Exposé au Séminaire d’été 2005 sur "L’acte psychanalytique"
C’est difficile de commencer : tout commencement est concerné par la dimension de l’acte, du "passage de l’acte", dira Lacan.
Je vais essayer de vous donner une idée de son cheminement dans les quatre premières leçons de ce Séminaire, en suivant quelques fils tirés de ma propre lecture – et en m’appuyant aussi sur les indications, fort nombreuses, que lui même donne sur ce que c’est que lire. Je souhaiterais aussi ne pas gommer, chemin faisant, la dimension du questionnement, telle qu’elle se trouve prise dans le fil d’une parole, d’une énonciation.
En janvier (leçon du 24), Lacan, à propos de ces quatre premières leçons et dans l’après-coup de ce qui lui en sera revenu, justifiera qu’elles aient pu donner l’impression d’un certain "flou" (ce sera son mot) : c’est qu’avant de pouvoir, aux leçons 5 et 6, articuler ce qu’il appellera un "point-noeud", à savoir son quadrangle, sa "référence structurale" – il lui aura fallu la conquérir, cette référence structurale, "puisqu’il est de sa nature de ne pas pouvoir être donnée d’abord". Aussi l’unité de ces premières leçons, si l’on veut, pourrait-elle être ainsi saisie : le temps de la conquête !
C’est qu’il s’agit pour Lacan de promouvoir un signifiant nouveau : "l’acte psychanalytique" – dont il nous faut, je crois, faire l’effort de retrouver le côté proprement inouï. Ce "couple de mots étrange" , ces termes accouplés, nous posent d’emblée la question de savoir s’ils font rapport, s’il y en a, de l’acte analytique. Comme pour l’acte sexuel, puisque Lacan en pose tout de suite la référence en nous renvoyant à la Logique du Fantasme, lancer ce signifiant "acte psychanalytique" pose radicalement la question de savoir si ça désigne effectivement quelque chose ; et puis, question essentielle, si ça désignait bien quelque chose, qu’en était-il donc avant qu’on ne le nomme ? Quoiqu’il en soit, il aura fallu à Lacan, dans un premier temps, "donner une forme à ce sens" (p.109)
Un couple de mots "étrange" : unheimlich, pourrait-on dire avec Freud (- et Lacan évoquera souvent le malaise, attaché pour nous à l’unheimlich, voire l’angoisse que pouvait provoquer sa parole, dans un contexte d’attente de type universitaire.) Effet d’unheimlich parce que va se trouver mis en lumière, sur la scène, un paquet de questions, questions nouées, questions à la fois essentielles et en même temps qui n’ont jamais cessé, depuis Freud, de se retrouver "méconnues", "élidées", "éludées", "voilées" (vous avez sans doute été sensibles au retour en boucle, insistant, de tous ces qualificatifs) – et que cette méconnaissance même, de la part des psychanalystes et au sein des sociétés psychanalytiques instituées, n’est pas de hasard, bien au contraire, puisqu’elle s’avère fonder rien moins que leur identité !
Ces questions, nommons-les pour autant que Lacan les fait bien vite émerger, en faisceau, dès les premières leçons :
– Qu’est-ce que la "fin" d’une analyse, fin dans ses deux acceptions ?
– Comment concevoir le transfert et l’interprétation, en tant que ce sont bien les conceptions qu’on s’en fait qui commandent les diverses modalités de regroupement des psychanalystes en Sociétés ?
– Et puis, radicalement, comment parler de la psychanalyse, en transmettre quelque chose, dans le cadre de ce qui serait – encore ? – un "enseignement" ? Au fond, est-ce bien possible ?
J’en viens plus précisément à la leçon 1. S’il est entendu, supposé, que la psychanalyse, ça fait quelque chose – le dire comme cela, c’est déjà au moins sous-entendre que si ça fait effectivement quelque chose, on ne sait pas trop bien quoi ; qu’il n’y a pas accord sur ce que chacun pourrait en attendre, et éventuellement y trouver.
On peut également tout de suite remarquer que c’est par ce que serait son effet qu’est approchée la question de l’acte – ce qui est déjà en cerner quelque chose : un acte, ça a des effets !
Mais sur qui ?
En tout cas, précise Lacan, ce n’est certainement pas au sens où la Poésie aussi, ça fait quelque chose. Pourquoi le préciser ainsi ? Risquerait-on de les confondre ? S’il écarte cette "vue poétique de la chose", comme il le dit – il y a là néanmoins quelque chose d’indicatif, dans cette référence à la poésie, à l’orée de son séminaire. Les dimensions de l’écriture et de la lecture sont immédiatement mises en avant, mais aussi Lacan suggère ce déplacement : l’effet du poème, ne serait-ce pas aussi, et d’abord, sur celui qui l’écrit, le poète, qu’il conviendrait d’en saisir la portée ?
Et puis, pour avancer, Lacan pose deux bornes :
– la psychanalyse comme mise en acte d’un sujet – mais d’un sujet que la dimension de l’inconscient, précisément, rénove complètement ;
– et d’autre part, cette formulation déjà ancienne (dans "Les quatre concepts"), que Lacan pose comme une approximation qu’il conviendra de remettre au travail : "Le transfert comme mise en acte de l’inconscient."
