Étude du séminaire XI Les Fondements de la psychanalyse, J. Lacan - séance plénière du 12/12
06 février 2023

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JESUINO Angela,THIBIERGE Stéphane
Le Collège de l'ALI
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Collège de l’ALI 2022-2024
Lecture du séminaire XI de Jacques Lacan, Les Fondements de la psychanalyse                                                   

                                          

Leçon IV, séance plénière du 12 décembre 

 

Angela Jesuino : Écrit au tableau     commentaire – comment taire.

Angela Jesuino : Ce mot au tableau en guise de préambule, c’est un mot qui ne vient pas de moi, scandé comme ça, c’est Pierre Marchal, notre collègue belge, lors de notre dernier grand séminaire de l’ALI, qui l’a scandé comme ça.

Je disais que – comment taire – écrit comme ça, ça pourrait nous intéresser au titre de ce qu’il faudrait qu’on évite de faire ici. Dans le sens de comment faire pour que cet exercice de lecture ne soit pas une façon de taire le texte de Lacan. Au contraire, comment est-ce qu’on peut le faire parler, ce texte, le rendre vivant, et en même temps sans vous faire taire. Sans nous faire taire, sans vous faire taire.

C’était un tout petit préambule pour démarrer les travaux de ce soir.

Donc Leçon IV, Lacan suit son fil, en l’occurrence celui annoncé au dernier paragraphe de la leçon précédente, je ne sais pas si vous vous souvenez, page 47, je vais vous le lire parce que je trouve que c’est vraiment de la… D’ailleurs, même, il faudrait lire les deux derniers paragraphes de la leçon parce que ce sont des choses que je vais essayer de tisser ensemble.

Je vais vous donner la lecture : je n’ai poussé si loin cette ouverture que pour vous permettre de distinguer ce qu’il en est de la position de la démarche freudienne concernant le sujet, en tant que c’est le sujet qui est intéressé dans le champ de l’inconscient : la distinction de la fonction du sujet de la certitude, par rapport à la recherche de la vérité.

Et le tout dernier paragraphe : la prochaine fois, nous aborderons le concept de répétition, nous demandant comment le concevoir ; comment, à l’intérieur de cette expérience en tant qu’expérience décevante, c’est justement de la répétition, comme répétition de la déception, que Freud coordonne son expérience avec un réel qui sera désormais, dans ce champ de la science, situé comme essentiellement ce que le sujet est condamné à manquer mais que ce manquement même révèle.

Donc c’est ça le fil qu’il va tirer dans cette leçon IV. Mais avant d’y revenir à cette question très précise de la répétition, il va faire un long chemin qui en fait constitue tout l’intérêt de cette leçon. Il va faire ce long chemin pour reposer la question de la répétition dans toute sa nouveauté, comme il dira lui-même à la page 58 : Ce que j’ai à vous dire y est si nouveau (encore qu’évidemment aussi assuré, depuis l’origine, de ce que j’ai articulé du signifiant) que j’ai cru devoir aujourd’hui (…), vous dire comment j’entends, pour vous la situer, cette fonction de la répétition.

Mais donc pour construire son chemin, il part d’une question essentielle. En tout cas, ça va être mon fil pour vous présenter la leçon. C’est comme ça que je l’entends cette question essentielle : d’où Freud assure sa certitude ? D’où s’assure-t-il d’un réel ? Ou mieux : de quel réel s’assure-t-il ?

On peut dire que pour Lacan il est évident que c’est le souci de Freud tout au long de sa recherche. C’est par cette question que Lacan va reprendre la structure de l’inconscient et du sujet pour dire, à la suite de Freud, que ce qui est du sujet et ce qui est de l’inconscient cela se passe à la même place. L’inconscient est donc constitué essentiellement par des pensées, nous dit Freud, utilisant les mêmes termes dont Descartes fait son point d’appui. Vous vous rappelez la séance précédente. Seulement, on peut poser la question : est-ce la même pensée ? Il y a des pensées dans ce champ au-delà de la conscience. Ces pensées sont sur une autre scène, les pensées du rêve par exemple. Et puis ces pensées sont dans un autre rapport au doute que chez Descartes. Et c’est par rapport au doute que Freud fait un pas de plus. Le doute fait partie du texte de l’analysant, il va sans dire. Ce n’est pas là qu’il place sa certitude Freud. Il place sa certitude dans la seule constellation du signifiant issu du récit, du commentaire, de l’association, de la rétraction du discours du sujet.

Donc, première réponse de Lacan à la question que j’ai prise comme fil : d’où Freud assure sa certitude ?  « Tout vient à fournir du signifiant, sur quoi Freud compte-t-il pour établir sa certitude à lui »

Lacan opère avec un bistouri, il précise, il coupe. J’espère que vous êtes sensibles à ces déplacements que Lacan souligne dans la démarche de Freud par rapport à Descartes. C’est Descartes, certes, qui introduit le sujet. Mais là encore, Freud, presque en dialogue avec Descartes, grâce à Lacan, dit quelque chose de nouveau, fait encore une fois un pas de plus : Ici, dans le champ du rêve, tu es chez toi. C’est Freud qui donne un domicile au sujet cartésien et pas n’importe lequel. Donc je souligne le déplacement.


Wo es war, soll ich werden.

Et ça, c’est une phrase, un dire peut-être, qui a beaucoup fait gloser les psychanalystes. Et Lacan, en abordant cette phrase lors de cette leçon, souligne tout de suite une question qui m’intéresse beaucoup, qui est la question de la traduction et la place de la traduction dans la transmission de la psychanalyse.

Là, j’ai envie de faire un petit aparté parce que Lacan – on dit le retour à Freud de Jacques Lacan, mais ce retour à Freud de Jacques Lacan passe par la traduction. Et en traduisant Freud, il conceptualise et il conceptualise en introduisant à chaque fois quelque chose d’à la fois nouveau et lumineux. Ça va être pareil pour le trait unaire, pour la question de la pulsion qui jusque-là était traduit par instinct. Donc c’est quand même un saut énorme. Et c’est pareil pour cette phrase emblématique de Freud.

En traduisant cette formule, Lacan va donner une définition du sujet, du Ich qui est très ramassée. Le lieu complet, total du réseau des signifiants c’est-à-dire le sujet. C’est quand même quelque chose de précieux comme indication. Et en traduisant cette phrase, il va la subvertir radicalement. Il signale dans le texte : c’’était traduit par Antoine Berman : le moi doit déloger le ça, si cher à l’égo psychologie.

