De quelle syntaxe le sujet non-lecteur est-il le mémoire ?
03 mars 2014

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FERRON Catherine
Les introuvables
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Peut-on dire de l’enfant non-lecteur qu’il est un palimpseste vivant ? Y a-t-il eu grattage et réécriture ? L’effacement du premier texte est-il incorrect et le nouveau se mélange-t-il avec lui ? ou encore est-ce l’ancien texte qui est là et que nous ne reconnaissons pas comme tel étant donné son apparente et superficielle proximité avec notre langue : nous reconnaissons bien les lettres et les mots, mais ces cassures bizarres, ces trous déplacés, ces atténuations phonématiques, cette indifférence, que nous rencontrons dans les rééducations ou les entretiens, tout au moins au début, ne sont-ils pas les signes de l’ancien texte, de l’ancienne langue, où le choix des phonèmes n’est pas encore décidé, où la syntaxe n’a pas encore cette économie moderne que nous lui connaissons, où parfois dessins et couleurs des blasons et des devises se mêlent encore à la linéarité étrange d’une parole devenue difficile pour l’autre lecteur que nous sommes ?

Avec ce dont nous disposons aujourd’hui, c’est à dire comme moyens théoriques le modèle de la Nouvelle Syntaxe Chomskyenne, avec comme points d’applications les enfants non-lecteurs que pour ma part j’ai pu voir sous deux aspects, celui d’un test de structures syntaxiques pour certains et pour d’autres celui d’entretiens thérapeutiques, avec comme fil conducteur cette lettre volée que nous voyons apparaître et disparaître parfois au moment de la consultation de J.B., lettre volée ou au décours des divers tests dont Lacan tisse si précisément l’ordre de sa loi, je vais tenter d’en montrer une trace que je suppose égarée, retenue dans ce caput mortuum du signifiant où resterait pris le sujet.

Commençons par ce qu’il en est de la langue et de sa structure syntaxique. Pourquoi privilégier cette structure ? Eh bien parce que si les lettres, mots, syntagmes ne sont pas dans un certain ordre, nous ne comprenons rien; et si d’autre part ils viennent à manquer ou à ne pas avoir le contour précis de leurs déclinaisons diverses, nous ne comprenons toujours rien au mal.

« Couci » est le premier mot de Stéphane, 13 ans, qui a commencé sa séance par dire tout bas « que je vais dire … que je vais dire … »; après quelques instants j’entends « dimanche » puis le voile du palais s’abaisse, une nasalisation fait office de verbe peut-être, puis « football », encore un bruit et enfin « papa ». La courbe mélodique est interrogative. Les enfants non-lecteurs sont pleins de « trucs » pour parer à l’absence des mots car ils savent, ils sentent que leur langue n’est pas celle de tout le monde; ainsi ils déplacent leur corps et même de l’air pour remplacer la précision d’un impossible contour.

« Voilà! » me scande un autre garçon qui a certes demandé qu’on l’aide mais qui de lui n’a rien à dire et le thérapeute doit y mettre du sien à (faire) entendre dans l’insistance de ces bruits, de ces trous particuliers, un sujet.

Le bouleversement syntaxique que l’on constate tant à partir d’épreuves de récits sans images, de lecture de bandes dessinées aux bulles vides que des phrases strictement ordonnées et données d’un test dont j’ai fait état ici il y a deux ans aux journées sur les enfants non-lecteurs, me paraît quant à moi, situer ces « trous » d’une manière remarquable : désordre des constituants, échange des places du sujet et de l’objet, impossibilité d’utiliser l’ostensif démonstratif « ça » dans son texte approprié, confusion des verbes regarder et montrer, barrage systématique au pronom relatif à sujet humain, formes interrogatives méconnues ou entraînant un réponse négative : de la syntaxe ou du lexique, la question se pose au linguiste du domaine productif de ces perturbations.

Il semble que les ingrédients soient présents mais non agencés, non arrimés, non reconnus pour ce qu’ils sont : des positions, des places, des lieux, des sites. Comme ces déterminatifs qui, vocalisés, permettent de donner sens au cartouche égyptien.

