Étude du séminaire XI Les Fondements de la psychanalyse, J. Lacan - séance plénière du 16/01
06 février 2023

-

THIBIERGE Stéphane
Le Collège de l'ALI
image_print
Collège de l’ALI 2022-2024
Lecture du séminaire XI de Jacques Lacan, Les Fondements de la psychanalyse                                                   

                                          

Leçon V (12 fevrier 1964), séance plénière du 16 janvier 2023

Transcription : Daniel ALLALI, Anne LE TRI                                                

Relecture : Christine Robert

 

Stéphane Thibierge:  Je vous rappelle le shéma de la division signifiante qui était dans l’Angoisse

 

2023 0116 sch1college 

J’ajoute

       2023 0116 sch2college

C’est pour préciser ce que dit Lacan à propos du Fort Da, O A, O A, quand la mère s’en va, il joue avec la bobine, et cette bobine avec laquelle il joue, il en fait l’objet petit a, automutilation dit Lacan, et cet objet petit a, eh bien c’est en quelque sorte l’appui, c’est cet objet petit a qu’il fait surgir comme soustraction de l’Autre, du grand Autre, c’est ça qui soutient son énonciation comme sujet, c’est très intéressant parce que, rarement Lacan dit d’une façon aussi précise que le sujet qui parle, le je comme je fais en ce moment, eh bien c’est d’une certaine manière, c’est pas l’objet bien sûr,  mais c’est tout de même l’objet qui parle c’est-à-dire qu’il n’y a pas de paroles possibles il n’y a pas de subjectivation possible en quelque sorte de la parole si cet objet n’est pas mis en position justement de soustraction, ce que Lacan appelle ici automutilation. Voilà c’est pourquoi j’ai mis ce petit sujet, ce petit schéma, c’est vraiment un schéma, une petite écriture vraiment très directement tirée de ce que dit Lacan, et l’autre écriture c’est unrappel  de ce que Lacan souligne très souvent dans l’Angoisse , c’est-à-dire là aussi que le petit a, c’est ce qui se soustrait par l’opération signifiante du lieu de l’Autre, lieu à la fois de jouissance et de langage, les deux ensemble, Chose, substance jouissante en quelque sorte, d’où peut s’écrire ce reste, que constitue l’objet petit a en tant qu’il n’est…y a toujours un reste de l’opération de division du grand Autre par le signifiant, disons cela comme ça, et que ce petit a qui va, comment dire, être en quelque sorte le témoin réel du manque dans l’Autre, puisque ce petit a c’est ce qui manque d’être symbolisé, qui manque à la symbolisation. Et bien c’est sur ce petit a que s’appuie proprement l’énonciation du sujet, c’est pour ça que je vous ai rapproché les deux choses, parce que ce que dit Lacan, j’allais dire aujourd’hui, dans la leçon d’aujourd’hui, que nous travaillons aujourd’hui à propos du Fort-Da, eh bien ça vient très directement dans la suite de L’Angoisse, ce qui n’a rien d’étonnant puisque ce séminaire vient très tôt après L’Angoisse.

 

Alors je vais reprendre, je ne sais pas dans quel ordre je vais le faire, mais de toutes façons j’ai déjà commencé, j’ai commencé très direct et tant mieux, je ne vais pas reprendre les choses en les dépliant, d’ailleurs j’en serais tout à fait incapable, enfin je veux dire en les dépliant comme un résumé, mais je vais aller à ce qui me paraît le plus important, puis je ferais comme Angela la dernière fois, je m’arrêterai de façon à vous laisser la parole, parce que je suppose quand même que, une leçon comme ça, quand on la lit et quand on la travaille, ça doit, j’imagine, faire surgir des questions.

Alors c’est une leçon, dans le Seuil elle a été intitulée, je suis désolé, quelque fois c’est utile l’édition du Seuil, l’édition de Miller parfois elle rend service, mais à force de vouloir mettre du sens, absolument, il finit quand même par, comment dire, abraser un peu la question, parce que là il dit, tuché et automaton, on dirait le titre d’un cours d’Aristote, ou d’un cours sur Aristote, non ce n’est pas du tout… la question de cette leçon c’est la question du réel.

A. Jesuino :  Et la question de la représentation.

S. Thibierge : La question de la représentation aussi, du représentant du réel, quand il parle à la fin du Vorstellungsrepräsentanz, (représentant de la représentation) qu’est-ce qui représente le réel ? C’est donc effectivement la question de la représentation et c’est la question de la répétition. Qu’est-ce qui fait que le réel on n’y accède que par une répétition ? Et répétition de quoi ? Et comment y accédons-nous ? la répétition, nous y étions déjà au moment où je commençais tout à l’heure, puisque le Fort-Da, c’est un jeu de répétition. Le Fort-Da je pense que tout le monde sait ce que c’est. Et donc, cette leçon, elle porte sur le réel, sur la répétition, sur la représentation, et sur le fait que Lacan souligne que, effectivement le réel, eh bien, il est de l’ordre d’une rencontre, qui se fait à la faveur disons d’une répétition, alors rencontre bonne ou mauvaise, bien sûr, mais qui relève de ce que Aristote à qui Lacan …enfin qui intéresse beaucoup Lacan, il avait une culture philosophique extrêmement précise et considérable mais, il a beaucoup évoqué Aristote et d’ailleurs je pourrais partir de là.