Ce que Lacan va avancer change totalement le paradigme : il va dire : là ou c’était, le sujet doit advenir. Le sujet peut se retrouver, là ou était le réel. Donc exit le moi, exit l’histoire du déloger, cest là où le sujet doit advenir.  En introduisant, encore une fois, la question du réel.

Donc avec cette traduction, Lacan opère une réouverture de l’inconscient, fait un sauvetage du sujet et de la psychanalyse, et en restaurant la béance dans sa fonction de cause. Là aussi, il ne perd pas son fil. Et ce faisant, il nous donne un exemple princeps de la fonction de la traduction dans la transmission de la psychanalyse. La psychanalyse qui était complètement rabougrie, si j’ose dire, dans cette traduction : le moi doit déloger le ça, retrouve ses lettres de noblesse avec là ou c’était, le sujet doit advenir.

Alors, comment savoir qu’on y est ? Il n’y a qu’une seule méthode : repérer le réseau de signifiants. Et un réseau ça se repère comment ?

Pour dire vite, mettre les pieds dans le plat : par la répétition. C’est que ça se recoupe toujours de la même façon : ça se recoupe de telle façon que c’est cela qui échappe au hasard, dit Freud cité par Lacan.

Alors j’avais envie de vous donner un exemple simple d’un rêve d’un patient. Des chiffres apparaissent dans un rêve dans une certaine structure et qui tourne. Quel chiffre ? Impossible pour lui de se rappeler. Néanmoins il y a des restes diurnes. Je vais reproduire la structure du chiffre mais ce n’est pas exactement le même vous vous en doutez. Donc on va dire que c’était 40 et 24 : son âge et l’âge de la fille qu’il a croisée la veille. Puis une histoire de changement de code sur internet qu’il a dû régler la veille du rêve. Puis ma question :

A quoi le chiffre 4 peut vous faire penser ?

– A rien

Silence et puis :

Ce chiffre 4 se répète trois fois dans ma date de naissance : le jour, le mois et l’année. Et puis il est dans mon code internet bien sûr. Je crois bien qu’il était aussi dans le rêve.

Donc vous voyez ça se recoupe, ça se répète. Ça fait réseau.

Lacan va alors chercher dans la Lettre 52 de Freud à Fliess, qui date, comme vous le savez du 6 décembre 1896, texte fondamental, même si, en tout cas pour l’instant il est classé parmi les textes dits pré-psychanalytiques dans la Standard Edition par exemple. C’est très intéressant parce que c’est un texte tellement fondamental pour la psychanalyse.

Donc Lacan va avoir recours à ce texte pour assoir quoi ? Le réseau de signifiants qui constitue le sujet là où il est chez lui.

Alors j’imagine, j’espère que vous êtes allés voir la Lettre 52 de Freud et tous les trésors que cette lettre recèle, à la fois de la structure psychique que de la clinique. Et c’est vrai que nous avons la chance, en plus, d’avoir cette lettre relue par Lacan. Mais je ne vais pas m’attarder là-dessus, on pourra y revenir si vous voulez dans la discussion.

J’ai dit que je n’allais pas y revenir, mais je ne résiste pas à la tentation, peut-être de vous lire, quand même, pour ceux qui n’ont pas eu la curiosité d’y aller, juste un paragraphe :

Il parle à Fliess : Tu sais que dans mes travaux, je pars de l’hypothèse que notre mécanisme psychique s’est établi par un processus de stratification : les matériaux présents sous forme de traces mnémoniques se trouvent de temps en temps remaniés suivant les circonstances nouvelles. Ce qu’il y a d’essentiellement neuf dans ma théorie, c’est l’idée que la mémoire est présente non pas une seule mais plusieurs fois et qu’elle se compose de diverses sortes de ‘’signe’’ dit-il.

Et puis, il va nous donner le schéma des inscriptions successives qui vont de la perception à la conscience.

Alors, entre Perception et conscience, il y a plusieurs strates d’inscription qui peuvent être remaniées dans le temps. C’est important ça. Ce n’est pas figé. Transcrite, traduite d’une strate à une autre. Et j’attire votre attention sur les termes que Freud utilise pour décrire le fonctionnement de la structure psychique : inscription, transcription, traduction, dans le passage d’un registre à un autre par exemple. Opérations qui relèvent du langage donc.  Ça travaille, ce n’est pas figé, ça peut être remanié et ça travaille selon un certain nombre de lois.

C’est presque, comment dire ça ? Le mot qui me vient c’est un avant goût, mais ce n’est pas très juste, c’est les prémices plutôt de ce que Lacan va formaliser pour plus tard dans cette phrase sur laquelle nous allons certainement revenir plusieurs fois : l’inconscient est structuré comme un langage. Et cela donne une autre dimension au sujet.

Et c’est ce que Lacan va nous dire : ce lieu où se joue l’affaire du sujet de l’inconscient, n’est pas un lieu spatial, n’est pas une couche anatomique. Et ça c’est formidable parce que ça, en soi, pourrait assoir, s’il le fallait, la différence entre psychanalyse et neuroscience.

Mais quel est ce lieu où se joue l’affaire du sujet ?

Dans l’intervalle entre perception et conscience se trouve l’Autre, le grand Autre, le réseau des signifiants où se constitue le sujet. Vous voyez comment Lacan s’appuie sur le schéma de Freud.

Et comment ça fonctionne ?  Selon les lois du langage, synchronie et diachronie. Vous allez trouver ces mots vraiment presque, on ne peut pas dire tel quel, car la linguistique n’existait pas encore, mais il va parler à la fois de simultanéité et de l’analogie par exemple, quand il va parler du type d’inscription que l’on va trouver dans les différentes strates. Donc c’est vraiment de ça dont il s’agit.

Et Lacan, il est émerveillé car il va exhumer le passage où Freud dit : l’inconscient est un second enregistrement ou une seconde transcription, aménagé suivant les autres associations – peut-être suivant des rapports de causalité. Ça, Lacan, il est émerveillé de trouver ça sous la plume de Freud à ce moment-là ; de trouver cette référence énigmatique dans le texte de Freud, trouver, dans cette référence, l’indication que nous progressons dans les chemins de sa certitude, de la certitude de Freud. C’est ce qui l’intéresse Lacan au regard de la certitude de Descartes.

