[Tableau comparatif en fin de texte.]
Je voudrais
1) questionner l’enjeu de ces différences sur notre responsabilité, sur la signification du fantasme et de la vérité,
2) souligner la solidarité de ces assertions différentes avec leurs « référentiels » topologiques contemporains :
– le plan projectif, pour « La science et la vérité »,
– le nœud borroméen pour Le Sinthome, et plus précisément si cette évolution n’est pas la conséquence de l’homogénéisation du réel aux autres dimensions,
3) indiquer ce que ça pourrait changer dans la pratique psychanalytique.
I. Dans « La science et la vérité », (1966)
« …De notre position de sujet nous sommes toujours responsables.
Qu’on appelle cela du terrorisme, j’ai le droit de sourire car ce n’est pas dans un milieu où la doctrine est ouvertement matière à tractations que je craindrais d’offusquer personne en affirmant que l’erreur de bonne foi est de toute la plus impardonnable. » (Ecrits, p.858)
[…]
Si l’objet de la psychanalyse (…) n’est autre que la fonction qu’y joue l’objet a, le savoir sur l’objet a serait-il la science de la psychanalyse ?
« C’est très précisément la formule qu’il s’agit d’éviter, puisque cet objet a est à insérer (…) dans la division du sujet par où se structure très spécialement (…) le champ psychanalytique. »
Enfin un rappel de la position de la religion à l’égard de la fonction de la cause (et donc de l’objet a) :
« …Le religieux laisse à Dieu la charge de la cause, mais [qu’]il coupe là son propre accès à la vérité. Aussi est-il amené à remettre à Dieu la cause de son désir, ce qui est proprement l’objet du sacrifice… » (p. 871).
Toutefois le rationalisme qui organise la pensée théologique n’est nullement affaire de fantaisie et, à ce propos, Lacan donne du fantasme cette définition plutôt surprenante :
« S’il y a fantasme, c’est au sens le plus rigoureux d’institution d’un réel qui couvre la vérité ». (p.873).
Au premier abord je serai tenté d’inverser les termes : institution d’une vérité (le scénario fantasmatique) qui recouvre le réel de la division du sujet.
Lacan donne dans ce texte au fantasme[1] une valeur très importante dans l’institution d’un réel, d’un impossible. La Logique du fantasme déplie cet impossible qui devient la condition des positions possibles du sujet, l’aliénation. Cette condition qui renverse le Cogito cartésien il l’énonce : « Ou je ne pense pas, ou je ne suis pas ».
Ce réel institué par le fantasme, c’est aussi le fantasme qui le recouvre et qui le rend apte à la jouissance.
Dans ce dilemme, le choix forcé du sujet, qui n’est que ce qu’un signifiant représente pour un autre signifiant, est donc clairement celui du sens (de la pensée), choix qui le prive de l’être. En effet avec le choix de l’être qui le ferait tomber dans le non sens, tout est perdu : il n’y a plus de représentation et donc plus d’être du tout.
Dès lors, tout naturellement, ce qui s’impose à ce sujet privé d’être, c’est de s’en parer d’un, d’un être, d’un être qui n’en soit pas un, car s’il était Un, ce serait un signifiant et le sujet serait à nouveau privé de tout être (sauf à incarner dans le délire l’être d’exception).
C’est la fonction de l’objet a, irréductible à l’un, de venir parer le sujet de ce faux-être, en s’en séparant, (castration).
Nous retrouvons donc la logique de cette formule d’ « objet a à insérer dans la division du sujet ».
Car, en l’absence d’un Autre de l’Autre, d’une vérité dernière, c’est « cet objet qui répond à cette place de la vérité pour le sujet à tous les moments de son existence… ».[2]
Freud, dans Analyse finie et infinie, énonce un peu imprudemment :
« Et enfin, il ne faudra pas oublier que la relation analytique est fondée sur l’amour de la vérité (Wahrheitsliebe), c’est-à-dire sur la reconnaissance de la réalité (Realität) et qu’elle exclut tout semblant (Schein) et tout leurre (Trug).
