Discussion de la leçon 2
11 février 2022

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COLLECTIF
Séminaire d'été
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Préparation au Séminaire d’Été 2022 – Étude du séminaire X de Jacques Lacan
L’Angoisse
Éditions de l’Association Lacanienne Internationale
Juillet 2021.

Mardi 05 octobre 2021

 

Leçon 2 présentée par Stéphane Thibierge
Discutant Marc Darmon

 

Stéphane Thibierge Il me reste combien de temps ?

Mathilde Marey Semper – Moins de deux minutes… Rires

Stéphane Thibierge Alors j’arrête, je me tiens à la règle.

Mathilde Marey Semper – Oui, alors peut-être que Marc [Darmon] aura l’occasion de relancer les points manquants.

Stéphane Thibierge Oui, oui. Donc voilà j’ai essayé de dire ce qui me semblait le principal.

Marc Darmon – Merci. Tu as parfaitement éclairé cette leçon et montré comment l’objet a, en fait c’est une leçon inaugurale pour l’objet a, c’est-à-dire comment il apparaît en se distinguant de i(a) justement. Et Lacan en vient à dire que l’objet a, c’est lui qui désire.

Stéphane Thibierge C’est ça.

Marc Darmon – C’est–à-dire, c’est l’objet qui est premier. 

Alors aussi la façon que tu as de distinguer la dialectique hégélienne du travail de Lacan, ça c’est remarquable, comment il situe cette dialectique hégélienne du maître et du serviteur d’une façon à montrer strictement ça n’a  qu’une lointaine ressemblance, puisque chez Hegel il s’agit pour les consciences qui sont consciences d’elles-mêmes, d’obtenir la reconnaissance de l’Autre et je dois dire la reconnaissance de l’Autre à partir de ce débat, c’est impossible puisque la conscience n’est conscience que d’elle-même. Donc il faudrait que cette conscience sorte d’elle-même pour reconnaître l’Autre. Et puis on est au niveau de consciences alors que chez Lacan c’est des inconsciences.  Évidemment. Des inconsciences.

Pierre Christophe Cathelineau – Ce sur quoi tu as insisté à juste titre, Stéphane [Thibierge], c’est que le désir de grand A, c’est un désir de A non barré chez Hegel.

Stéphane Thibierge C’est ça, c’est un savoir absolu.

Pierre-Christophe Cathelineau – C’est un savoir absolu…

Stéphane Thibierge que l’esclave s’emploie à maintenir complet. C’est d’ailleurs pour ça qu’il parle de perversion je crois.

Pierre-Christophe Cathelineau – Exactement, et ça c’est un point essentiel parce que le fait qu’il clôture la formule par désir de A barré, donne un sens à ce qu’il en est de cette Autre troué par la castration et qui est absent littéralement de La phénoménologie de l’esprit.

Stéphane Thibierge Totalement.

Pierre-Christophe Cathelineau – absente de La phénoménologie de l’esprit. C’est-à-dire qu’on a toujours une consistance de l’Autre qui n’est pas troué.

Stéphane Thibierge Absolument.

Julien Maucade – À partir du schéma que tu as repris, c’est-à-dire le sujet pose la question de ce qui manque chez l’Autre, puisque tu évoques la question de l’enseignement et du savoir, Lacan à l’époque, il s’adresse à des freudiens et l’embarras, il me semble, c’est comment éclairer la question qui n’est pas claire dans le texte de Freud et qui est, est-ce que l’angoisse de castration vient de la fusion avec la mère ou de la séparation avec la mère. Et c’est pour ça qu’il est embarrassé.Comment transmettre ce savoir à ceux qui ne peuvent pas savoir à l’époque ?

Stéphane Thibierge Oui tu as raison d’évoquer ce point, simplement ce que je trouve fort et très intéressant pour nous dans l’articulation de Lacan, c’est qu’il ne fait pas de ce non-savoir, un non- savoir substantiel qui porterait sur des contenus, tu vois, il fait de ce non-savoir, un non-savoir nécessaire et c’est vrai que c’est à ça que nous avons affaire dans notre rapport à l’enseignement en tant qu’analyste. C’est pour ça d’ailleurs que je trouvais que cette deuxième leçon venait à point nommé pour nous éclairer nous-mêmes dans notre rapport à l’enseignement.