Et justement, il revient à la question qui le taraude, et qui traverse le séminaire tout du long. La psychanalyse est-elle d’ores et déjà une science ?

Il revient à la charge justement parce qu’il est en train de parler de Descartes et de son rapport avec la science moderne. Parce que la question est quel type de science ? Une science qui suppose un maître, ou une science moderne, celle que Descartes inaugure. Et là, il y a une question intéressante, car c’est la question du maître, du Père, et la question de savoir, si ce pédicule de relation au maître, ou au père, et la fonction qu’il attribue à Freud, peut être allégé. Donc c’est une question intéressante parce que si on s’avance un peu dans l’enseignement de Lacan, on sait que plus tard il va formuler la question : est-ce qu’on peut s’en passer ? Mais aussi : pour s’en passer, il faut savoir s’en servir. Donc on ne peut s’en passer à n’importe quelle condition.

Et donc ce sont des questions importantes parce que c’est de ce pas inaugural de Descartes qui va fonder la science moderne, c’est ce qu’il dit Lacan, qui dépend que l’on puisse appeler le sujet à rentrer chez soi, c’est-à-dire dans l’inconscient.

Qui on appelle ? C’est le sujet qui est appelé. Pas n’importe lequel. Celui d’origine cartésienne. Celui-là même qui a été forclos de la science. C’est celui-là qui va trouver domicile dans l’inconscient. C’est comme si Lacan avait besoin de préciser l’origine de ce sujet et de lui donner domicile avant d’aborder la question de la répétition. Et on va voir pourquoi.

Alors pour parler de la répétition, il va faire appel à deux textes :

  • Au-delà du principe de plaisir, le chapitre 5

et

  • Remémorer, élaborer et répéter.

Il commence par la remémoration pour la distinguer de la réminiscence et la placer du coté d’une nécessité structurante, de quelque chose d’humble, né (…) de la structure du signifiant, d’un langage et des langues parlées (p. 56 du séminaire). Vous voyez qu’il est tout le temps en train de ramener la question de la structure du langage. On ne peut pas s’en passer pour le coup.

Pourquoi fait-il appel à cette structure encore une fois ? Pour rappeler que la fonction de retour est essentielle, que la constitution même du champ de l’inconscient s’assure (p. 56 du séminaire) de ce retour, il est inhérent à ce champ. Le retour est inhérent. Et que c’est là que Freud assure sa certitude, encore une fois.

Je vais pêcher dans le texte de Lacan ce qu’il va en dire de la certitude de Freud.

Donc deuxième réponse de Lacan, Freud assure sa certitude du fonctionnement du réseau signifiant et de ce que le fonctionnement de ce réseau assure en retour. Donc que ça se répète. Mais si Freud reconnait sa certitude nous dit Lacan, ce n’est pas de là qu’elle lui vient. Et là je pense qu’il y a quelque chose d’assez fort qu’il va amener. Il dit : d’où est ce que ça vient alors ? Il reconnait sa certitude là, moi je dirai peut-être dans ce réel-là, de ce qui fait retour. Mais ce n’est pas de là qu’elle lui vient. D’où vient-elle ?

Troisième réponse de Lacan : de son auto-analyse et de son repérage génial de la loi du désir suspendue au nom du père (p. 57 du séminaire), Freud avance, soutenu par un certain rapport à son désir, et par ce qui est son acte, à savoir, la constitution de la psychanalyse

(p. 57 du séminaire).

Donc vous voyez, c’est par le réseau signifiant, par ce qui fait retour, par son désir. Et c’est intéressant qu’il revienne encore une fois là-dessus, parce que c’est une reprise, un écho de la question posée à la fin de la leçon 1 : par quel privilège le désir de Freud avait pu trouver dans le champ de l’expérience, qu’il désigne comme inconscient, la porte d’entrée ?

Vous voyez, il pose des questions et puis on pense qu’il a laissé filer et puis il revient à la suite d’un nouveau développement. Il a fallu tout ça pour que, ici, commence la deuxième partie de la leçon, que la première a préparée, à savoir la mise en place de ce qui constitue le réseau des signifiants, son fonctionnement, et du sujet qui y habite. Lacan dit à ce moment-là de la leçon : Laissons-donc cet ordre inconscient. Il faut que je m’avance sur ce qui est, sur ce que c’est que la répétition.

Alors, comment avance-t-il ? En articulant répétition et remémoration, mais pour avertir que la remémorialisation, comme il dit, ça marche jusqu’à une certaine limite qui s’appelle le Réel. C’est-à-dire qu’on va remémorer jusqu’à un certain point. Et Lacan va jusqu’à dire, une pensée adéquate au niveau où nous sommes, évite toujours la même chose. C’est-à-dire ça va s’arrêter toujours au même bord. Le Réel est donc ce qui revient à la même place où le sujet en tant qu’il cogite, le rate, ne le rencontre pas. C’est l’exemple même de la remémoration qui va jusqu’à un certain point.

Toute l’histoire de la découverte de la répétition explique ce motif de structure et ne se définit qu’à pointer ainsi le rapport. Et c’est important parce que ça nous donne l’occasion de dire que la remémoration n’est pas la répétition, n’engage pas la même chose. Ce qui se répète c’est le ratage du sujet à rencontrer le réel qui lui, comme il l’a dit avant, vient toujours à la même place. C’est une première définition du Réel par Lacan. Au cours du séminaire, cette définition va changer.

Répétition n’est pas reproduction à l’identique. C’est une présentification en acte, ça implique un acte. Et un acte qui concerne un Réel, qui n’y est pas pris, mais qui sera toujours à l’horizon tant qu’il s’agira de rapport de la répétition et du réel.

Et puis cette note qui me parait très importante – et on va vite venir au bout de ce que j’ai envie de vous proposer – le sujet ne peut s’approcher du réel qu’à se diviser lui-même, ce qui implique que toute conception d’une unité psychique totalisante y périt. Plus la remémoration s’approche d’un centre, d’un…quelque chose qui ferait centre, cœur, c’est précisément à ce moment-là que se manifeste ce que Lacan va appeler la résistance du sujet. Et je pense que par la suite il va s’expliquer sur cette résistance du sujet et qui vient à ce moment-là — c’est à ce moment-là que vient, la répétition en acte. Ce n’est pas comme on dit en absence que les choses sont réglées, comme dit Freud, mais c’est la présentification en acte.

            – Un auditeur demande à poser une question.