Tous ces termes, amour de la vérité, réalité, semblant, leurre, Lacan les questionne, mais surtout en nommant le réel et en le distinguant de la réalité, il montre les limites voire les dangers de l’assertion de Freud. Car l’analyse n’est possible qu’au prix du transfert et l’amour de la vérité doit accepter qu’elle ne peut être que mi-dite car la vérité, comme cause du sujet, reste indicible.
Peut-on dire alors que cette vérité de la cause est un produit du savoir-faire ? Seulement dans le sens où c’est le sujet qui a à faire servir l’objet a à cette place.
Le référent topologique de la séparation est une surface, le plan projectif (cross-cap).
La séparation, par laquelle le sujet se pare dans son fantasme d’un être pas vrai (faux-être), mais plus réel que son propre nom, est solidaire d’une topologie de la surface et de la coupure, celle du plan projectif (cross-cap) en l’occurrence, et d’une temporalité spécifique, le futur antérieur. Par la coupure, l’objet a apparaît comme ce qui aura fermé (avant la séparation) la bande de Möbius du sujet : Il sera vrai de dire que l’objet aura été inséré dans la division du sujet, de même que le sujet aura été supposé avant même qu’il parle.
C’est une topologie où Le réel n’est pas homogène aux deux autres consistances mais réduit à leur bord.
Conséquences :
– la fin de la cure sera théorisée comme traversée du fantasme, retrouver le temps de cette coupure première liée à l’émergence de la fonction phallique. Mais cette fin proposée par Lacan est connotée de toute évidence de cette image de surface à traverser.
– sur le plan éthique : quand Lacan dit : « objet a à insérer dans la division du sujet », ce n’est pas seulement une description « objective » de la structure, c’est aussi la manœuvre éthique et pratique, décrite dans L’étourdit par laquelle le tore du névrosé doit d’abord s’ouvrir en bande biface à recoller sur elle-même « autrement » pour donner une bande de Möbius apte à accueillir le disque de l’objet a. Mais comme « le champ de la réalité ne se soutient que de l’extraction de l’objet qui lui donne son cadre » [3], la ré-insertion de l’objet se traduirait par une déréalisation. En fait, analyser le fantasme c’est en retrouver la facticité. Pour cela se servir de l’équivoque du signifiant pour faire entrevoir l’objet a dans sa pince. Mais y est-il déjà, dans la pince du signifiant, où ne s’y insère-t-il qu’à la faveur de cette manœuvre ?
Ceci est à examiner à partir de l’ambiguïté de notre usage du mot « objet a », car, en toute rigueur, ce que l’on insère, c’est un objet en tant que séparé, hors concept, c’est un manque.
D’où aussi, ne pas céder sur son désir, c’est tenir bon sur l’objet comme cause, c’est en rabattre sur une vérité qui serait totale et pouvoir lâcher, tant soit peu, sur le besoin de reconnaissance du moi, là où le paranoïaque échoue. En dehors du fantasme qui met l’objet a en mesure de répondre pour le sujet, il n’y a guère que le moi et ses appuis dans les idéaux (patronyme etc) qui puissent répondre, mais de façon beaucoup plus rigide, à la faille de l’Autre
Car il y a des limites à la responsabilité.
Lacan dit dans cet article : « de notre position de sujet, nous sommes toujours responsables » et non tous comme je me suis longtemps obstiné à l’entendre. Cette assertion « terroriste » (selon ce qu’en penseraient ses détracteurs) trouve ses limites dans les conditions mêmes de l’existence du sujet, ce qui exclut pour les psychotiques à l’évidence les moments de mort du sujet mais ne les délie pas totalement pour autant de leur rapport à la vérité et même, après-coup, d’apprécier la fonction du délire en ce qu’il apporte avec lui de jouissance.
