ÉTUDE DU SÉMINAIRE XI LES FONDEMENTS DE LA PSYCHANALYSE, J. LACAN - SÉANCE PLÉNIÈRE DU 13/02
13 mars 2023

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THIBIERGE Stéphane
Le Collège de l'ALI
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Collège de l’ALI 2022-2024
Lecture du séminaire XI de Jacques Lacan, Les Fondements de la psychanalyse    

Séance plénière du 13 février 2023 (Leçon VII du 26 février 1964)

 

Stéphane Thibierge: …Lacan va consacrer… a commencé une mise en place de la question du regard. Et c’est une leçon, qui a plusieurs…qui je trouve, à au moins deux portées différentes. Il y a une portée qui concerne disons, la façon dont la psychanalyse peut interroger de manière qui ne soit pas vaine ou polémique, la question de la conscience et dans cette leçon Lacan va le faire de façon extrêmement serrée, il va donc…c’est une des deux portées selon lesquelles s’articule cette leçon. Une interrogation de la conscience donc en posant par rapport à ce privilège de la conscience que nous connaissons particulièrement dans la tradition occidentale, il va poser le regard. Le regard c’est-à-dire l’objet regard en tant que cet objet nous met sur la trace d’un désir, d’un désir dont il dit que c’est la première fois dans l’histoire que nous en avons la notion, ce n’est pas rien de dire ça, la première fois grâce à Freud bien sûr. Alors ça, c’est une première portée pour employer cette métaphore musicale, c’est une première portée de l’articulation de la leçon qui est très intéressante, très importante. Et puis, il y en a une deuxième, plus sourde mais néanmoins très présente et quelquefois complètement présente, explicitement présente. Et c’est la référence à Merleau-Ponty et à la façon dont Merleau-Ponty, c’est ici le témoignage qu’en donne Lacan, la façon dont Merleau-Ponty, au moment où son œuvre atteignait un tournant, tournant dont Lacan ne cache pas qu’il aurait peut-être conduit vers des positions proches de la psychanalyse ou similaires de celles de la psychanalyse car à ce moment-là particulièrement fécond de l’œuvre de Merleau-Ponty et bien il a été selon les termes de Lacan, j’y reviendrai tout à l’heure, il a été fauché par la mort mais une mort soudaine et une mort que Lacan nous évoque en relation avec l’histoire d’Actéon. Actéon, c’est-à-dire celui qui a eu l’imprudence, parce qu’il n’y pouvait rien, il ne l’a pas fait délibérément, l’impudence de trouver Diane en son bain, nue, entourée de ses nymphes et du fait de son audace encore une fois non concertée mais néanmoins effective, Actéon s’est retrouvé comme vous le savez changé par Diane en un animal de proie, en une proie, un cerf et il a été poursuivi et dévoré par ses chiens. Mais ça nous intéresse parce que cette référence à Actéon, Lacan la mobilise tout à fait clairement à propos de Freud à la fin de la Chose freudienne. Et j’y reviendrai mais, je ne sais pas si quelqu’un à la Chose Freudienne sous la main…non…mais enfin j’y reviendrai tout à l’heure.

Pour le moment je commence par la première de ces portées que j’évoquais à l’instant et je viendrai à la seconde tout à l’heure. Alors la première… tout d’abord Lacan commence avec ce poème, cet extrait d’Aragon dont il souligne qu’il l’a déjà évoqué et c’était effectivement, c’était à la leçon II, je me souviens que c’était Angela qui avait…

Angela Jesuito: (rire) absolument. C’est bien qu’il revienne comme ça (rire).