Angela Jesuino : Oui oui.

            Maurice : Ça voudrait dire qu’en fait la répétition ignore la prise de conscience ?

Angela Jesuino : Euh…on peut…oui si vous voulez…

            Maurice : Elle ignore la découverte ?  

Angela Jesuino: Ah ! Ça c’est moins sûr. Parce que, est-ce qu’on répète…

            Maurice : Ça fait partie de la découverte.

Angela Jesuino : Est-ce qu’on répète toujours à l’identique ?

            Maurice : Si on peut imaginer une découverte comme ça. On peut imaginer qu’il y a une petite découverte qui se fait et que le reste n’est pas…sans que ce soit progressif, ni chronologique ni …

Angela Jesuino : D’accord !

            Maurice : La répétition l’ignore. Enfin c’est une…

Angela Jesuino : Oui… Il y a quelque chose dans la répétition qu’on ignore, mais on n’ignore pas forcément que ça se répète. Parce que quand l’on…des fois quand on vient nous voir c’est parce que justement, il y a quelque chose qui se répète…et qu’on ne sait pas pourquoi, qu’est-ce que ça fait là ?

Stéphane Thibierge : Ni exactement quoi d’ailleurs.

Angela Jesuino : Ni exactement quoi d’ailleurs. Alors…Lacan conclut la leçon en reprenant La physique d’Aristote, deux termes de sa théorie sur la fonction de la cause : Automaton et Tuché. Qui vont être redéfinis par Lacan en quelques sortes. Et c’est là où on va saisir toute la pertinence du chemin qu’il a fait en passant par la lettre 52, notamment, pour nous rendre sensibles à l’Automaton comme étant le réseau des signifiants. C’était ça dont il s’agit. Là où nous y sommes chez nous dit Lacan. Et Tuché, à définir comme rencontre du Réel.

Voilà, je dirais, où nous mène le fil de cette leçon, où nous mène la question de savoir qu’est-ce qui assure la certitude de Freud, c’est-à-dire, voilà où ça nous mène : à examiner ce que la fonction de répétition — constitutive de la chaîne signifiante et par conséquent du sujet, la répétition est constitutive de la chaîne et du sujet — met en lumière du rapport du Symbolique au Réel. C’est là où nous en sommes, c’est à ce point-là. Comment…  On pourrait poser la question d’une façon plus triviale. A quel moment le réseau des signifiants rencontre le réel ? Qu’est-ce qu’il en est de cette rencontre ? Quelles sont les conséquences ? Quels rapports entre Automaton et Tuché ? Et ça, ça va être ce qu’il va développer largement dans la leçon suivante.

Mais voilà, j’ai été un peu plus brève aujourd’hui mais parce que je voulais tirer ces fils de la certitude de Freud qui me paraît très important pour qu’on puisse réfléchir sur — grâce à ce qu’il (Lacan) amène sur la question que je posais au départ, que j’ai formulée — d’où Freud assure sa certitude ? D’où s’assure-t-il d’un Réel ? De quel Réel s’assure-t-il ? Parce que, on pourrait même se poser la question si c’est le même Réel que la Science ? Donc je pensais que c’était important de filer la question du Réel, y compris pour participer à ce dialogue entre Descartes et Freud, travaillé par Lacan dans les deux dernières leçons, la leçon III et la leçon IV. Voilà ce que je voulais vous amener. Stéphane, je ne sais pas si tu voulais commenter ?

Stéphane Thibierge : Oui Angela, merci beaucoup pour ce…cette façon dont tu as très très bien tiré les fils de cette leçon en respectant la complexité. Parce que c’est pas une leçon…Elles ne sont jamais faciles mais elles ont des styles différents ces leçons de Lacan. Et là, c’est pas… Par exemple dans la leçon précédente, il apporte quelque chose de vraiment très lourd, presque sensationnel, il dit le sujet…le sujet Freudien, le sujet de la certitude freudienne, c’est…il est d’une même…il est en affinité avec le sujet cartésien, et même il vient du sujet cartésien. La certitude freudienne s’appuie sur la certitude cartésienne, ce qui est quelque chose d’assez énorme, qui fait sensation.

La leçon que tu as commentée aujourd’hui, me parait plus difficile parce que Lacan va situer les choses à un autre niveau qui est le niveau, justement, du réseau des signifiants dans son rapport au Réel – ça tu y as bien insisté – et que ce rapport au Réel du réseau des signifiants, et bien il va passer par cette question de la répétition. Et ça, j’aurais envie de dire assez simplement, au moins quand on l’aborde, c’est obscur. Enfin, je sais pas, je pense… dites-moi si ça vous est apparu autrement, dites-nous…mais c’est obscur, ça n’est pas facile. Et en plus, pourquoi cette répétition, qui n’est répétition que par rapport à un Réel qu’elle manque, pourquoi cette répétition constitue-t-elle un réseau qui est le lieu du sujet ? Tu as très bien évoqué tout ça…

Angela Jesuino : Mais j’ai pas donné la réponse de pourquoi.

Stéphane Thibierge : Non, non, tu n’as pas donné la réponse, mais en même temps la réponse…on peut pas dire que…qu’elle est…qu’elle est là, exprimée noir sur blanc et de façon facile. C’est une leçon très, très importante parce qu’elle pose un certain nombre de choses, solidement, mais sans en éclairer toujours le caractère obscur ou plutôt difficile. Alors elle donne des éclairages quand même. Je vais prendre de préférence des points… Evidemment on ne peut jamais vraiment aborder, ni toi ni moi nous n’abordons tous les points d’une leçon, ça serait pas possible. On choisit un fil et on le suit, exactement comme tu as fait. Mais par exemple, Lacan va dire dans cette leçon : remémoration ce n’est pas la même chose que répétition. Et là il donne un exemple clinique extrêmement éclairant et parlant et vivant. Il dit, c’était beau le temps où il y avait des hystériques magnifiques et vraiment gentilles, on leur demandait de la remémoration, bah alors là…ça y allait à tire-larigot. D’autant plus qu’elles avaient compris, dit Lacan, que je désir de l’hystérique, je le cite, c’est à la page 59, que le désir de l’hystérique c’était le désir du père à soutenir dans son statut. Alors, comme le psychanalyste c’est un substitut du père, il veut de la remémoration, alors on va lui en donner mais alors jusqu’à plus soif.