Il va alors procéder à une sorte de "balayage" sémantique du mot "acte" : il s’agit de dégager quelques traits des usages communs de la langue, qui semblent emporter l’adhésion, en une forme d’évidence – mais pas non plus sans ambiguïtés parfois : il faudra faire le tri ! Alors, il y a :
– franchissement, engagement, décision, quand par exemple on commence une analyse ;
– inscription quelque part, lorsqu’on s’installe comme psychanalyste ;
– intervention au moyen "d’instruments (de la fonction)", lorsqu’on exerce la psychanalyse.
Même si ces éclairages ne vont pas très loin – c’est Lacan qui le dit ! – vous sentez bien que les exemples qu’il prend, eux, ordonnent le cadre où va se mouvoir sa réflexion : entre commencement et fin de l’analyse.
Après ce balayage sémantique : le "coup de balai" théorique ! Il s’agit au fond d’approcher l’acte d’abord par ce qu’il n’est pas, et avec quoi on pourrait le confondre. Lacan va montrer comment l’action peut jouer, dans la théorie psychanalytique, un rôle de référence pour expliquer la pensée : la pensée comme "modèle réduit" de l’action – ce qui viserait à se préserver d’une dérive "métaphysique" : comme si l’action offrait un fondement plus réel. Et puis, deuxième réduction, l’action se voit elle-même identifiée à la motricité – selon le "fameux" (trop fameux !) modèle de l’arc-réflexe. Je ne vous déplie pas toutes les objections que Lacan va avancer, mais je voudrais souligner cette remarque, dans la mesure où elle nous fait avancer au plan du Sujet et du Signifiant : c’est que, dans le cadre de ce "modèle fallacieux", la réponse motrice (Lacan a pris l’exemple du déclenchement du réflexe tendineux) – cette réponse motrice n’a valeur que de signe, signe de l’intégrité de l’appareil et de son fonctionnement, et même, signe qui ne prend de valeur indicative que lorsqu’il est absent ! C’est à dire que pour ce qu’il en serait d’un acte, ce serait plutôt à chercher du côté du clinicien, de son interrogation, voire de son désir.
Mais ce que Lacan nous invite à nous demander, c’est ce qui peut bien motiver une théorie prétendument psychanalytique à se soutenir de cet abord physiologisant de l’appareil psychique, dont pourtant, nous dit-il – et il nous l’a montré – la critique est "aisée" (p. 17). C’est à lire comme un symptôme : qu’est-ce qui, refoulé, fait là retour ? J’avancerais qu’il y aurait là comme une visée matérialiste qui ne s’avouerait pas comme telle, une sorte de recul un peu honteux, inavoué, devant ce qui pourrait passer pour le "spirituel", devant ce soupçon d’irrationnel, pourquoi pas, si régulièrement collé à ce qui touche à l’inconscient.
Or, la psychanalyse comme expérience, je crois qu’il convient d’ y insister – comme "technique", dit Lacan – impose d’évidence, manifestement, une "toute autre dimension". Et cette dimension autre, c’est celle du signifiant, du "corrélat de signifiant qui, à la vérité, ne manque jamais dans ce qui constitue un acte" (p. 14)
Illustration de Lacan : marcher de long en large, ça ne fait pas un acte – mais un jour franchir un certain seuil et par là se mettre hors-la-loi : alors là, la motricité aura valeur d’acte, d’être devenue, par ce franchissement même, signifiante : à savoir qu’un Sujet aura été là manifesté.
Lacan va alors, à ce point de son avancée, opérer une de ces boucles dont il a le secret : cette dimension de signifiant qu’il vient de dégager pour caractériser l’acte en général, il va la mettre au travail, à l’épreuve si je puis dire, en l’appliquant – "pourquoi pas ?" dit-il – à la psychanalyse elle-même, en tant qu’elle a, elle aussi, son "acte de naissance". Et ce qui se donne d’abord l’apparence de n’être qu’un glissement sur les mots, venu un peu comme ça (et par lequel, au passage, il ressaisit le sens premier, étymologiquement, du mot acte, dans son acception d’écrit juridique), cela va introduire cette question, LA question qui, je crois, organise toute cette première leçon, question "essentielle", "de poids", "pas sans portée"… (Lacan semble ne pas avoir assez de qualificatifs à lui donner !) : Est-ce que l’Inconscient, comme champ que la psychanalyse organise, existait avant qu’elle ne naisse ? Et s’il n’est pas douteux que l’Inconscient ait fait sentir ses effets avant (historiens et artistes en témoignent abondamment, comme ne manquait jamais de le rappeler Freud), la question à maintenir néanmoins ouverte pour le moment, c’est : QUI le savait ? Peut-on dire que c’était un savoir ? Et à ce savoir, peut-on se passer de lui imputer un Sujet ?
Vous avez là bien sûr reconnu, dans ses toutes premières formulations, ce qui va devenir dans ce Séminaire la mise en question radicale du Sujet supposé savoir – mais il n’est pas encore ici désigné comme tel – et il me semble que c’est d’abord la dimension de question qui est essentielle à retenir, et à maintenir. Ce ne sont pas de pures questions rhétoriques, il ne faut pas aller trop vite à croire qu’on puisse y répondre comme ça : l’essentiel est de les maintenir ouvertes pour en articuler et en saisir toute la portée.
