Discussion du Grand séminaire de la séance du 25 mars 2025
25 mars 2025

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COLLECTIF
Le Grand Séminaire

 

Discussion animée par Angela Jesuino suite à l’intervention de Pascale Bélot Fourcade du 25 mars 2025.

 

Angela Jesuino : Merci beaucoup Pascale, pour cette traversée, parce que tu es allée chercher vraiment le point de départ dans l’instance de la lettre. J’aurais une question à te poser d’emblée, parce que ton titre c’est « Comment ça va Ferdinand ? » Ma question c’est : comment tu penses qu’il va Ferdinand ?

 

P.BF : Ferdinand Il a fait un drôle de truc, il a remis ses anagrammes dans le tiroir, et il a laissé ses étudiants diffuser son cours. C’était assez étonnant cette affaire-là. Les anagrammes c’était un truc ancien, Villon par exemple les utilisait beaucoup, le gai savoir, ce qui a été écrit sur le gai savoir, une affaire comme ça, c’est quand même trouver dans les textes latins, tu connais ça j’imagine, un sens, enfin à mon avis quelque chose qui est proche d’un créateur, d’un auteur à ce niveau-là.

 

Anne Videau : Il cherchait comment étaient cryptées potentiellement ces anagrammes, il cherchait comment étaient cryptées religieusement, de manière sacrée ces anagrammes, avec des répétitions, mais de manière sacrée.

 

P.BF : Il avait une idée de l’origine du langage, lui ? Parce qu’après ça s’est (incompréhensible).

 

Bernard Vandermersch : Ferdinand de Saussure, c’est justement le refus de l’origine du langage, je crois qu’ils s’étaient mis d’accord, on n’en parle plus de ça.

 

Intervention inaudible ;

 

A.V. : Ce n’est pas cette question-là, c’est horizontal, même si l’idée du cryptage sacré par un poète inspiré serait là.

 

A.J. : Il y a dans ce que tu as amené, Pascale, dont j’ai eu … je n’ai pas eu la primeur justement, mais que je découvre avec toi, beaucoup de choses que tu amènes, beaucoup de références, ça m’a beaucoup intéressée cette expression que tu as utilisée d’une interprétation laïque parce que ça indique, il me semble que ça a un rapport avec la question de la lettre justement. Et l’accent que tu mets aussi, ça va avec la question de la poésie, l’accent que Lacan lui-même avait porté à l’interprétation. Ça m’est revenu en t’écoutant, les dires d’une patiente qui était un petit peu fâchée, elle venait me raconter qu’elle a croisé un ami lui demandant si elle était toujours en analyse, c’est quelqu’un qui avait fait plusieurs analyses avant de venir me voir, et elle a répondu fâchée, et il lui a répondu « mais tu n’es toujours pas guérie ? » Et elle lui a répondu « mais je ne suis pas en analyse pour guérir. C’est pas ce que je fais là, je viens faire de la poésie. » Donc ça nous donne un petit peu l’idée de la tâche.

J’aimerais un peu t’entendre développer cette idée de l’interprétation laïque parce que ça me semble une idée forte dans ce que tu amènes.

 

P.BF. : Ça n’a pas de signification dans le sens d’un créateur. Mais sur cette affaire, il y a quelque chose qui m’a vraiment interrogée, c’est que Lacan a dit, à la fin de sa vie à peu près, on soigne les symptômes des hystériques mais on n’arrive pas à soigner l’hystérie. On n’arrive pas à les sortir de l’hystérie. C’est quand même un drôle de truc. Bien sûr il y a les discours, des choses comme ça mais bon, ça pose quand même des questions cette parole- là. Je pense que ça ouvre quelque chose actuellement sur pourquoi les femmes qui ne sont pas très, très bien fixées, elles pourraient se dire qu’on pourrait s’en passer du langage, c’est vrai qu’elles n’ont pas le même accès au réel.

 

A.J. : Pourquoi tu fais de ça une particularité des femmes ?

 

P.BF. : Elles sont pas-toutes.

 

A.J. : D’accord, mais encore.

