La journée de travail proposée par le JFP, Destruction de la psychiatrie, disparition du citoyen ? est d’une pertinence remarquable. En attendant la publication des journées, a-l-i.org/freud vous donne un avant-goût de ce formidable week-end de travail.
Unétat de lieux rigoureux a montré la despécification actuelle de la pratique psychiatrique par le contrôle exercé par la logique administrative, inscrit dans le discours de la « modernité ».
Une lecture critique du rapport de mission « Piel-Roelandt« , décrit ces nouvelles modalités de prise en charge prônées par un esprit gestionnaire, et ne laisse rien présager de bon.
Le rappel renouvelé, et toujours bienvenue, des coordonnées qui régissent notre clinique, celle des lois de la parole, a démontré les effets pervers qui résultent de leur non-respect.
Plusieurs collègues psychiatres ont ainsi démontré la nécessité de mettre ces questions au débat, à partir d’angles divers.
Sur le démantèlement actuel de la clinique, Czermak a rappelé que son « mentalement » est constant au JFP, Les travaux de collègues s’appuyant sur « le monument » (C. Jeangirard) de la clinique psychiatrique française en démontrent la persistance.
Rappelons que le JFP est une publication scientifique qui, pour préserver la rigueur de sa position, est uniquement financée par ses abonnements.
Destruction de la psychiatrie, disparition du citoyen ?
L’hygiénisme prophylactique ambiant réalise une promotion : pivotant de la psychiatrie à la santé mentale, les psychiatres seront dorénavant des santémentalistes par décret.
Nul n’ignore cependant et les praticiens, comme les politiques sont bien placés pour le savoir qu’il est rare que l’on puisse atteindre soi-même cette bonne santé, publique au demeurant, que l’on ne cesse de prôner pour son prochain. Serait-ce par contrainte psychologique ou par corps.
On s’étonnera qu’une lettre de mission, qualifiant leurs tâches par anticipation, dépossède les praticiens de leurs responsabilités légitimes, et mandate pour faire passer la pilule certains de leurs collègues. Ils en seront assurément remerciés, cependant que passera à la trappe ce qui est notoire : que la psychiatrie dans son long effort tâtonnant d’élaboration est d’abord fabriquée et définie par les psychiatres, même si certains cèdent sur leur discipline pour placer des écrans entre leurs malades et eux-mêmes.
Ô dire à un savant ce qu’est sa mathématique, quand la charge de son écriture et des problèmes qui en découlent, lui revient ? On sait le prix que certains payèrent.
On peut rêver à des magiciens qui, devant les graves difficultés ambiantes, lèveraient nos hypothèques par la simple vertu de leur idéologie et de la place d’où ils hypnotisent. On sait qu’il n’en est rien. Mais il n’est pas sûr que le baquet de Mesmer ait fait son temps.
Destruction de la psychiatrie : une clinique et des praticiens en voie de disparition, comme tous le reconnaissent, substitués par les normes d’un pseudo-savoir statistiquement préétabli qui laisserait accroire que nous tenons le bon bout pour peu que la longe ne soit pas trop courte.
Une science, légitime, bafouée par une économie à laquelle elle s’est soumise pour obtenir fonds et reconnaissance. Et, du coup, en régression spirituelle.
Une psychanalyse affrontée à des exigences évaluatives dont les critères, externes à son champ, ne peuvent que la discréditer en même temps que le lieu même d’où ces critères s’originent : celui de la névrose contemporaine, serait-elle celle de l’action publique.
Une république doit quand même répondre à cette petite demande : veut-elle des citoyens dignes de ce nom et aptes à répondre de leurs actes, ou des clones consensuellement normés et dispensés de l’autorité comme de la responsabilité de ce qu’ils effectuent ?
On peut toujours rêver à des français sages, épargnés par les toxiques, la délinquance et les malheurs conjugaux ou économiques, bons fils et bons pères, travailleurs pacifiques de leur trente-cinq heures, et enfin étrangers à toute peine, mis à l’abri de l’atmosphère déflagrante croissante, à quoi nul droit ne peut répondre. La réponse nous est connue et datée, celle de toutes les illusions, à savoir : la religion ou la botte. Cependant que la question est ailleurs, masquée sous les oripeaux d’une éthique, soit disant nouvelle, qui renverrait la peine légitime des hommes au vestiaire d’un « combat d’arrière-garde « voire d’une ringardise hilarante. Nous avons beaucoup appris des jeunes gardes, qu’elles soient brunes, rouges ou de quelque autre couleur : elles ont toujours suivi les vieux renards.