Le seul problème c’est que ça, ça aurait pu induire en erreur tout autre que Freud, mais ça ne l’a pas induit en erreur, Freud. La répétition c’est autre chose que ça. Soit dit en passant, ça induit en erreur 90% des psychanalystes ou des profs de psycho qui sont venus après Freud, qui continuent à vous expliquer que le transfert c’est le fait que vous rejouez papa, vous rejouez maman…etc…etc, alors que ça n’a rien à voir avec ça. Le transfert est une affaire de répétition, donc une affaire qui touche à…au côté…pas obscur mais difficile de cette leçon. Dans le transfert, y’a de la répétition, mais pas sous une forme appréhendable facilement. Alors, je pourrais faire d’autres remarques comme ça mais puisque, Angela, tu as pris le parti qui est très intéressant de ne pas parler trop longtemps, ça laisse quand même la place à quelque chose qui nous paraît important, avec Angela, c’est que, ce que vous avez travaillé dans les groupes lundi dernier, puisque vous avez lu cette leçon… Vous avez lu et travaillé j’imagine, de près, la Lettre 52, de même que Répétition, Remémoration et Perlaboration… A l’issue de ces travaux, vous avez sans doute eu des questions. Je ne pense pas que vous ayez fait tous ces travaux que je viens de dire mais vous avez lu la leçon quand même, et peut-être que vous avez des questions. Et là, il me semble que c’est très bien venu, plutôt que moi je parle à la suite d’Angela, qui a déjà fort bien parlé, il me semble que ça serait intéressant que quelques-unes de ces questions qui vous sont venues je suppose, eh bien soient adressées à Angela…et à moi éventuellement. Oui David.

            David :  Oui ça tombe bien parce qu’effectivement dans notre travail nous avions eu une question justement sur un passage de la leçon. Donc dans l’édition…dans mon édition c’est un passage dans lequel Lacan évoque la Lettre 52 qui est page 53. Et donc c’est un moment où Lacan dit : Par la nécessité d’étude de son expérience que Freud nous donne de séparer absolument perception et mémoire. Ça on peut l’entendre encore mais surtout, ce qui nous a vraiment posé question c’est quand il dit : C’est à savoir que, pour que ça passe dans la mémoire, il faut d’abord que ce soit effacé dans la perception, et réciproquement. Ça ! c’est vrai qu’on s’est…on s’est…enfin…intuitivement, on va se dire qu’il y a quelque chose à la fois de l’ordre de l’articulation entre Symbolique et Réel, comme tu l’as dit Angela mais plus en détail on arrive pas bien à…c’est vrai qu’on a du mal à saisir pourquoi cette affirmation.

Angela Jesuino :  Mais, il faudrait…c’est là où je pense que c’est utile de se reporter à la Lettre 52 et au schéma. Parce que, pour qu’il y ait mémoire, il faut qu’il y ait inscription. Et donc, il faut d’abord ce travail d’une première inscription, voire d’une deuxième inscription. Et donc si ça reste au niveau de la perception, ça peut pas être mémoire, parce qu’il n’y a pas eu d’inscription. C’est comme ça que je l’entends moi. Et d’ailleurs, c’est très intéressant, quand il parle dans la Lettre 52, parce qu’il y a des moments, où la mémoire va revenir, on ne savait pas qu’elle était là, la mémoire revient et il n’y a pas de perception à ce moment-là. Mais c’est ce qui revient de la transcription…de l’inscription. Est-ce que tu voulais ajouter quelque chose ?

Stéphane Thibierge : Oui, c’est une question extrêmement juste hein David que vous posez. Et une question que je me suis posé aussi en lisant la leçon. Une façon…bon Angela a raison, il faut là-dessus relire la Lettre 52 à Flieβ.  Et si vous ne l’avez pas lue pour cette leçon, lisez-là pour la leçon prochaine, c’est important, c’est vraiment très important, cette Lettre 52. Si je ne simplifie pas trop, l’idée c’est la suivante : effectivement, c’est que au moment… comment est-ce que, parce que je ne l’ai pas là, la Lettre 52…montre…Voilà ! Au moment où une perception arrive dans le système, elle va s’inscrire comme trace mnésique – pas consciente hein, elle va s’inscrire comme trace, et puis il va y avoir un certain étagement de ces traces ….

Angela Jesuino : Freud dit qu’il y a au moins trois.

Stéphane Thibierge : Voilà, au moins trois. Il y a donc une stratification mais cette stratification : il y a quelque chose qui arrive, une excitation, une perception qui arrive dans le système, dans le système psychique disons, pour parler simplement. Cette perception elle arrive, elle s’inscrit, y’a au moins trois inscriptions dit Freud. Et c’est dans ce…dans ce contexte-là, des différentes inscriptions, qu’il dit que, il y a sans doute quelque chose de la causalité qui joue.

Angela Jesuino : Au niveau de l’inscription qu’il nomme Inconscient.

Stéphane Thibierge : C’est ça ! C’est ça et la perception, la conscience proprement dite va arriver au terme du processus. Mais quand la conscience arrive, la conscience n’est pas conscience des inscriptions. Effectivement c’est pour ça, parce que quand vous êtes conscient de quelque chose, vous savez, Freud insiste sur le fait que la conscience c’est pas du tout comme nous l’imaginons, comme la conscience se l’imagine : la conscience s’imagine toujours être permanente. La conscience n’est pas permanente. La conscience est punctiforme, dit Freud, c’est-à-dire qu’elle a l’allure d’une espèce de petit clignotant comme ça qui clignote par à-coup. C’est très important ça. Et lorsque lorsque la conscience clignote comme conscience, elle n’est pas conscience d’une trace mnésique, elle est conscience d’une espèce de présent très difficile à définir. Vous me suivez ? Mais, elle est articulée cette conscience, cet état, ce point de conscience, ce moment ponctuel de conscience, est articulé à des traces mnésiques. Sinon par exemple on ne pourrait absolument pas concevoir ce phénomène si intéressant du déjà-vu. Hein, si le phénomène du déjà-vu existe, c’est parce qu’il y’a des moments vous rencontrez consciemment un truc qui est lié à quelque chose qui n’est pas conscient mais qui est un, quelque chose de refoulé enfin…d’inscrit dans le système dont vous n’êtes pas conscient. Ce n’est qu’un exemple. Mais une autre illustration qui me viendrait à ce propos serait — Angela tu me diras si tu es d’accord mais il me semble…enfin c’est dans le fil de notre échange ce soir que ça me vient mais ça me paraît aller tout à fait dans ce sens-là. Euh…Vous savez, vous connaissez tous la bande de Moebius ? Hein ? Pas la bande à Moebius hein ? [Rires] Désolé, bon, mais vous connaissez donc la bande de Moebius. La bande de Moebius peut figurer, et même figure souvent, la division du sujet. Pourquoi ? Parce que c’est un seul bord qui, en chacun de ses points, représente, en quelque sorte, une scansion avec deux côtés, en chacun de ses points, mais pourtant ce n’est qu’un seul bord. Et ça permet de comprendre oui ce que, un des points qu’aborde ici Lacan, c’est-à-dire en référence à la Lettre 52 de Freud à Flieβ, c’est qu’en chaque…En quelques sortes vous pouvez dire que le bord de la bande de Moebius, toute la bande de Moebius représente les inscriptions mnésiques, d’accord ? Prenez une bande de Moebius, la petite fourmi qui se promène, elle se promène sur, tout au long des inscriptions mnésiques du système, qui se sont inscrites dans le système mais en même temps, en même temps, à chaque fois qu’elle est en un point de la bande, mettons qu’elle soit là, elle est là, eh bien, si on prend l’autre côté, l’autre côté peut tout à fait représenter le point effectif de la conscience. A chaque point de la bande de Moebius il y a un aspect inconscient et un aspect conscient. Et ils sont liés sauf qu’ils ne peuvent pas être présents en même temps. Ça vous donne peut-être un début de réponse à votre question. J’espère hein.