 

P.BF. : Ah c’est tout à fait décisif, elles ne sont pas suffisamment …  enfin, le réel dépasse la question du phallus.

 

A.J. : Oui, j’entends bien Pascale, mais pourquoi tu dis spécialement les femmes aujourd’hui, qui ont cet embarras avec le langage ?

 

P.BF. : C’est de ce côté-là évidemment. Évidemment on peut parler de la toxicomanie, c’est-à-dire ces échappées, il y a des échappées, mais c’est un peu différent une échappée et quelque chose qui ne peut pas être autrement, la contingence est forcément là pour les femmes. Non, tu n’es pas d’accord ?

 

B.V. : Oui j’aimerais bien poursuivre la question, parce qu’en fait il y a une petite différence cliniquement.  On ne peut pas dire que les femmes ont un rapport plus difficile au langage, elles me semblent plus serrées dans la signification, elles sont moins à pouvoir discuter pendant des plombes et que ça n’engage à rien. Généralement les femmes, quand elles causent, elles disent, c’est rare que … je ne dis pas entre elles, je ne suis pas invitée, mais dans un dialogue conjugal, les femmes elles disent, les mecs ils parlent. C’est un peu gros comme distinction.

 

P.BF. : Mais justement parce qu’elles n’ont pas le même rapport au réel.

Il va se passer des choses puisqu’elles vont même pouvoir se passer de la grossesse. La natalité qui apparait là est vraiment à interroger pour les analystes. Je vous assure, il faut que vous vous y atteliez. Ce qui se passe en Corée est incroyable.

 

A.J. : Il y a aussi un autre point qui est dans ta conclusion, Pascale, quand tu questionnes le fait de savoir si l’interprétation aujourd’hui est devenue impossible.

 

P.BF. : Elle pourrait le devenir, c’est pas impossible. On continue à travailler et beaucoup de gens viennent nous voir.

 

A.J. : De plus en plus je dirais.

 

P.BF. : Ça, ça peut aussi être un effet de consommation très important, attention. Je ne vous ai pas parlé de ce projet (incompréhensible), la raison pour laquelle je suis peut-être intervenue, dans un premier temps dans une unité de neurologie où on se moquait d’un délirant, qui avait un petit oiseau avec …  ça pourrait plus se faire. En 68 ils ont tous voulu … l’idée de médecine curative, on va se soigner tous, c’est plutôt ça qui a eu lieu, il y en a eu beaucoup. Il y a beaucoup de thérapeutiques dans tous les sens, je vous en ai explicité une kyrielle, c’est infini dans la consommation. Donc l’idée d’une analyse, que le désir est dans l’Autre, c’est pas si simple que ça actuellement. Et la volonté de signification absolue, transparente, vraie, pleine, il y a une résistance là qui me parait extrêmement importante. C’est pas parce qu’on vient nous voir, que le monde a tellement besoin, de quoi ? D’être aimé, je veux dire, se soumettre à ça, c’est autre chose, se soumettre à une cure, c’est autre chose. Nous le savons, on a commencé par trois séances par semaine. Je ne sais pas, si vous proposez trois séances, si, ça arrive qu’avec des psychotiques on soit obligés d’aménager. Ça aussi, par exemple, il faudrait trouver quelqu’un qui va parler aussi, parce que moi, ce qui m’a vraiment beaucoup touchée, c’est les collègues qui nous disaient, des autres écoles : « on va névrotiser les psychotiques. » Je dois dire que j’ai assez payé là-dessus pendant trente ans dans le secteur. C’était évident ! Ça a fait beaucoup de dégâts, mais arriver à faire en sorte de la normalisation du psychotique, ce n’est pas simple non plus. C’est vrai que ça demande beaucoup de séances parfois, beaucoup de présence, mais certainement pas les habitudes habituelles de l’analyste. Moi, la psychotisation de la société, très peu pour moi.

 

A.J. : C’est assez radical ta conclusion, c’est pour ça que je t’interpelle là-dessus.

 

P.BF. : Ce que je pense c’est qu’actuellement il y a une modification du langage à prendre en considération.