 Aristote, il a, d’une façon très éloquente, essayer d’articuler, ce que c’est que la cause. Et il l’a fait d’une manière c’est vrai, assez époustouflante, je vous recommande de lire ou de relire là-dessus le début, c’est au livre II, c’est dans sa physique, le livre II les chapitres 4,5,6 sur les causes, enfin tout le livre II, et vous verrez que Aristote essaye de définir ce qui peut avoir valeur de cause, qu’est-ce que c’est qu’une cause, qu’est-ce que c’est que la cause ? Il définit quatre causes, que Lacan d’ailleurs reprendra, dans la science et la vérité, un texte qui est pas très loin après celui que nous travaillons cette année. Aristote, distingue quatre causes différentes, bon je ne m’attarde pas aux détails de cet exposé mais vous pouvez vous y reporter. Mais il dit, au-delà de ces quatre causes, il y a encore quelque chose qui laisse paraitre, enfin qui laisse entendre quelque chose de l’ordre de la cause, c’est ce que nous appellerons le hasard, le hasard qui suppose toujours la causalité, s’il n’y a pas de causalité il n’y a pas de hasard, le hasard n’a aucun sens s’il n’y a pas la causalité. C’est ce que Aristote appelle automaton, et puis il y a encore, en quelque sorte, un pas plus loin que l’automaton, il y a ce que Aristote appelle la tuché. C’est-à-dire que, l’automaton c’est ce qui se produit par hasard disons, et la tuché c’est ce qui se produit par hasard mais… la tuché est toujours par hasard mais tout ce qui se produit par hasard n’est pas de l’ordre de la tuché. La tuché c’est la… le par hasard qui crée une rencontre, et une rencontre qui va, qui est rapportée par Aristote à quelque chose que l’on ne peut pas appeler tout à fait le sujet au sens moderne du terme, mais qui est rapportée quand même à un être animé par quelque chose et par le fait de pouvoir rencontrer.  Ce sujet donc, il peut rencontrer quelque chose qui fait bon-heurt ou mal-heurt pour lui. Bonne ou mauvaise rencontre. Une pierre ne peut pas faire une bonne ou mauvaise rencontre même si elle est prise dans la causalité. Par contre, quelqu’un qui va sur la place, c’est l’exemple que donne Aristote, quelqu’un va sur la place, la grand’ place et puis là il rencontre justement par chance, celui à qui il devait demander de l’argent, qui était en dette par rapport à lui etc., bon cela c’est par hasard qu’il le rencontre mais en plus, il y a une dimension de rencontre favorable puisqu il peut profiter de cette rencontre pour lui demander ce qu’il lui doit. Bref vous voyez, il y a une tentative d’Aristote, d’abord Aristote, on entend à travers son effort quelque chose de très important pour nous c’est que, et Lacan le souligne dans l’Angoisse déjà, il y a quelque chose qui dans la cause, dans la recherche de la cause, marque une absence, une insuffisance, quelque chose que l’on essaye d’attraper, mais qu’on ne peut pas attraper complètement, et on le voit bien dans l’effort d’Aristote pour articuler la cause matérielle, la cause formelle, la cause finale, la cause efficiente et puis au-delà de ces quatre causes, l’automaton et encore dans l’automaton distinguer la tuché. Vous voyez on entend dans cet effort d’Aristote le caractère échappant, pas évanouissant, mais le caractère un peu qui échappe, de quelque chose de l’ordre de la cause et ce qui échappe.

 Eh bien ici Lacan va nous dire en quelque sorte que, la psychanalyse pour la première fois, ça n’a jamais été fait avant, ça n’a jamais été évoqué avant, avec Freud, pour la première fois il y a quelque chose qui est mis au jour et que Lacan désigne comme le réel, le réel. Le réel bien sûr n’a pas attendu la psychanalyse pour avoir des effets, mais il a attendu la psychanalyse pour être indiqué, pour être désigné comme tel, et notamment à travers ce que Freud va isoler comme la répétition. La répétition évidemment qui n’a de sens que comme répétition signifiante, parce que sinon s’il n’y a pas de signifiant on ne peut même pas identifier la répétition.

Alors dès le début, enfin plutôt non, dans la leçon précédente, que nous avait évoquée Angela, Lacan le disait déjà, Wiederholen se répéter, répéter en allemand, Wiederholen, Lacan disait : « rien n’a plus fait énigme », il le dit dans la leçon précédente. Et d’une façon très intéressante, dans la leçon précédente encore dans la leçon IV, il évoque l’acte. L’acte, ce qu’on appelle un acte, comme justement, l’acte comme point d’accroche, comme point de question aussi, de ce qui va articuler la répétition au réel, à un réel. Et c’est vrai que quand on réalise un acte, interrogez votre propre expérience vous verrez, quand on réalise un acte, eh bien d’un côté, bien sûr on le réalise à la faveur d’un certain nombre de répétitions signifiantes dans lesquelles on est pris, bien sûr, on ne réalise pas un acte à partir de rien, on réalise un acte à partir de ce dans quoi on est effectivement pris. Mais, à partir de cette répétition dans laquelle on est pris on crée en quelque sorte, on crée l’accroche, on attrape quelque chose, on ne sait pas quoi d’ailleurs, on ne le sait qu’après, après coup, on attrape quelque chose qui est de l’ordre du réel.