            David : Merci  

            Auditrice : Ça me fait penser à…ce que Saint-Augustin disait dans ses confessions par rapport à l’attention. Lui, il parle un petit peu de la perception et il dit que l’attention c’est ce qui permet de transformer le présent en passé et justement le présent de la perception en souvenir en fait, donc finalement c’est jamais superposable.

Stéphane Thibierge : C’est très très juste ce que vous dites. Oui c’est vrai c’est le fameux passage sur le temps.

            Auditrice : Oui. C’est ça.

Stéphane Thibierge :  Où le moment de la conscience est un moment complètement évanouissant, parce qu’il devient tout de suite autre chose que la conscience. Il devient tout de suite une trace mnésique dirait Freud, enfin Saint-Augustin ne parle pas de trace mnésique mais il parle…

            Auditrice : …d’attention quoi.

Stéphane Thibierge : Voilà.

            Auditrice : justement que cette attention-là, alors là j’ai plus le passage exactement en tête mais justement, lui, Saint Augustin c’est très intéressant parce qu’il définit l’étymologie de l’attention non pas avec le terme attention mais avec le terme attendere qui en latin veut dire attendre, donc il y a quelque chose comme ça du temps qui viendrait un peu…bon alors après j’ai pas le fil du reste de la réflexion mais voilà ça fait écho à quelque chose du temps en tous cas.      

Stéphane Thibierge : Ecoutez je trouve que votre remarque mériterait, en quelques lignes, 5, 6 lignes, d’être mise en forme et mise sur le site du collège. En disant, voilà, ce n’est pas interdit d’aller chercher dans la tradition, 

Angela Jesuino: Absolument

Stéphane Thibierge : Ce qui fait vivre ces questions aujourd’hui. C’est dans les Confessions ça. Tout à fait, c’est une très bonne remarque. Angela tu es d’accord sur la bande de Moebius ?



Angela Jesuino : Oui tout à fait ; mais ce que je trouve très intéressant, de pouvoir lire la Lettre 52 avec l’apport de Lacan, c’est qu’il va transformer ces strates d’inscriptions en réseaux signifiants

Stéphane Thibierge : Mais oui.

Angela Jesuino : Et il va dire que ces traces perceptives ce sont des signifiants. Et cela permet de lire complètement autrement, ça simplifie énormément, absolument. Mais c’est remarquable cette Lettre (52) parce qu’y compris, ça peut donner une, c’est très fort parce que c’est 1896, il va déjà parler de plaisir et déplaisir, c’est quand même ce que l’on va trouver comme prémices à Au-delà du principe du plaisir, je fais un raccourci énorme mais, il va dire que la condition déterminante d’une défense pathologique, c’est à dire du refoulement, et donc le caractère sexuel de l’incident de sa survenue au cours d’une phase antérieure. Ce n’est pas, la réussite du refoulement ne dépend pas de l’intensité du déplaisir. Il est déjà dans ces considérations là, Freud, dans ce texte-là, de 1896, c’est une question à laquelle il va répondre en 1920 autour de Au-delà du principe du plaisir : comment ça se fait que l’on répète quelque chose qui procure du déplaisir ? Il est déjà là.

…/…

  • question sur la diachronie et la synchronie signifiante. Page 54 (de la leçon IV)

            Lecture du passage. :  Alors il nous désigne un temps, où c’est les traces de la perception qui doivent être considérées dans la simultanéité, qu’est-ce que c’est si ce n’est la synchronie signifiante et bien-sûr il le dit d’autant plus qu’il ne sait pas qu’il le dit 50 ans avant les linguistes.

            Un peu plus tard il évoque la diachronie : nous retrouvons semble-t-il les contrastes, les mêmes fonctions de similitude si essentielles dans la constitution de la métaphore introduite d’une diachronie.

Stéphane Thibierge : C’est vrai que ce n’est pas limpide [rires].

Angela Jesuino: Mais il va pêcher ça dans la Lettre, parce que c’est Freud qui parle de simultanéité. De ce qui, plus tard, va être décrit comme le propre de la synchronie, ce sont des opérations du langage.

Stéphane Thibierge : Je crois que quand on lit ce passage que vous avez évoqué attentivement et pas trop vite, je pense que l’on entend un peu ce que veut dire Lacan, d’abord quand il parle des Wahrnehmungszeichen, les traces de la perception : c’est ce qui s’inscrit, jusque-là ça va. Ce sont les signifiants effectivement, ce sont les signifiants qui vont venir sédimenter, stratifier, ce que nous avons appelé, pour parler simplement, l’inconscient.

Cet inconscient et ces stratifications, forment un système synchronique, c’est à dire un réseau. Un réseau qui est réseau dans la synchronie, dans la simultanéité des relations actuelles, qu’il représente réellement, ça c’est le côté synchronique.