Avant de passer au Sinthome, je relie « La science et la vérité », dernière page (p.877 des Ecrits) et, surprise : « Conclurai-je à rejoindre le point d’où je suis parti aujourd’hui : division du sujet ? Ce point est un nœud… ». Oui, mais ce nœud est le phallus, phallus qui « n’est rien d’autre que ce point de manque qu’il indique dans le sujet ». Ce n’est pas le même nœud même s’il est noté d’un manque, ce qui n’est pas tout-à-fait l’équivalent d’un trou.
II. Dans Le Sinthome, Leçon du 13 janvier 1976, p. 67 :
« On n’est responsable que dans la mesure de son savoir-faire. » (i.e. l’art dont on est capable)
et p. 70 : « il n’y a de responsabilité que sexuelle. »
Si Dieu n’existe pas, nous avons « la charge d’une pensée dont l’essence est de s’insérer dans cette réalité (première approximation du mot réel qui a un autre sens dans mon vocabulaire) réalité limitée qui s’atteste de l’ex-sistence […] du sexe.
Le fantasme ? : « ce peu de réalité qui est la nôtre… » (Les non-dupes errent).
La vérité ? : « Y a-t-il impossibilité qu’elle devienne un produit du savoir-faire ? Non. Mais elle ne sera alors que mi-dite, s’incarnant d’un S indice 1 de signifiant, là où il en faut au moins deux… » (p.19).
De plus apparaît une nouvelle figure, différente du sujet, celle de l’artisan (en S2 dans le discours du maître), celui qui a le savoir-faire.
Qu’est-ce que le savoir-faire ? :
« c’est l’art, l’artifice, ce qui donne à l’art dont on est capable, une valeur remarquable. Remarquable en quoi… puisqu’il n’y a pas d’Autre de l’Autre pour opérer le jugement dernier ».
Il n’y a pas de place d’où nous pourrions juger en vérité du vrai du beau et du bien et même du vrai, nous ne pouvons jouir. Le fruit de l’arbre de la science du bien et du mal est réservé à la jouissance de Dieu, « avec le sens inclus là-dedans de jouissance sexuelle ».
Dieu jouit-il de cela[4] ?
Répondre que Dieu « n’existe pas tranche la question, en nous rendant la charge d’une pensée dont l’essence est de s’insérer dans cette réalité – première approximation du mot réel qui a un autre sens dans mon vocabulaire – dans cette réalité limitée qui s’atteste de l’ex-sistence […] du sexe. »
Nous avons donc la responsabilité de penser, faute d’un Dieu pour opérer le jugement dernier, la valeur éthique et pas seulement esthétique de notre savoir faire.
Mais double limitation :
– « Il n’y a de responsabilité que sexuelle » et responsabilité, ça veut dire ici non réponse ou réponse à côté (puisqu’il n’y a pas de vrai sur le sexe)
– mais seulement « dans la mesure de son savoir-faire ».
Cette responsabilité porte ici sur ce que nous allons insérer comme pensée à partir de l’ex-sistence du sexe et non prendre le modèle de l’acte sexuel pour élaborer cette pensée en croyant l’ancrer dans du solide, car c’est bien plutôt le défaut de rapport sexuel qui oblige à penser.
III. Comparaison.
Malgré le retour après 10 ans des mêmes termes : la charge et insérer, par rapport à La science et la vérité, il y a un certain déplacement. Ce n’est pas la charge de la cause, à savoir l’objet a à insérer dans la division du sujet, qui, dans cette leçon du 13 janvier 1976 (p. 67), retombe sur le sujet qui refuse de s’en remettre à Dieu, mais la « charge d’une pensée dont l’essence est de s’insérer dans le réel qui s’atteste de l’ex-sistence[5] du sexe ».
Avec un changement de regard de Lacan sur le fantasme et la vérité qui me semble tenir à la nouvelle topologie « constructive » du nœud borroméen.