Stéphane Thibierge: oui, c’est toi qui…c’est une leçon que tu expliquais et au début de laquelle il avait cité ces vers d’Aragon. Des vers superbes, bon… je ne sais pas ce que vous pensez d’Aragon, je trouve que c’est un très grand poète et écrivain français. Mais là vraiment, c’est comme souvent chez Aragon, c’est virtuose et c’est d’une extraordinaire adresse pour évoquer – c’est d’ailleurs comme ça que Lacan l’avait présenté dans la Leçon II- l’objet le plus caché, l’objet le plus caché dont il sera question pendant toute cette leçon, l’objet le plus caché c’est justement le regard et évidemment c’est un paradoxe qui n’est un paradoxe qu’en apparence parce que Lacan va l’expliquer d’une certaine façon. Le paradoxe c’est que c’est dans la référence à cet objet le plus caché mais aussi le plus méconnu de la tradition philosophique d’une certaine manière, c’est en référence à cet objet que la philosophie est arrivée à cette idée de concevoir sa réalisation achevée dans quelque chose qui s’énonce «  je me vois me voir, se voir se voir », cette espèce d’idéal de réflexion pur et en quelque sorte auto réalisé et bien, Lacan va montrer dans cette leçon que cette… ce mirage comme ça d’une auto réflexion dans la dimension du regard de la conscience, n’est qu’un mirage et que à ce mirage il va opposer à deux reprises la position de l’objet telle que la psychanalyse la révèle articulée dans la référence et la dépendance du sujet au fantasme en tant que : objet a. C’est de ce côté-là que Lacan va faire porter la bascule, le poids en montrant le caractère profondément de méconnaissance et d’illusion de la conscience philosophique traditionnelle en tant qu’elle voudrait se réaliser dans le « je me vois me voir » enfin dans quelque chose qui a la structure du « je me vois me voir », c’est-à-dire quelque chose de l’ordre d’un certain aspect du cogito cartésien. Alors je ne sais pas ce que vous en avez pensé de cette leçon, peut-être vous pourrez me le dire ou nous le dire tout à l’heure, mais c’est vrai qu’elle suscite peut-être surtout chez des gens qui n’ont pas l’expérience de l’ambiance philosophique parce que vous savez la philosophie… c’est…pas seulement mais c’est aussi parfois une question d’ambiance, l’ambiance est toujours dépendante des signifiants, l’ambiance c’est pas un truc vaporeux comme ça mais comment dire pour entrer par exemple pour rentrer dans Merleau-Ponty puisqu’il s’agit… Lacan y fait référence là pas mal à Merleau-Ponty de façon importante et bien il faut… quand on a à faire à un philosophe ou un penseur comme Merleau-Ponty, il faut faire l’effort d’entrer dans son ambiance c’est-à-dire d’entrer dans les résonances que créent les signifiants qu’il mobilise. Et si on ne fait pas cet effort, on est perdu et je me suis dit, j’ai pensé à vous en préparant ce topo que cette leçon pouvait induire chez celui ou celle qui la lit une sorte d’étourdissement un petit peu de vacillement qui ferait penser que…”oh la la ! … Lacan dans cette leçon, il est drôlement philosophique, il part dans des choses très abstraites”, non, non ! Parce que en fait, il va chercher très précisément les problèmes là où ils sont posés chez les philosophes, et il va les chercher chez Sartre et il va les chercher chez Merleau-Ponty et il le fait de façon très concrète en montrant qu’il a une connaissance très précise des travaux dont il parle. Mais bon quand on n’est pas un petit peu accoutumé justement à l’ambiance de ces deux philosophes ou de la philosophie, enfin, de ces deux philosophes plutôt, cette leçon peut paraître un petit peu par moments difficile mais bon… Alors je passe sur les deux quatrains d’Aragon. Juste je m’arrête… juste un vers, enfin deux vers. “Je suis ce malheureux”, dit-il, « je suis ce malheureux comparable aux miroirs qui peuvent réfléchir, mais ne peuvent pas voir ». C’est intéressant parce que là on entend déjà ce qui va être dans la leçon très fortement marquée. C’est-à-dire que là où il y a l’illusion d’une conscience réfléchissante, il y a un ratage de l’objet qui en fait est au fondement de cette conscience, mais méconnu, c’est-à-dire l’objet regard, c’est intéressant qu’Aragon formule déjà cette opposition entre réfléchir et voir. Bon…  « Comme eux mon œil est vide comme eux habité. De l’absence de toi qui fait sa cécité ». C’est magnifique et…bon… y’a pas lieu de le commenter davantage. Je vous laisse à la puissance et à l’effectivité de ces vers.

Alors, Lacan va commencer, il va commencer par… l’illusion de la conscience. Il va partir de là, en faisant référence à la Jeune Parque « je me voyais me voir » dit quelque part la Jeune Parque, je le cite, fin de la page 92, « je me voyais me voir » et Lacan dit « assurément cet énoncé à son sens plein et complexe, à la fois quand il s’agit du thème justement de la Jeune Parque à savoir celui de la féminité, nous n’en sommes point arrivés là ». C’est intéressant qu’il mentionne ça. Qu’il mentionne comme ça au passage que « je me voyais me voir », il y a là quelque chose qui renvoie à la question de la féminité, au thème de la féminité mais dit-il « ne nous en sommes point arrivés là », “nous avons à faire aux philosophes”. C’est curieux quand même cette façon de rapprocher la question de la féminité et puis, nous là, on a affaire aux philosophes, on n’a pas encore affaire au féminin. Je trouve cela intéressant car je n’ai jamais rencontré une telle façon d’apparier comme ça la question de la féminité et la question philosophe. Je me souviens même, ça c’est un souvenir lointain mais qui m’est resté toujours assez présent en mémoire quand j’étais étudiant avec des jeunes camarades brillants et savants et plein d’esprit bien sûr, il est arrivé un jour que je sois dans une conversation où mes petits camarades se demandaient qu’est-ce que pouvait bien être des sujets de l’agrégation de philo alors ils proposaient des sujets etc…et puis y en a un qui avait dit un moment donné qui avait dit : “ Ben par exemple la femme, ça ce serait un beau sujet d’agrégation” et les autres avaient dit mais alors avec un mépris : “non mais ça va pas, n’importe quoi… la femme…” ça avait été éliminé vous voyez alors qu’ici Lacan de façon assez intéressante rapproche quand même les deux, il dit « nous ne sommes pas encore là » pour la féminité, pour l’instant nous avons affaire aux philosophes, bon. Avant c’était juste une anecdote mais une anecdote qui recèle sa part de vérité. 

La philosophie n’a pas jusqu’à présent réussi à trouver comment faire place au féminin. Si c’était le cas, ça se saurait, si on retrouvait un dialogue de Platon perdu dans un grenier d’Athènes qu’on retrouve aujourd’hui de la féminité alors ça changerait le cours des choses mais il n’y a aucune chance qu’on trouve ça. Donc nous avons affaire au philosophe qui donc lui, il saisit quelque chose alors je cite Lacan « quelque chose dont on peut dire que c’est un des corrélats essentiels de la conscience dans son rapport à la représentation et qui se désigne comme je me vois me voir », je me vois me voir et alors il ajoute tout de suite, « Quelle évidence peut bien s’attacher à cette formule ? » Effectivement, c’est une formule qui est très proche du cogito cartésien. Le cogito, le ”je pense” cartésien, Lacan lui trouve des vertus très grandes mais qui ne tiennent pas à cet aspect de pensée réfléchissante, je pense, je pense que je pense, je pense que je pense que je pense, cette espèce de saisie du je pense en lui-même. Ce n’est pas ce que Lacan retient d’intéressant dans le cogito au contraire là ce « je me vois me

