Étude du séminaire XVII de Jacques Lacan, L’envers de la psychanalyse - Leçon III
21 novembre 2023

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GIOGA Joseph
Préparation au séminaire d'été
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Mardi 21 novembre 2023

Président-discutant : Omar Guerrero

 

Joseph Gioga

Leçon III du 17 décembre 1969

 

Lacan inscrit les formules des discours au tableau. Il nomme pour la première fois dans ce séminaire le discours universitaire.

Il rappelle la formule qu’il a énoncée lors de la première séance :

 

Le signifiant, à la différence du signe, est ce qui représente un sujet pour un autre signifiant.

 

Cette formule c’est à la fois une définition du sujet (un sujet c’est ce qui est représenté par un signifiant pour un autre signifiant), celle du signifiant, mais c’est aussi, si on prend en compte la dimension des places, une façon d’énoncer un discours, celui du maître, qu’il nomme aussi « relation fondamentale » ou encore « discours de l’inconscient. »

Le sujet en place de vérité est représenté par un signifiant en place d’agent pour un autre signifiant en place d’Autre. Peut-on dire alors que les discours sont la condition du sujet ?

 

Cette autre façon de nommer le discours du maître comme relation fondamentale, peut-on l’entendre comme la nécessité dans laquelle se trouve l’Autre maternel de faire de l’appel de son bébé un signifiant-maître auquel elle va répondre en lui supposant un savoir. Faisant alors de cet appel un signifiant représentant un sujet supposé savoir pour un autre signifiant ?

Cette formulation nous fait entendre que si le savoir est du côté du serviteur S2, il ne l’est pas sans supposer un savoir du côté du sujet S barré. C’est d’ailleurs à la même configuration entre S2 et S barré à laquelle nous avons affaire mais à l’envers dans le discours de l’analyste ; le savoir, là aussi ne va pas sans le sujet supposé savoir.

 

Dans la séance précédente, il a parlé des effets de son discours, il a employé les termes de « contestation » et « d’obstruction. »

Il a pu dire que si la contestation le guette, lui aussi il guette la contestation en tant qu’elle permettrait une dialectisation. Il fait le constat que ce sont des contestations réelles, des obstructions qui l’ont contraint à devoir quitter les lieux qui accueillaient son séminaire.

 

Il interroge les effets des discours entre eux, d’un point de vue structural mais aussi d’un point de vue historique puisqu’il nous fait entendre que les quatre discours ne sont pas là de toujours, que l’avènement d’un discours est lié à notre histoire collective. Il revient par exemple sur l’influence de la tradition philosophique sur l’émergence du discours universitaire.

 

L’avènement d’un discours tel que celui de la psychanalyse (de l’analyste ?) ou du discours universitaire a des implications, des effets sur les autres discours.

Pour la psychanalyse c’est en particulier la question du savoir qui est mise sur la sellette, la psychanalyse est un discours qui permettrait d’en savoir un peu plus sur le savoir.

Dans cette séance du 17 décembre 1969 après ceux d’obstruction et de contestation c’est celui de « consentement » qu’il va mettre en avant : il nous dit que le S1 vient représenter un x pour un autre signifiant dont il ne fait pas de doute que le consentement est nécessaire pour que quelque chose du savoir advienne.

Ce quelque chose qui lie, dans une relation de réseau, un signifiant à un autre signifiant, il y faut le consentement de l’Autre pour qu’un savoir puisse advenir, mais dans des termes pulvérulents, métaphore dont il se sert pour faire entendre l’accent qu’il convient de mettre au terme de savoir (dans le discours du maître, un savoir dont la consistance serait celle de la poudre.

 

 

Durant ce séminaire il va interroger la dimension du savoir en fonction des différentes places qu’il occupe dans chaque discours. Mais aussi, me semble-t-il, la place que prend le discours de l’analyste en ce qu’il est la dernière combinaison de la ronde des discours et qu’à ce titre il en révèlerait ce que j’appellerais leur unité structurelle. Aussi, je dirais que s’il faut un consentement à l’intérieur de chaque discours il est aussi nécessaire d’inscrire un consentement entre les discours.