Quant au fantasme, dans Les Non-dupes errent, opposé au savoir inconscient, il pouvait apparaître comme dévalué :
« L’inconscient est peut-être un savoir emmerdant mais peut-être qu’il nous mène à un peu plus de ce réel qu’à ce très peu de réalité qui est la nôtre, celle du fantasme, qu’il nous mène au-delà, au pur réel[6]. »
Mais c’est surtout la vérité qui me semble le plus ébranlée avec cette idée qu’elle pourrait être le produit du savoir-faire. La vérité, ce à l’égard de quoi toute parole s’affirme, a toujours été une exigence première, celle qui lie le sujet de l’énonciation à une Autre dimension.
Plutôt qu’une dévaluation (Lacan a toujours dit qu’il n’y avait pas de vrai sur le vrai), c’est plutôt l’accent mis sur notre responsabilité à cet égard. Il n’y a pas d’assurance sur le vrai mais il faut engager une pensée. Cette pensée vraie peut-elle être un produit du savoir-faire et en quoi ?
Lacan pose la question dans la leçon 1 du séminaire :
« En quoi l’art, l’artisanat, peut-il déjouer, si l’on peut dire, ce qui s’impose du symptôme, à savoir, la vérité ? »
Je change les mots déjouer et s’impose par leur définition et je lis :
« En quoi l’art, l’artisanat, peut-il empêcher de se réaliser (déjouer) ce qui, du fait du symptôme, devient une obligation pressante (s’impose), à savoir la vérité ? »
La vérité du symptôme est qu’il vient du réel. Si la vérité (en l’absence de toute garantie de la vérité) peut devenir elle-même produit du savoir-faire, faut-il lire : une vérité (de l’art) chasse l’autre (celle du symptôme). Joyce devait être fou, il devient un grand écrivain[7].
Qu’il s’agisse du fantasme ou de vérité, c’est toujours l’objet a qui est en jeu.
Lacan introduit, dans le discours du maître, en plus du sujet, la figure de l’artisan, non en place de vérité mais en S2. Là, selon Lacan, sous l’effet du signifiant maître S1, se produit une division dans le symbolique entre « symbole » et « symptôme ». L’artisan (en S2) est capable de mettre à profit cette division du savoir inconscient pour faire du « a », voire de la vérité. Il est capable de produire par la conjonction de deux signifiants, l’un des deux prenant son support du symptôme, l’objet a.
L’artisan est ici une personnification de l’inconscient, l’infatigable travailleur qui fait de la lettre et la remanie. Faire du a c’est faire de la vérité au sens où, faute de vérité dernière, l’objet a tient lieu de garant de la vérité. « L’objet a répond ainsi à cette place de la vérité pour le sujet à tous les moments de son existence » écrivais-je dans l’article du dictionnaire. » Mais justement, dans le discours du maître, à cette place, il ne peut y venir. A réécrire donc !
Je continue à suivre Lacan (18 nov. 1975):
Dans le discours du maître la vérité est « comme supposée dans le sujet ». Ce sujet, « en tant que divisé est encore sujet au fantasme » – c’est-à-dire qu’il peut encore en être affecté puisqu’il n’est qu’à moitié dit quand il est seulement représenté par S1.
En S2 qui est toujours un savoir, une articulation S1-S2, l’artisan inconscient produit avec cette conjonction l’objet a. Dès lors la part manquante de la vérité survient et le fantasme est constitué. Mais ce serait au prix du symptôme.
S’agit-il ici de la même genèse du fantasme ou d’autre chose ? Toute articulation d’un savoir en S2 se fait-elle sur le mode d’une division en symbole et symptôme ou bien Lacan en fait-il, comme il le laisse entendre, un effet réservé au discours du maître ?
