Encore… quelques remarques
13 juillet 2010

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PÉRIN Jean



L’objet du droit est affaire de jouissance nous dit Lacan à propos de l’usufruit, dans la première leçon. Et il va pêcher ce terme de jouissance à l’article 578 du Code civil qui dispose en effet : « l’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance ». C’est le salva rerum substancia des Romains.

Le droit cesse par l’abus fait par l’usufruitier de l’usage de la chose. Abuser c’est donc altérer la substance de la chose.

Lacan fera un forçage lorsqu’il parlera par la suite de substance jouissante.

Et ce qui est surprenant c’est qu’il traduit le conservatisme du droit de l’usufruit en disant qu’il ne faut pas « gaspiller ses moyens ». Il fait alors référence à l’utilitarisme et à Bentham. Voir la leçon du 13 février 1973. « Les vieux mots, ceux qui servent déjà, c’est à quoi ils servent qu’il faut penser, rien de plus ». Ainsi il passe des choses dont nous usons et jouissons aux mots dont nous usons. Cela entre en résonnance avec l’usus fructus dont jouit l’usufruitier. Ce saut des choses dont nous usons aux mots dont nous nous servons n’est pas sans rapport non plus du côté du discours du droit. En effet l’institution de l’usufruit fut comparée à une servitude réelle du fait de la chose car la chose est grevée de servitude. Mais n’est-ce pas aussi servitude personnelle?

« Moyen » est aussi un terme de droit. C’est ce sur quoi on s’appuie pour obtenir gain de cause. Les moyens articulent le célèbre syllogisme judiciaire : p implique q. L’emprunteur du chaudron de Freud donne une idée du moyen de défense.

La topologie du droit se soutient de la langue. Lacan reconnaît l’origine juridique du verbe « séparer ». Se séparer d’un bien c’est en effet le céder, en disposer, l’aliéner, du latin « parere » :enfanter. De « parere » à séparer se dégage topologiquement une ligne de séparation entre l’une et l’autre des personnes en scène dans l’usufruit. Et, entre, d’une part l’usus fructus et d’autre part l’abusus qui est mésusé. La séparation étant moins une ligne frontière qu’un littoral.

Le code (articles 578 à 599) nous décrit des personnes plutôt dos à dos. Ces articles ne sont pas sans rapport avec le principe de plaisir. Le Nu n’est pas tenu de faire jouir l’usufruitier(e) mais de le laisser jouir (« de le souffrir jouir »).

L’article 578 est un chef d’œuvre de rédaction. Il recèle une logique qui nous est familière. L’un en effet, a la propriété sans la chose et l’autre la chose sans la propriété. N’est-ce pas la logique de l’aliénation que nous pourrions représenter par les cercles d’Euler. Et pour sortir de la sphéricité de l’institution usufruitière, inscrire ces cercles sur un tore. Après tout le droit est fait, si à part soit-il, de signifiants.

Dans la dernière leçon d’Encore, le graphe du fantasme pourrait nous retenir et nous demander si ce n’est pas la chose qui diviserait les personnes, bien qu’elles soient côte à côte.

Loin de nous de prétendre qu’il y aurait un sujet du droit. Pourtant l’usufruit évoque le discours du maître qui se survit depuis l’antiquité. Donc : plutôt un fantasme de sujet, surtout aujourd’hui dans l’économie de la jouissance.

Si la jouissance est la vérité du droit, le sujet en est l’impossible. Il ne cesse pas de ne pas s’écrire bien que le droit s’écrive depuis des siècles.