voir » qui est le modèle un peu de cette pensée qui se pense, et bien il considère qu’il y a un mirage,  “un mirage” dit-il “dont les phénoménologues…” alors il introduit comme ça la phénoménologie… “un mirage dont les phénoménologues ont remarqué en quelque sorte une des raisons principales” c’est-à-dire que comme le font remarquer, les philosophes-phénoménologues, il y a quelque chose qui cloche dans la mesure où “il est tout à fait clair” dit Lacan que “je vois au-dehors, je vois quelque chose hors de moi“ et la vision au sans phénoménologique suppose ce dehors. Donc “la perception” dit Lacan,  c’est au milieu de la page 93, “elle n’est pas en moi, elle est sur les objets qu’elle appréhende” et à partir de cette remarque dont Lacan fait crédit aux phénoménologues, aux philosophes de la phénoménologie, il va avancer dans sa critique, il va dire qu’à partir de là, la position réfléchissante de la philosophie, « je me vois me voir » ou « je me pense pensant » etc… peut être frappé à juste titre d’un soupçon d’ idéalisme, d’idéalisation et il va aller jusque…il fait un bref résumé si vous voulez des positions philosophiques, je m’attarde pas sur les détails, il va aller jusqu’à ce que nous trouvons chez Sartre et Heidegger, c’est-à-dire à partir de la méditation cartésienne, de la position Descartes, il va arriver à ce qu’il va évoquer plusieurs fois dans la leçon c’est-à-dire un pouvoir de néantisation, un pouvoir de réduire par la pensée l’objectivité à une néantisation, c’est-à-dire à en faire quelque chose de corrélatif de l’activité du sujet, le sujet en tant qu’il est présent et actif dans le monde néantise en gros tout ce qui ne l’intéresse pas directement, il est néantisation active.  Et ça  vient à son sommet, à son culmen dit Lacan dans la pensée d’Heidegger, telle qu’elle est reprise par Sartre, dans « L’Être et le Néant ».  

Tout cela vient pour Lacan et il a raison évidemment, il a raison pas parce que c’est Lacan, il a raison parce qu’il dit là est tout à fait fondé. Tout cela vient dans le fil du « je me voyais me voir », de cette autoréflexion du regard ou de la pensée qui est mirage encore une fois. Et c’est là au moment où il termine ce bref résumé de la démarche philosophique, c’est là qu’il arrive à ce qu’apporte Merleau-Ponty, et vraiment il va lui faire une place là dans la leçon très importante et justifiée. Alors il arrive là au milieu de la page 94. « C’est bien là le point où nous mène Maurice Merleau-Ponty dans sa réflexion centrée sur Le Visible et l’Invisible. C’est là où nous mène Merleau-Ponty pour… là… c’est-à-dire à ce point d’arrivée que j’ai désigné à l’instant dans le résumé que donne Lacan de la pensée philosophique avec la néantisation etc…c’est là que Merleau-Ponty arrive et prend un peu de recul par rapport à ça et dans « Le Visible et l’Invisible » en particulier il va montrer que justement, le visible suppose pour émerger quelque chose d’autre que simplement la position du sujet voyant. Tout l’effort de Merleau-Ponty dans « Le Visible et l’Invisible » qui, comme le rappelle Lacan a été publié par le soin d’élèves soucieux de faire passer ce travail, de le remettre. Tout l’effort de Merleau-Ponty dans  « Le Visible et l’Invisible », c’est de se décoller du traditionnel couple, sujet/objet, sujet percevant objet de la perception pour fabriquer quelque chose qu’il appelle « la chair du monde » et pour aller vite et quelque chose à partir de quoi surgirait une effectivité de l’intuition du visible qui ne soit pas du côté du sujet ou du côté de l’objet, mais du côté de ce que Merleau-Ponty appelle un entrelacs, un chiasme, c’est-à-dire quelque chose qui vient entrelacer le sujet  et l’objet, mais pas du tout dans un rapport de complémentarité constituant. C’est ce que dit Lacan en disant : « il tente de repérer dans cette phase antérieure à toute position du sujet ou de l’objet le point de

surgissement de la vision elle-même », et c’est après ça que Lacan fait allusion à cette expression de « la chair du monde » que Merleau-Ponty… voilà… que Merleau-Ponty…alors y aurait beaucoup de choses à dire sur Merleau-Ponty mais je vais m’en tenir à l’essentiel. Mais ce que je…

Participant: est-ce que ça ne serait pas un petit peu l’aire transitionnelle de Winnicott le moi et le non-moi rattaché, l’entrelacs qui réunit le sujet et l’objet.

Stéphane Thibierge:  mais ce n’est pas une mauvaise idée, je n’y avais pas pensé mais pourquoi pas, pourquoi pas, c’est une question à creuser. Je ne l’ai pas présent à l’esprit très précisément, mais pourquoi pas. 

En tout cas, Lacan salue et apprécie chez Merleau-Ponty, une tentative, à l’intérieur même de la philosophie, de sortir des mirages et de la méconnaissance systématique de la conscience en quelque sorte et il perçoit chez lui un effort pour trouver une « substance innommée » dit Lacan, substance innomée d’où moi-même le voyant je m’extrais, je m’extrais de ses filets ou de ses rets dans le sens rets de lumière. Je m’extrais d’un chatoiement dont je suis d’abord une part. Là, Lacan résume très bien, la position et l’effort de Merleau-Ponty. Je suis moi-même une part de cette illusion de la conscience réfléchissante, nous l’expérimentons tous quand nous expérimentons en tant qu’être conscient dans les plus simples de nos actions quotidiennes et de nos pensées quotidiennes. Nous faisons en fait de la philosophie, sans le savoir en accordant ce privilège à la conscience, nous sommes persuadés que nous voyons ce verre, nous réfléchissons nos pensées, etc. etc… Nous sommes dans l’illusion philosophique enfin en tout cas pour les occidentaux pour les autres je ne sais pas. Mais alors, l’effort de Merleau-Ponty, c’est d’aller essayer de trouver une sorte de terrain, de sol qui soit antérieur à ça et d’où il essaye, c’est tout le sens de ce volume « Le Visible et l’Invisible », d’où il essaye d’articuler ce qui serait là, à la racine en quelque sorte, au fondement de ce qui… pas au fondement mais de ce qui… à la production de ce qui va être du côté du sujet et du côté d’un objet, mais les deux étant pris ensemble et sans que l’un ou l’autre puisse s’assurer d’une complémentarité par rapport à l’autre. 