Il permettrait ainsi de pouvoir appréhender de façon scientifique la dimension du savoir du fait de la prise en considération de la pluralité des places qu’il est amené à occuper dans les discours.

Ce serait même la fonction du discours de l’analyste.

Puisqu’il le dira dans ce séminaire que pour la psychanalyse c’est le savoir qui est mis sur la sellette. Avec la psychanalyse on en sait plus sur le savoir.

 

J’ai beaucoup aimé la formulation de Roland Chemama dans son ouvrage La jouissance, enjeux et paradoxes pour illustrer ce point qui m’a intéressé dans cette leçon et je voudrais la partager avec vous.

Je vous la cite :

« La psychanalyse pour Freud n’est pas une démarche antiscientifique ni même extra scientifique. Elle tente au contraire d’aborder de façon rationnelle ce que les autres sciences négligent, ce qui constitue le rebut du déterminisme universel.

Que fait en réalité celui qui considère que ces petites choses, les lapsus, les actes manqués ne nécessitent pas d’explication particulière ? Il abandonne pour un temps l’approche qui est celle de la science. Et Freud ajoute qu’en brisant le déterminisme universel, fût-ce en un seul point, on bouleverse toute la conception scientifique du monde. »

 

Cette rupture du déterminisme universel m’est apparue comme une autre façon de faire entendre ce que j’ai appelé l’unité structurelle des discours.

Aussi, au-delà même de l’obstruction faite au discours du psychanalyste (de l’analyste ?), c’est la ronde des discours qui est brisée du fait de cette absence de prise en compte des formations de l’inconscient que sont les lapsus et les actes manqués.

C’est l’idée d’un savoir qui ferait totalité close au prix du rejet de ce savoir qui ne se sait pas et qui ne nous permet plus d’accéder à ce qui constitue « ce qui de vérité, de vérité vraie, a fait surgir tant de détours, de fictions et d’erreurs tant dans notre histoire individuelle que collective. »

C’est ce qui relève de la fonction du savoir dans sa dialectique avec la jouissance qui est rejeté.

 

Lacan nous fait donc parcourir les différentes places que peut prendre le savoir dans les discours et les effets que cela implique sur l’évolution de notre lien social.

 

En place d’agent il devient tout savoir dans le discours universitaire.

En place d’autre il devient le savoir-faire du serviteur dans le discours du maître.

En place de production dans le discours de l’hystérique, il occuperait la place du rebut. Ce n’est pas ça qui va alimenter la plainte du discours de l’hystérique.

En place de vérité il est un mi-dire, celui de l’interprétation qui prend la forme de l’énigme et de la citation dans le discours de l’analyste.

 

 

Cette idée d’un savoir qui ferait totalité close n’a pas attendu la psychanalyse pour être mise en cause, pourtant aujourd’hui c’est elle qui remet sérieusement en cause la psychanalyse. Elle s’appuie, nous dit Lacan, sur l’idée imaginaire du tout telle qu’elle est donnée par le corps. Mais aussi sur le malentendu que constitue le rapport sexuel dans le discours de l’hystérique : « expérience majeure, tracé en chicane sur lequel repose ce malentendu, que dans l’espèce humaine constitue le rapport sexuel. Comme on a le signifiant, il faut qu’on s’entende et c’est justement pour ça qu’on ne s’entend pas, le signifiant n’est pas fait pour le rapport sexuel. »

 

« La collusion de cette image d’un tout, d’une sphère, avec l’idée de la satisfaction, c’est le quelque chose contre quoi nous avons chaque fois à lutter lorsque nous rencontrons quelque chose qui fait nœud dans ce travail dont il s’agit, de la mise au jour de quelque chose par les voies de l’inconscient.

« Elle est l’obstacle, ou plutôt le coton dans lequel nous perdons sens, où nous nous voyons obstrués. »

On retrouve cette notion d’obstruction dont il nous a parlé lors de son premier séminaire. Obstruction qui semble se généraliser dans notre modernité. Mais qui peut également être le point de départ d’une rencontre analytique.