C’est « de » ces places peut-être, mais assurément « sur » ces places que la nouvelle théorie syntaxique interroge le langage.

L’intérêt d’amener ici cette théorie, outre la méconnaissance dont elle est entourée, est qu’elle postule des catégories vides et des traces dont nous allons essayer de cerner les caractéristiques.

Lacan nous engage « à méditer en quelque sorte naïvement sur la proximité dont s’atteint le triomphe de la syntaxe, qu’il vaut de s’attarder à l’exploration de la chaîne ici ordonnée qui retint Poincaré et Markov ».

Nous sommes donc partis de cette notion de chaîne de Markov dégagée à la suite d’études statistiques sur les configurations de voyelles et de consonnes de textes littéraires.

C’est en étudiant les langages de programmation que les linguistes ont commencé leurs études sur la syntaxe. On peut donc se représenter ce mécanisme comme une machine à calculer, un automate, qui peut passer par un nombre fini d’états (la fin des mots, la fin des phrases) et qui à chaque passage d’un état à un autre émet un symbole, chacune de ces transitions avec émission de symbole correspond à une instruction de la machine (par exemple une règle de grammaire).

L’automate décrit par Lacan est le même que celui utilisé par Chomsky dans un premier temps : un mécanisme génératif d’un modèle grammatical dont les propriétés formelles répondent aux exigences de la grammaire c’est-à-dire énumérer explicitement toutes les phrases grammaticales d’une langue et rien que celles-ci.

L’étude d’une série hiérarchique de machines et donc de modèles de grammaire a permis de formaliser ensuite la notion de récursivité ou de calculabilité définie en terme de dérivation : un élément sera dit récursif s’il se domine lui-même. Ceci m’a paru important à noter pour penser ensuite la notion de rétroactivité de la chaîne signifiante (par exemple en Français : le père du fils du frère ; ici la récursivité est à droite et pas à l’infini).

En 1957, « Structures Syntaxiques » faisait état de résultats mathématiques démontrant la limitation de certains modèles de grammaire : les chaînes de Markov ne permettaient pas d’engendrer toutes les phrases d’une langue naturelle.

1) le modèle ne renseigne pas sur la structure de phrases d’une manière adéquate (passif et actif sans lien).

2) Il est intrinsèquement incapable d’engendrer toutes les phrases grammaticales d’une langue donnée, et rien qu’elles.

A la fois trop simple et trop productif.

Je ne voudrais pas m’attarder sur les machines de Markov dont la simplicité des opérations qu’impliquent ces procédures élémentaires tient à la nature de la conception syntagmatique du langage : rapports d’enchaînements, de partie pour le tout ou du tout pour la partie, substitution mutuelle ou choix.

Citons Lacan dans La Science et la Vérité (Ecrits p. 861). « C’est du côté de la logique qu’apparaissent les indices de réfraction divers de la théorie par rapport au sujet de la science. Ils sont différents pour le lexique, pour le morphème syntaxique et pour la syntaxe de la phrase.

D’où les différences théoriques entre un Jakobson, un Hjemslev et un Chomsky.

C’est la logique qui fait ici office d’ombilic du sujet, et la logique en tant qu’elle n’est nullement logique liée aux contingences d’une grammaire.

Il faut littéralement que la formalisation de la grammaire contourne cette logique pour s’établir avec succès, mais le mouvement de ce contour est inscrit dans cet établissement ».

Cette citation est sans doute un peu longue mais elle nous aide à préparer notre oreille à ce qui va suivre et nous introduit à l’effort de mise en forme de ce nouveau modèle de la grammaire qui tente de montrer comment par analogie avec la théorie de la modularité du regard, la syntaxe tenterait d’inscrire le mouvement de ce contournement de la logique dans sa formalisation.

La syntaxe peut-elle être logique ? C’est la question que se posent actuellement les linguistes à travers ce nouveau modèle. Comment s’organise-t-il ? En plusieurs niveaux : ceux des composants de la grammaire, donc essentiellement un système de règles qui alternent (et produisent) avec des représentations dérivées. Les trois composants de cette grammaire sont : le lexique, la syntaxe proprement dite et les composants interprétatifs.