 

A.J. : Oui je partage ton souci.

 

P.BF : Par exemple la numérisation. Le fait par exemple que tous ceux qui s’occupent de l’édition soulignent que les enfants ont beaucoup de mal à lire.

 

A.J. : Je partage, Pascale, ton souci, ce que tu appelles la misologie, la haine du logos, ce que l’on peut voir comme la haine du langage, ce à quoi nous assistons aujourd’hui par plusieurs biais, ce que j’appelle moi l’éviction de la métaphore et de la métonymie, tout cela, ça peut venir poser des problèmes dans notre travail et nous savons combien aujourd’hui, ce n’est  des fois pas évident de faire entendre un lapsus, un acte manqué etc, c’est réfuté tout de suite. Ce qui me fait dire que ta conclusion est radicale, c’est quand tu questionnes le retour à un réel réductible à la signification.

 

P.BF. : Si tu veux, un discours de communication, ça veut dire quelque chose ça ? Que ça soit complet, c’est surtout ça le problème. Delorme ( ?) vient de mettre en place le centre du cerveau. Il y avait « Petite fille », et puis maintenant c’est le centre du cerveau. Est-ce que l’être parlant est réductible à son cerveau ? On a fait des journées sur les neurosciences qu’il ne faut vraiment pas oublier. Relisez vraiment François Gonon, c’est extraordinaire, c’est certainement un des livres des cinquante dernières années, c’est pas long, deux cent soixante pages, n’hésitez pas à le lire et à le faire lire partout, c’est quelqu’un de très sérieux, c’est pas un capitaliste lui, ça c’est sûr. Il ne faut pas oublier ce qui s’est passé avec François Gonon quand Patrick Landman l’a invité. Je l’ai répété plusieurs fois, dans toutes les écoles d’analystes on était tous là comme auditeurs, L’école de la cause, Espace Analytique, tout le monde était là. Thomas Missel, sur le chemin d’Obama, voulait – dans l’ignorance totale de ce qu’avait été la psychiatrie française, allemande et la psychothérapie institutionnelle –  introduire que pour le sujet il allait falloir faire du psycho-social et il venait vendre son bouquin. Mais heureusement François Gonon lui dit « Dites-moi, Monsieur Missel, pourquoi, – alors que ce Monsieur Missel a eu des milliards et des milliards des États-Unis –  pourquoi le 22 février 2022 vous avez écrit dans le New-York Time qu’il faut qu’on vous donne trente milliards pour les neurosciences » ?  Qu’est-ce qu’a répondu Thomas Missel ? « On n’a rien découvert mais on va découvrir peut-être un jour ».

Cet homme est tout à fait étonnant de naïveté, d’incurie totale. Il n’avait même pas idée des choses qui vont se passer. Par exemple, comment faire avec la xénopathie, si le langage est transparent ? Comment régler ça ? Clérambault, les voix hautes, l’automatisme mental, comment ? Alors évidemment cet idiot de Missel ignorait totalement la psychiatrie des aliénistes, et il ignorait même, parce que ça lui a été posé comme question, s’il avait connu la psychothérapie institutionnelle. C’est pour dire, la forclusion, elle est radicale. Alors lui il voulait vendre du psychosocial à la Obama tout à fait appréciable. C’est plutôt ça le sens de ce qui s’inscrit, on a Delorme qui nous fait l’institut du cerveau, fondamental, qui manie son œuvre.

 

A.J. : Peut-être que vous avez des questions dans la salle ?

 

X : Je reviens au début du propos à propos de la poésie, en fait Lacan dit « je ne suis pas pouâte assez. » Que verrais-tu comme écart entre pouâte et poète ?

 

P.BF. : Je vais vous rappeler quelque chose, lisez le texte magnifique d’Esther Tellerman sur cette question, elle va sortir son bouquin en avril. Je ne peux pas me mettre à dire ce qu’elle a dit là-dessus. Évidemment il n’a pas dit poète, il n’a pas fixé, actuellement on a tendance à vouloir fixer les signifiants, les semblants. Enfin c’est comme ça que je le vois.