Et c’est vrai qu’un homme, enfin un homme au sens d’un humain, homme ou femme. Un homme, il est fait de ces actes, c’est-à-dire de ce qu’il a attrapé ou pas d’ailleurs. C’est ça qui fait ce que l’on appellera, je ne sais pas moi, le courage, ou bien tout ce que vous voudrez du même ordre, le rapport au réel de quelqu’un. Alors au début de la leçon, Lacan va directement, alors il passe sur une objection, je le dis parce qu’après tout pourquoi ne pas le dire, et puis ce n’est pas très difficile donc ça nous ménage des temps de repos dans notre travail à propos de cette leçon, oui il évoque tout au début de la leçon le fait qu’on a pu reprocher à la psychanalyse d’être un idéalisme, ça c’est vraiment le comble. C’est-à-dire d’être occupé uniquement de ce qui serait le monde interne des hommes et puis on a encore cette…cette objection. On la rencontre encore, des gens vous disent, oui mais c’est narcissique, de parler de soi, comme si on était occupé avec son monde interne et qu’on ne s’intéressait pas au réel dur. Alors là il évoque, ce qui était à la mode à l’époque, le dur réel de l’exploitation de l’homme par l’homme, de la lutte des classes, du conflit etc. bref toute chose très respectable comme, appui pris pour une action, si l’on considère que c’est l’appui correct mais le moins que l’on puisse dire c’est que la psychanalyse n’est pas du tout loin, ni même exempte de ces conflits et de cette notion très précise qu’elle a de ce que l’on peut appeler après ou ailleurs plutôt l’exploitation de l’homme par l’homme,. Les psychanalystes en savent un rayon là-dessus. Donc Lacan évidemment évoque ça en disant que, s’il y a une discipline qui est au diapason du réel, le plus réel c’est bien la psychanalyse justement, et certainement même beaucoup plus que tout ce qu’évoque là le marxisme qui, certes, a été un effort important et tout à fait notable de prendre en compte le réel, mais la psychanalyse va, on peut le dire quand même, beaucoup plus loin.

Alors tout de suite Lacan pose la question, Page 63, « où ce réel le rencontrons-nous ? » Voilà, où est-ce qu’on le rencontre ? Et tout de suite après il évoque la tuché, il va souligner notamment le fait que quand on est dans l’analyse, quand on a cette référence eh bien on sait très bien que tout ce qui se passe de significatif et tout ce qui se passe qui pourrait être invoqué par le sujet comme n’étant pas de son fait, mais étant arrivé là en déterminant sa trajectoire d’une manière ou d’une autre – par exemple la séance, je n’ai pas pu venir, je n’ai pas pu venir parce qu’il s’est passé ceci – Lacan dit c’est toujours comme par hasard, ce jour-là pas de chance il n’y avait pas de métro, je n’ai pas pu venir, ah, c’est embêtant je n’y peux rien. ! – Eh bien Lacan dit, on ne doit pas en principe, on ne doit pas se laisser prendre à ça quand on est dans l’analyse, quand on est analyste ou analysant parce que justement on ne doit pas, il le dit, il ne faut pas nous y laisser prendre, quand le sujet nous dit qu’il est arrivé quelque chose qui ce jour-là l’a empêché de réaliser sa volonté, soit de venir à la séance.

Je le cite c’est page 65 :

« Ceci nous indique qu’il n’y a pas à prendre les choses au pied de la déclaration du sujet, que ce dont il s’agit, ce à quoi précisément nous avons affaire, c’est à cet achoppement, à cet accroc dont la présence, dont la formule…non seulement les défauts de notre expérience, mais la structure même que nous donnons à  la formation du sujet, nous la retrouverons à chaque instant comme étant le mode, le mode d’appréhension par excellence de ce qui pour nous commande cette sorte de déchiffrage nouveau, –déchiffrage nouveau– que nous avons donné des rapports du sujet à tout ce qui fait sa condition. »

Et ce tout, tout c’est cet environnement, qui peut bien sûr être technique, d’intempérie, de ce que vous voudrez- il pleuvait, il y avait de la neige, la voiture était en panne, peu importe – c’est de toute cette matrice signifiante que le sujet répond, et quand il répond : « je ne suis pas là », eh bien il répond je ne suis pas là. C’est lui qui répond à partir de cette matrice signifiante et peu importe que sa volonté, sa conscience, ceci cela, soit en cause ou pas, ce n’est pas le problème.

Le problème c’est qu’il est déterminé par cette matrice signifiante et qu’il a à l’assumer, parce que cette matrice signifiante c’est le wo es war, et peu importe si l’es c’est la grève des trains ce jour-là, peu importe. La question c’est, nous on doit, la question c’est d’amener le sujet à prendre place là où c’était, là où il y avait la grève des trains par exemple. Vous voyez c’est quelque chose qui est difficile à entendre quand on ne connaît pas l’analyse. Comment vous pouvez me tenir pour responsable alors que ce n’était pas de ma faute, mais ce n’est pas le problème, c’est que tu y es quand même, tu y es. Tu y es même s’il y avait une grève, même si, voilà, là où c’était.

Exemple de la façon dont Freud recherche ce réel dans …Oui alors avant, une précision quand même, justement sur tuché et automaton : tuché ça va être la rencontre avec le réel. Rencontre toujours surprenante parce que justement elle vient au décours en quelque sorte, ou dans le cours d’un automaton, que Lacan identifie très précisément au jeu des signifiants qui font la structure du processus primaire. Le processus primaire c’est quoi ? Le processus primaire c’est la manière dont, le processus primaire c’est la manière dont court en quelque sorte la représentation et aussi bien, qu’est-ce qu’on pourrait dire là, l’énergie, l’énergie psychique qui court le long, enfin à travers le réseau des signifiants assez librement sans être arrêtée. Et c’est ce circuit, ce circuit qui vient tempérer le ratage initial de La Chose, disons cela comme ça, l’absence que laisse la chose. Absence nécessaire pour qu’il y ait la mise en place même de ce réseau signifiant, c’est-à-dire du langage. Eh bien ce réseau signifiant est en quelque sorte le lieu d’une sorte d’homéostasie, de stabilisation de l’énergie, voilà disons cela comme ça, que Freud appelle le principe de plaisir. C’est-à-dire qu’il y a ce libre écoulement de l’énergie qui permet que la décharge se fasse sans être entravée, la décharge qui donne lieu au plaisir.