Un premier système de règles donc, le lexique, détermine les propriétés inhérentes des items lexicaux (prédicats fonctionnant comme tête de construction). Le verbe donner par exemple est un prédicat à trois places : je donne quelque chose à

Le deuxième niveau comporte deux systèmes de règles :

– des règles de base ou règles de réécriture qui permettent d’obtenir un premier niveau de représentation dérivées (la structure profonde), niveau des fonctions grammaticales.

– entre ce système de règles et le suivant, une instruction unique : « déplacer alpha » qui nous permet de constater une fois encore que la syntaxe est un système de places (très simplifié par rapport aux premières théories).

Cette instruction unique qui met en forme et en relation, par un système de cartographie, les différents niveaux, est le jeu de plusieurs sous-systèmes que l’on appelle les modules possédant chacun leurs règles et leurs principes de fonctionnement propres et se contrôlant mutuellement rendant ainsi compte de la bonne formation des énoncés.

Citons ces modules, ou principes, ou encore appelés « théories » : théorie du gouvernement ou de la rection (un verbe reçoit son complément), théorie du cas (en Français par exemple : Jean l’a vu, les a vus, leur a parlé…), du gouvernement propre oudes catégories vides; du liage en ce qui concerne les anaphores par exemple; du contrôle ; théorie thématique et théorie des barrières ou localité.

Le deuxième système de règles : Le niveau de représentation dérivé issu de cette règle unique de déplacement d’un constituant quelconque (appelé S-structure), (S=surface).

S-Structure est plus abstrait que D-Structure car il contient maintenant une classe d’éléments vides ou nuls, les traces, sans réalité lexicale, absents des représentations de D-Structure et signalant qu’un contenu argumentai n’occupe plus en surface sa position originelle. (D= deep, structure profonde).

Ce niveau central de la grammaire contient les représentations abstraites entre la forme et le sens, il contient l’information nécessaire à la représentation des propriétés sémantiques et interprétatives de l’énoncé.

La troisième partie de la grammaire, ce sont « les composants interprétatifs » : d’un côté des règles de dérivation de la Forme Logique produisant ce niveau FL où sont explicitement représentées les propriétés sémantico-logiques fondamentales (la portée des éléments quantificateurs, les relations des éléments interrogatifs variables, par exemple).

D’un autre côté des règles phonologiques produisent la forme phonologique ou structure de surface : c’est la forme superficielle de l’énoncé produit effectivement dans sa forme phonique.

Le problème central étant celui des relations entre lexique et grammaire, Chomsky formule une hypothèse de départ : « le principe de projection » soit : la structure catégorielle est à tous les niveaux de représentation le reflet dans les représentations syntaxiques de la structure argumentale et thématique des éléments lexicaux.

Le principe pose donc l’invariance syntaxique de la structure catégorielle réalisant les dépendances thématiques ; on a donc à tous les niveaux présence et identité de ces éléments. C’est de ce principe que découle l’existence des « catégories vides », et la fonction des traces est donc de préserver les relations grammaticales en D-Structure, de signaler qu’un contenu a été déplacé en S-Structure, de formuler des contraintes donc qui limitent l’applicabilité de la règle de déplacement.

Cette théorie des traces, du mouvement, ou encore des catégories vides est la suivante : une catégorie déplacée par une règle de mouvement laisse une trace qui est un constituant de la même catégorie co-indexé avec la catégorie déplacée (si c’est un SN ce sera un SN vide), (SN=syntagme nominal).

Chomsky compare la relation entre la catégorie déplacée et sa trace à la relation entre un antécédent et une anaphore ou à celle d’un quantifieur et à la variable qu’il lie.

Ce qui est caché n’est jamais que ce qui manque à sa place.

Pourquoi parler des catégories vides et des traces à propos des enfants non-lecteurs ?