Evoquera-t-on, pour les plus charpentés, la lente érosion morale entraînée par l’abdication progressive des principes, devant des pouvoirs qui ne seraient soucieux que d’un « Bien « dont personne, à ce jour, ne peut aisément donner la définition. Sauf à opérer du lieu de la perversion : révéler à l’autre ce que serait sa vérité supposée, tout en s’alimentant de son angoisse. Comment alors, lutter contre les addictions, seraient-elles médicamenteuses avec Autorisation de Mise sur le Marché ?
Marcel Czermak
Post Scriptum : quelques amis d’autres disciplines nous font remarquer que ce que nous écrivons de notre propre lucarne vaut tout autant pour eux-mêmes. Ils nous confirment ainsi que c’est bien comme missionnaires de la médecine que nous sommes placés.
État des lieux : Psychiatrie : quelle langue ?
1er tour ; un second s’impose, ainsi qu’une analyse détaillée de la situation suivie de « réactions ».
Ces deux journées ont permis, enfin, de poser publiquement les inquiétudes justifiées concernant les changements, déjà bien entamés, du domaine de la psychiatrie, rebaptisée dans les Rapports officiels : « santé mentale ». Ces deux (premières ?) journées rappelaient les changements.
Ainsi même pour les psychiatres, ce fut la difficulté et l’honneur de leur travail, les mots dérangent ; et bien sûr ceux-ci se rappellent à ceux-là. Ils devraient le savoir, c’est leur travail, leur spécificité, celle-ci même qu’ils abrasent ou qu’ils laissent abraser pour se conformer dans un orgueil scientifique bien mal placé à une médecine qui pourtant révèle dans l’exercice de son art l’exagération actuelle d’un scientisme froid et gongorisant pour ne pas dire manifestement dangereux.
Exemple ? Cette jeune femme qui présente une glossodynie là-même où la mélancolie se pointe, larvée, comme délire monoidéique au point de jonction de la névrose, et qui n’en finit pas de consulter chirurgiens et orthodontistes pour se faire arracher…se faire équilibrer…la sphère, la sphère orale ! Elle a certes été entendue ! Belle victoire d’une médecine qui pourtant c’est indéniable possède de plus en plus les outils techniques et les théories propres à ses formidables progrès. Victoire hélas entachée dans sa pratique, mais entachée de quoi ? Et bien de cela même dont se plaint cette jeune femme ci-dessus évoquée : qu’on lui arrache l’objet, objet oral ici, et tout le tintouin…c’est-à-dire tout le fantasme avec, le sujet, le sexuel…tout ! Corps mécanique.
La relation même du psychiatre au symptôme serait-elle aujourd’hui la même que celle du chirurgien, lequel dans son domaine – et c’est bien ce qui est toujours à préciser – est un maître de l’art nécessaire. Serait-elle cette réponse du psychiatre – abraser, arracher – la seule devenue possible, la seule enseignée ? Serait-elle cette réponse devenue la seule, quant une jeune femme, névrosée et mélancolique de longue date à sa manière, crie, justement : « la langue me fait mal ! ».
La réponse serait-elle l’arrachage de la glande salivaire (assèchement,…du polder ?), en attendant celui de la langue (comment l’arracher à la langue ?), ou bien les psychotropes (certes amenant un apaisement, mais de grâce…plus de courbes comparatives, débiles…), ou encore des élucubrations psychologisantes (« elle a ‘mal à sa mère ‘!… « ). Comment un psychiatre aujourd’hui, un psychiatre d’aujourd’hui (c’est à dire plus heureux d’être « d’aujourd’hui » que psychiatre…) a-t-il appris la clinique et la prise en charge d’une patiente qui présente une glossodynie ?