Mais ensuite il dit Lacan : quand Freud y revient dans la Traumdeutung, (dans le chapitre 7 de La science des rêves), nous verrons qu’il va jusqu’à en désigner, de cette synchronie signifiante, d’une façon non moins frappante, d’autres couches. Il y a une synchronie à un certain niveau et il y a d’autres couches qui sont aussi dans la synchronie, il y a différentes stratifications mais qui existent, différentes, dans le même temps. Tout ça c’est entendable, ça part du schéma que donne Freud dans la Lettre 52, c’est à dire : il y a une inscription dans le système, il y en a une deuxième, une troisième, et il y a la conscience. Mais les différentes inscriptions, elles se sédimentent, elles se stratifient dans différentes couches, en quelque sorte, de synchronie, de simultanéité disons.

Maintenant, entre ces différentes couches, voyons ce qui se passe. Lacan dit : quand il y revient dans la Traumdeutung, nous verrons qu’il va jusqu’à en désigner d’une façon non moins frappante, d’autres couches. Là ils se constitueront par analogie. Ils se constitueront, c’est quoi ? Ce sont ces signifiants, ces Wahrnehmungszeichen. C’est à dire ces traces de la perception. Ces traces. Ils vont se constituer par analogie. Et pour qu’il y ait analogie, du coup il faut qu’il y ait un trajet d’une strate à l’autre, il faut qu’il y ait un temps. Là on n’est plus dans la synchronicité. Pour que puisse se constituer de nouvelles inscriptions par analogie, là, nous avons une, comment dire, une tension temporelle, donc quelque chose dans la diachronie, et c’est comme ça que j’expliquerai en première approche : nous retrouvons semble-t-il les contrastes, contrastes entre deux inscriptions différentes de stratification différentes, les mêmes fonctions de similitude – similitude ne veut pas dire identité- similitude si essentielle dans la constitution de la métaphore. Effectivement une métaphore suppose un trajet temporel où l’on va substituer un signifiant à un autre signifiant en produisant un effet de sens. Tout ça se fait dans la diachronie. Dans le temps.

Angela Jesuino : Mais il y a une coupure.

Stéphane Thibierge :  Oui, il y a une coupure à un moment donné et il y a un processus temporel. Donc nous retrouvons, dit Lacan, les contrastes, les mêmes fonctions de similitude si essentielle dans la constitution de la métaphore, introduisent d’une diachronie. Bon.



Angela Jesuino : Juste une chose Stéphane, parce qu’il va faire appel ici, au chapitre 7 de L‘interprétation du rêve, il va travailler avec ces deux bords, ces deux choses, chacune dans une main : la lettre 52 et le chapitre 7. Les deux premiers éléments A et B du chapitre 7, c’est condensation et déplacement, qui est la reprise de cette question là : synchronie/diachronie, métaphore/métonymie. Nous sommes en train de travailler ça.

Je pense que si on continue un tout petit peu la lecture, le paragraphe d’après, je pense qu’il nous éclaire aussi : il dit : nous trouvons dans les articulations de Freud, l’indication sans ambiguïté de ce dont il s’agit : non seulement d’un réseau de signifiants constitués par des associations de hasard et de contiguïté, mais qui n’ont pu se constituer de cette façon qu’en raison d’une structure très définie, d’une possibilité également très définie, d’un élément temporel d’une diachronie constituante et orientée.

Je pense que cela éclaire le paragraphe précédent. Et si vous allez voir dans la Lettre 52, je m’excuse d’insister, cette question d’une diachronie constituante et orientée elle est aussi présente dans le schéma ; et puis Lacan va beaucoup insister sur le passage d’une inscription à l’autre, de la traduction d’une inscription à l’autre, du défaut de traduction d’une inscription à l’autre ; et ce que dit Freud d’entrée de jeu c’est que cela peut être remanié de temps en temps. Donc la dimension temporelle diachronique elle est là, tout le temps. Et c’est formidable qu’il puisse dire que cela peut être remanié, on sait combien c’est remanié. Le passé n’est pas figé.

Stéphane Thibierge : Mais non, et dans l’association libre comme on dit, l’intérêt et la complexité de l’association dite libre, c’est que vous invitez le sujet à dire des choses qui ne sont pas imaginarisées par la remémoration, mais qui viennent dans un fil qui associe quoi ? Qui associe différentes stratifications, apparemment sans aucun rapport, qui sont dans une synchronicité mais qui sont associées dans le fil temporel d’une diachronie. C’est ça qui fait l’intérêt de l’association libre. Oui Monsieur Cohen.

            Maurice :  Je viens de comprendre encore plus précisément la métaphore…. inaudible…. aller-retours entre plusieur strates. Par contre je butte toujours sur la métaphore et la métonymie…. on colle, il y a un voisinage, et de ce voisinage on donne un sens. Je ne vois pas comment le langage peut être métonimique, et après …

Stéphane Thibierge : Une métonymie c’est une sorte de métaphore. C’est une métaphore par contiguité. Par voisinage. Mais c’est une métaphore une métonymie.

             Question : La façon dont je lis une partie de cette leçon sur le repérage du réseau des signifiants, quelque part je le lis comme une tentative de border, de circonscrire le réel ou de s’en rapprocher. Mais ce réel qui est justement toujours évité, va confronter, je présume, l’analyste à la résistance du sujet. C’est une forme de résistance cet évitement. Et en même temps à trop s’en approcher le sujet se divise. C’est un fil ténu, c’est à dire que c’est un exercice d’abord du réel mais pas trop, est-ce que c’est comme ça qu’on….

Stéphane Thibierge : Mais c’est ce que fait un sujet en analyse, il aborde le réel mais pas trop. Et pas tout. Ou alors ça devient un peu déflagrateur.

Ce qu’il dit sur l’acte aussi, c’est très intéressant, parce qu’un acte, il le dit très bien Lacan, un acte n’est pas une action ou un comportement. Un acte consiste, il ne le dit pas comme ça, mais c’est je crois ce que ça veut dire, un acte consiste toujours dans l’appréhension symbolique d’un réel, et imaginaire aussi, d’un réel qu’on ne maîtrise pas du tout entièrement et qu’on va résoudre et surmonter en quelque sorte, par l’acte lui-même. Et c’est l’acte qui nous apprend rétroactivement ce que nous avons fait. Et aussi ce par quoi nous faisons tenir notre existence. Parce que notre existence a le poids de nos actes, ou le non-poids de nos non-actes. Mais ce n’est qu’après un acte que l’on peut réaliser, c’est le cas de le dire, quel est le réel que l’on a essayé d’articuler dans l’acte.