Alors Lacan résume ça d’une façon très remarquable, « c’est dans le sens de ce secret… » – alors je ne sais pas pourquoi dans l’édition de l’ALI on a mis un point d’interrogation après secret parce que c’est tout à fait ça c’est ce secret, c’est dans le sens de ce secret, secret c’est quelque chose qui ne se livre pas tout de suite, qui reste scellé dans sa réalité ou son réel, « c’est dans le sens de ce secret d’où je surgirai comme œil, prenant en quelque sorte émergence, origine de ce que je pourrais appeler la fonction de la voyure » dit Lacan, vous voyez c’est pas la vision avec je vois, je suis vu, non. La voyure, une espèce de matière première de la vision, innommable, pas maîtrisable comme tel pas expérimentale comme tel mais un réel d’où surgirait le sujet qui voit tout comme l’objet qui est vu. Alors, voyure c’est intéressant, parce que on n’y entend, voir bien sûr, voyeur la dimension du voyeurisme, la dimension aussi bien de ce qu’on peut dire en français dans un langage un peu argotique « à la revoyure » pour dire au revoir, on entend aussi rayure dans voyure, il y a tout ce jeu sur le signifiant. 

Mais alors, à partir de cette voyure, là il y a tout d’un coup dans le texte de la leçon et Eriko m’a fait remarquer ce point très important, il y a tout d’un coup une espèce d’accélération un peu vertigineuse ou Lacan en trois phrases va amener Merleau-Ponty, pratiquement au seuil de la grotte où Actéon découvre Diane au bain et donc va se faire ensuite pourchasser par les chiens et dévorer par eux c’est à dire que, il donne tout d’un coup à la tentative de Merleau-Ponty une dimension quasiment tragique. Je vais vous dire ce texte qui est très court, donc « c’est dans le sens de ce secret d’où je surgirai comme œil en quelque sorte émergence, origine, de ce que je pourrais appeler la fonction de la voyure », bon. « Quelque chose comme une odeur sauvage en émane qui aussi bien dans le texte est ponctuée de ce mot même », effectivement il y a le mot sauvage dans le texte Merleau-Ponty, « laissant entrevoir quelque chose comme la chasse d’Artémis à l’horizon, quelque chose dont aussi bien la touche semble s’associer au moment de la tragique défaillance où nous avons perdu celui qui parle ».   C’est un éloge, je vous assure que, j’ai jamais vu chez Lacan un tel éloge, sauf peut-être quand il parle de Kojève mais c’est un éloge vibrant à Merleau-Ponty dont justement Eriko me faisait remarquer, à juste titre que ce que suggère ici Lacan c’est que Merleau-Ponty aurait été dévoré par les chiens de la vérité, qu’il aurait lui-même entre aperçus, et que ces chiens lui seraient revenus, les chiens, qui indiquent comment, dire toute la sauvagerie pulsionnelle du désir que Actéon va réveiller sans l’avoir voulu et que Freud va pour Lacan complètement … dont Freud va réévoquer le geste en quelque sorte. Et bien il y aurait chez Merleau-Ponty, il y aurait eu cette espèce de perception comme ça de ce secret, de ce secret lié à la perception et au désir, parce que dès que vous faites entrer Artémis dans le jeu, vous êtes dans la question du désir et pas seulement dans la question de l’objectivité ou de l’objectité ou de quelques noms qu’on l’appelle, et donc Lacan semble suggérer et je suis tout à fait d’accord avec Eriko qui trouvait que c’était patent mais je le crois aussi, Lacan semble suggérer donc que ce moment de tragique défaillance serait le moment où Merleau-Ponty apercevant cette voyure en quelque sorte, apercevant ce sol de la perception qui serait en-deçà bien en-deçà du je et de l’objet aurait, en quelque sorte mis au jour, aurait été sur le point de mettre au jour, quelque chose de la pulsion scopique qui lui serait revenue de la façon la plus sauvage. Il aurait été donc rattrapé par ce déchaînement des chiens pulsionnels et terrassé ainsi par cette crise cardiaque qui l’a emporté très jeune puisqu’il avait, … enfin très jeune…oui quand même puisqu’il avait 51 ans ou 54 ans, je ne sais plus, à peine 50 ans passée. Et juste après, juste après avoir évoqué cette recherche de Merleau-Ponty, son effort, il ajoute, il va même plus loin il ajoute « est-ce bien là pourtant le chemin qu’il voulait prendre ».  Oui, est-ce que c’est bien de trouver cette voyure comme ça comme sol d’où surgit aussi bien la vision du côté de celui qui voit que du côté de l’objet, est-ce bien là, est-ce pourtant le chemin qu’il voulait prendre, sous-entendu, est-ce qu’il ne voulait pas aller plus loin encore et Lacan considère qu’il voulait aller plus loin, « ce qui nous reste des traces concernant la partie à venir de sa méditation, nous permet aussi bien d’en douter », c’est-à-dire de penser que c’est pas là qu’il voulait aller c’était encore plus loin. « Dans ces traces, les repères qui sont donnés très spécialement à l’inconscient, à l’inconscient proprement psychanalytique » et c’est vrai qu’on trouve ça dans les notes du visible et l’invisible surtout il y a des références à Freud, à « L’Homme aux loups »,

à l’inconscient, tout à fait précises nous laisse entrevoir dit Lacan que « c’est dans la perspective d’une recherche proprement articulée autour de ce fait dimensionnel nouveau, original de la méditation sur le sujet, telle que l’analyse nous permet à nous de la tracer qu’il se  serait peut-être dirigé ». Autrement dit Lacan avait la conviction motivée qu’au moment où il est mort, Merleau-Ponty était pratiquement sur le point de rencontrer la découverte de Freud. Et c’est vrai que les notes du visible et l’invisible, nous le font parfois, rende cela effectivement parfois plausible. Et c’est très remarquable et assez pathétique de voir l’effort de Merleau-Ponty pour se sortir d’une habitude d’articulation et de pensée philosophique et pour essayer de découvrir par là quelque chose de nouveau dont ce n’est quand même pas rien que Lacan ait considéré que c’était pas très loin de ce que Freud avait inauguré et de ce que lui- même continuait. 