La réponse psychotropique ; toujours mais surtout essentiellement voir exclusivement. Encore dans ce bulletin – mars 2002 – où le mot « Recherche « dans le titre cautionne – pour combien de temps ?- le sérieux du contenu : des molécules, des « double aveugle « et autres essais thérapeutiques ( New England Journal of Medecine, Lancet, JAMA etc.) Certes l’appui psychothérapique, de préférence « cognitiviste », est généreusement associé parfois, mais il faut le reconnaître, la fascination pour le pharmakon n’a d’égal que l’affadissement de la réflexion et la disparition de l’enseignement clinique en psychiatrie.
Ainsi ces deux journées ont-elles été plutôt que salutaires (peut-on l’espérer ?), indispensables.
Mais le titre même, et l’excellent argument de Marcel Czermak, le choix des intervenants, leurs propos et les discussions, poussaient plus loin que la répétitive, mais jamais assez énoncée, complainte de la disparition de la clinique. Le fait était porté sur la table du politique et de l’administratif. Mais peut-on séparer « clinique « d’aujourd’hui, politique et administratif ? Là est un problème ! Jusqu’où peut aller le conformisme, lorsqu’il est en totale rupture avec la réalité clinique, celle de la pratique quotidienne laquelle est un art non une science, lorsqu’il déroge ce conformisme à une tradition solidement établie, et au respect minimum des dires patients ? Il est clair que le clinicien aujourd’hui est au mieux un O.S. de la médecine, au pire un empêcheur-de penser-en-rond ! Personnaliser alors le cas et le renvoyer persona non grata est affaire courante, cela s’est vu, et clinicien et clinique se trouveraient alors marginalisés.
Ces journées ont témoigné toutefois d’une volonté manifeste et raisonnée de tenir la page, pas la marge.
Faut-il encore être vigilant sur les changements. Les mots.
Ainsi, si je voulais faire acte de candidature à un poste de praticien hospitalier devrais-je demander probablement à occuper les fonctions de « prestataire de service « dans tel « pôle d’excellence « ministériellement défini – de préférence par un collègue expert chargé de… – afin d’accompagner des « usagers »!…Ainsi tel « expert « dans un rapport n’ose-t-il pas mentionner l’inutilité du maintien des hôpitaux psychiatriques. De même nous a-t-il été mentionné qu’un autre de ces rapports faisait abstraction de la maladie mentale et des malades, redéfinis généreusement « citoyens troublés »! ! Not desease, Uncle Sam ! Just trouble, big brother !
Destruction de la psychiatrie, trouble, certes, du citoyen. Y’a de quoi.
Une autre critique argumentée, celle du fameux rapport Piel et Roelandt « De la Psychiatrie vers la Santé Mentale », Rapport de Mission – juillet 2001, a donné le ton de ce que des collègues pouvaient négliger…la psychiatrie, notamment en prenant (faiblement) appui sur une antipsychiatrie dont on aurait aimé pour le moins, le terme étant de David Cooper, récusé secondairement par Ronald D. Laing, que nos auteurs si officiels n’en négligent pas pour autant les références philosophiques, sartriennes et existentialistes, et psychanalytiques, winnicotiennes, des psychiatres britanniques. « Raison et violence » fut le titre de leur premier livre…
J’ai pour terminer le souvenir d’une émission télévisée sur les glossolalies : un de ces apôtres ravis énonçait alors qu' »il avait en langue l’impression de faire l’amour avec Dieu ». En attendant son Retour, Celui-ci aurait été substitué (très belle conférence de Derrida sur la « substitution ») par la science.
Comment les glossolales scientifiques traitent-ils les glossodyniques ? En leur arrachant la langue !
Ces deux journées ont rappelé justement que l’usage des sciences n’était pas à négliger loin de là, mais qu’il s’inscrivait dans la pratique nécessairement selon les particularités, c’est-à-dire les symptômes, de chaque cas, selon le respect de la singularité, c’est-à-dire selon le fait que le corps est marqué du langage.
Jean-Louis Chassaing, avril 2002.
Le cas Richard Durn a été évoqué et avec lui les fâcheuses conséquences qui découlent quand on prétend obtenir un aveu d’un patient psychotique sur la rationalité de son acte. Il y a un effet suicidogène quand on confronte le patient à ce type d’impératif, puisqu’on le met au pied du mur là où il ne peut pas répondre. C’était la fonction du psychiatre de dire, dans ces circonstances, que le sujet n’est pas en état de répondre.