 

M.X : Peut-être, je n’ai pas la réponse.

 

P.BF. : Si tu lis Biffures de Michel Leiris qui raconte comment les enfants parlent, comment les mots arrivent avant de se situer dans un langage humain comment la parole, dit-il, a créé le malaise dans le langage, voilà à peu près ce que dit Lacan. Les enfants nous font assez de moments de poésie ou d’invention. Cette petite qui a dit « divorçage », je trouve que c’était extraordinaire, c’est une création. Elle parlait de l’aliénation dans laquelle elle était mise, elle risquait d’être mise, avec ses mots.

 

B.V. : Tu n’as pas répondu tout à fait à : Pourquoi il dit pouâte ?

 

P.BF. : Il l’a repris à Laforgue aussi.

 

B.V. : Est-ce qu’il n’y a pas un petit côté de … pas de dérision ? Mais c’est pas de poésie tout à fait dont il s’agit quand même, il ne s’agit pas de faire beau.

 

P.BF. : Oui, Lacan à un moment dit poésie, il ne faut pas l’oublier, il dit pouâte aussi parce qu’il a repris le texte de Laforgue.

 

M.X : C’est Leon-Paul Fargue.

 

B.V. : Il dit poète.

 

M. X : Je n’ai pas d’idée précise mais ça dit quelque chose de ce que lui entend par poésie ou pouâsie, c’est un écart par rapport à ce qu’il y aurait de solennel dans la poésie. Mais ça écarte beaucoup de poètes que nous considérons énormément, donc c’est pas rien quand il dit ça.

 

P.BF. : Je ne veux pas faire de la littérature ce n’est pas du tout mon orientation. En revanche, entre S1 et S2, l’écart là, l’écart de jouissance là n’est pas fixé, il ne se fixe pas. A l’heure actuelle d’ailleurs, parce que là j’ai pas parlé du transgenre, je ne sais pas si je veux intervenir dans ces trucs-là, dans le transgenre, avec cet écart qui essaye de se creuser entre ces semblants, s’ils font semblant ou pas, si c’est possible que ça fasse semblant, parce que ça, c’est véritablement une question, parce que l’écart là est quand même …

 

A.J. : Bernard tu voulais dire quelque chose ?

 

B.V. : Oui, mais alors une bêtise. Pourquoi tu as dit qu’il ne fallait pas interpréter l’acting out ? Il y a toutes sortes d’acting out, il y a la jeune homosexuelle qui parade devant le quartier du père avec son homosexuelle, c’est un acting out qui n’est pas adressé. L’homme aux cervelles fraiches, je ne sais pas mais peut-être que l’analyste aurait pu en dire quelque chose quand même, je ne vois pas en quoi c’est inanalysable. Je dis ça parce que quelquefois on dit des choses.

 

P.BF. : Czermak et Dissez ont beaucoup repris cette affaire-là. N’empêche que ces petites anorexiques, tu leur dis : « Écoutez, ma cocotte, vous êtes en train de récuser le phallus », et  leur démontrer, je peux t’assurer que, vas-y !

 

Jean-Marie Forget : C’est surtout sur ce point, quand Pascale dit qu’on n’interprète pas l’acting, c’est tout à fait juste pour une raison très simple, c’est que l’acting c’est la mise en scène de la division subjective sur laquelle le sujet n’arrive pas à compter, sous la forme du déni, il ne veut pas reconnaitre ce qu’il montre de lui-même. Et donc le temps préalable c’est d’assurer le sujet qu’il y a du répondant, c’est-à-dire que la structure langagière de l’autre à qui il s’adresse va se révéler fiable. Ultérieurement il pourra prendre la parole, mais dans l’immédiat, on ne peut pas le faire parce que si on interprète, on récuse ce qu’il est en train de mettre en scène et on le fait passer à l’acte. Toute la pratique qu’on a développée avec les jeunes notamment, l’illustre bien, il ne s’agit pas de ne pas identifier le sens. Je vous rappelle l’histoire du père qui me demande s’il doit sanctionner son fils qui lui a volé du haschisch, ça va être dans un déni et le gamin ni le père ne vont pouvoir reprendre ça dans un sens précis. Il s’agit de réintroduire la fiabilité de la parole chez un interlocuteur et dans l’échange et le travail analytique, pour qu’ultérieurement on puisse reprendre les choses mais pas dans l’immédiat, c’est deux temps logiques absolument différents.