Certes, on peut déjà avancer ceci, à quoi Lacan nous a préparés : c’est que l’Inconscient qui préexistait à la naissance de la Psychanalyse n’était pas cependant le concept d’Inconscient au sens où nous l’entendons, i.e. au sens où le psychanalyste en fait partie (cf le Séminaire XI). C’est la psychanalyse comme technique, comme opération à partir du transfert, reconnu comme mise en acte de l’Inconscient, et par quoi "l’inconscient ne s’avère que d’être lisible"(cf le Résumé) – c’est cela qui fait naître l’Inconscient comme un savoir inédit.
Mais quel est l’enjeu de cette mise en question ? (Et il faut remarquer que Lacan prend bien soin d’en élargir immédiatement la portée à tout savoir, celui de la science avec les exemples de l’algèbre et de Cantor, et aussi bien pouvons-nous anticiper avec la question du savoir dans la cure elle-même !)
Alors, l’enjeu ? Supposer un Sujet au savoir avant qu’on en fasse la découverte, c’est tenter de s’assurer d’un Autre qui le garantisse, d’une Autorité préalable : antériorité de l’autorité. C’est, sous la forme que l’on voudra, la "dimension divine" qui se trouve à ce titre convoquée. Dès lors, mettre ce S.s.s. en question ou en suspens – et ne serait-ce d’abord que par le recours au signifiant de "supposition" – c’est aller à s’affronter au "vide de l’Autre" (c’est comme cela que Lacan le dit à propos de Cantor justement, s’avançant avec les transfinis), ou encore se préparer à poser que "le non-su puisse s’ordonner comme le cadre du savoir" (Scilicet).
Et puis, pour finir, Lacan refait un tour dans sa critique de la référence physiologisante, en passant par Pavlov. Ca ne manque pas d’humour, mais ça ne manque pas de sérieux non plus : "Il ne s’agit pas de déprécier les travaux inscrits dans cette idéologie !" prévient Lacan. C’est que, contrairement aux psychanalystes tenants de l’arc réflexe, et dont les raisons restent voilées ("des raisons auxquelles nous aurons à faire !" annonce Lacan p. 11), la visée idéologique (Lacan y insiste) de Pavlov a, je dirais, le mérite de s’articuler comme telle : un projet d’élaboration strictement matérialiste du fonctionnement de l’organisme vivant.
Vous savez tous comment se présente le dispositif expérimental de Pavlov. Et précisément, si nous le connaissons tous, de l’avoir vu s’étaler dans nos manuels scolaires, c’est bien que comme idéologie, au sens d’un impensé collectif, elle a bien su d’une certaine façon s’imposer. Et encore aujourd’hui, elle reste une référence dans le champ de certaines psychothérapies aussi bien que pour certaines recherches, dans ce qui s’appelle les sciences de l’éducation. De cette idéologie, il s’imposait dès lors à Lacan, et il s’impose toujours à nous, d’en déchiffrer l’implicite.
Lacan va déconstruire l’expérimentation de Pavlov pour montrer à la fois ce qu’elle a d’extraordinairement correct au regard de sa visée, et en même temps ce qu’elle ignore de ses présupposés. Correcte parce que "structuraliste au départ" : en effet Pavlov nous donne à voir en quoi la liaison de signifiant à signifiant est subjectivante – à ceci près, mais qui est essentiel, que le Sujet dont l’existence se voit ainsi démontrée, c’est bien sûr celui qui souffle dans la trompette, Pavlov lui-même. Le coup de trompette, signe, signal pour le chien – prend rang de signifiant en tant qu’il vient à représenter le Sujet Pavlov, l’expérimentateur. De même, le signe de la sécrétion salivaire prend rang de signifiant de se relier au premier signifiant en même temps qu’il se trouve déconnecté, désarticulé de l’objet du besoin qui était censé le produire. Elle prend sa valeur signifiante d’être un "effet de tromperie" (effectivement, la malicieuse substitution de la trompette à la cloche trouve là sa justesse !)
Or, ce que montre cette tromperie bien orchestrée, c’est le cas de le dire, de l’organisme, c’est la prise du signifiant, son effet sur le champ du vivant : "Là où est le langage, dit Lacan, il n’y a aucun besoin de chercher une référence dans une entité spirituelle." Et c’est à méconnaître ainsi l’ordre et la fonction de l’Inconscient (ce qu’on ne saurait du reste reprocher à Pavlov – mais qu’on ne saurait en revanche passer à un psychanalyste qui s’en réclamerait !), i.e. c’est à forclore le Sujet de l’expérimentateur – que la science peut déployer sa visée matérialiste. Mais ce qu’elle découvre alors, ce n’est que ce qu’elle supposait être déjà là !
Pour avancer un peu plus, on pourrait dire que la science, à forclore le Sujet, le Sujet du désir, méconnaît, quoi qu’il en soit de sa visée "athéiste", qu’elle n’en instaure pas moins un lieu Autre, non-barré : la place et la fonction d’un S.s.s. C’est en ce sens que Lacan pourra parler, à la leçon X, du théisme de cette science en principe la plus "athéiste".