Donc l’automaton, c’est ce dispositif justement signifiant qui permet la libre circulation en quelque sorte de l’énergie et la libre circulation de ce qui va faire décharge et de ce qui va occasionner, ce que Freud appelle le plaisir. La tuché par contre, eh bien c’est ce qui, au-delà de cette automaton et au-delà du principe du plaisir porte la marque du traumatisme, et c’est là, ce que Freud repère très bien, dans au-delà du principe de plaisir, et c’est ce que reprend ici Lacan. Et Lacan évoque par exemple le cas de l’homme aux loups, et l’insistance de Freud pour aller chercher au-delà, au-delà du fantasme de l’homme aux loups –c’est intéressant que Lacan emploie le terme de fantasme parce que on pourrait se dire, et moi ça m’est arrivé déjà, il y a longtemps, en entendant parler un collègue du fantasme de l’homme aux loups, je m’étais dit mais, ou je lui avais dit d’ailleurs, mais l’homme aux loups c’est quand même dans la psychose, [alors] est-ce que l’on peut parler de fantasme? Mais là oui, on entend bien dans quel sens Lacan parle de fantasme, il veut dire la façon dont l’homme aux loups tentait…

A. Jesuino :  de colmater

S. Thibierge : de colmater le trou du réel pour lui et c’est effectivement dans ce sens-là, on peut tout à fait, dire par exemple que le rêve de l’homme aux loups, le cadre de la fenêtre, a une valeur de fantasme même si, dans la structure qui semble avoir été celle de l’homme aux loups, effectivement on ne peut pas dire qu’il y avait un fantasme, mais il y a un élément de fantasme simplement dans le fait de recouvrir ce trou du réel.

Lacan dit, à mesure et dans la mesure même où se révèle plus pour lui la fonction du fantasme eh bien Freud poursuit, s’attache presque sur un mode angoissé, à interroger quel est ce réel. Quelle est cette rencontre première que nous pouvons assurer, affirmer, derrière le fantasme.  C’est vraiment l’accent qui est mis par Lacan dans cette leçon sur le fait que, nous rencontrons toujours, chez un sujet, la dimension de l’automaton, c’est la dimension des signifiants qui structurent, en quelque sorte son existence. Mais à travers cette dimension de l’automaton se donne toujours à entendre la dimension de quelque chose que l’automaton ne vient pas fermer, ne vient pas suturer et qui est justement le traumatisme, le trauma. Et c’est vrai que Freud découvre dans au-delà du principe de plaisir, ce que Freud découvre c’est qu’effectivement ce tissage de l’automaton, ce tissage des signifiants, reste quand même animé – voir par exemple le cauchemar, voir le retour des scènes traumatiques de guerre etc … – reste animé par quelque chose qui n’est pas homogène à cet état homéostatique

. Donc du coup se pose la question que Lacan pose dans cette leçon, ce déchiffrage nouveau auquel la psychanalyse invite.

 En quelque sorte on pourrait dire que, jusqu’à la psychanalyse, le mode de rapport au réel, disons, était commandé par une sorte de parti pris d’appui synthétique pris sur l’automaton. On considérait que l’automaton permettait, était un appui suffisamment solide pour se donner base d’articulation du réel, et de connaissance du réel. Et la psychanalyse, enfin avant la psychanalyse dans toute la tradition philosophique qui est la nôtre en tout cas, on considérait que la dimension de l’automaton permettait de rendre compte de la cause, même si on interrogeait la dimension de la tuché chez Aristote, il y avait un parti pris quand même de cohérence et de consistance que la psychanalyse est venu interroger radicalement dans la mesure justement où elle prend en compte, elle prend en compte ce réel qui fait trou dans le tissu de l’automaton. Ça, nous ne l’inventons pas, nous ne l’inventons pas, je veux dire que le rêve, le rêve nous suffit à montrer expérimentalement, que cette dimension du réel est présente chez chacun, dans le cauchemar [mais aussi] dans le rêve tout court. Et Lacan va le montrer d’une façon éblouissante dans ce rêve avec les quatre coups, vous savez, il le montre avec le rêve de l’enfant qui brûle, et il le montre aussi avec les coups comme ça qui le réveille lui, dit Lacan. Il va nous faire un commentaire de ce réveil entre le rêve et le réveil avec tout ce que le français permet d’équivoque sur, rêve, réveil, éveil, veille etc. J’y reviendrai tout à l’heure.

Bon, alors ce réel que la psychanalyse révèle en quelque sorte, il ôte toute assise stable à l’opposition classique que l’on fait entre principe de plaisir et principe de réalité. Vous savez que c’est une, que c’est ça fait partie des choses que l’on peut rabâcher : dans l’œuvre de Freud il y a le principe de plaisir et contre le principe de plaisir il y a le principe de réalité. Mais ce que nous montre Lacan dans une leçon comme celle-là, et d’ailleurs il nous l’avait montré aussi au dèbut du séminaire sur l’Ethique de la psychanalyse, c’est que le principe de réalité et le principe de plaisir sont comme des sortes de, se tricotent l’un l’autre et s’interpénètrent en quelque sorte.

 Le principe de réalité passe par le principe de plaisir et le principe de plaisir est aussi ce qui anime la réalité, c’est-à-dire qu’on ne peut pas distinguer le principe de plaisir qui serait en quelque sorte le règne de l’inconscient et des pulsions et puis le principe de réalité qui serait là avec son bâton à dire non, ce n’est pas permis etc. là est la limite, non ce n’est pas ça. En fait les deux s’interpénètrent, et il va le montrer à partir de l’exemple justement du réveil et à partir de l’exemple du rêve de l’enfant qui brûle. Il va montrer très bien comment la réalité se fait, se troue, en quelque sorte, la réalité devient trouée pour faire place à ce qui en soutient de la réalité, la consistance, mais en étant refoulé. C’est pour ça qu’il dira à un moment donné que, la réalité elle est toujours en souffrance, c’est-à-dire qu’elle est latente.