Il s’agit de la fonction d’où le psychiatre est actuellement délogé.
Il faut prendre acte qu’il y a dans cette façon de procéder une méconnaissance de l’enjeu du dialogue.
La fascination du passage à l’acte, nous met à la place du voyeur. Quelqu’un de non averti ne sait pas qu’après l’acte s’ensuit un mouvement de négation où il suffit de pas grande chose pour que ça explose.. Si on titille le sujet sur son acte, le sujet explose.
(Débat de samedi matin)
Psychiatres ???
À l’issu de la première journée du colloque JFP j’ai été amenée à écouter les réactions de quelques jeunes psychiatres en formation, venus tout autant par souci d’information que dans l’espoir de trouver quelque encouragement à poursuivre dans la voie dont ils ont largement eu l’occasion d’éprouver la difficulté.
Tous étaient vivement intéressés tant par les exposés du matin concernant les aspects médico-légaux que par ceux de l’après-midi à propos de l’hôpital psychiatrique en disparition. Ils ont parfaitement entendu que ce déni de la pathologie mentale qui a si vivement mis en évidence en particulier l’exposé de Michel Dubec ouvre largement la porte au délit d’atteinte à l’ordre social, avec son corollaire la réponse exclusivement répressive : nous entendons là aussi bien répression à l’endroit du patient hors norme, que répression à l’endroit du praticien qui ne se conformerait pas rigoureusement aux protocoles prévus. Leurs réactions sur le champ étaient : mais si c’est comme ça, est-il judicieux de continuer à se former comme psychiatre ? Est-ce que ce choix ne risque pas de nous mettre en situation d’être précisément dans l’impossibilité d’écouter nos patients et d’être contraints de les considérer non plus comme des malades ayant besoin de soins individuellement, mais comme une population hors norme qu’il convient de ramener dans le droit chemin, sans aucune considération pour ce qui constitue la singularité de chacun.
Que leur répondre ? si ce n’est qu’évidemment tout cela nous somme de témoigner plus activement de notre attachement à la qualité d’une pratique. À cet égard le cri de protestation qui faisait résonner cette première journée du colloque était un vrai soulagement. Et après ?
Jacqueline Légaut psychiatre et psychanalyste à Grenoble
PS : Les jeunes psychiatres en question attendent des réponses !
Destruction de la psychiatrie, disparition du citoyen
L’un des angles d’attaque de cette question aura été celui de l’utilisation des phénomènes langagiers pour accomplir la besogne. Dans notre champ, comme dans celui plus vaste du discours politique, pleuvent tautologies, oxymores (la croissance négative !) ou encore dévoiements (Parano ! Schizo !), affadissements de concepts pourtant solidement construits : la demande le sujet, le lien social, bientôt réel, symbolique, imaginaire qui viendront vitaminer le message publicitaire.
Au titre des travaux pratiques, on aura mis en évidence l’opération qui a consisté à transformer le « secteur géo-démographique de population « en l’appareil psychiatrique qui lui est appliqué, Ce « secteur « là, est un parfait contresens, mais d’usage courant et jamais critiqué. Eh bien, malgré cette remarque pourtant largement approuvée par elle, la salle a été dans l’impossibilité d’utiliser le signifiant secteur autrement que de façon fautive.
Un auditeur attentif aura pu, de la même façon, noter l’usage constant quoique abusif de « structure « en place d’institution ou d’établissement ce qui montre que nous ne penchons pas naturellement dans le sens de la rigueur…
Avec des notions aussi entamées, toute « disputatio »devient évidemment impossible. Au de là, même, toute réponse à la question « qu’est-ce qu’il y a ? », pourtant fondement social de l’activité médicale devient bien aléatoire.
L’effacement du citoyen procède de la même méthode, du même attentat. Ainsi l’incivisme devient-il les incivilités c’est-à-dire, en français, le contraire des civilités, de cette politesse désuète et ritualisée de messieurs à la moustache cirée. On voit les conséquences !
Néanmoins il ne faut pas voir dans tout cela l’oeuvre pernicieuse d’on ne sait quels comploteurs occultes. Il s’agit d’un fonctionnement inhérent au langage, aussi inhérent que peut l’être la création, la poésie.
Alors, « que faire ? » a-t-on demandé, après Lénine.
