualité encore inachevée. La malade assure ne pas manger simplement parce qu’elle n’a pas faim. Perte d’appétit — dans le domaine sexuel, perte de libido.
Peut-être pourrait-on partir de l’idée suivante : la mélancolie est un deuil provoqué par une perte de libido.
Reste à savoir si cette formule peut expliquer l’apparition de la mélancolie et les particularités des mélancoliques. Nous en discuterons en nous reportant au schéma sexuel.(…)
Freud, La technique psychanalytique, extrait de « La méthode psychanalytique » 1903 (puf, p 18)
(…) La psychanalyse est contre-indiquée s’il s’agit de la suppression rapide de symptômes alarmants tel par exemple celui de l’anorexie hytérique.(…)
Freud, Les cinq psychanalyses, extrait de « L’homme aux loups » 1918 (puf, p 407)
(…) On sait qu’à un âge plus avancé chez des fillettes au moment de la puberté ou bientôt après, existe une névrose qui exprime, par l’anorexie, le refus de la sexualité. Cette névrose doit être mise en rapport avec la phase orale de la vie sexuelle. (…)
Lacan, La Relation d’objet, extrait de la leçon du 27 février 1957 (ALI pp 186-187) (…) C’est là que peut s’insérer ce quelque chose à quoi je faisais allusion tout à l’heure, quand je vous ai parlé de l’anorexie mentale. On pourrait là aussi aller un peu vite et dire que le seul pouvoir que le sujet a contre la toute-puissance, c’est de dire non au niveau de l’action et faire introduire là la dimension du négativisme, qui bien entendu n’est pas sans rapport avec le moment que je vise. Néanmoins je ferai remarquer que l’expérience nous montre, et non sans doute sans raison, que ce n’est pas au niveau de l’action et sous la forme du négativisme que la résistance à la toute-puissance dans la relation de dépendance s’élabore, c’est au niveau de l’objet en tant qu’il nous est apparu sous le signe du rien, de l’objet annulé en tant que symbolique, c’est au niveau de l’objet que l’enfant met en échec sa dépendance, et justement en se nourrissant de rien, c’est même là qu’il renverse sa relation de dépendance en se faisant par ce moyen maître de la toute-puissance avide de le faire vivre, lui qui dépend d’elle, et dont dès lors c’est elle qui dépend par son désir, qui est à la merci par une manifestation de son caprice, à savoir de sa toute-puissance à lui.(…)
Lacan, Les Non dupes errent, extrait de la leçon du 9 avril 1974 (ALI p 176)
(…) il n’y a pas le moindre désir de savoir. Il n’y a pas le moindre désir d’inventer le savoir. Enfin, il y a un désir de savoir attribué à l’Autre. Ça, ça se voit. C’est comme ça que surgissent, enfin, les manifestations de complaisance que donne l’enfant dans ses «pourquoi». Tout ce qu’il pose comme question, enfin, c’est fait pour satisfaire à ce qu’il suppose que l’Autre voudrait qu’il demande. C’est pas tous les enfants, hein! c’est pas tous les enfants, parce que je vais vous faire une petite chose, il faut bien que de temps en temps je vous donne une petite chose à vous mettre sous la dent, cette chose attribuée à l’Autre, ça s’accompagne très souvent d’un «très peu pour moi».
Et « très peu pour moi », un « très peu pour moi » dont l’enfant donne la preuve sous cette forme à laquelle je suis sûr que vous n’avez pas songé, mais, comme vous savez, moi aussi j’en apprends tous les jours, je m’éduque, je m’éduque bien sûr dans la ligne de ce qui me plaît, dans la ligne de ce que j’invente, forcément, mais enfin la nourriture ne me manque pas, et si vous saviez comme je le sais, n’est-ce pas, à quel point ce que j’ai déjà illustré de l’anorexie mentale en faisant énoncer par cette action, car une action énonce : «Je mange rien».
Mais pourquoi est-ce que je mange rien ? Ça vous ne vous l’êtes pas demandé, hein, mais si vous le demandez aux anorexiques, ou plutôt si vous les laissez venir, moi je l’ai demandé, je l’ai demandé parce que j’étais déjà dans ma petite veine d’invention sur ce sujet, je l’ai demandé : alors, qu’est-ce qu’ils m’ont répondu ? Mais c’est très clair : elle était tellement préoccupée de savoir si elle mange, que pour décourager ce savoir, ce savoir comme ça, désir de savoir, n’est-ce pas, rien que pour ça elle se serait laissée crever de faim, la gosse !
C’est très important. C’est très important cette dimension du savoir, et aussi de s’apercevoir que, que c’est pas le désir qui préside au savoir, c’est l’horreur.(…)