A partir de ce test de structures syntaxiques qui sont un ensemble de phrases simples du français comme « maman dit qui est cet enfant », « est-ce que papa a fini son dîner » ou encore « maman dit qu’est-ce que c’est que ça », je me suis aperçue que les pronoms relatifs, les formes interrogatives directes ou indirectes, l’introducteur de subordonnée ou de phrases complétives, entraînaient, tant à la compréhension qu’à l’expression, des erreurs, toujours les mêmes : l’enfant répond « oui » alors qu’il doit répéter la phrase interrogative, il remplace qui par qu’est ce que, il essaye le si interrogatif au début de la phrase, parfois même ne peut prononcer le mot dans ce contexte.

Or dans le modèle de la grammaire générative tous – ou presque – les syntagmes de cette forme sont regroupés sous le même nœud configurationnel appelé nœud complémenteur ou COMP qui désigne la position dans laquelle sont réalisées en surface ces expressions.

Appartenant au même nœud, ces expressions n’arrivent pas à être réalisées dans leur position structurale : elles sont sans réalité lexicale, le principe de projection n’a pas fonctionné ; ni la notion catégorielle ni la fonction grammaticale ne semblent faire sens, encore moins trace.

Dans ce modèle qui conduit à développer une théorie des relations à distance, une théorie des dépendances syntaxiques et une théorie de la syntaxe des dépendances lexicales on rencontre donc deux sortes d’exclusions :

– des catégories déplacées et/ou exclues après application de la règle « déplacer alpha » et que l‘on retrouve à l’état de traces ;

– un résidu car pour chaque classe de phénomènes prise en compte par un module, il existe un résidu imposant le recours à un autre module.

Au moment où Lacan écrit « Parenthèse des parenthèses » et depuis « L’Introduction », il ne fait pas autre chose dans un premier temps que de parler le langage de tous les chercheurs de son époque. Mais en travaillant ses chaînes de Markov, une loi symbolique, celle des déterminations signifiantes organise une mémoration particulière, un système de places, de lieux, de bornes, de liages, de dominance, une mémoire configurationnelle indestructible dans laquelle on repère un ordre d’exclusion.

Nous pouvons faire l’analogie avec le modèle chomskyen le lexique : +++, —, etc… ; les règles de base où +++ se réécrit 1, etc.. ; les représentations dérivées avec les parenthèses nous donnent le composant interprétatif..

Ce que nous montre Lacan dans les textes de 56 et 66 c’est que certains assemblages de lettres sont impossibles alors même qu’ils obéissent à la loi de cette chaîne aléatoire. Alors même que la translittération des symboles tente de forcer leur égalité d’apparition et que c’est à compter dans le temps qu’il y a repérage des exclusions.

A partir de symboles + et – combinés en série et présentés sous forme de réseau on voit apparaître la liaison essentielle de la mémoire à la loi : l’ordre d’apparition de chaque symbole dépend de leur ordre d’apparition et les possibilités de répartition, combinatoire en une syntaxe liée au temps (4ème) soumet l’apparition des symboles à une loi d’exclusion fondant ainsi une chaîne qui « pourrait figurer un rudiment du parcours subjectif en montrant qu’il se fonde dans l’actualité qui a dans son présent le futur antérieur. Que dans l’intervalle de ce passé qu’il est déjà à ce qu’il projette, un trou s’ouvre que constitue un certain caput mortuum du signifiant (…) voilà qui suffit à le suspendre à de l’absence, à l’obliger à répéter son contour.

La subjectivité à l’origine n’est d’aucun rapport au réel, mais d’une syntaxe qu’y engendre la marque signifiante ». C’est le répartitoire A  qui donne les deux tableaux d’exclusion O et Ω.

A la fois exclusion et reste, il nous semble que l’on peut rapprocher de ce « caput mortuum » du signifiant dont parle Lacan (page 50), ces catégories vides.

Le ‘Gaffiot’ ne donne par moins de dix acceptions en cinq colonnes de « caput » : tête, extrémité, pointe, personne entière, vie, existence, personnage principal, partie principale capitale, point capital, lieu principal et « surtout en grammaire », forme principale d’un mot, le nominatif, première personne du verbe.