Angela Jesuino : Oui c’est dans l’après coup.

Stéphane Thibierge : Toujours.

Angela Jesuino : Et en même temps on voit des fois que le sujet peut poser un acte dont il a lui-même du mal à s’approprier.

Angela Jesuino : Toujours on a du mal à s’approprier

Angela Jesuino : Il faut un temps pour que le sujet puisse s’approprier un acte quand c’est un vrai acte.

Stéphane Thibierge : Oui, un vrai acte on ne le maîtrise pas, donc il y a une appréhension. Il y a une….

            Question : Mais du coup ça pose la question par rapport à l’angoisse, au surgissement de l’objet a au moment de l’angoisse, et donc à l’acte qui va y répondre, à la manière. Mais donc ça pose vraiment cette question de savoir ce que veut dire affronter l’angoisse, affronter le surgissement de cet objet à ce moment-là. Ça veut dire que, il me semble que bien souvent il y a cette idée qu’il y a l’angoisse, ce qui l’a éventuellement suscitée, et qu’il faut aller droit devant pour franchir cette angoisse, mais en réalité ça n’est pas si évident que cela. L’acte peut être une manière de l’affronter ou au contraire une manière de s’en dégager de fuir, mais ça n’est pas si évident.

Stéphane Thibierge : Non, ça n’est pas si évident. Et votre remarque me semble-t-il, fait référence à la différence qu’il y a entre le passage à l’acte et l’acte. Un acte a toujours un peu une dimension de passage à l’acte, dans la mesure où il n’est pas entièrement appréhendable ni contrôlable évidemment. Mais ça ne veut pas dire qu’un acte et un passage à l’acte soit équivalent. Un passage à l’acte c’est quand l’angoisse n’est pas supportable et à ce moment là par exemple le sujet passe par la fenêtre.

          Suite de la question :  Ce n’est pas toujours aussi radical.

Stéphane Thibierge : Oui mais ça peut l’être, puisqu’il parle d’Hara-kiri. Ou Seppuku.

       Question : La question d’acte me fait associer avec une de mes patientes qui a développé un toc, un rituel très précis pour pouvoir rentrer chez elle, car pour elle tout ce qui vient de dehors est salle. Même si ça lui coûte énormément d’énergie, elle doit tout laver, elle détruit ses habits,  elle nettoie le poisson au paic vaisselle, si quelqu’un lui fait la bise ou la touche, elle doit se laver la bouche avec du liquide vaisselle. Elle a tout un mécanisme de vie organisé autour du fait que tout ce qui vient de l’extérieur est sale. Elle ne peut inviter personne, car si quelqu’un vient chez elle, elle est obligée de nettoyer la maison du sol au plafond à la javel. C’est plus fort qu’elle.

Stéphane Thibierge : C’est pour ça qu’elle est venue vous voir ? Ça a dû lui rendre la vie difficile. 

        Suite de la question : Surtout que depuis qu’elle a eu des enfants c’est plus difficile, elle a trois enfants. Elle ne vient pas vraiment pour ça maintenant.  Elle est venue, elle a quarante ans maintenant, mais ça c’est déclanchée quand elle avait ? ans. La personne déplie le cas.. La répétition m’a fait penser à cette patiente, je ne sais pas si on peut l’entendre de ce côté là.

          Une autre personne : Est-ce que le TOC ça a à voir avec la répétition ?

Stéphane Thibierge : Oui le TOC ça a à voir avec une répétition qui cherche à éviter un Réel. C’est conjuratoire, ça tourne régulièrement autour d’un réel qu’il s’agit de tenir à distance

…/…

          Question : Quelle est la relation entre l’objet a et le Réel ?

Stéphane Thibierge : l’objet a a une part importante de Réel puisque on ne peut rien… d’une certaine manière on ne peut rien en dire et en même temps, c’est l’objet qui, comment dire, pas qui parle, mais je parle toujours à partir de l’objet qui m’anime. Je parle ou je ne parle pas d’ailleurs, ou je blablate, ou je parle pour ne rien dire, mais quand je parle réellement c’est comme quand je pose un acte, je parle à partir de l’objet a, évidemment je ne sais pas ce que je dis je ne le saurai qu’après coup. C’est comme ça que l’on parle. C’est pour cela que l’on a peur de parler en général et que l’énonciation n’est pas évidente.

…/…

Stéphane Thibierge : ( réponse à M.Cohen ) On ne peut pas domestiquer l’objet a. L’analyse n’est pas une entreprise de domestication. L’objet a est assez déflagrateur. Lacan dit à son sujet : ça vous pousse un peu au cul mes petits amis.

Angela Jesuino : Et il ne faut pas oublier que l’objet de l’angoisse c’est le même que l’objet cause du désir. Donc vous ne pouvez pas vous en passer.

 

***

Petite remarque

Dans la lettre 52 à Fliess, Freud fait le constat de l’existence de plusieurs stratifications qui surgissent entre le moment de perception, et le moment de la conscience. Cette réflexion de Freud peut être mise en perspective avec les réflexions de Saint-Augustin dans ses Confessions, lorsque ce dernier tente de définir l’attention. 

Saint Augustin propose de lier la racine latine attentio (Tendre son esprit vers) avec celle d’attendere (attendre). Il voit dans l’attention un présent qui permet de transformer l’avenir en passé : « Dans l’esprit, […], il s’accomplit trois actes : L’esprit attend, il est attentif et il se souvient. L’objet de son attente passe par son attention et se change en souvenir »2. 

Là où en premier lieu le sujet attend (ne tend pas), recevant un stimulus externe précipitant la perception, c’est bien ensuite un mouvement provenant du sujet lui-même qui lui permet de tendre (son esprit vers), en étant « attentif », ce qui provoque ainsi seulement le souvenir. 

Les traces de la perception chez Freud et l’inscription des signifiants chez Lacan semblent témoigner de ce mouvement de seconde transcription en lien avec la causalité. Saint-Augustin repère ce rapport de causalité quand il énonce que dans un deuxième temps, le sujet est attentif, à savoir quelque chose vient pousser le sujet à tendre son esprit vers l’objet de son attente.

Sandra Pluchart

1 Lacan, J,. (1964) Les fondements de la psychanalyse. p 54
2 Saint Augustin. (354-430). Confessions, Livre IX. chap. 28. p 397-400