C’est toujours à reprendre ces choses-là parce que, comme vous le savez, et nous en faisons tous l’ expérience à un moment ou à un autre, tout enseignement a tendance à se fermer et Lacan ici, on peut dire, que dans cette deuxième leçon, alors je ne sais pas quelles réactions il a reçues après sa première leçon, mais dans cette deuxième leçon je trouve qu’il enfonce le clou et avec en même temps beaucoup de tact, c’est-à-dire qu’il ne se laisse pas du tout dérouter de son chemin mais il rappelle quelques vérités premières. Et j’ai essayé de dire celles qui me semblaient les plus importantes, il y en a une autre qui est très importante. Il dit « moi je vais tenter… », c’est rare que Lacan dise cela, « je vais tenter à partir de notre expérience de vous faire passer quelque chose dans le registre du faire comprendre. » C’est important de l’entendre aujourd’hui, nous, parce qu’on est dans un contexte culturel où plus personne, ou très peu de gens, à l’extérieur de nos cercles, est en mesure de lire et d’entendre quelque chose à Lacan. Là il dit, « je vais tâcher d’aller vers quelque chose de l’ordre du faire comprendre ». C’est en toutes lettres mais il dit « je vais le faire en sachant très bien que c’est le fourvoiement possible, toujours régulièrement récurrent de la psychologie. Donc j’essaierai de le faire d’une manière qui ne tombe pas dans ce travers et… »

Bon, il y arrive parce que ces formules à la fin… Et puis là il y a la fin de la leçon qui est vraiment extrêmement féconde quand il dit, en revenant à l’histoire hégélienne, quand il dit la formule habituelle de la reconnaissance du désir dans son rapport à l’Autre c’est « je t’aime même si tu ne le veux pas ». Bon ça c’est la formule lourde, comme on dit maintenant c’est quand même relou quand on a affaire à quelqu’un comme ça, « je t’aime même si tu ne le veux pas ». Mais c’est effectivement la reconnaissance d’une conscience exigée de l’autre conscience. Aujourd’hui je dois dire que par rapport à 1962 quand Lacan disait cela, on a fait beaucoup, beaucoup… Je n’ose pas dire de progrès parce que ce n’est pas vraiment un progrès mais on va beaucoup plus loin dans le face-à-face meurtrier dans le domaine du désir, entre notamment les hommes, les femmes, enfin… on va encore beaucoup plus loin dans une exigence de reconnaissance qui est violente et qui est beaucoup plus violente encore qu’à l’époque de Lacan.

Ce qui rend la fin de cette leçon salutaire, parce que tout ce qu’il dit à la fin, quand il dit « je vais vous donner une petite recette » pour capturer justement l’objet du désir, le problème c’est que cette recette, je peux vous l’articuler mais elle n’est pas articulable, ce n’est pas parce que je vais vous la donner que vous allez pouvoir en faire des propos qui vont livrer l’Autre à votre filet comme ça de désir.

Mais il y a quelques formules qui sont très éclairantes, très belles, très fortes. « Je te désire même si je ne le sais pas » premier point. Et deuxième point « Je t’identifie toi à qui je parle, toi-même à l’objet qui te manque à toi-même ». C’est vrai que ça fait un peu vaciller mais c’est à l’épreuve de ce dont il s’agit, c’est vrai ça. Simplement c’est moins brutal et moins bête, il faut bien le dire que la demande d’amour ou le désir exigé comme ça dans la forme de la reconnaissance.

Bernard Vandermersch – C’est une formule qui est supposée déclencher le désir de l’Autre.

Stéphane Thibierge – Voilà.

Bernard Vandermersch – Parce que je voudrais te questionner sur justement cette étrange façon de dire, c’est l’objet qui désire, qui est désirant. Le désir de l’objet… À vrai dire on pourrait penser que c’est un désir pour l’objet. Mais là il entend le désir au sens, comme on dit en grammaire, subjectif. Comment entendre à la fois que cet objet est cause du désir et qu’il serait en même temps le désirant dans l’Autre, enfin dans l’Autre. Est-ce que ça veut dire simplement que dans la mesure où l’Autre est une sorte, j’allais dire, de fiction, c’est quand même le lieu de l’Autre, mais que nous n’y avons accès affectivement, par l’affect, que par la dimension de l’objet, que c’est pour ça qu’on peut dire que l’objet désire ?

