Donnez-nous une chance de mourir de honte, mon Dieu !!
03 novembre 2025

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Eduardo DE CARVALHO ROCHA
Billets

Sommes-nous toujours capable de mourir de honte ? Peut-être devrions-nous le faire, car chaque jour nous sommes confrontés à notre échec en tant que civilisation. À quoi servent des siècles de pactes soi-disant civilisateurs si ce que nous faisons jour après jour est d’exercer notre barbarie ? Une barbarie généralisée se cache devant nous tous les jours, que ce soit à l’intérieur ou dans la rue. Que l’homme soit un être perverti par le langage, nous le savons déjà, que pour cette raison nous sommes aussi plongés dans une atroce impuissance, que nous cherchons dans nos liens sociaux à trouver un soutien pour exister (et ex-sister), nous le savons aussi, mais que notre échec à cet égard doit être la haine ou le cynisme, peut-être avons-nous besoin d’en savoir un peu plus. Aussi parce que nous pourrions choisir la voie de la honte, de la dépression, du délire, de la perte de la réalité, mais non, quelque chose nous mène, et de plus en plus, à la haine génocidaire, c’est-à-dire à l’élimination de notre prochain à tout prix, ou au cynisme, c’est-à-dire « il n’y avait pas d’autre moyen, il m’a laissé sans issue ».

Les situations dans le monde qui démontrent cet échec sont nombreuses, et suivent le même scénario : l’autre est mauvais, est un ennemi qu’il faut éliminer pour que la paix puisse être atteinte. La paix est une conquête de la force et par la force. Puis viennent les pactes, mais c’est la force qui les agence. Quelle est cette paix ? S’agit-il d’un pacte ou d’une soumission ? Presque toujours soumission, c’est donc la haine qui la cimente. Ce scénario devrait nous étonner, nous alarmer, car il est la preuve de notre échec en tant qu’êtres parlants. Mais non, nous sommes passés à côté de cette vérité et continuons à parier dessus, en nous soumettant à cette logique. Et que produisons-nous ? L’enfer, qui n’est rien d’autre que la cuisine de nos jouissances débridées ! L’enfer de Dante, l’enfer de l’apocalypse, l’enfer de Gaza, l’enfer de Carandiru, et maintenant l’enfer du Morro da Misericórdia, à Alemão (Rio de Janeiro). Des enfers qui sont des passages désespérés à l’acte, mais toujours cruels et faits d’horreur !

 

Ce qui est étonnant, c’est que, chaque jour, en tant que sujets et en tant que peuples, nous ne pouvons pas arrêter un seul instant ce destin odieux et en souffrir. Nous devons en souffrir ! Mais est-il encore temps ? Nous devons arrêter de laisser tout rentrer dans l’ordre le lendemain comme si c’était comme ça, comme si c’était un destin, une manière « naturelle ». Nous avons besoin de nous dire à nous-mêmes et à nos voisins, et à ceux qui ne sont pas proches de nous aussi, que nous avons besoin de prendre du temps dans notre vie pour souffrir de cette horreur que nous arrivons à ne pas cesser de faire tous les jours, comme si cela faisait partie du jeu normal, acceptable, raisonnable, politique. Il faut dire que ce n’est pas normal, ce n’est pas acceptable, ce n’est pas raisonnable, et que cette politique est une politique de barbarie. Et que ce statu quo qui est reproduit de cette façon  est le pire de la pulsion de mort. Ou plutôt, c’est la preuve évidente de notre échec à avoir avec la mort un sort moins désastreux et moins horrible. La mort est inévitable, mais son chemin d’horreur est notre décision en tant que société. Et nous devons admettre que c’est le chemin que nous avons emprunté et vers lequel nous conduisons nos semblables, en particulier nos enfants. C’est l’héritage que nous leur transmettons.

 

Pour l’amour de Dieu, ayons un peu honte, soyons horrifiés par cela ! Qui sait, peut-être alors pourrons-nous nous épargner la pantomime qui nous est offerte pour justifier notre pire. Mieux vaut supposer que nous sommes les auteurs de ces horreurs, que nous avons échoué dans un autre lien social en dehors de cet univers du bien et du mal, que, si Dieu le veut, nous pouvons encore avoir une sorte de mort de honte. Ou même la mélancolie, parce qu’après tout, le mélancolique est celui qui se prend pour le pire du monde, celui qui ruine tout le monde, celui qui porte la chose la plus pustuleuse de toutes, et qui est un danger pour ses semblables. C’est notre pathologie. Mais nous nous en défendons, en devenant paranoïaques ! Que Dieu nous permette de souffrir avec cela, même si l’une des choses dont souffre le plus une personne mélancolique est qu’elle n’a plus les moyens de souffrir. Peut-être est-ce notre condition de base.

 

Eduardo de Carvalho Rocha

Psychiatre et psychanalyste (membre du Espaço-Oficina de Psicanálise, Rio de Janeiro et de l’ALI)

 

 

 

 

 

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