 

B.V. : Oui parce qu’il faut distinguer l’acting out qui n’est pas adressé à priori et celui qu’un analysant vient dire dans la cure comme là, « Écoutez en sortant j’ai l’habitude de … », c’est tout à fait autre chose.

 

J-M.F. : Oui Bernard, tu as tout à fait raison, la différence, la difficulté qu’il y a eu à travailler sur ces questions-là, c’est que, si on les prend dans le cadre strictement de la cure, justement, c’est un ratage de la cure, mais ce qu’on constate actuellement dans la clinique, dans ces acting structurés comme tel, toujours structurés de la même manière, c’est bien une difficulté du sujet de se reposer sur sa division subjective. Ce n’est pas quelque chose qui serait une erreur de l’analyste, c’est pas ça, c’est plutôt le discours social qui est inconséquent, ça a des effets de susciter des acting out. Et on sait bien que dans les institutions on est très embarrassé quand des sujets font des acting parce que ça saute aux yeux le sens, et il s’agit de la fermer et d’attendre d’introduire une fiabilité de la parole pour pouvoir tirer quelque chose de ces manifestations. Sans ça on loupe le coche et en plus on génère dans les institutions des passages à l’acte, à tous coups.

 

Nicole Roth : Me vient l’idée, en fait, je m’interroge beaucoup sur, j’entends certaines personnes dire qu’il n’y a pas de métaphores, excusez-moi, je rebascule sur tout ce qu’on a parlé, la poésie, la lalangue etc. et qu’il n’y aurait pas de métaphore dans la lalangue.

 

P.BF. : Dans quoi ?

 

N.R. : Dans la langue, comme la langue française, il y a des langues, pas dans la langue française, je veux dire juste la langue. Il y aurait des langues où il n’y aurait pas de métaphore, et moi je suis un peu surprise parce que je me dis que c’est le sujet qui se saisit ou pas de la métaphore, c’est pas une langue. Je voudrais savoir ce que vous en pensez. Comme la métonymie, ce n’est pas une langue qui se saisit de la métonymie.

 

P.BF. :Je crois qu’il y a une confusion, quand j’ai parlé de démétaphorisation, quand j’ai parlé des anorexiques qui me disent, « Je m’abstrais », « Je me sens abstraite », qui s’éliminent, comme disait Mondrian, qui se dénaturalisent, c’est une phrase de Mondrian sur l’abstraction, que Lacan reprend dans un séminaire en disant que l’abstraction c’est une démétaphorisation, c’est la manière de rendre cadavérique le langage, le discours, c’est bien ce qu’on a, c’est-à-dire d’enlever l’éros, le jeu érotique entre les mots. C’était plutôt ça que je voulais dire, moi.

 

N.R. Oui ce n’était pas par rapport à ce que vous avez dit, mais c’est parce que vous avez dit ça que du coup je dis ça, c’est-à-dire, je vais prendre le cas du créole. J’entends qu’on dit que dans le créole il n’y aurait pas de métaphorisation, et moi je ne comprends pas parce que je ne vois que de la métaphorisation et que pour moi la métaphorisation se fait pour l’individu qui s’en saisit ou pas de cette équivocité, il s’en saisit ou pas, pas une langue en elle-même. C’est comme le signifiant, c’est de l’autre côté de la linguistique, c’est du côté de la psyché. Donc je ne vois pas comment une langue ne pourrait pas être métaphorique et c’était là ma question, est-ce qu’une langue peut être métaphorique, ne pas être métaphorique, pardon. Le discours d’un sujet, OK, mais une langue d’une communauté, ça me parait compliqué, et j’aurais voulu avoir votre avis là-dessus.