Stéphane Thibierge Si je puis me permettre, on y a accès par l’affect mais on y a affaire aussi logiquement, c’est-à-dire que A divisé par S, donne S barré qui produit dans la colonne de droite l’inconscient, un savoir faillé si je puis dire et qui produit nécessairement de l’autre côté le petit a qui va être le support effectif du désir du sujet, c’est-à-dire le désirant, c’est désir de petit a, c’est petit a qui désire, petit  a, c’est le reste du sujet dans l’Autre. Et ce reste, tout notre travail, je pense, consiste, enfin part de là.

Bernard Vandermersch – Ce n’est pas tout à fait la même chose de dire que l’objet petit a est mis en place de cause du désir, c’est-à-dire que c’est l’interprétation en quelque sorte du désir de l’Autre, et de dire que c’est lui qui désire. D’ailleurs on peut peut-être cliniquement avoir une petite idée de cela, dans la phobie où l’objet peut se présenter comme dans l’histoire de Thomas l’obscur. Mais ça me semble un peu difficile d’avoir les deux choses dans la main, à la fois comme cause du désir et en même temps que c’est lui qui serait désirant.

Stéphane Thibierge Je pense que tu as raison de poser la question, elle est très questionnante mais elle est stimulante aussi et elle rejoint des formulations de Lacan, où, je cite de mémoire, je ne sais plus où c’est, mais quand il dit que en fait quand il s’agit de désir, Je, dit-il, parle petit a. Ce qui fait vaciller un peu quand même.

Bernard Vandermersch – On voit bien que chacun a son style, hein, et que le style est vachement déterminé par le type d’objet qui cause l’affaire.

Stéphane Thibierge Bien sûr, bien sûr.

Bernard Vandermersch – Mais enfin entre ça et le dire de cette formule que je trouve assez choquante que cet objet… Pourquoi ce n’est pas S barré qui désire ?

Stéphane Thibierge Non ce n’est pas S barré

Bernard Vandermersch – Parce que S barré, il aurait de quoi désirer, il n’a même pas d’être. Il pourrait désirer au moins avoir un être, d’ailleurs c’est bien pour ça qu’il y a un objet a, ça lui sert de substitut. Moi je mets quand même le désir du côté de ce pauvre malheureux qui n’a d’autre existence au monde que de se parer d’une merde ou d’un regard ou de…, tu vois. C’est parce que j’ai un autre Lacan qui me vient.

Marc Darmon C’est ça, il y a peut-être un tournant.

Bernard Vandermersch – Oui. Mais bon je trouve que c’est très stimulant comme tu dis de situer le désir même dans l’objet.

Stéphane Thibierge Il me semble, oui.  En tout cas c’est ce à quoi invite Lacan dans ce séminaire. Il y a aussi une chose qui m’est venue en préparant ce soir, c’est tout bête, c’est que l’enchaînement, enfin, la suite des titres des séminaire de Lacan, L’Identification, l’identification à mais aussi bien l’identification de, puisque c’est une différence à laquelle je suis sensible, mais je ne suis pas le seul. L’identification de, il va identifier l’objet a dans l’angoisse et c’est ça qu’il appelle l’angoisse, au moment où il identifie, juste après L’identification, vient, comme vous l’évoquiez, du côté du sujet, l’angoisse. L’identification de l’objet petit a, elle est tout à fait proche du séminaire l’identification, c’est dans le sillage. C’est là que l’angoisse surgit.

Valentin Nusinovici – La question du désir, elle est, j’ai l’impression d’après l’écriture, d’avant l’objet dans l’Autre. Parce que Lacan n’écrit pas d’appui sur a dans sa formule pour le désir de l’Autre. J’ai l’impression que la question du désir de l’Autre, elle est d’avant, elle est, je ne sais pas comment le dire puisque le sujet, justement lui, pour répondre à cette énigme, il va l’y mettre cet objet petit a. Mais J’ai été frappé par cette écriture-là, que justement il n’y est pas.