Marcel Czermak a répondu que nous avions fait cette réunion et que ce n’était pas rien.
J’y répondrai de la parole que le Maître d’École adresse au nonchalant : « des efforts ». C’est-à-dire être animé de ce souci de bien dire que Lacan a situé comme une part de l’éthique qu’il faut à notre acte.
Jean Pierre Rumen, psychiatre et psychanalyste à Ajaccio
Nous sommes désorientés en tant que cliniciens et en tant que citoyens, nous a dit Stéphane Thibierge, parce que nous ne pouvons pas nous appuyer sur une réalité designable et objectivable. La seule référence réelle dans notre rapport à l’autre c’est la bizarrerie fondamentale qui fait de nous des êtres sexués. Nous sommes pris dans les embarras de la sexuation, nous a-t-il rappelé.
Nos maîtres en psychiatrie entendaient à partir de leur propre refoulement ce qui faisait réel pour eux, l’objet a. C’est-à-dire, la façon dont chacun se débrouille avec ce qui fait réel pour lui.
Cet accès est devenu difficile pour le sujet aujourd’hui. Ce qui lui rend l’absence de rélité obj particulièrement insupportable – ce n’est pas d’hier qu’on a remarqué cette absence ou au moins cette difficulté mais elle était mieux tolérée.
Nous sommes conviés à entrer dans une clinique de la reconnaissance. On reconnaît ce que l’on connaît déjà, ce qui ne peut que déboucher sur des standards, les normes du moi. Le moi ne s’y retrouve pas.
Ne nous étonnons pas s’il en découle en guise de réponse une pratique du « dressage », dans la formation des étudiants, entre autres.
Stéphane Thibierge est professeur de psychologie à la faculté de Poitiers et psychanalyste.
Thierry Jean pour sa part est revenu sur l’annulation du psychiatre dans les textes officiels, en indiquant qu’il n’y a pas d’esprit malfaisant qui organise la pénurie des moyens et qui viserait à détruire les moyens de notre savoir faire. Il s’agit plutôt de l’évolution des moeurs qui tend à une récusation de l’altérité. L’altérité est tenue de nos jours pour discriminatoire. Il ne s’agit pas d’un dysfonctionnement mais d’une clinique des places, où nous avons à rappeler leur disparité dès que la parole est engagée. Pour qu’il y ait du transfert, il faut qu’il y ait de l’Autre. Il nous a rappelé les articulations de Charles Melman, lors de son dernier séminaire, sur la société de frères, qui n’est plus fondée sur la dette à l’égard d’un père, mais par multiplication du même.
Thierry Jean est psychiatre et psychanalyste
Nicolas Dissez a fait une lecture critique du rapport de mission remis au gouvernement en juillet 2001 par les Docteurs Piel et Roelandt et intitulé de la psychiatrie vers la santé mentale. Il nous a montré comment ce rapport se présente comme un propos ordonné par une logique de type administratif et gestionnaire et qu’il est singulièrement dépourvu de toute référence psychiatrique, quelques citations de tonalité nettement anti-psychiatrique exceptées.
Il remarque comment l’indifférenciation des places comme des discours est un élément constant de ce rapport de mission. Le discours psychiatrique vient ici perdre toute légitimité puisque chacun de ses concepts paraît aisément trouver une « traduction « administrative.
Cette logique aboutit à la disparition de la spécificité de la place et de la fonction du psychiatre, qui se trouve réduit à jouer le rôle d’agent de service social ou d’agent de la force publique, voire de manager d’une équipe de soin.
Nous avons aimé le repérage que N.Dissez fait de quelques formules qui peuvent être entendues comme autant de dénégations, même si le mécanisme du désaveu serait aussi à évoquer en raison des effets perverses qui s’en suivent. En voici quelques exemples, non exhaustifs :
– « Justice et psychiatrie, prison et hôpital, enfermement et soin ne doivent pas être confondus ».
– « Il s’agit de diversifier l’offre de soin et non pas de la faire disparaître dans une sorte de traitement social de la folie (…) Loin de nous l’idée de proposer un carcan ».
– « Une période d’observation et de soin de 72 heures afin d’évaluer la nécessité des soins, (est) prévue comme alternative à toute forme d’hospitalisation sous contrainte (…) Il ne s’agit en rien d’une garde-à-vue psychiatrique ».