La vérité n’a-t-elle pas toujours été le produit d’un savoir-faire, avec l’idée de facticité ? Lacan parlait déjà dans l’Angoisse des objets a « postiches » du névrosé avec cette appréciation : « Le petit a qu’il se fait être dans son fantasme, je dirai qu’il lui va à peu près comme des guêtres à un lapin. » (5-12-1962)
Ce qui donne à penser que Lacan propose du neuf est qu’il distingue la division symbole-symptôme (S-S) de la division constitutive du sujet. Cette division S-S s’écrit comme deux ronds non enchaînés mais disposés de façon à ressembler à un seul anneau fait des deux. Bien sûr, cet anneau ne tient pas seul et il faut qu’il soit traversé par un autre rond ou une droite infinie pour qu’il tienne. C’est pourquoi Lacan appelle faux-trou cet anneau et dit que la consistance qui le traverse « vérifie » ce faux-trou puisque, dès lors, il devient vrai en ce sens qu’il tient.
Pour ce qui vérifie ce faux-trou, Lacan propose dans la leçon du 9 mars que « le seul réel qui vérifie quoi que ce soit, c’est le phallus… encore faut-il qu’il n’y ait que lui pour le vérifier, le réel. »
Mais le 13 avril il nuance : « ce troisième terme […] peut être ce qu’on veut, mais si le sinthome est considéré comme l’équivalent du réel, ce troisième terme ne peut être que l’imaginaire ».
Ces deux notes de Lacan mériteraient d’être développées. La deuxième pouvant laisser entendre qu’on pourrait se passer de la vérification du phallus au prix du sinthome comme seul réel.
Que le réel « vérifie » un « faux-trou » donne une autre dimension à la vérité. Ce séminaire montre que le réel « excède le vrai », et quand Lacan dit que le réel est dans les embrouilles du vrai, il fait allusion au fait qu’il y a, en mathématiques, du vrai qu’on démontre impossible à démontrer.
Quoi qu’il en soit, cette division S-S n’est pas purement superposable à la division S1-S2 telle qu’elle se répète à l’infini dans le schéma « en pelure d’oignon » Sà(Sà(SàA))) du séminaire D’un Autre à l’autre (27 novembre 1968).
Si S-S était superposable à la division S1-S2 ou SàA, cela voudrait dire que l’Autre, lieu de l’Urverdrängung, serait identifiable au sinthome qui est une suppléance. Or l’Urverdrängung, refoulement originaire, nécessité logique, ne saurait être assimilé à une suppléance contingente. Lacan précise d’ailleurs que cette topologie en pelure d’oignon est associée à la topologie du cross-cap.
Or Lacan dit ceci : « La division en S2 du symbole et du symptôme reflète la division constitutive du sujet. » Reflète, i.e. n’est pas cette division, n’en est qu’un reflet. Je pense donc que la division à laquelle Lacan fait allusion est celle de sa condition, l’aliénation : ou je ne pense pas (a) ou je ne suis pas (une pensée).
IV. Conclusions :
1. Si notre responsabilité d’analyste se traduit le plus souvent par un refus de répondre à ou par une réponse à côté,
mais s’oblige à répondre de notre pratique par une pensée,
si l’objet a est toujours ce qui peut venir répondre, non plus à la place mais en regard de la vérité pour le sujet, ou si non,
De toute façon une clarification de la nature de cet objet a s’impose :
– objet partie détachable du corps mais hors de toute spéculation, dont il n’y a pas d’idée,
(manque à l’image),
– objet lettre « plue » du signifiant dans le réel (manque au signifiant et à l’image),
– objet pur vrai trou mais bordé de segments de cordes symbolique (chaînes signifiantes), imaginaire (représentations) et réelle (évènements) tous singuliers. Manque aux trois registres donc.
La mise à plat montre qu’il est un lieu vide, vide commun aux trois dimensions et que les cordes qui le bordent font limite aux trois jouissances (JA, JF, sens). Cette limite ne serait donc pas à imposer mais à reconnaître car ne relevant pas de l’interdit mais de la structure. L’interdit n’est toutefois pas inutile pour prévenir les déceptions inévitables de l’abandon à une jouissance exclusive.