Alors sur Actéon, je voudrais quand même… je vous rappelle la fin…parce que Lacan, à la fin de la Chose freudienne, vous vous souvenez je pense, à la fin de la Chose Freudienne, Lacan, vous vous souvenez évoque Actéon mais Actéon c’est Freud évidemment. Actéon… je le sais par cœur mais là devant vous je perds ma mémoire, je vais me reposer sur… Oui voilà, souvenez-vous de la fin de « La Chose freudienne », « La Chose freudienne », nous sommes au cœur de ce que nous travaillons dans ce séminaire, « La Chose Freudienne » c’est ce que découvre Freud, effectivement bien au-delà ou en-deçà de l’objectivité philosophique. 

A la fin de « La Chose freudienne » rappelez-vous, « Actéon trop coupable à courre la déesse » – à courre est une vieille forme de courir en français – Actéon trop coupable à courir la déesse », donc trop coupable d’avoir voulu soit faire la cour, soit lui courir après, soit la séduire soit être séduit par elle. En tout cas,  « Actéon trop coupable à courre la déesse, proie où se prend, veneur, l’ombre que tu deviens, laisse la meute aller sans que ton pas se presse, Diane, à ce qu’ils vaudront reconnaîtra les chiens… » 

[La Chose freudienne » fut publiée dans l’Évolution Psychiatrique, 1956, fascicule I pages 225-252 puis ensuite, avec des modifications en 1966, dans les Écrits].

C’est absolument superbe où d’ailleurs Lacan s’exprime en alexandrin dans son texte mais ce sont des alexandrins. « Actéon trop coupable à courre la déesse, proie où se prend, veneur, l’ombre que tu deviens »,  « proie » c’est-à-dire Actéon,  « où se prend, veneur »,  veneur c’est le chasseur, c’est Actéon aussi, où tu prends… « proie où tu te prends, veneur, l’ombre que tu deviens », lâcher la proie pour l’ombre, Actéon doit lâcher la proie, Diane la vérité, pour devenir l’ombre, c’est-à-dire cette espèce de semblant qui n’est plus lui-même, mais qui va être poursuivi par ces chiens et dévorer de façon effroyable, lisez Ovide, par ses chiens, mais là quand Lacan parle d’Actéon en faisant référence à Freud très clairement puisqu’il dit que c’est Freud qui a eu le courage de voir la déesse nue et de ne pas craindre de lâcher…le lâchage des chiens quoi… Freud avait les chiens à ses trousses, mais ce que dit Lacan, ici après avoir fait ce très bel hommage à Freud dans « La Chose freudienne », il dit donc, « Actéon trop coupable à courre la déesse, proie où se prend, veneur, l’ombre que tu deviens, laisse la meute aller sans que ton pas se presse,… » c’est absolument magnifique. Ça rend hommage au courage de Freud qui a laissé effectivement la meute de tout ce qu’il avait réveillé, des pulsions, de l’inconscient, du désir, il a laissé cette meute aller sans presser son pas, il n’a pas fait comme

Actéon qui dans la fable enfin prends la fuite et puis finit totalement déchiré comme un cerf donc… comme le cerf qu’il est devenu. Laisse « la meute aller sans que ton pas se presse, Diane, à ce qu’ils vaudront reconnaîtra les chiens… ». Donc il y a encore un jeu de mots reconnaîtra les chiens ou reconnaîtra les siens mais Diane c’était dire la vérité, reconnaîtra les chiens que tu as déchaînés à ce qu’ils vaudront, c’est-à-dire à leur valeur de vérité justement donc il y a là une façon de reprendre le mythe d’Actéon qui est absolument superbe et qui est très vrai dans l’hommage que Lacan fait à Freud et ce qui est intéressant c’est que, ici dans la leçon donc, dans un passage bref mais très parlant, il situe Merleau-Ponty du côté d’un effort tragique pour avoir réalisé cet espèce de forçage de la vérité au point où il en aurait été rattrapé par la pulsion et alors là en parlant avec Eriko, elle m’évoquait ce qui je trouve effectivement tout à fait juste un retournement de la pulsion sur Merleau-Ponty, puisque il est quand même mort d’une crise cardiaque, et elle me faisait part d’un passage de Melman très intéressant alors je sais pas où je savais pas où mais c’est un passage connu parce que d’autres collègues me l’ont confirmé, à propos de ce retournement de la pulsion quand les chiens sont lâchés et qu’on est pas équipé, on est pas préparé pour les recevoir. Melman évoque quelque part le cas d’un homme alors c’était pendant les années c’était un patient ancien de Melman je pense, c’était l’époque des années 70, quand c’était la mode de s’asseoir tous en tailleur sur le gazon puis de refaire le monde, de préparer la révolution, Woodstock etc… alors Melman cite le cas d’un homme qui était dans une de ces réunions, tout le monde assis sur le gazon et puis tout d’un coup une femme se lève et enjambe cet homme, lui passe par-dessus et il s’aperçoit enfin il réalise dans un éclair comme ça, elle n’a pas de culotte, elle ne porte pas de culotte. Il voit donc cette femme nue, Actéon/Diane, là il a cette espèce d’éclair fugitif d’apercevoir ce sexe féminin non couvert. Et bien ce patient a montré pas longtemps du tout après, un symptôme qui était des saignements des yeux, c’est pas rien…saignement des yeux, autrement dit l’objet interdit, l’objet habituellement soustrait au regard et qui tout d’un coup comme ça venait en quelque sorte, se manifester comme une levée de la castration, ce n’était pas du tout un épisode psychotique, c’était pas une absence de castration, c’était une levée quasi hallucinatoire de la castration, et ça lui revenait de façon extrêmement violente dans le symptôme des yeux qui saignaient, encore une fois cette histoire, je la tiens du récit qu’en a fait, je crois, à différentes reprises, Melman donc c’est quand même une référence intéressante. 