– « Il ne s’agit pas là de confondre traitement obligatoire et obligation de soins ».
– « La distinction entre danger pour soi et autrui permettrait de ne plus confondre l’obligation de soin et l’ordre public »
Nicolas Dissez est psychiatre et psychanalyste à Paris.
(…)
Le docteur C. Jeangirard a situé comment la clinique des maladies mentales s’est constituée au XIXe siècle en France pour répondre scientifiquement à la demande de l’Etat qui créait la loi du 1838 en faveur des aliénés permettant de les interner dans les asiles créés à cet effet. Il s’agissait d’accorder un langage commun à la Médecine et au Droit, permettant d’attribuer à une cause médicale les troubles des conduites des personnes dangereuses pour l’ordre ou la sécurité publique, aux fins de se saisir d’elles et de les soigner dans les établissements départementaux construits pour cela.
Le trait dominant de cette loi, produit de la philanthropie des Lumières, était que son application reposait sur le Préfet, incarnation de l’Etat, et non sur l’autorité judiciaire. Cette distinction comporte des effets importants à être rappelés.
C. Jeangirard est psychiatre( où?)
Il faut insister sur la façon dont la schizophrénie a phagocyté tout le champ des psychoses s’imposant au détriment de la paranoïa comme le paradigme de toute la pensée de la psychose.
On avait deja noté comment le DSM4 s’était complètement délesté du concept de névrose avec l’abandon de l’hystérie. Ce à quoi l’on a moins pris garde, c’est l’abandon de la paranoïa. Autrement dit, ce qui vient à être privilégié c’est une lecture dissociative de la psychose au profit d’une psychiatrie débarrassée du transfert, débarrassée d’une réflexion entre folie et rationalité.
Pour Freud, comme pour Lacan, étudier la paranoïa c’était se former à l’analyse, aux notions de l’imaginaire, de la relation d’objet, à la question de l’échange symbolique, de ce que la parole pleine peut être lorsque elle n’est plus simplement écho de la pensée.
La schizophrénie avec sa division entre symptômes primaires et secondaires, sa prétendue dissociation (reposant sur une mythique unité de conscience) glisse vers une clinique du comportement et c’est bien pourquoi toute la psychiatrie administrative s’arrange, s’accomode de cette faille qui, une fois l’adaptation des quinze premiers jours de crise passée, considère que le patient psychotique, peu améliorable dans ses symptômes négatifs, passe du côté d’une prise en charge sociale…. Autrement dit, une fois les hallucinations réduites (puisque dans le DSM4 la dimension psychotique est rabattue à la symptômatologie de l’hallucination, considérée comme faute de perception) l’institution socio-occupationnelle s’occupera du reste… Redonner à la paranoïa sa place essentielle, c’est insister sur un paradoxe que la psychiatrie n’a pu tenir, à savoir que la paranoïa rend caduque notre notion de compréhension, puisqu’elle se présente avec des phénomènes d’interprétation et de signification personnelle. L’on sait à cet égard que trop vite comprendre, trop comprendre est souvent la difficulté dans laquelle se trouvent tous les apprentis psychiatres.
Dans la même foulée la pseudo-compréhension, dite théorie cognitiviste, propose aux patients délirants de « désinterpréter « son mécanisme délirant, d’effectuer des manoeuvres correctives, ou bien encore de critiquer le délire, tout ceci conduisant les praticiens à ne plus examiner de près la structure du délire et à se désintéresser de l’histoire du sujet : pourquoi s’en soucier puisqu’on peut être efficace à moindre effort ?
Ce dont la psychiatrie moderne ne se préoccupe guère, c’est qu’elle a affaire à un patient qui parle. Ce que parler veut dire, la psychiatrie actuelle semble vouloir ne plus du tout s’en soucier.
Corinne Tyszler psychiatre et psychanalyste à Paris
Collection Le Discours Psychanalytique :
– Baumstinler, Y., Cacho, J., Czermak, M., (organisateurs), Délire des négations. Reprises 1992. Actes du Colloque du 12 et 13 décembre 1992, collection Le Discours Psychanalytique, Éd. de l’Association freudienne, 2e édition, Paris, 2001, 255p.