2. Le changement de référent topologique induit des changements dans l’idée qu’on se fait du symptôme et de la cure.
On dira, et Lacan le dit – c’est la conclusion que Lacan donne à sa remarque que notre sentimentalité, la faiblesse de notre capacité d’abstraction imaginative, ne nous laisse comme idée de la consistance que le corps comme sac, à la limite la corde, mais exclut le nœud et que c’est là qu’il faut situer le réel – « faire son nœud » alors qu’on n’a jamais dit « faire son fantasme ».
La fin de la cure, théorisée comme traversée du fantasme devient-elle avec le nœud
– dénouage d’un sinthome 4ème au titre d’une suppléance inutile, pour tenir avec le minimum ?
– ou nœud à faire ? Il n’y a pas ici contradiction : faire son nœud peut exiger d’en défaire un autre.
La technique est-elle d’épissure pour donner un sens (13 janvier 76) ou d’équivoque pour libérer du sinthome (18 novembre 75) ? Ce champ ouvert de l’interprétation reste celui des Quatre concepts. En revanche l’opposition tresse-nœud permet de revisiter la dialectique histoire-structure en donnant un nouveau sens à l’interprétation après les voies ouvertes par nos collègues Marc Darmon et Jean Brini notamment avec les mouvements de Reidemeister.
En tout cas, si les conceptions du travail analytiques sont solidaires de leurs référents topologiques, conscients ou non, il est de notre responsabilité de mieux les connaître et les écrire. En effet si tous ne se valent pas, tous enferment l’accès au réel qu’ils permettent dans leurs propres limites, y compris le nœud borroméen.
3. Quelles limites ?
L’homogénéisation du réel au symbolique et à l’imaginaire, principale innovation du nœud borroméen, permet de s’affranchir de la croyance dans sa « supériorité », sinon dans son statut d’exception par rapport aux deux autres dimensions. Mais il lui fait perdre aussi une part de son impossible. Ce n’est plus forcément ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire et qui ne cessera jamais mais ça peut être « le possible en attendant qu’il s’écrive » (L’insu que sait… 8 mars 1977) comme le rappelle Christiane Lacôte-Destribats dans Le temps dans la psychanalyse, transcription des journées sur le temps qui vient de paraître.
4. Mais cette écriture, nous ne la voyons pas. Nous ne pouvons opérer en suivant le schéma. Tout au plus notre responsabilité est de tenter, après-coup, de voir ce qui s’est tressé ou détressé avec ou sans notre intervention[8].
5. Pour terminer, je dirai que le nœud borroméen nous oblige à une quatrième atteinte à notre narcissisme. Après celles de Copernic, et celle de Darwin, (après tout bien supportées), et puis celle de Freud, il nous oblige à renoncer à notre corps comme modèle, même travesti en bulle du cross-cap ou en bouteille de Klein si séduisantes. Le nœud, lui, est proprement irreprésentable, sauf dans nos jolies mises à plat. Mais c’est alors que l’évidence nous induit le plus facilement en erreur. La trinité, c’est beau mais ce n’est pas forcément un progrès.
« Ce champ R ne sera que le tenant-lieu du fantasme dont cette coupure donne toute la structure.
Nous voulons dire que seule la coupure révèle la structure de la surface entière de pouvoir y détacher ces deux éléments hétérogènes que sont (..) le $ de la bande ici à attendre où elle vient en effet, i.e. recouvrant le champ R de la réalité et le a qui correspond aux champs I et S.
C’est donc en tant que représentant de la représentation dans le fantasme, i.e. comme sujet originairement refoulé que le $, S barré du désir, supporte ici le champ de la réalité, et celui-ci ne se soutient que de l’extraction de l’objet a qui pourtant lui donne son cadre… » (Note de 1966).
Il est patent que dans la schizophrénie, l’objet a ne vient pas en place de cause du désir, puisqu’il n’est pas insérable dans la division subjective.
Bernard Vandermersch