 Elle est latente et elle ne peut en quelque sorte venir à se réaliser que dans la mesure où elle prend appui sur les éléments du processus primaire c’est-à-dire sur les éléments du réel, vous voyez ? 

Mais le réel il est toujours refoulé, cependant la réalité n’a de, comment dire, ne prend une consistance Autre que purement de mirage, qu’à la faveur de cet ancrage du réel. J’aurais pu écrire au tableau, mais je ne vais pas le refaire pour ne pas…, mais j’aurais pu écrire réel et réalité pour bien les distinguer.

Mais vous voyez la réalité, ce que nous appelons la réalité – Lacan le souligne je ne sais plus où dans la leçon- commence pour nous par, il n’y a pour nous de réalité que parce qu’il y a le zwang, la contrainte de répéter les signifiants qui font l’automaton, qui font les supports du principe de plaisir, mais qui vont contourner le réel. Nous sommes tous pris dans cette contrainte de répétition. Nous sommes tous pris dans cette contrainte de répétition qui est au service du principe de plaisir, c’est à dire qui est faite pour ne pas trop nous exposer au réel, mais qui en même temps borde ce réel. C’est-à-dire que les deux sont étroitement interdépendants.

Et alors, ce processus primaire, alors voilà à la page 66 en bas, il évoque, je vous le lis :

« ce processus primaire qui n’est autre que ce que j’ai essayé pour vous de définir dans les dernières leçons sous la forme de l’inconscient, il nous faut bien une fois de plus le saisir dans son expérience de rupture – alors j’attire votre attention là-dessus – son expérience de rupture entre – Lacan le précise, il précise qu’il veut dire par-là de quelle rupture il s’agit – entre perception et conscience – alors ça c’est très important, entre perception et conscience, il y a ce que Freud va appeler une autre scène, une autre scène où justement, où nous allons être frappés, c’est le cas de le dire au propre comme au figuré, par des éléments qui viennent du matériel inconscient c’est-à-dire qu’ils font partie des signifiants refoulés, par exemple ce qui va former un rêve, eh bien le rêve va nous donner à percevoir quelque chose qui va, cette perception, qui va nous conduire jusqu’à la conscience et la conscience va en quelque sorte nous couper, c’est pour ça que Lacan parle d’une expérience de rupture, va nous couper ce qui-là d’abord a été par nous perçu comme venant du réel. Autrement dit nous venons, nous percevons quelque chose qui vient du réel au titre du processus primaire et de l’inconscient. Ce qui vient du réel va aller dans le sens de nous réveiller, mais ce réveil, qui pourrait aussi bien être entendu comme un réveil au sens où ça nous secoue, ça nous fait sortir de la léthargie habituelle, mais ce réveil va tout de suite devenir quelque chose de neutralisé par la conscience qui va nous ramener à notre représentation habituelle. 

Alors je vais vous expliquer cela dans le détail si je peux.

C’est là que Lacan va évoquer de nouveau le rêve de l’enfant qui brûle, mais avant de vous l’évoquer je voudrais revenir sur cette distinction entre ce qui se passe, entre perception et conscience, c’est là que Freud situe cette autre scène, un autre espace. Et Lacan ajoute cette autre scène, entre perception et conscience, nous pouvons à tout instant le saisir, et là il dit, il donne l’exemple, enfin de lui Lacan il dit : « l’autre jour j’ai été réveillé d’un court sommeil où je cherchais le repos –donc là on est dans la réalité, je cherche le repos, je veux me reposer un peu, bref moment de sommeil– j’ai été réveillé par quelque  chose qui frappait  à ma porte déjà avant que je me réveille –c’est-à-dire avant même de se réveiller il fait un rêve où il y a des coups, il entend des coups– avec ces coups pressés j’avais déjà formé un rêve, un rêve qui me manifestait– qui me rendait présent – autre chose que ces coups –eh bien cette autre chose c’est bien là que se situe la rencontre avec le réel, –et quand je me réveille, ces coups, cette perception, si j’en prends conscience, c’est pour autant qu’autour d’eux, je reconstitue, je replace, toute ma représentation, je sais que je suis là, à quelle heure je me suis endormi, et ce que je cherchais par ce sommeil –vous voyez ?– …ma conscience se reconstitue autour de cette représentation…Mais là il me faut bien m’interroger sur ce que je suis à cette instant-là,  la voie si immédiate et si séparé, qui était celle où j’ai commencé de rêver sous ce coup qui est en apparence ce qui me réveille ».

C’est-à-dire qu’ici Lacan distingue très clairement deux registres qu’il va reprendre à propos de l’enfant, du rêve de l’enfant qui brûle, deux registres qui sont l’un celui de la rencontre avec le réveil, pardon le réel, qui est ce que le rêve nous manifeste –  j’ai dit la rencontre avec le réveil, c’est vrai que si nous avons une chance de nous réveiller c’est par cette rencontre, mais le problème c’est qu’elle passe immédiatement à la trappe.

Et il y a un passage vraiment formidable de la leçon où Lacan nous dit, c’est en haut de la page 68, il nous dit très clairement,  je l’ai noté d’une certaine façon que je vous mettrai au tableau parce que ça peut éclairer, il nous dit : ce vers quoi je vous dirige,  ce que je vais vous rendre sensible, c’est la symétrie à quoi nous sommes sollicités, nous sommes en quelque sorte pris, nous sommes attirés vers une symétrie qui est celle d’une certaine structure, dit-il, qui me fait, après le coup du réveil, devoir me poser, ne pouvoir me soutenir en apparence, que comme dans ce rapport avec ma représentation, qui dans sa transparence ne me fait que conscient : tel un reflet, en quelque sorte involutif en ce sens que dans ma conscience, c’est ma représentation que je ressaisis. Mais justement est-ce bien là tout ?

