Denise, avec un a 
19 septembre 2024

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GUERRERO Omar
Hommages

 

Denise, avec un

 

Après trois années très éprouvantes, Denise vient de nous quitter. Elle n’était pas vraiment une collègue comme les autres. Rarement l’un de nous aura donné autant. Sa personne, son temps, son implication… elle aura été un pilier de notre Association pendant plusieurs décennies, un mur porteur. 

 

Chacun a eu sa Denise. La mienne a commencé en 1992, à Quito ; elle était venue avec Charles Melman, Christiane Lacôte, Marcel Czermak et Silvia Salama. Tout en étant une énigme pour moi (la langue, les codes, la psychanalyse, une école…), elle a été l’un des premiers visages de l’Association, son accueil : nous sommes certainement des dizaines à avoir été accueillis par son sourire avant d’avoir été acceptés comme membres de l’Association freudienne, devenue Association lacanienne internationale. Cette place centrale lui a permis de connaître tous les membres qui petit à petit ont fait le tissage de notre groupe. Il pouvait lui arriver de prendre des nouvelles d’un diplôme, d’un enfant, d’un stage ou d’une hospitalisation. Elle emmène avec elle cette mémoire, ce maillage qui a marqué notre vie associative. Qui d’autre aurait pu écrire Le temps d’une traversée (Ed. des crépuscules, 2015) retraçant les 30 premières années de l’ALI ?

 

L’autre trait qu’il nous faut mettre en valeur, c’est son rôle capital pour la transmission de la psychanalyse. Elle nous laisse un exemple de loyauté à Charles Melman et ce beau projet d’une association de psychanalystes. Ce que certains caricaturaient comme un « transfert excessif », aura été une vraie locomotive pour l’ALI. Comme tout le monde le sait, elle a assuré la transcription de tous les séminaires et toutes les interventions de Charles Melman (et même ses écrits, ses éditos par exemple – quand j’ai eu à le faire, j’ai dû quelques fois lui demander de l’aide pour déchiffrer). Vous mesurez un peu ce que nous lui devons : un accès à l’enseignement de Charles Melman, essentiellement oral, que nous pouvons lire et mettre au travail grâce à sa constance. Ce que tout le monde ne sait pas, c’est la rigueur de Denise pour aboutir à des textes qui respectent l’énonciation de Charles Melman, rigueur pour l’orthographe, pour la typographie (l’objet a mais le « a » en italiques Omar !), pour la police utilisée par l’imprimeur (il fallait absolument la Garamond !), pour le papier… Cette rigueur (Jean-Paul Beaumont en sait quelque chose), elle l’a imposée avec humour à toutes nos publications, nos revues et surtout notre Bulletin. Quand je me suis occupé de notre site internet, elle me taquinait pour reproduire ce même soin, il fallait que notre site soit beau ! Si je suis parfois, souvent, tatillon avec ces aspects-là, je le dois à Denise.

 

Enfin, je ne peux finir ces lignes sans souligner sa générosité et son accueil de l’autre, de la différence. Ce n’était pas seulement pour les nouveaux membres mais son regard était attentif, curieux de l’altérité, des autres pays, des autres langues. Elle n’a pas hésité à voyager : Santiago, Quito, Bogota… le Brésil, mais aussi en Europe et dans chacune de nos régions françaises pour rencontrer les collègues, pour soutenir leur travail et leurs initiatives. Elle n’a pas hésité non plus à héberger ceux qui venaient de loin. L’autre, ce petit a en italiques…

 

Il y a peu, malgré la fatigue, son regard pétillait quand elle me demandait des nouvelles du Bureau (auquel elle donna plus de vingt ans de sa force !) et des prochains séminaires. Elle a longtemps incarné une forme d’autorité, articulée toujours à ceux qui se relayaient pour ponctuellement incarner une forme de pouvoir – nécessaire. Sa main serrait moins fort mais son sourire était toujours présent. Il nous reste la peine, bien entendu, et ce relai qu’elle nous tend, à nous tous.

 

 

Omar Guerrero