Voilà donc, vous voyez il y a ces deux, je vous disais en commençant, il y a deux portées de cette leçon. La première qui est une critique de la conscience philosophique, la deuxième qui est une référence à la vérité telle que la psychanalyse très nouvellement dans l’histoire la pose et bien sur les deux portées fonctionnent ensemble mais là je vous les ai présentées toutes les deux et à partir de là nous pouvons avancer et peut-être plus vite dans l’articulation que va donner Lacan, il arrive à la question, il y arrive à peu près au milieu de la leçon mais au moment où il termine le développement sur Merleau-Ponty, il dit que Merleau-Ponty, de façon très remarquable, a su repérer et dire, c’est aussi la façon dont il le dit, Merleau-Ponty a su dire que, et bien le mirage de la conscience qui est dans le « se voir se voir »,  « je me vois me voir », « je me pense pensant », Merleau-Ponty a su poser là, la difficulté féconde de dire que le fondement de ça, c’est quelque chose qui concerne dit Lacan, “la structure retournée du regard”, le regard comme un gant retourné et effectivement la métaphore est bien dans Merleau-Ponty,

elle est, si vous avez l’édition « Le Visible et l’Invisible, vous trouverez cela page 311, à la page 311, voilà…il dit « réversibilité, le doigt de gant qui se retourne…Il n’est pas besoin d’un spectateur qui soit des deux côtés ». Il n’est pas besoin d’une maîtrise dans la dimension du regard. « Il suffit que d’un côté je vois l’envers du gant qui s’applique sur l’endroit que je touche l’un par l’autre le chiasme, c’est cela, la réversibilité ». Voilà, ensuite il parle du point de retournement et il.y a aussi un moment où il parle du caractère sauvage de…bon, je ne le retrouve plus, c’est pas grave mais dans ses notes il parle à plusieurs reprises de ce cas de cet aspect sauvage de « la chair du monde. » C’est pour ça que Lacan se permet de reprendre le terme. Donc de là, Lacan avance d’un pas dans la leçon mais qu’est-ce que le regard ? Mais c’est ça qu’il suit à la trace au cours de ces leçons.

Qu’est-ce que le regard?

Et là je vais vite, mais il va reprendre, il est très patient Lacan, il va reprendre la question de la conscience, le fait que la conscience soit dans une structure de méconnaissance. Il va reprendre le fait que le sujet quand il se croit, quand le sujet se croit aux prises avec la conscience ne fait que lire les lacunes du texte qui le constitue, il le dit très clairement, c’est pas très difficile donc je passe assez vite et il termine cette récapitulation en arrivant à nouveau sur le point de butée, sur le point de réel et là il va dire que l’intérêt que le sujet prend à sa propre division, à sa conscience, à sa conscience en tant qu’elle est toujours fragmentaire donc qu’elle renvoie fondamentalement à une division que le sujet le sache ou ne le sache pas, l’intérêt qu’il y prend est lié à ce caractère par quoi,  là je cite Lacan,  « par quoi, cette schize, cette division est déterminée, comme en tout fantasme en tant que je vous en donne la formule générale : comme dépendance de la schize du sujet, par rapport à un objet [et pas sujet] privilégié surgi de quelque séparation primitive, de quelque automutilation déterminée par l’approche-même du réel ». Cette question du réel, que nous, que Lacan suit et traque comme Actéon depuis le début du séminaire, cette question du réel. Et bien là, il nous indique de façon cursive mais précise en même temps, il nous indique que ce rapport au réel laisse chez le sujet cette automutilation, ce reste, c’est la livre de chair aussi bien qu’évoque Lacan aussi parfois. Il laisse ce reste qui est constitué par cet objet cause du désir, cet objet petit a, qui est l’un des côtés du fantasme l’autre étant le sujet élidé, le S barré de l’autre côté. Lacan dit l’intérêt que le sujet, mais ça…rendez-vous compte de l’extraordinaire changement que ça suppose dans nos façons de penser et d’agir aussi, enfin de concevoir le moindre de nos actes ou de nos rapports à autrui. Ce n’est pas la conscience qui gouverne l’intérêt que je prends à moi-même, c’est l’objet en tant qu’objet qui cause mon désir, c’est-à-dire l’objet qui reste résiduel comme fantasme de mon rapport au grand Autre, c’est ça qui me fait m’intéresser à ma… comment dire… à mon cas si je puis dire. Et alors là, Lacan va au cœur de la difficulté, je vous le dis parce c’est là où il va souligner massivement que le regard est le plus difficile à attraper de tous les objets, c’est celui qui se méconnait le plus facilement dans son incidence, en bas de la page 96, et au début de la page 97 « de tous les objets où le sujet peut reconnaître la dépendance où il est dans le registre du désir, le regard se spécifie comme insaisissable, et c’est pour cela qu’il est, plus que tout autre objet, méconnu » et il ajoute « c’est aussi peut-être pour cela que le sujet trouve si heureusement à se symboliser – dans son propre trait évanouissant, et punctiforme – dans ce quelque chose où il ne reconnaît pas le regard, à savoir dans cette illusion de la conscience se voir se voir ». Le difficile c’est que le regard est cet envers de la conscience nous sommes d’autant plus portés…

Angela Jesuito : c’est radical.