 

P.BF. : Je n’ai vraiment aucun savoir.

 

A.J. : Oui une langue sans métaphore ! (En réponse à ce que dit quelqu’un dans la salle « ça n’existe pas.)

 

Nazir Hamad : On entendait, il y a quelques années de ça des germanophones qui disaient, contrairement aux autres langues, il n’y a pas de métaphorisation dans la langue allemande, c’est une langue rebelle à la métaphorisation, je l’ai entendu moi-même des germanophones. J’avoue que je les entendais affirmer des positions comme ça, mais je n’ai jamais compris ce qu’ils voulaient dire, où ils voulaient aller pour expliquer la différence de la langue allemande des autres langues. Ça, je l’ai entendu et ce que vous avez dit me rappelle cette position de collègues germanophones. Voilà.

 

P.BF. : Ça me fait penser aux difficultés de traduction qu’a eu Mme Butler. Mme Butler elle nous a dit son symptôme sur le gender : je suis allemande, je suis juive, je parle anglais et je ne sais pas ce que ça veut dire, le mot sexe. Elle en a fait un symptôme, le gender. Effectivement c’est ce que dit Lacan, il en parle beaucoup dans Le moment de conclure (1). Ce qu’il dit, le mot traduire on devrait le métalanguer, il faudrait trouver un autre mot, métalanguer pour traduire, ça me parait quelque chose comme ça, pourquoi elle s’est mise à dénier, étant allemande, juive, et queer, et queer surtout.

 

Stéphane Thibierge : Je voudrais te dire merci Pascale, pour cet exposé vif et qui nous fait entendre un certain nombre de points difficiles de la tendance de l’époque à aller vers la signification et à fermer tout ce qui ressemble à quelque chose de l’ordre du dire. Mais pour revenir à la remarque de Madame à l’instant, évidemment une langue elle est forcément métaphorique, puisque sinon on ne voit pas comment dans cette langue on pourrait parler.

Et Ferdinand, comment ça va Ferdinand ? Pour reprendre ton joli titre, Ferdinand il a commencé quand même par nous expliquer dans son cours, c’est la base de la base de son cours, que le langage n’est absolument pas homogène, y a des signifiants qui flottent , y a du signifié qui court, un espèce de magma informe qu’on appelle notre pensée, et que cette pensée ne peut trouver un peu d’articulation que si celui qui parle, le locuteur, s’il prend appui sur un signifiant pour aller cliquer un effet de signifié, lui-même ne pourra s’articuler qu’en reprenant appui sur du signifiant, et ces deux courants qui courent, signifiant et signifié, ne sont absolument pas homogènes. Et le même Ferdinand dira, ça c’est après, il ne l’a pas dit mais il l’a écrit dans un bouquin formidable, paru au début des années 2000, La double essence du langage (2), le langage n’est absolument pas homogénéisable. En tous cas merci pour ton stimulant exposé.

 

P.BF. : C’est un outil ou c’est pas un outil le langage ?

 

S.T. : C’est pas un outil.

 

P.BF. : On est d’accord, c’est ce que dit Lacan, c’est une phrase de Lacan.

 

S.T. : Oui c’est provocateur mais le langage n’est évidemment pas un outil.

 

P.BF. : C’est d’ailleurs ce qu’il a dit à Chomsky.

 

S.T. : Oui, pour Chomsky c’est un outil.

 

P.BF. : Voilà, c’est ça, il est allé voir Chomsky pour lui dire qu’il n’était pas du même tonneau.

 

A.J. : Mais Pascale, quand j’ai commencé à te demander « comment ça va Ferdinand ? » c’était dans cette optique-là, comment ça va Ferdinand aujourd’hui ?

 

P.BF. : Oui, bien sûr, c’est pour ça que j’ai posé cette question.

 

A.J. : Parce que c’est vraiment le souci.