Là on peut tout à fait dire – je vais l’écrire :

2023 0116 sch3college

 

Il y a quand même des choses qu’il faut écrire à propos de cette rupture. Cette rupture que le principe de plaisir par exemple à l’occasion d’un rêve, cette rupture devant lequel le principe de plaisir …. Je vous écris ce qui me semble, c’est très fidèle je crois à ce que dit Lacan, il y a un  X qui est du côté du réel, qui vient se manifester au rêveur, les coups que Lacan évoque comme souvenir de son rêve, il perçoit des coups –  là nous sommes dans le rêve, et le moment de rupture va intervenir ici, où ces coups vont devenir ce qui va le réveiller, et ce autour de quoi il va se réveiller, en ressaisissant tout ce qui fait la représentation telle qu’il la reconnaît habituellement. Nous sommes là très exactement dans le registre de la reconnaissance. C’est-à-dire, qu’ailleurs, Lacan a pu thématiser, articuler comme i(a). C’est-à-dire que nous avons ici quelque chose qui vient du réel, et qui en passant en quelque sorte ce moment du réveil, va devenir – Lacan dit, une structure de symétrie dans laquelle je ne reconnais que ma représentation, c’est-à-dire la structure spéculaire. C’est pourquoi on peut dire que c’est i(a) ici qui vient se manifester et on pourrait tout à fait dire que à la place du X, on pourrait évoquer peut-être petit a. Mais je ne le fais pas parce que je ne veux pas trop simplifier. Disons X, quelque chose qui vient du réel. Puis, il y a ce moment de coupure et le réveil qui permet que se reconstitue la réalité. (Cf formule).

La perception est du côté du réel et la conscience est du côté de la réalité et c’est entre les deux que Freud situe l’autre scène.

Maintenant le rêve de l’enfant qui brûle.

 Si Lacan le trouve aussi extraordinaire, c’est qu’il va venir questionner ce rêve, justement cette frontière, cette coupure entre le réel et la réalité d’une manière qui brûle, incandescente. C’est-à-dire que là, la réalité devient à proprement parler, à la limite du soutenable, puisque c’est le réel même, non pas qui prend apparence de la réalité, mais qui vient trouer la réalité. Alors vous voyez, Lacan va pousser – je ne reprends pas toute sa gradation parce ça prendrait du temps, et puis je vous laisse lire la leçon – mais il dit à un moment donné : « Notez comme ce rêve -c’est à la page 68- tout entier fait aussi sur l’incident, le bruit qui détermine ce malheureux père ….- ce père il est atteint,  réveillé, par quelque chose qui, non seulement est la réalité,  le choc, le knocking d’un bruit fait pour le rappeler au réel, -non seulement ça- mais qui dans son rêve, traduit juste la quasi-identité de ce qui se passe, à savoir la réalité même d’un cierge renversé et en train de mettre le feu au lit où repose cet enfant. 

Que voilà – dit Lacan –quelque chose qui semble peu désigné pour confirmer ce qui est la thèse de Freud

dans la Traumdeutung, à savoir que le rêve est la réalisation d’un désir ! »

Et ensuite qu’est-ce qu’il va montrer ? Effectivement, c’est vrai qu’un rêve comme ça, on n’a pas l’impression qu’il vient réaliser le moindre désir. Ensuite Lacan va montrer, alors il y a un passage vraiment incandescent faut bien le dire, vraiment brûlant de la leçon, dans lequel il dit que le désir qui est présent dans ce rêve, c’est la rencontre que fait ce père avec ce fils mort, la seule rencontre possible qui n’aura jamais lieu, la seule et unique rencontre avec l’objet de son désir, à savoir cet enfant mort qui est là présent devant lui : «   c’est l’hommage – dit Lacan – à la réalité manquée qui ne peut plus se faire qu’à se répéter indéfiniment en un indéfiniment jamais atteint réveil – bas de la page 69 – Quelle rencontre peut-il y avoir désormais avec cet être inerte à jamais, même à être dévoré par les flammes » sinon celle-ci qui se passe justement, il rencontre son fils, il le rencontre mort, mais présent là, dans l’évocation, dans le rêve d’une rencontre qui a lieu et qui en même temps évoque une rencontre qui n’aura jamais lieu.

C’est pour ça que Lacan va dire juste après : «  le désir – c’est page 70 et en italique – le désir s’y présentifie, de la perte imagée au point le plus cruel de l’objet  »- puisque c’est quand même son fils mort dont il s’agit- au point donc le plus cruel de la perte de l’objet c’est là que le désir se manifeste de la manière la plus brûlante, c’est dans ce fils évoqué dans une rencontre unique, et qui est une rencontre, ça  nous annonce déjà la fin de la leçon quand il évoque le jeu de mots sur le den et le meden, une rencontre qui n’est pas rien, qui est un « pas rien »,  ce n’est pas rien cette rencontre, mais c’est la seule qui n’aura jamais lieu, c’est-à-dire avec ce fils qu’il a définitivement perdu bien sûr

 Mais là où je disais que c’est incandescent, c’est que Lacan, d’une façon très rapide, va évoquer là en trois phrases, il va évoquer l’athéisme. Et pourquoi ? Pourquoi tout d’un coup Dieu arrive dans cette histoire ? Eh bien, je me suis demandé pourquoi il passe à Dieu ? Mais pourquoi à ce moment-là, au moment où il y a ce fils qui dit à son père, qui lui fait le reproche « Tu ne vois pas que je brûle » – et à la leçon précédente il évoque un secret partagé entre le père et le fils, et là tout d’un coup il passe à Dieu.