La leçon 2 : elle vous a sans doute paru difficile à suivre, sinueuse, en particulier parce que Lacan y convoque de nombreux textes, des Ecrits en particulier. Et justement, c’est ce qui en fait je crois l’unité profonde : c’est à un travail de lecture que Lacan se livre devant nous – non pas lecture ou relecture de ses propres écrits, mais lecture de la manière dont ils ont été lus, i.e. pris, mal pris, mal compris, mal entendus. Et ce sera son acte à lui, Lacan, que d’en faire la lecture, de ces malentendus, de la "méprise" dans la lecture, méprise comme acte manqué. Ce qui au passage ouvre cette question de repérer où est l’acte, je veux dire : du côté de celui qui se méprend … ou du côté de celui qui en fait la lecture, dans un temps second ?
C’est assez habituel que la deuxième leçon du Séminaire, chaque année, fasse place à ce qui est revenu à Lacan de ce qui a pu être entendu de la première leçon. Ici, cela s’articule dès le début de la leçon par la question de l’adresse – et de l’affluence – et de ce premier malentendu qui a pu s’installer du fait qu’ayant parlé de Pavlov, eh bien, bonne surprise, on allait y comprendre quelque chose ! Je voudrais souligner que cette question de l’adresse est majeure : elle touche à la structure, et même si elle n’est pas nouvelle pour Lacan, loin s’en faut ! elle prend ici, cette année-là, une acuité particulière, du fait qu’il y soit justement question de l’acte analytique.
Qu’est-ce que ça veut dire, cette "affluence", puisque son discours, "c’est à des psychanalystes qu’il s’adresse directement" ? Cependant, "ce dont il s’agit, l’acte psychanalytique, regarde, et fort directement, et d’abord, ceux qui n’en font pas profession." Lacan semble nous dire que pour atteindre les psychanalystes, il lui faille passer par un autre public – "le nombre", ceux qui ne se posent pas en psychanalystes – pour que son discours revienne, en quelque sorte comme d’un point de réflexion, aux oreilles des psychanalystes. Et spécialement quand il s’agit d’un discours qui intéresse leur pratique, leur acte, et que ce discours puisse s’avérer démontrable : c’est à peu près en ces termes que déjà l’année précédente, dans la Logique du fantasme, Lacan pointait le problème. Il y a une résistance des psychanalystes à ce discours-là ! S’il ne s’agit pas pour lui de créer du désordre dans l’Université (n’oublions pas que nous sommes presqu’en 68 !), il y a là repérage d’une tension : un "rapport tendu" entre la communauté psychanalytique – et puis les autres, ceux que cet acte peut concerner, mais un par un, dans l’expérience singulière de la cure.
De cette tension, on trouve je crois écho dans certain Séminaire "fermé", lorsque quelques analystes sembleront s’inquiéter des effets que ça pourrait avoir sur les cures qu’ils mènent, le fait que se sache au dehors ce qu’il en est de l’acte analytique …
Pour garder mon fil du "malentendu", je vais passer rapidement sur la reprise de Pavlov – mais signaler quand même que, convoquant cette fois des psychanalystes qui se réfèrent explicitement à Pavlov, Lacan n’hésite pas à user d’ironie : de quelle structure s’agit-il, dirais-je, quand on réduit l’homme à l’animal, le corps à l’organe, le langage au signal ? Car cela n’engage rien moins qu’une conception du langage, "le malentendu du langage signe" : le langage comme code, avec tout ce que cela sous-entend de corrélation fixe entre les signes et ce qui serait La réalité. A l’horizon, vous voyez bien sûr comment peuvent se profiler les visées orthopédiques, adaptatives de la cure : le mauvais rêve des thérapies comportementales ! Il faut prendre position : ou bien "le rat est la mesure de toute chose" pour reprendre le Benêt des Ecrits , et qui l’accepte s’épanouira à retrouver en l’homme un rat pour l’homme – i.e. haïssable, mais dressable et éducable peut-être… ou bien l’homme est un parlêtre.
Il est certain que l’abord du prochain dans la Cité, comme du patient dans la cure, en seront sensiblement différents !
L’étape suivante consiste à se tourner vers Freud : La psychopathologie de la vie quotidienne. Pour approcher de la question : Qu’est-ce que l’acte analytique ? on passe par cette autre : Qu’est-ce qu’un acte, en général, pour un psychanalyste ? La petite remarque de Lacan sur le choix malheureux du titre de l’ouvrage de Freud : "psychopathologie …" nous indique, je crois, qu’il s’agit pour Lacan de soutenir son questionnement de l’acte pour tout Sujet – dans la structure, si j’ose dire – et, pourrait-on ajouter avec Freud qui y insiste tout du long, à partir d’une motricité intacte, d’un fonctionnement organique parfait, etc…
Avec Freud, Lacan retrouve que ni la motricité, ni la parole (dont Freud rappelle d’abord,et souligne "la nature motrice" : "comme les autres activités humaines", dit-il !) – ne suffisent à faire acte, mais qu’il faut, pour atteindre à la dimension signifiante, requise pour qu’il y ait acte, ou bien la maladresse bruyante du ratage, ou bien au contraire l’inaperçu, l’apparente vacuité de ce que Freud appelle les "actes symptomatiques". Mais cela ne suffit pas encore : il faut que le ratage, le trébuchement ou la vacuité apparente se voient repris dans un deuxième tour – on ne peut s’empêcher de penser à la "topologie" de la double boucle, du huit intérieur – une lecture qui, après-coup, en dégage l’articulation signifiante , et par laquelle seulement un Sujet aura là été effectivement représenté. Avec cette question qui n’est pas subsidiaire : qui la prend en charge, cette lecture qui boucle l’acte rétroactivement ? Mais il faut aussi remarquer – Lacan y insiste à la suite de Freud – qu’il fallait bien qu’en soi l’acte symptomatique contienne quelque chose qui l’y prépare, à cet accès à une lecture signifiante. Vous sentez comment nous nous approchons là de la question de l’interprétation.