Mortuum est le participe passé de morior signifiant mourir.

Quant au ‘Larousse’ du 19ème siècle (tome 3) il nous donne « tête morte, résidu en chimie, reste ou résultat sans valeur le caput mortuum de la philosophie : aveu de l’ignorance humaine (Grimm) ».

Afin que la chaîne soit signifiante, sa rétro-action entraîne l’exclusion de certains termes ordonnés par la règle motrice, ordonnée dans certains contextes et pas dans d’autres : ce sont donc les places qui ordonnent les lettres, les mots, les phrases.

Pour les linguistes l’acquisition du langage est un cas typique d’inférence inductive : à partir de données linguistiques primaires l’enfant infère la grammaire de sa langue. Il est en contact avec un minimum d’énoncés, parfois imparfaits, son expérience est limitée ; or il construit un ensemble de règles lui permettant d’émettre et d’analyser une infinité de phrases jamais rencontrées.

Ce caput mortuum est loin d’être sans valeur puisque ces mêmes lettres exclues se retrouvent ailleurs dans la chaîne : il en est de même quant à ce postulat des catégories vides que l’on retrouve à l’état de traces dans les structures sous-jacentes aux réalisations de surface.

Que dire du langage dégradé et rigide associé à l’impossibilité de lecture étudié chez un groupe d’enfants ? Les lettres et les symboles sont là, les traits et les traces sont présents, mais là où on ne les attend pas.

Là où on ne les attend pas c’est-à-dire au détour d’opérations de logique concrète, comme restes, morceaux perdus, isolés.

Tout d’abord dans les difficultés à rendre compte de leur démarche (par exemple l’UDN 80) où l’on constate que leur niveau verbal est défaillant et leur syntaxe rigide (je ne sais pas, parce que je l’ai vu, c’est comme ça).

La configuration des jetons sur les cartes du test piagétien de logique opératoire par exemple fait signe aux enfants non-lecteurs en ce sens qu’ils y voient apparaître tout à coup une lettre ou un chiffre.

La lettre est là mais ne fait pas sa trajectoire ; elle s’inscrit dans le corps du sujet dans un réel où elle n’est pas reconnue dans son ordre, et elle insiste.

Le signifiant dont la structure est d’être articulée n’a pas produit le refoulement nécessaire au meurtre de la chose qui se lit de temps à autre dans un signe ; les jetons dessinent au hasard des lettres que Lionel reconnaît pour L et V.

Où encore ces cartes sont utilisées comme planche du Rorschach en y voyant des kinesthésies ou en y découpant des constellations et des égalités en sous-groupes ; ils reconnaissent le 3, 4, 5, 6 des faces d’un dé, décomposent 9, en 333.

Ou encore : « combien font 6 moins 4 à l’aide des baguettes que tu as dans la main ? » Bruno qui ne sait ni lire ni écrire (il a 10 ans) donne la réponse en dessinant sur la table un 6 et un 4 « à l’aide des baguettes »…

Ou encore cet autre enfant qui reconnaît les signes opératoires x et + mais répond « un trait » pour le signe – et « un trait » pour 3 points alignés sur une carte de jetons.

Autre exemple encore de David qui substantifie les lettres qu’il n’a intégrées que dans leur symbolique, leur nom propre faisant partie de celles-ci : il épelle et lit ensuite son nom /davivede/.

Romain ne peut lire à voix haute : il ne supporte pas la modification, déchiffre le mot lettre par lettre, ne peut arriver au bout et recommence indéfiniment.

Quelques exemples enfin de phrases relevées au cours d’entretiens : « on s’est amusé, tout », « c’était mieux pourquoi il y avait les cousines », « je les ai pas embêtées pourquoi je me suis amusé avec Damien », « mon impesteur d’académie m’a parlé si ça y allait », phrases prononcées d’une manière volubile par ce même enfant qui au début produisait « couci » après un long temps de silence.