Stéphane Thibierge Non.

Valentin Nusinovici – Il n’y est pas, on a que le trou.

Stéphane Thibierge Exactement.

Valentin Nusinovici – Que la barre

Stéphane Thibierge Cette écriture, laquelle Valentin ?

Valentin Nusinovici – La deuxième ligne

Stéphane Thibierge Oui c’est ça.

Valentin Nusinovici – Tandis que quand il écrit la formule hégélienne, il appuie ce A non barré, enfin moi j’ai une vieille édition, je n’ai pas réussi à avoir la nouvelle encore, il appuie ce A non barré sur un petit a

Stéphane Thibierge C’est ça.

Valentin Nusinovici – Mais pas, mais pas pour la sienne

Stéphane Thibierge Non

Valentin Nusinovici – Ce n’est pas petit a qui désire dans l’Autre primordialement et quand il y sera, il désirera pour le sujet. Il sera la cause de son désir au sujet. Quand il en aura fait, comme il le dira plus loin, « le transport dans l’Autre. » Parce que cette écriture-là, ce tableau dont tu as parlé, il peut ne pas aboutir tout à fait si je me souviens bien des leçons suivantes. Enfin on en reparlera la prochaine fois, il ne va pas forcément jusqu’au bout j’ai l’impression de la division ou en tout cas il y a cette place du petit a puisqu’il va dire le névrosé lui il a fait le transport de ce petit a dans l’Autre et ce que j’ai compris moi que le pervers lui ne l’avait pas fait. En tout ça, il a à le faire, enfin c’est ma lecture pour le moment, donc c’est mobile tout ça.

Stéphane Thibierge Oui mais enfin la division que j’ai marquée à l’écran là, c’est une division sur laquelle Lacan s’appuie dans tout le séminaire.

Valentin Nusinovici – Oui oui je suis tout à fait d’accord, c’est à ça que ça aboutit mais je trouve que le texte d’une des leçons suivantes justement la montre en chemin si tu veux.

Stéphane Thibierge Oui, oui

Bernard Vandermersch – Valentin [Nusinovici], ça voudrait dire quoi, que le névrosé situe par exemple le regard dans l’Autre et donc se vit dans l’angoisse de ce regard éventuellement alors que du côté du pervers, si je te suis, c’est lui, sans angoisse, il procéderait, ou alors je ne sais pas si c’est avec une angoisse quelconque, il procéderait dans une scène à la restituer à l’autre alors que jusque-là, il n’aurait pas fait cette interprétation, ce transport…

Valentin Nusinovici – Mais oui c’est pour ça que tu disais très bien tout à l’heure, que lui il peut angoisser, parce que lui son but, c’est de t’extraire cet objet pour le placer dans l’Autre. C’est bien ça, c’est bien pour ça qu’on est angoissé éventuellement par le pervers parce qu’il s’agit pour lui d’extraire cet objet de son interlocuteur ou d’un petit autre, éventuellement de l’analyste à l’occasion s’il se laisse faire. Pour comme il le dit, d’une façon que je trouve formidable, pour s’offrir loyalement à la jouissance de l’Autre. Je trouve ce loyal qui viendra dans une des leçons ultérieures, tout à fait savoureux et en même temps structuralement on sait pourquoi il le dit, mais c’est quand même très intéressant puisque…

Mathilde Marey Semper – Oui. Est-ce que peut-être nous aurions des collègues sur le Zoom qui souhaiteraient réagir, poser des questions, faire des remarques avant qu’on s’arrête ?

Ou d’autres collègues dans la salle aussi également ?

Bon, écoutez s’il n’y a pas d’autres questions, je vous propose qu’on s’arrête là pour ce soir alors.

Merci Marc [Darmon] et Stéphane [Thibierge] pour vos exposés et merci pour vos réactions. Bonne soirée. Au revoir.

Transcription Véronique Bellangé

Relecture Érika Croisé Uhl, Dominique Foisnet Latour