Et j’en arrive à la lecture que Lacan va faire devant nous – devant son auditoire – du Rapport d’Olivier Flournoy. Il voit là, dans ce genre de texte, ce qu’il appelle un "acte d’affirmation du Psychanalyste". C’est d’abord à son mode de questionnement du transfert que Lacan s’intéresse : un questionnement radical, qui soutient que le transfert comme concept est une défense pour l’analyste. Un concept explicatif, formulé intellectuellement dans l’après-coup, de ce qui ne serait que l’effet de la situation, du cadre – i.e. "sans que l’analyste y soit pour rien !" – i.e. qui viserait à tenir à distance, dit Lacan, ce qui pourrait lui paraître l’intéresser trop directement, relever de sa responsabilité. C’est "l’impasse de Szasz", Thomas Szasz auquel Flournoy se réfère longuement – avec cette conséquence majeure de ramener l’expérience analytique à une situation à deux, dont l’un seulement, le psychanalyste, se trouverait en position de garantir, dans une forme de "métaposition" (le mot est de Szasz) ce qui serait la Réalité Objective (objectivité est bien un autre maître-mot de Szasz).
Je passe sur le vertige qui nous saisit devant cette "intégrité" dès lors requise de la part de l’analyste, ainsi que sur l’absence de conséquences de telles remises en cause au sein d’institutions – versant social, imaginaire au combien ! – qui devraient s’en trouver ébranlées dans leurs fondations : toute-puissance de l’Establishment !
Ce qui est bien sûr là manqué, dans cette dérive, c’est, comme nous l’a appris Lacan, la dimension, l’ordre de la vérité, en tant que la parole même mensongère y fait appel.
Mais il y a plus : Lacan a bien repéré comment le terme d’ "intersubjectivité" structurait tout le propos de Flournoy, mais du côté de la réciprocité, i.e. à contresens de ce que Lacan avait pu avancer, avec ce signifiant, dans son Rapport de Rome. Mais après tout, pourrait-on objecter, le concept d’intersubjectivité n’appartient pas à Lacan, pas plus qu’à quiconque … sauf que Flournoy va de lui-même, dans une "méprise", un acte manqué, s’indiquer, s’avouer lecteur des Ecrits – mais surtout dévoiler ce qu’il en fait, de sa lecture.
L’erreur de Flournoy : dans une parenthèse, qui se signale d’éclater de toute son incongruité, il cite le nom de Lacan, mais il commet une erreur d’attribution, dans le repérage de l’ "énonciation" au sens où l’entendent les linguistes. Il s’agit d’un passage de la Direction de la cure… – et Flournoy attribue à Lacan l’emploi du mot "malade", pour s’en étonner, étonnement qui vaut critique, voire raillerie. Or, ce que Lacan, alerté, retrouve – au terme d’un parcours de (re)lecture dont il ne nous épargne pas les détours fastidieux : il s’en excusera, mais il fallait s’astreindre à ce cheminement : lire ! – ce qu’il met à jour, c’est que le contexte dont est extraite la citation participe précisément d’une charge de Lacan au sujet de la relation d’objet, et de sa dégradation à partir d’Abraham, son "origine noble" disent les Ecrits – et que c’est à Abraham qu’il convient d’attrivuer l’emploi du mot "malade", par une lecture correcte de ce que les grammairiens appellent le style direct.
Quelle vérité est ici retenue ?
Ceci au moins : Flournoy se signale ici, s’indique lecteur de Lacan, mais un lecteur qui a peine à lui reconnaître ce qu’il lui doit (lorsque par exemple, en un autre passage de son Rapport, il plagie les formulations de Lacan sur le désir de La Belle Bouchère) et qui surtout déforme, autre manière de "me renier "dit Lacan, ce qu’il lui emprunte …ou lui attribue !
Toute cette lecture, en tant qu’elle met à jour le mécanisme de l’acte manqué, c’est pour Lacan un acte…
Eloge de la connerie et fonction de la déconnaissance
La leçon 3 s’ouvre elle aussi sur la question de l’adresse – et de ce que Lacan appelle sa propre "atopie", "qui a à dire ses raisons"…Même si ce que Lacan avance n’a son effet que de ce qui a précédé, i.e. les Séminaires des années précédentes – pour autant, nous dit-il sur le mode du paradoxe, l’aborder à ce moment là, comme ça, ne soumet pas moins à son effet ! Le discours de Lacan lui fait, ou lui reconnaît sa place, dans la structure, à ce public de non-analystes : en position de Tiers. C’est le Nombre, qui n’est pas la multitude (la foule, la presse, avec ses effets de prestance imaginaire) – mais le nombre comme Réel : nécessaire ; une "référence" (p.59) pour justement interroger l’acte analytique dans son porte-à-faux, pour qu’il ne passe pas à la trappe.