 

Lors des journées sur les troubles de l’attention qui ont eu lieu il y a quelques années dans le cadre de l’EPHEP, je me souviens d’un psychanalyste qui racontait qu’il avait rencontré une jeune femme qui était venue dans un contexte universitaire se présenter à lui en tant que TDAH, il lui avait répondu sur un ton provocateur qu’il n’était pas sûr que cela existe.

Quelques jours plus tard, il la recroise dans un couloir et elle lui dit : « vous vous souvenez de moi ? Je suis la femme qui n’existe pas ! »

Je trouve que cette petite vignette nous fait entendre combien il faut un temps plus ou moins long pour obtenir un consentement qui permettrait à un individu d’accéder à la dimension des discours, du fait de la place qui est donnée dans notre social à ces figures pleines d’un tout-savoir dont l’éthique serait celle du bien. Cette vignette a le mérite de venir interroger très vite la dimension de l’existence dans le transfert chez une femme.

 

Cette idée d’un savoir qui ferait totalité, donne lieu à un discours qu’il va nommer le nouveau discours du maître, c’est le discours universitaire, un tout-savoir, qu’il assimile à la bureaucratie mais aussi au capitalisme. Il consiste en le déplacement du savoir qui est celui de l’esclave à un savoir que s’approprie le maître dans le discours universitaire.

Dans ce nouveau discours du maître tout 1e savoir est du côté de l’agent. Un savoir qui est sous-tendu par un univers, celui du signifiant-maître qui fait loi et qui se trouve en place de vérité.

Le sujet occupe la place du plus-de-jouir, de ce qui choit du discours.

Ce nouveau discours du maître consiste en un déplacement d’un quart de tour du discours du maître dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, Lacan nous indique que ce qui opère du discours du maître à celui de l’université c’est quelque chose qui s’est modifié dans la place du savoir et que cette transmutation du savoir a été rendue possible par l’influence de la tradition philosophique dans un lien avec le discours de l’hystérique dont il nous engage à chercher les articulations.

Il semble qu’il nous en donne un indice lorsqu’il nous dit que l’hystérique fabrique comme elle peut un homme qui serait animé du désir de savoir ?

 

Ce qui ne change pas c’est l’essence du maître en ceci qu’il ne sait pas ce qu’il veut.

 

 

Et puis Lacan interroge le savoir dans l’acte analytique au niveau de l’expérience et de ses interventions une fois l’expérience instituée dans ses limites précises, il y a un savoir qui ne se sait pas, il est à situer au niveau du S2, l’Autre signifiant, cet autre signifiant n’est pas seul, « le ventre de l’Autre, du grand Autre en est plein. Ce ventre, c’est celui qui donne, tel un cheval de Troie monstrueux, l’assise de ce fantasme d’un savoir-totalité ». Le S2 c’est ce qui est en place de production dans le discours de l’hystérique, c’est-à-dire que c’est ce qui est en perte dans ce discours.

C’est peut-être ce que cette jeune femme énonce au psychanalyste dans les couloirs de l’université quand elle lui dit qu’elle est TDAH.

Que dire de la réponse que lui fait l’analyste lorsqu’il vient la questionner sur l’existence de cette psychopathologie, n’est-elle pas déjà de l’ordre de l’interprétation ?

Il est bien clair pourtant que la fonction du S2 implique, nous dit Lacan, que quelque chose y vienne frapper du dehors – sans ça jamais rien n’en sortira et Troie ne sera pas prise.

Ce quelque chose qui viendrait y frapper du dehors qu’est-ce que c’est ?

Pour répondre à cette question, Lacan met en évidence ce que l’analyste institue ? En le distinguant bien du discours de l’analysant. Ce que l’analyste institue c’est l’hystérisation du discours, nous dit-il.  L’introduction structurale, par des conditions d’artifice du discours de l’hystérique.