Et il dit :  le véritable athéisme ce n’est pas de dire « Dieu est mort » ça c’est de la rigolade, tout le monde peut dire Dieu est mort, c’est dire : Dieu est inconscient. Ce que je vous propose, une fois après y avoir pensé ça m’a paru évident, mais je vous le propose quand même, c’est qu’il parle du Christ.

 C’est le Christ qu’il évoque là parce qu’ il dit,  la véritable formule de l’athéisme,  seul un rite – alors ensuite il va dire une fois que c’est fait, ce rêve terrible comme ça qui est une évocation du désir, une fois que c’est fait, bon, le moment brûlant, est passé, il n’ y a plus qu’à faire les rites et à éliminer la scorie, c’est-à-dire le travail du deuil et cetera, et après il dit que la «  réalité n’a plus de sens que le nettoiement de la scorie – d’accord c’est que – seul un rite, un acte toujours répété peut commémorer cette rencontre immémorable et il ajoute cette phrase énigmatique – quand même si on ne fait pas l’hypothèse que je vous propose – puisque personne ne peut dire ce que c’est que la mort d’un enfant sinon le père  en tant que père » – mais là il est en train de nous parler de la mort du Christ et c’est pas pour rien je pense, que notre édition a mis « Père » avec un P majuscule, c’est-à-dire nul être conscient. Vous voyez, ça ne veut pas dire – parce qu’au début je me suis dit mais qu’est-ce qu’il veut dire, si un enfant meurt, le père sans doute est affecté mais la mère probablement aussi ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Là il dit : « personne ne peut dire. » Dire, il s’agit de le dire, et c’est vrai que dans la religion chrétienne, il y a effectivement beaucoup de dires sur cette perte de l’objet et cette commémoration dans le rythme du deuil. C’est vrai que c’est un autre point que la religion chrétienne a formulé. Donc la véritable formule de l’athéisme c’est : « Dieu est inconscient ». Ce n’est pas « Dieu est mort ». Et alors il ajoute même quelque chose qui nous intéresse beaucoup, parce que même si on fonde la fonction du père dans le meurtre du père, c’est encore le protéger, dit Lacan et il dit «  Freud protège le père  »  et il n’a cessé de le dire Lacan, il le redira aussi dans les 4 concepts. Freud était un adorateur du père, il le sauve à tout prix.

 Alors encore une fois, ce rêve y aurait beaucoup de choses à en dire. Lacan le reprend encore quelques lignes, plus bas. Tout le monde pionce, tout le monde dort, comme nous, un petit peu, on dort. Ce rêve, c’est le rêve d’un père qui dort, l’autre vieillard qui est chargé de veiller sur l’enfant qui est mort, roupille aussi. Le vieillard s’endort et l’enfant d’une certaine manière il dort aussi, il dort pour toujours, donc c’est le silence, et dans ce silence, vient ce rêve. Et là, il a cette question de Lacan, c’est quoi cet accident ? Autrement dit, qu’est ce qui se passe ? Tout le monde roupille, et il y a là le réel qui vient se manifester. « Qu’était cet accident – dit Lacan – quand nous n’en savons qu’une chose, c’est que, dans ce monde tout entier assoupi, seule la voix s’est fait entendre : Père, ne vois-tu pas je brûle ? Cette phrase elle-même est un Brandon ». Pourquoi cette phrase est-elle un brandon ? Pourquoi cette phrase est-elle véritablement un feu allumé ? Parce que c’est quelque chose, enfin ce n’est pas la même filiation que dans l’œdipe.  Dans l’œdipe, Œdipe ne dit pas à son père je brûle, il le tue, son père, sans savoir. Il ne sait même pas que c’est son père. Là, on a quelque chose qui est tout à fait lié à la naissance du sujet moderne et contemporain. Comme le dit Lacan dans la leçon d’avant, il y a un secret partagé entre le père et le fils. Et il le dit déjà dans le commentaire de Hamlet, tous les deux sont au courant, le père comme le fils. Ils sont au courant dans Hamlet, ils sont au courant des péchés du père, et qu’il est mort sans que les rites aient été accomplis. C’est-à-dire qu’il est mort dans une sorte de tourment qui ne cessera jamais, parce que justement les rites n’ont pas été accomplis. C’est ça Hamlet. Au début le père dit à son fils, je suis mort j’ai été enterré mais on n’a pas accompli les rites.

Eh bien là, on a la même chose. Ce brandon « Père ne vois-tu pas je brûle ? » c’est quelque chose qui compromet, qui met en danger – pas en danger – mais qui met en cause radicalement la filiation, donc le désir aussi bien. Une des difficultés modernes contemporaines, de notre rapport au désir, on l’entend dans ce rêve que rapporte Freud et dans ce commentaire de Lacan « Père ne vois-tu pas je brûle ? », c’est aussi une façon d’attirer l’attention sur …

 

Dans la salle : Patrick Guyomard a fait un commentaire à propos du bouquin de Jean-Daniel Causse (Lacan et le Christianisme) – et qui va tout à fait dans le sens de ce que vous dites. Il dit : « Père, ne vois-tu pas que je brûle » est immédiatement mis en parallèle par Lacan avec la formule du Christ sur la croix : « Père, pourquoi m’as-tu abandonné ? » immédiatement référé à un silence du père, à un défaut du père, à une absence du père, à une inconnue du côté père.

S. Thibierge : Voilà, je suis très content que Patrick Guyomard soit du même avis que moi, et que vous l’ayez lu bien sûr.