A cet égard, et a contrario, le malentendu que rappelle Lacan dans la façon dont un psychanalyste cette fois – il ne le nomme pas, mais on reconnaîtra Conrad Stein – a pu exploiter le "ça parle" lancé par Lacan … mais en le sectionnant de son contexte – ce malentendu me paraît "éloquent" en ce que précisément il concerne l’acte psychanalytique, ou plutôt une forme de démission devant cet acte, par la réintroduction du mythe de l’origine fusionnelle enfant-corps de la mère comme cadre et horizon de la cure. Exclusion du Tiers, précisément !
"Atopie" de Lacan : absence de lieu – ou lieu à partir du a ? Mais l’objet a est perdu, il est perte, chute du Réel, sans coordonnées euclidiennes : quel Lieu pourrait-il définir ? Il s’agit pourtant bien de soutenir sa prise en considération, comme perte précisément – et non de travailler à son voilement. L’adresse au Tiers comme Réel, d’emblée, de structure, barre la pente à toute complaisance imaginaire, à l’entre-soi, au genre conférence !
Pour le dire simplement, Lacan nous invite à nous étonner devant l’inconséquence, le hiatus qu’il repère entre :
– d’une part l’expérience de la parole dans la cure – dénouée, de principe, de toute référence à la Norme et à l’Utile : c’est cela, la Règle…
– et d’autre part le mode d’enseignement de la psychanalyse, en tant qu’il fonde les sociétés psychanalytiques, et qui déploie sa "rhétorique" (Lacan parlera aussi de "style") précisément en oubliant, méconnaissant, reniant ce qu’enseigne l’expérience de la cure de cette division du sujet – pour réinstaller le normatif, s’indexer au nom du bien général à une morale normative.
On sourit à cette "ridicule berquinade" : idéalisations de Fénichel, que personne ne prend au sérieux, "pour peu qu’on ait quelque expérience de soi et des autres", dit Lacan. Et pourtant : c’est bien cela qui s’enseigne !
Rigueur de l’avancée de Lacan. Ce hiatus qu’on a repéré, cette inconséquence, ce point éludé, sur lequel il y a "black out" : c’est exactement là que gîte l’acte psychanalytique, dans sa dimension d’insupportable. Nous avançons, vous l’entendez bien, vers les formulations très fortes, très denses, de la fin de la leçon. C’est encore par le transfert que se fait l’abord :ce que Lacan va poser, pour déblayer toute cette théorie idéalisante du transfert, c’est l’acte psychanalytique comme "manipulation du transfert" (p.48). Manipulation : c’est un mot audacieux ! Est-ce que ça ne pourrait pas faire penser à quelque chose de pervers ? Mais ce qui est manipulé, c’est le transfert : pas le patient ! Le patient n’est pas comme l’enfant esclave à qui Socrate peut faire dire ce qu’il veut ! Et ce qui me paraît essentiel, c’est que cette manipulation passe par une "feinte" (autre mot dangereux, à première vue, avec l’idée de tromperie qu’il recèle) – mais feinte dont l’analyste se fait aussi, je dirais, le jouet : au sens où il accepte de feindre que "la position de S.s.s. soit tenable", cette position où le loge l’analysant dès le début, automatiquement. L’analyste l’accepte, au même titre au fond qu’il a à recevoir l’amour de transfert, parce que cette "fiction" est le seul accès à ce qu’il en est de la vérité. Et que dès lors son interprétation du transfert ne va aller qu’à l’élimination du S.s.s. Car l’analyste le sait, depuis le début (c’est au coeur de ce que lui appris sa propre analyse !) : il n’y a pas de S.s.s. ! Dès lors il est essentiel qu’il ne l’oublie pas, que ce n’est qu’une feinte, et vouée à se défaire. Il a à ne pas oublier ce qu’il sait par avance de ce qui l’attend, du côté de la déchéance.
Chemin faisant, et passant par le Ménon, Lacan a pu préciser ce qui dès lors pouvait caractériser l’interprétation. On comprend bien par exemple que l’interprétation donneuse de sens, sinon de leçon, va aller à donner consistance à ce S.s.s. – avec en retour de possibles effets persécutifs. C’est aussi la figure rayonnante du Psy tout-sachant de nos média audiovisuels.
Ce qui me paraît intéressant, avec la métaphore du dessin, qu’il tire du Ménon, et les deux lectures possibles qu’il en propose : l’interprétation comme révélation, ou l’interprétation comme décryptage – c’est en quoi la "solution" du décryptage est très près de nous convenir … mais pas complètement : elle trouve sa limite, et sur un point essentiel. C’est que s’il y a bien une première chaîne signifiante, que peut effectivement traduire, "retraduire" l’interprétation : quand l’analyste ne fait que la reprendre littéralement, terme à terme (ça co-respond !), pour qu’elle s’entende autrement – est-ce que, du coup, ça y est, le Sujet tiendrait La bonne signification – oedipienne, par exemple ? Le Sujet "à plat dans le dessin" laisse dangereusement croire (c’est encore la pente imaginaire) qu’il y aurait un Sujet qui pourrait se reconnaître en sa vérité, en sa totalité : comme un "Connais-toi toi-même" enfin abouti !