 

Il nous dit que ce qu’il faut comprendre de ces schémas, c’est que de mettre S2 dans le discours du maître, à la place de l’esclave et de le mettre ensuite dans le discours du maître modernisé, à la place du maître, ce n’est pas le même savoir. Le voilà enfin avec un quart de tour supplémentaire à la place de la vérité et nous voici donc encore avec un autre savoir.

Je dirais que ce passage du savoir de la place du maître à celui de la vérité est une autre façon de formuler l’invention de Freud qui consiste à écouter les associations libres de ses patients plutôt que de faire valoir un savoir déjà constitué.

 

Le discours de l’analyste s’adresse à un sujet divisé qui occupe la place du savoir.

 

Cette invention consiste en un quart de tour dans le sens inverse des aiguilles d’une montre du discours universitaire. Ce quart de tour produit un effet sur le discours de l’hystérique qui est celui de l’analysant.

L’analysant, lui qui en passe par le discours de l’hystérique qui s’adresse à un maître se trouve par ces conditions d’artifice dans une relation transférentielle s’adresser à un maître avec lequel se superpose l’objet qui cause son désir.  C’est cela même, nous dit Lacan, qui constitue le transfert et qui le contraint à venir occuper cette place de savoir.

Ce qui est le ressort du transfert c ‘est que la parole est donnée si librement à l’analysant, qu’il lui est reconnu qu’il peut parler comme un maître. Et que ça donnera d’aussi bons résultats que dans le cas d’un vrai maître.

Le discours de l’analyste serait l’envers de celui du maître en ce qu’il rétablit ce lien en réseau entre le savoir et le sujet supposé savoir, mais à l’envers.

Sujet supposé savoir qui, d’être reconnu comme tel, est à son endroit, d’avance fertile de ce quelque chose qu’on appelle transfert. À le supposer, le sujet, savoir, ce qu’il fait, c’est se faire la cause du désir de l’analysant.

Les conditions d’artifices du discours analytique relèvent, me semble-t-il, de la prise en compte du transfert par l’analyste, il est le maître en tant qu’il prend en compte que le moteur de la production du savoir du sujet c’est le transfert. Cela implique qu’il refoule son savoir qui se retrouve en place de vérité.

Mais aussi que l’éthique de son discours laisse au sujet supposé savoir le soin de produire les signifiants

Cela implique que l’intervention de l’analyste relève exclusivement de l’interprétation c’est-à-dire d’un mi-dire qui prend appui sur le texte de l’analysant. C’est son éthique, nous dit Lacan.

Ces mi-dire, il nous en donne deux :

D’abord l’énigme dont il nous dit que c’est une énonciation dont il charge l’analysant d’en faire un énoncé, il en subira alors les conséquences.

Puis la citation, l’analyste en pose l’énoncé et il revient à l’analysant d’en faire quelque chose à partir du solide appui qu’il trouve dans le nom de l’auteur. C’est un énoncé dont on vous indique qu’il n’est recevable que pour autant que vous participez déjà à un certain discours au sens plein du mot discours dans ce séminaire

L’interprétation est à mi-part énigme, énigme autant que possible cueillie dans la trame du discours du psychanalysant.  Énigme que vous ne pouvez pas compléter de vous-même, l’interprète, que vous ne pouvez pas considérer comme aveu sans mentir.

Et citation d’autre part, prise dans le même texte, tel énoncé, lui qui peut passer pour aveu à seulement que vous le joignez à tout le contexte ; vous faites appel là à celui qui en est l’auteur.

 

Lacan va interroger la place du savoir dans le discours de l’analyste, il y occupe la place de la vérité.

Le savoir en place de vérité.

Vérité qui ne peut jamais être dite qu’à moitié.

 

La citation c’est l’énoncé en fonction de la part prise à un discours par le lecteur supposé, c’est aussi un mi-dire.

L’interprétation est à la fois énigme et citation.

Énigme autant que possible cueillie dans la trame du discours de l’analysant et citation.

Ce qui seul motive la fonction du savoir c’est sa dialectique avec la jouissance.