Une première remarque à partir de « La Lettre volée » : quelque chose se passe avec la couleur : entre le jour et la nuit dont il faut noter le jeu d’expression toute faite, (c’est le jour et la nuit ce garçon-là) le noir et le blanc donc (sous-jacents au damier du jeu d’échecs), le sceau rouge recouvert par le sceau noir du préfet, enfin les lunettes vertes de Dupin.

Il est intéressant de mettre en parallèle l’impact des couleurs dans la méthode d’apprentissage que nous leur proposons puisque chaque phonème se voit attribuer une couleur, et pour la plupart de ces enfants la rapidité de reconnaissance de ces phonèmes dans leur métaphore colorée ainsi que la découverte de leur savoir lire est assez souvent remarquable (5 heures).

Faudrait-il en effet troubler les paramètres de la modularité du regard pour reconnaître enfin la lettre à sa place et pour ce qu’elle est ?

« Il joue d’abord la partie de celui qui cache » dit Lacan et dans le cadre de notre théorie syntaxique l’enfant non-lecteur cacherait même les traces de la rétroaction de la chaîne.

Si la lecture nécessite une reconnaissance des places et leur interprétation, il faut renoncer dans le même temps à prononcer toutes les lettres et les soumettre les unes aux autres dans leur ordre séquentiel de mot, de phrase, comprendre que tout n’est pas à dire et que ce que l’on veut dire est renoncement à l’état d’a-sujet et assujettissement (peut-être à des histoires familiales lourdes de secrets).

Il y a comme une hésitation dans la logique : laquelle choisir ? Comment la ponctuation temporelle va entraîner le bon découpage et le bon usage d’une logique de la langue qui n’est ni celle de la logique des propositions ni celle de la logique figurative ou concrète ?

Comment inscrire le sujet dans sa langue ? Pour émettre une hypothèse dans le cadre de la grammaire générative, je dirais que « déplacer alpha », cette règle de mouvement qui ordonne le déplacement de n’importe quel constituant semble en cause : la loi a mauvaise mémoire et le refoulement est désœuvré.

Pouvons-nous situer le registre de l’imaginaire dans cette règle entachée d’injonction surmoïque : dans quelle relation narcissique est-il engagé dans l’effet de ce non usage de la lettre ?

Ce qui fonderait le sujet, ce serait les trous, là où ça insiste, dans les catégories vides, dans le caput mortuum du signifiant et les trous des enfants non-lecteurs seraient peut-être de faux trous.

Dans les entretiens avec les enfants non-lecteurs, il s’agit de retrouver, et d’entendre, et de faire entendre des trous particuliers car ce qui fonderait le sujet seraient ces trous-mêmes.

Il ne suffit pas nous dit Lacan de cet ordre constituant du symbolique pour y faire face à tout ; encore faut-il y mettre du sien, du sien du thérapeute j’ajouterai. Et il me semble qu’à ce titre, produire des expressions « figées » ou toutes faites, à partir d’un dire de l’enfant, réintroduirait les contours prosodiques que certains linguistes supposent à l’origine de la syntaxe, mais aussi le non-sens nécessaire au langage.

Lacan dit encore : « La lettre sur laquelle celui qui l’a envoyée garde encore des droits, n’appartiendrait pas tout à fait à celui à qui elle s’adresse ? Ou serait-ce que ce dernier n’en fut jamais le vrai destinataire ? »

Donnons quelques détails pour répondre à cela et pour conclure dans notre travail quotidien :

La lettre aux familles des non-lecteurs se perd entre eux et nous : dans un grand nombre de cas, elle n’est pas reçue. Ou bien elle arrive en retard ; ou encore si elle arrive, elle n’est pas lue jusqu’au bout : la confirmation du rendez-vous était au 2ème paragraphe… « mon mari a pris ça pour un prospectus et l’a mis à la poubelle… »

Enfin elle peut être non ouverte : ce n’est pas un message.

Importance du lit quand il s’agit de poursuivre cet apprentissage et que la mère est enceinte.

Enfin dans la plupart des cas, l’enfant non-lecteur n’est même pas identifié comme tel.