De plus, l’image du "décryptage" laisse également entendre qu’il y aurait quelqu’un, quelque part, qui détiendrait la clé du chiffre…
Or – et là je suis de près les formulations de Lacan, autour de la page 57 – le Sujet, en tant que causé par le Signifiant, c’est dès l’articulation de la première chaîne qu’il refuse en certains points le Savoir. Son incomplétude radicale, du fait d’être causé par un effet de signifiant, le rend inapte à se compléter, à se fermer " sur les points qui le concernent en tant qu’il a à se poser comme sujet sexué". Et ce savoir refusé, qui fait retour comme vérité du Sujet, dans le symptôme, c’est ce que l’analysant va aller demander, en le lui supposant, à l’analyste.
J’aurais aimé pouvoir donner à cette leçon un Titre, parce qu’y apparaissent certaines formulations, difficiles, "limites" (vous vérifierez aisément combien sur chacune, l’établissement du texte est hésitant, vacillant, controversé : c’est l’indice immanquable qu’il y a là quelque chose qui se dit mais qui, de ne pouvoir être entendu, ne peut qu’être mal transcrit…) – formulations qui ne cesseront d’être retravaillées tout du long de ce Séminaire. Alors allons-y, avec cette duplicité, forcément féconde, du génitif :
"Feinte(s) du Sujet-supposé-savoir"
leçon 4: Lacan propose d’emblée une distinction entre ce qu’il appelle trois "mathésis", ou "modes d’appréhension du savoir" :
le "Je lis" du Ménon : je lis un savoir déjà là, à dévoiler donc ;
le "J’écris" de la Science : je produis des formules, j’ordonne et accumule du savoir ;
et puis, là est l’approche psychanalytique en ce qu’elle a d’inouï : "J’aborde le savoir par la perte" – ici, avec les répliques de Rozencranz et Guildenstern, sous la forme d’un "Je perds le fil".
C’est une nouvelle fois à l’ordre de l’acte manqué freudien, de l’achoppement, que Lacan nous ramène. Pour ne pas perdre la corde quant à la visée de l’acte, il faut partir du "perdre le fil" du discours : voilà le repère, toujours étonnant après tout ! que nous propose Lacan.
Achoppement – Perte – Repère, dans et par la structure : voilà les mots qui justement balisent le cheminement de cette leçon.
L’achoppement ouvre, on l’a vu, la question d’une vérité autre, autre que celle que l’acte comme manqué ou symptomatique peut se donner à lui-même quant à son intention. Mais surtout il n’a de cesse de se refermer, de s’oublier justement (c’est le "j’ai oublié la question" du dialogue en exergue) – et ceci, d’abord chez les psychanalystes, peut-être parce que, de l’Hypothèse freudienne à soutenir dans l’expérience de la cure, ils ont fait une Thèse (avec tout ce que l’homophonie peut laisser entendre), i.e. quelque chose de totalisé et de totalitaire, d’enseignable, transmissible du coup sans perte, sans la perte justement.
Aussi Lacan va-t-il une nouvelle fois chercher dans la théorie psychanalytique post-freudienne l’achoppement où se signale un point de vérité : dans un article de Rappaport, il le trouve, exemple très indicatif, dans l’élision, l’abrasion de ce qu’introduit Freud – à savoir, dit avec Lacan, "qu’il puisse y avoir un statut de la jouissance qui soit l’insatisfaction." (p. 67)
En regard, Lacan se voit amené à préciser encore un peu plus la problématique de son propre "enseignement" – je dirais sur le versant de l’objet. Les formules sont tendues :
"Mon enseignement n’est pas un acte psychanalytique : se poursuivant devant un public, il ne saurait l’être !"
Pour autant, n’est-il pas quand même un acte, je dirais un acte … tout court ? Ce en quoi il produirait des effets qui tirent à conséquence ?
Mais "si l’enseignement n’est pas un acte et ne l’a jamais été", ça c’est Lacan qui le dit, alors …je poursuis ma question…le mot même "enseignement" convient-il, pour ce qu’il fait là devant nous ?
On sent qu’on touche là à des points limites ; et en effet Lacan nous propose une sorte de topologie, à mettre assurément entre guillemets : il trace un intérieur duquel il convient de ne pas sortir – à partir du moment où l’on se soumet à la structure, à la loi propre que désigne l’acte psychanalytique : "C’est comme ça, dit-il, qu’on ira plus loin !"- pour approcher ce qui fait limite, là-même où c’est insupportable pour le psychanalyste parce que c’est là que gîte la question de son acte, et de son désêtre !, dont il ne saurait avoir la maîtrise.
Dès lors, ce que Lacan demande pour ce qu’il appelle néanmoins ses "thèses" (je préférerais parler de "propositions" !) – ce ne sont pas des antithèses, mais des objections. Quand il dit qu’à l’antithèse commence l’acte, je vous propose d’entendre que c’est lui, là, avec ce qu’il avance, qui fait en ce sens antithèse, qui fait acte – ne serait-ce que, et d’abord, dans la lecture qu’il opère des théories analytiques telles qu’elles se sont instituées en doctrine.
