Des nouvelles de la vérité
16 septembre 2024

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THIBIERGE Stéphane
Editos

 

Mais oui au fait, que devient-elle ?

 

Le psychanalyste en sait sans doute quelque chose, puisqu’il travaille chaque jour avec elle. Il la rencontre à chaque pas de sa pratique, dès qu’il invite quelqu’un à dire ce qu’il y a, ce qui ne va pas, ce qui lui fait difficulté : autrement dit à parler. Avec la parole, elle entre en jeu.

 

L’acte du psychanalyste ouvre ça, cette bouche, ce trou d’ombre.

 

Autant dire qu’il a de quoi faire, puisque c’est justement ça que viennent boucher aujourd’hui les énoncés en foule des idéologies, des religions, des mots d’ordre, de tous ces savoirs aux réponses faites pour fermer le trou. Faut-il souligner que nous en sommes saturés ?

 

Ces réponses s’avancent toujours au nom de la vérité, mais ce sont essentiellement des énoncés qu’elles font passer sous ce nom : c’est la vérité d’un sens et d’un sens plein, sans faille, idéal — imaginaire en un mot (à ne pas confondre avec irréel).

 

L’individualisme que revendique l’époque résume à sa plus simple expression ce sens unique : c’est le moi, formation par excellence de l’imaginaire, total et totalitaire, et propre à propager horizontalement n’importe quel sens comme vérité, pourvu… que ça fasse sens.

 

On peut produire du sens comme vérité totale avec n’importe quel énoncé, y compris avec ceux de la psychanalyse. Les énoncés de Freud, si constamment orientés par le souci de maintenir cette ouverture de la vérité, ont été régulièrement refermés par des disciples en recherche de religion — voir Jung par exemple, pourtant brillant disciple, ou les tentatives contemporaines de montrer comment la psychanalyse serait soluble dans l’idéologie.

 

La science il est vrai ne paraît pas prise dans ces difficultés. Mais c’est parce qu’elle n’a aucun besoin de la vérité : il lui suffit d’être valide, c’est-à-dire correctement écrite. On ne demande pas à une équation si elle est vraie mais si elle est juste, c’est-à-dire bien écrite. On comprend que la science puisse être partout une référence aujourd’hui, y compris dans les sciences dites « humaines »: hors vérité, elle s’offre à servir n’importe quelle puissance, et d’abord celle du moi (c’est le corps augmenté par exemple).

 

Melman a pu dire de Lacan qu’il était un amant de la vérité… et de fait il n’a jamais cessé de rouvrir cette dimension essentielle à la psychanalyse, lorsqu’après Freud elle était en train de se refermer. Il l’a fait notamment en soulignant que pour le corps parlant, pour le parlêtre, la vérité n’est pas une substance, un sens ou un énoncé mais d’abord une place : la place de ce que refoule ce qui commande dans un discours. Par là elle est nécessairement liée à un corps, à la jouissance de ce corps, et au discours qui organise cette jouissance.

 

Ainsi articulée elle n’est jamais toute entière, puisque ce qu’elle indique au sujet, ce qu’elle approche, ce n’est pas un sens, mais le réel auquel ce corps a affaire, à commencer par la mort comme le remarquait Freud, ce qui ne la rend pas forcément très sympathique… Et ce réel, il n’y a aucun moyen pour le parlêtre d’en faire un énoncé ou un sens clos, puisque c’est plutôt de là que vient sa parole, toujours de nouveau, dès qu’il parle.

 

Remettre en jeu la vérité pour un sujet, ce rapport au réel qui le fait parler, c’est la question que le psychanalyste rouvre à chaque fois et tente de maintenir ouverte : il invite par là celui ou celle qui s’engage dans l’analyse à ne plus prendre comme des évidences les habitudes de sa jouissance et du langage qui les commande.

 

Voilà quelques-unes des questions rafraîchissantes que nous avons pu rouvrir à la lecture du séminaire L’Envers à Nice en cette fin de mois d’août.

 

Bonne rentrée !

 

 

Stéphane Thibierge

Président de l’ALI

 

 

Lire la traduction de l’édito