 

Jeanne Wiltord : La question qu’a posée Nicole Roth m’intéresse parce que c’est la question de la langue créole. C’est compliqué ce soir d’y répondre si on ne prend pas en compte les conditions de naissance de cette langue. Voilà, c’est ce que je voulais dire pour l’instant, il y a beaucoup à dire, c’est une langue qui nous met dans un processus de colonisation avec une violence extrême, et dans la rencontre entre des patois et des restes d’une langue perdue, de langue perdue. C’est compliqué, on ne peut pas parler du créole comme on parle du français ou de l’allemand, c’est autre chose, il y a à travailler là-dessus sérieusement, ça fait une langue, c’est une langue.

 

N.R. : J’ai posé cette question parce que j’ai fait sciences du langage pendant cinq ans, j’ai travaillé dessus, mais du point de vue linguistique, donc forcément, ça vient m’interpeler. C’est pour ça que j’ai bien demandé s’il s’agit … j’ai écouté un petit reportage, Lacan parle pendant 14 minutes justement sur la métaphore et j’ai écouté ça plusieurs fois, alors que c’est très difficile pour moi d’écouter Lacan, je préfère le lire que l’écouter, je l’ai fait, j’ai fait cet effort, et franchement j’en suis venue à cette réflexion, le sens métaphorique que l’on met en psychanalyse concerne le sujet mais pas la langue. Donc la métaphore est bien présente pour moi.

 

J.W. : Écoutez Nicole, si vous voulez, on pourra reprendre cette question.

 

N.R. : Oui, mais c’est vraiment une question, en fait je parle de toutes les langues, même si le créole …

 

J.W. : Je crois que ce n’est pas par hasard si c’est vous qui avez articulé quelque chose entre la langue créole et lalangue en un mot.

 

Louis Sciara : Ma question porte sur l’interprétation, la question de l’équivocité, parce que, pour moi, ce que je peux constater dans ma pratique d’une trentaine d’années d’analyste, c’est que la plus grande difficulté, je parle des plus jeunes générations mais pas seulement, c’est que déjà les sujets donnent crédit à leur dire, à leurs propres paroles. Avant d’en arriver à un cheminement où les sujets en question, qui viennent malgré tout pour des difficultés, prennent au sérieux leur propre dire, et que ça résonne au point d’en arriver à faire entendre dans un moment où ils disent quelque chose qui est équivoque, qui a son importance, puis quelque chose plus raisonné, là il y a quelque chose, il y a souvent un temps assez considérable. Je trouve que ça, ça s’est vraiment accentué.

 

P.BF. : Je suis d’accord, c’est pour ça que j’ai parlé de l’interpellation, c’est-à-dire l’importance aujourd’hui d’interpeler sur la parole, le dire, « vous dites ça », c’est des choses qu’on n’avait pas l’habitude de faire, dans les différents dispensaires où j’ai travaillé.

 

L.S. : Ça prouve qu’il y a une position du psychanalyste qui doit prendre en compte cette façon d’interpeler pour que la personne qui parle vienne prendre appui sur son propre signifiant à ce moment-là, et je trouve que c’est pas facile parce que ça peut faire fuir des personnes, c’est tout un travail de maniement délicat. C’est un point qui, à mon avis, avec les sujets névrosés actuellement, qui nécessite beaucoup de temps préliminaire je dirais.

 

B.V. : Je pense que c’est lié à ce que le langage est réduit à l’information, le langage est réduit à un outil d’information. C’est ça qui se passe, parce qu’on est envahi d’informations. Et très souvent la personne qui donne l’information se garde bien de dire en son nom quelque chose. Très souvent les gens pensent qu’il suffit d’apporter des informations et que ça, ça serait parler. Ce n’est pas parler, et ça prend du temps pour dire.

 

P.BF. : On aurait le droit de penser en quoi la parole appartient au traumatisme, comment parler est traumatisant, et quel est le traumatisme des sujets puisque nous sommes marqués dans des imaginarisations de victimisation, je voulais en parler, la victimisation actuellement qui rend difficile l’interprétation subjective.

 

 

  1. Le temps logique ou l’assertion de certitude anticipée.
  2. L’article s’intitule ‘L’essence double du langage’.

 

 

 

Trancription de Dominique Dallemagne