Le point d’achoppement majeur, duquel Lacan attend autant objection que témoignage, c’est celui de la fin de l’analyse, dont il nous dit et redit que "personne n’a encore pu le fixer clairement." Or, si d’une part l’acte de l’analyste consiste à structurer par la Règle analytique et à soutenir par l’Interprétation un "Faire" de l’analysant (et attention : un Faire qui n’est pas le sien ! Ce n’est pas pour rien que Lacan a lancé cette forme progressive de l’"analysant" !) ; et si d’autre part l’analyste est supposé avoir mené à son terme, pour lui-même, son expérience d’analysant, avec ce que ça a nécessairement à faire, au moins au départ, avec la vérité ; alors, est-ce que ne s’impose pas pour le patient, comme horizon de sa cure, "incarnée" si j’ose dire dans l’être de son analyste, la promesse d’un "Je suis" – accompagnée, ou mieux : fondée d’un "Je sais"… je sais la vérité, la vérité humaine, toute la vérité – ce dont l’acte analytique, qui plus est, témoignerait ?!
C’est bien entendu l’envers assez exact de ce qu’articule Lacan, mais la question peut et doit être posée (p.70) : "Est-ce que l’acte psychanalytique prend en charge la vérité ?"
Non : la vérité, elle est au lieu de l’Autre, c’est l’inscription du signifiant : c’est cela que le psychanalyste, effectivement, sait à son propos : qu’elle parle ! Ce que Lacan nous fait entendre, c’est que l’être de l’analyste en tant qu’il repose sur un acte authentique, dirais-je, tient bien sa place de point d’Archimède, tel que Descartes en trouvait l’appui dans son Cogito pour s’y assurer de la certitude de son être – sauf que pour l’analyste, on est passé du "point" d’être, au sens ponctiforme, à un "point d’être", un n’y être pas ; dans l’acte, le sujet n’y est pas, ce que manifeste l’acte analytique : nos interventions d’analyste, elles nous surprennent bien souvent, quand même !
Donner sa place à la perte, opter à l’encontre du choix forcé pour le chemin du "Je ne suis pas", ça n’est évidemment pas ce qu’attend de vous celui qui vient vous consulter pour retrouver un peu d’assurance. Et pour répondre à cette demande, le psychologue doctrinaire sera prompt à construire une théorie, toujours rassurante, du développement en plusieurs étapes : c’est toujours constructible, dit Lacan.
Contre cette pente imaginaire, il va construire devant nous un schéma disons structural : "un petit jeu", dit-il, pour se repérer, comme sur une carte – mais où nous, lecteurs, avons à assumer d’y promener chacun sa boussole. A chacun de poser là ses questions, en le faisant fonctionner. Je voudrais simplement dégager avec vous, rapidement, le mouvement qui anime sa construction en trois étapes (schémas p. 68 à 70) :
A partir de R. S. I. disposés en triangle, Lacan repère d’abord ce que donne, pour le Sujet, la "projection" de chacune des dimensions R. S. et I. sur ce qu’il appelle le vecteur tendu entre les deux autres : le S barré issu du Symbolique ; le trait unaire (I) comme première identification, soutien de l’Imaginaire : face à l’Imaginaire ; le a comme chute du Réel. Ainsi, entre I, a et S barré qui viennent à former un nouveau triangle, se "repère" un Sujet qu’on aura alors bien du mal, vous en conviendrez, à confondre avec un petit bonhomme – un Sujet rénové !
Ensuite, c’est par le symptôme, la fonction du symptôme, que Lacan va faire tourner son compas (le symptôme, c’est l’entrée de Freud pour inventer la psychanalyse ; aussi bien, à l’orée de la cure, quand le futur analysant suppose que, de l’analyste et de son acte, il peut attendre quelque chose, concernant son symptôme) – pour disposer, en les distinguant chacun par son rapport propre au symptôme : Savoir, Vérité, Jouissance. Le symptôme comme échec du savoir ; le symptôme comme ce qui toujours représente quelque véeité ; le symptôme enfin comme participant de la jouissance.
Et enfin, dernière étape, puisqu’il s’agit d’avancer dans le repérage de la position de l’analyste par le biais de la question de la vérité : est-il celui qui prend en charge la vérité ? – ça conduit, de façon structurale, combinatoire, à un dernier tissage de rapports… que je vous laisserai le soin de reparcourir.
Avant d’achever ce parcours, je voudrais encore retenir votre attention sur deux points qui me paraissent importants. D’abord le trou du désir, le vide : on voit comment Lacan commence à repérer ici, dans ce trou, à la fois la place du désir et la position de l’analyste. Et puis il y a, très vive, cette mise en question du savoir comme imaginaire, comme idéalisation à quoi tient sans doute cette autre idéalisation, celle de la position sociale de l’analyste. La prestance sociale dans la compétition, l’exhibition d’un certain savoir, va de pair avec le voilement du a comme chute du Réel, et cause du désir, c’est à dire qu’elle va à un recouvrement, un voilement du trou du désir.
Et pour terminer, ce que Lacan indique avec Winnicot, en une fin de leçon que je dirais solennelle, c’est en quoi la moindre "méconnaissance de ce qu’il en est de l’acte analytique entraîne la négation de la position analytique" : rien de moins ! Et ce repérage de la défaillance de Winnicot prend je crois toute sa portée de l’hommage que lui rend préalablement lacan, comme toujours, de lui avoir amené, avec son objet transitionnel, comme une préfiguration de l’objet a … justement !
Je vous remercie.