Un mot encore avant de vous donner la parole. Quand Lacan évoque ensuite le jeu de la bobine, il le fait d’une manière très éloquente, vous savez quand il commente le fait que les enfants demandent qu’on leur raconte une histoire, bien souvent, vous savez qu’ils demandent et même très régulièrement, qu’on raconte, qu’on dise l’histoire, qu’on lise l’histoire, sans changer une virgule. Et là Lacan s’attarde sur ce point très clinique, en disant voilà, si on s’amuse à varier le récit, ou encore si on s’amuse aussi stupidement que le font nos contemporains quand ils essayent par exemple de transformer un conte dans lequel le loup est méchant, ils vont faire des contes dans lequel  le loup est gentil, moyennant quoi ils vont s’étonner si l’enfant est totalement angoissé, parce que effectivement ça risque de l’angoisser beaucoup plus, mais si on s’amuse à varier le conte, si on change les virgules, si on joue et pourquoi pas jouer, c’est tout à fait important de jouer, c’est une activité symbolique fondamentale, mais si on joue on fait avec ce réseau signifiant, on fabrique du plaisir, c’est-à-dire qu’on s’éloigne du réel en quelque sorte, on le tient à distance, alors  ce que dit Lacan, c’est que quand l’enfant  vous dit tu me racontes l’histoire, mais tu ne changes pas une virgule, c’est que l’enfant, avec la solennité dont sont capables les enfants, célèbre la puissance même du signifiant. La signifiance pure. C’est ça qu’ils souhaitent, à quoi ils souhaitent que l’on rende hommage. Voyez, Lacan le dit texto :

« Et ce point donc, comme dessinant une consistance distincte des détails de son récit, c’est-à-dire le fait qu’il faut dire le conte exactement sans en changer le moindre mot – un signifiant donc, ça renvoie à la réalisation du signifiant qui ne pourra jamais être assez soigneuse dans sa mémorisation pour atteindre à désigner la primauté de la signifiance comme telle. » Et c’est ça que l’enfant désire, il désire la signifiance comme telle.

Et il y a un point-là très intéressant ; Lacan souligne en quelque sorte que ce que l’enfant exige, c’est qu’on célèbre l’objet perdu dans sa pure évocation. Ça pourrait nous renvoyer directement au poème de Mallarmé, célèbre, vous savez : « Je dis : une fleur ! …. – et il a une très belle formule que je ne vous dirai pas parce que vous la lirez vous-même, – … musicalement se lève, (idée même et suave) l’absente de tous les bouquets. » C’est-à-dire une fleur, l’enfant il demande qu’on lui dise une fleur, et qu’on ne fasse pas de fioritures, qu’on célèbre cette absence, autrement dit, il est extrêmement sensible au désir comme tel, et cette attention portée à la signifiance comme telle, c’est juste pour rappel, si vous lisez le commentaire que donne Lacan dans un de ses premiers séminaires, mais je ne sais plus lequel, je crois que c’est dans le 2, mais peu importe, du rêve de l’injonction faite à Irma, la formule de la triméthylamine, Lacan dira c’est la puissance du signifiant et du symbolique comme tel que Freud ici, vient apporter. C’est ça le désir. C’est la puissance du signifiant comme tel. Voilà, écoutez on va s’arrêter là parce qu’il faut que ce soit partagé aussi comme parole.

A. Jesuino : Ecoute, comment on n’a pas beaucoup de temps, je vais peut-être laisser les questions à la salle parce que ce que tu nous as dit était très éclairant. Je te remercie et puis tu recouvres l’ensemble de la plupart des points que j’avais moi-même soulevés. Juste une chose parce que je trouve que c’est très important que Lacan commence la leçon en faisant cette opposition radicale entre idéalisme et réel. C’est un décentrement total, et ce n’est pas rien de mettre au cœur la question du réel, et c’est cette question du réel qu’il va mettre au centre de la répétition et il va nous montrer aussi comment ce réel échappe à la représentation tant dans le rêve, qu’enfin cette question du réel et de la représentation sont liées aussi bien dans le rêve que dans le fort-da. Je pense qu’il y a quelque chose qui va renouveler dans ces deux exemples qu’il va donner, j’ai trouvé que ça serait, oui c’est dans le rêve et dans le fort-da que cette question du réel et de la représentation va être posée : le réel comme ce qui échappe à la représentation. Il y aurait des choses à dire sur le rêve lui-même mais c’est vrai que c’est beaucoup et puis je vous invite vraiment à lire le texte de Freud parce qu’on voit à la fois comment Lacan y trouve son miel, et en même temps parce qu’il y a des choses dites avec une limpidité absolue, y compris du fait que ce sont les dangers internes qui réveillent, ce qui n’est pas la question de la réalité et de la suprématie de la réalité psychique, on peut le dire comme ça, ou de l’autre scène par rapport à la réalité, ça c’est très important. Peut-être que je parlerais de ça davantage la fois d’après. Je pense que ce décentrement qu’il opère dès le départ ouvre toute la ligne de ce qu’il veut dire, de mettre le réel au centre et aussi le réel comme ce qui échappe à la représentation. Il y a une phrase quand même que je voulais dire avant de passer la parole, qui me semble très importante, c’est la page 66, parce que ça à voir avec ce que tu as souligné, et je trouve qu’il y a quelque chose qui a trait à cette question de ce qui échappe,

« Ainsi le système de la « réalité », si long qu’il se développe, laisse, en quelque sorte prisonnière, une partie essentielle de ce qui est bel et bien pourtant à rapporter au réel, partie essentielle comme prisonnière des rets du processus primaire. »

Ensuite il va dire le processus primaire c’est l’inconscient. C’est très clairement dit, que la réalité n’en rend pas compte. Il y avait toute sorte de questions aussi liées à la représentation, la question de la temporalité du rêve, la question de la figurabilité de nos rêves, et comment le rêve vient en quelque sorte enrober ce réel qu’il impulse, mais ça peut être qu’on en parlera à un autre moment, et peut-être vous laisser la parole.