 

Stéphane Thibierge : ah oui ! oui, c’est radical. Nous sommes d’autant plus portés à nous prendre pour une conscience, ce qui est évidemment très faible, mais en même temps très puissant comme ressort. Nous nous prenons pour une conscience, pour un moi, pour une personnalité, … Nous y sommes d’autant plus portés que ça nous soulage par rapport à ce regard que nous méconnaissons fondamentalement, « le regard est cet envers de la conscience ». Oui, c’est une petite phrase de Lacan dans cette leçon qui est vraiment extraordinaire. Alors, ensuite, Lacan, parce que dans cette leçon il fait plusieurs…il remet sur le tapis à plusieurs reprises, la position des philosophes et la position de la psychanalyse ; la position des philosophes et comment la psychanalyse la démonte et fait valoir le privilège de l’objet cause, c’est-à-dire de l’objet a. Et à la fin de la leçon, il va montrer qu’il y a – s’agissant de l’objet a, regard – qu’il y a pratiquement une superposition, une quasi-équivalence de cet objet regard avec le phallus. Quand il va me parler de l’anamorphose et qu’il va dire que l’anamorphose c’est la façon dont on met en relation avec le point géométral, le point géométral qui est le point à partir duquel s’organise la perspective, le point géométral qui est très cartésien d’inspiration, ça s’ordonne… la peinture… Je n’ai pas le tableau là mais vous avez compris ce que c’est que le point géométral. Non? Oui ? C’est pas très compliqué, ce que montre Lacan c’est qu’il y a un point ici à partir duquel s’organise la perspective, ce point va déterminer une image ici et à partir de cette image, on peut faire une projection éventuellement en anamorphose sur une autre surface qui va jouer avec cette polarisation au départ à partir du point géométral, ce passage par la réfraction du tableau, et ensuite le jeu sur un troisième plan qui peut être éventuellement le jeu de l’anamorphose, mais ce que l’anamorphose va permettre à Lacan de mettre en lumière, c’est qu’ il y a dans ce jeu justement à partir d’un point initial et dans sa projection sur deux autres plans et deux autres surfaces, il y a la monstration en quelque sorte dans le phénomène même d’anamorphose. Il y a le fait de montrer qu’il y a quelque chose, un peu comme Merleau-Ponty le pressentait, qui sous l’image, nous montre la voyure qui se gonfle en quelque sorte et Lacan dit comme souvent quand il le dit, ça parait évident quand il l’a dit, mais c’est pas évident quand il le dit, vous connaissez les phénomènes d’anamorphoses, les montres molles de Dali, c’est des anamorphoses, et Lacan dit donc comment se fait-il qu’on est jamais pensé à voir dans les anamorphoses la proximité très grande avec le phénomène de l’érection, c’est-à-dire que le membre viril tout d’un coup il devient érigé et dessine une forme là ou avant y avait qu’un…éventuellement si on l’a tatoué, un motif non reconnaissable, il va dessiner une forme, c’est comme ça que Lacan introduit dans la leçon, la question du phallus comme étant justement ce qui du regard est la plupart du temps élidé justement dans l’image. Le phénomène de l’anamorphose, c’est une manière de rappeler qu’il y a quelque chose du phallus dans ce processus mais habituellement dans la perception c’est bien sûr complètement refoulé.

Alors donc Lacan dans la deuxième partie de la leçon qui conduit vers l’anamorphose va remettre sur le tapis la question des analyses philosophiques qu’il va prendre là, les analyses qu’il trouve très brillantes mais pas complètement exactes de Sartre dans « L’Etre et le Néant »