– Cacho, J., Le Délire des négations, collection Le Discours Psychanalytique, Éd. de l’Association freudienne, Paris, 1993, 303p.
– Czermak, M., Passions de l’objet. Études psychanalytiques des psychoses, collection Le Discours Psychanalytique, Éd. de l’Association freudienne, Paris, 1984 (réimpression 1996), 391p.
– Chassaing, J.-L., et al. (coordinateur), Écrits psychanalytiques classiques sur les toxicomanies, collection Le Discours Psychanalytique, Éd. de l’Association freudienne, Paris, 1998, 668p.
– Collectif, Sur l’identité sexuelle. À propos du transsexualisme, collection Le Discours Psychanalytique, Éd. de l’Association freudienne, Paris, 1996, 582p.
– Collectif, Sur l’identité sexuelle. À propos du transsexualisme. Actes des journées du 30 novembre et 1er décembre 1996, collection Le Discours Psychanalytique, Éd. de l’Association freudienne, Paris, 1996, 444p.
Revue Le Trimestre Psychanalytique :
– 1988 : « La pensée scientifique en psychiatrie », Actes du colloque Évolution psychiatrique / Association freudienne en 1986, collection Le Trimestre Psychanalytique, N° Spécial, Éd. de l’Association freudienne, Paris, 1988, 126p. (épuisé)
– 1991 : « Actualité et limites de la paranoïa », Actes des journées du 13 et 14 avril 1991 à Marseille, collection Le Trimestre Psychanalytique n° 4, Éd. de l’Association freudienne, Paris, 1991, 213p.
– 1994 : « Le(s) Délire(s) d’interprétation », Actes des journées du 12 et 13 juin 1993 à Paris, collection Le Trimestre Psychanalytique n° 1, Éd. de l’Association freudienne, Paris, 1994, 209p.
– 1995 : « La jalousie », Actes des journées du 4 et 5 février 1995, collection Le Trimestre Psychanalytique n° 2, Éd. de l’Association freudienne, Paris, 1995, 157p.
– 1996 : « La raison des passions », Actes des journées du 15 et 16 juin 1996 à Chambéry, collection Le Trimestre Psychanalytique n° 4, Éd. de l’Association freudienne, Paris, 1996, 157p.
Revue Le Discours Psychanalytique :
– N° 10 : « Des Folies. Questions récentes sur les psychoses », Éd. Le Discours Psychanalytique, Paris, mars 1984, 92p.
– N° 11 : « Le transfert psychotique », Clims/Association freudienne, Paris, février 1994, 175p.
– N° 21 : « Les psychoses », Éd. de l’Association freudienne, Paris, février 1999, 177p.
– N° 25 : « Les structures freudiennes des psychoses », Éd. de l’Association freudienne, Paris, février 2001, 443p.
Autres publications :
– collectif, « Les paranoïas », Cahiers de l’Association freudienne internationale, Actes des journées d’étude du 21 et 22 novembre 1998, Association freudienne internationale, Paris, 1998, 113p.
– Czermak, M., Patronymies. Considérations cliniques sur les psychoses, bibliothèque de clinique psychanalytique, Masson, Paris, 1998, 185p.
– Frignet, H., Le transsexualisme, collection psychologie, Desclée de Brouwer, Paris, 2000, 159p.
– Melman, Ch., Structures lacaniennes des psychoses, séminaire 1983-1984, bibliothèque du Trimestre Psychanalytique, Éd. de l’Association freudienne., Paris, 1995, 238p.
– Melman, Ch., Retour à Schreber, séminaire 1994-1995, Éd. de l’Association freudienne, Paris, 2000, 270p. (version anglaise, 240p.)
– Thibierge, S., L’image et le double. La fonction spéculaire en pathologie, collection psychanalyse et clinique, Érès, Ramonville, 1999, 220p.
– Thibierge, S., Pathologie de l’image du corps. Étude des troubles de la reconnaissance et de la nomination en psychopathologie, P.U.F., Paris, 1999.
De plus, tous les numéros du JFP proposent des références qui méritent d’être étudiées :
– collection du JFP, Journal français de psychiatrie, Clinique, Scientifique & Psychanalytique, Érès, Ramonville.
Commandes par téléphone (01 42 02 56 60), par fax (01 42 02 56 61)