notamment quand…vous savez dans « L’Etre et le Néant », Sartre a des passages très brillants et très agréables à lire, très remarquables dans lesquels il dit que…il écrit la scène du voyeur qui regarde par le trou de la serrure, et qui n’est pas conscient du regard tant qu’il n’est pas vu, mais au moment où il découvre qu’il est vu, à ce moment-là, le regard tombe, et c’est la honte qui survient. Bon, je ne m’attarde pas trop sur ces analyses, juste la critique qu’en donne Lacan c’est celle-ci, c’est que Sartre pose que quand je suis sous le regard de l’autre, je ne vois pas l’œil qui me regarde et si je vois l’œil qui me regarde dit Sartre alors c’est le regard qui disparaît mais Lacan contredit très précisément ce point de vue et effectivement c’est manifeste, il n’est pas vrai dit Lacan que quand je suis sous le regard, que quand je demande un regard, que quand je l’obtiens, je ne m’intéresse point… je ne le vois point comme regard. Quand je demande un regard, quand je l’obtiens, et bien je le vois comme regard, c’est pas du tout absent, le regard se voit, et d’ailleurs il va trouver dans les analyses de Sartre la preuve même que le regard se voit, ce n’est pas…simplement le problème c’est que alors dans Sartre le regard se voit. Par exemple, je suis en train de regarder par le trou de la serrure quelque part, tout d’un coup un bruit de pas dans le couloir va m’alerter, j’arrête de regarder et c’est la honte, la crainte d’être découvert. Mais comme le dit très bien Lacan quand j’entends un bruit de pas dans le couloir, je peux imaginer quelqu’un qui arrive donc nous sommes tout à fait c’est de l’ordre du regard encore. De même quand il parle du bruit de feuilles si je suis à la chasse, un bruit de feuilles qui pas loin de moi, c’est la présence de quelqu’un qui peut survenir à tout instant. Donc, le regard est bien présence d’autrui, relève Lacan, Sartre a raison, mais le problème ce n’est pas, c’est ça qui est très intéressant, ce n’est pas là où Sartre situe le regard que les choses importantes se passent, c’est pas dans un rapport de sujet à sujet, parce que dans un rapport de sujet un sujet on est toujours dans un rapport de reconnaissance, c’est-à-dire de méconnaissances fondamentalement. Qu’est-ce qui est méconnu dans l’histoire ? Toujours la même chose, c’est ce regard en tant qu’objet et là on arrive en bas de la page 98, « ce regard comme objet – c’est-à-dire dans ce rapport à l’inconscient pour autant » et là c’est une phrase forte, « pour autant (que ce rapport à l’inconscient ), qu’il nous permet, pour la première fois dans l’histoire de situer la relation du désir », c’est quand même extraordinaire ce qu’évoque Lacan là c’est-à-dire qu’il est en train de nous expliquer comment toute la tradition de la reconnaissance, de la conscience, de la conscience consciente d’elle-même, etc… n’a été qu’une longue méconnaissance du désir. Donc quand Merleau-Ponty fait un grand effort pour penser quelque chose qui ne soit pas l’objet mais la chair, il va dans le sens du désir, c’est pour ça que Lacan je crois entre autre pouvait dire qu’il était peut-être sur le point …D’ailleurs dans le résumé qu’il a donné pour l’école pratique des hautes études de son séminaire, il écrit, vous pouvez tous consulter ce résumé, il dit « le visible et l’invisible où s’interrompait à l’heure-même de son avènement, la conversion manifeste, la conversion de l’interrogation de Merleau-Ponty », conversion vers la psychanalyse. Voilà, et même chez Sartre dit Lacan, et Sartre lui-même involontairement d’une certaine manière quand il nous parle de la honte qui surgit lorsque je suis surpris en train de regarder par le trou de la serrure par un autre, je suis envahi par la honte, mais Lacan ici souligne la honte ici, qu’est-ce que c’est ? Sinon la marque du désir et donc Sartre lui-même nous avoue cette prégnance du sujet désirant. Et alors, je termine juste mais je crois que j’en ai dit suffisamment même si on ne peut pas tout dire, mais pour que je n’ai pas besoin de m’appesantir beaucoup sur le tableau des ambassadeurs tant à la fin de la leçon, donc Lacan va montrer que au moment où, au moment historique, où se constitue le cogito, les recherches sur la perspective, bien, les peintres et les artistes arrivent à fabriquer un dispositif qui montre justement, qui donne accès à cet objet habituellement refoulé sous la forme de l’anamorphose, cet objet que Lacan va donc tout à fait clairement identifié au phallus, à comme il le dit, l’apparition du fantôme phallique, c’est intéressant d’ailleurs par rapport à la question du fantôme mais on va pas s’occuper de fantômes ce soir on a déjà suffisamment de choses à faire, mais là ce fantôme est vraiment dans le tableau des ambassadeurs identifiable au moins phi (-φ) moins phi de la castration dans la mesure où c’est un tableau qui représente une évocation des vanités, c’est à dire des sciences, des arts, etc…confrontée à la castration radicale, c’est-à-dire à la mort, et donc c’est bien une évocation du moins phi, de la castration, voilà.

Bon écoutez, pour que nous ayons la possibilité de parler et questionner, je m’arrête.

Angela.

Angela Jesuino : je voulais te remercier parce que c’était très éclairant ce que tu as dit et tu as vraiment su mettre en exergue les avancées de Lacan et je trouve que c’est très important la façon dont il termine la leçon parce que tout en montrant la question du moins phi (-φ), de la castration, du fantôme, du symbole phallique, il dit, mais il s’agit d’aller plus loin et il s’agit d’aller du côté de l’objet regard. Il ne lâche pas la question du réel, il revient. J’accentue parce que c’est moi qui vais parler la prochaine fois et voilà (rire)… voilà d’où est-ce qu’il faut que je parte. Et puis il y a une question que je me suis posée en t’écoutant mais c’est peut-être complètement anti philosophique ce que je veux te dire, parce que tu parlais de la néantisation du sujet du côté de la philosophie mais j’ai eu le sentiment en t’écoutant, ce que Lacan proposait c’était la néantisation du sujet face à l’objet.

Stéphane Thibierge : oui, mais tu as raison, néantisation du sujet, c’est une façon de parler un peu maladroite parce que le sujet c’est celui qui néantise dans la philosophie donc il peut à l’occasion néantiser un autre sujet bien sûr mais il néantise les objets du monde environnant.

Angela Jesuino : oui, c’est juste pour dire comment Lacan… Si dans la philosophie le sujet néantise, dans la psychanalyse, il est passif, il est néantisé par la rencontre de l’objet.

Stéphane Thibierge : alors, Lacan ne dit jamais néantisé.

Angela Jesuino : non mais…

Stéphane Thibierge : il dit plutôt élidé. 

Angela Jesuino : il parle de l’esquisse (esquive?) aussi

Stéphane Thibierge : mais ce n’est pas néantisé car c’est quand même très violent.

Angela Jesuino : ce que je voulais essayer mettre dans la balance, c’est que là où la philosophie va parler de néantisation, Lacan va parler de l’élision ou de l’esquisse (l’esquive?) même du sujet face à la rencontre de l’objet.

Stéphane Thibierge : tout à fait.

Angela Jesuino : et ça c’est précieux pour nous qui ne venons pas du champs de la philosophie, moi par exemple, de pouvoir voir comment Lacan va procéder en allant visiter la philosophie avec beaucoup de propriété ? Comme tu dis mais pour définir à chaque fois son propre camp ? et ça c’est quelque chose sur lequel j’insiste beaucoup parce que c’est précieux pour nous analyste, praticien de voir comment ce faisant, il fonde son champ.

Stéphane Thibierge : tout à fait, il ne lâche pas comme tu dis.

Angela Jesuito : c’est juste pour souligner ce que tu as dit de façon très pertinente. Je te remercie.