C’est une européenne, une enseignante, une clinicienne qui écrit. Pouvait-il en être autrement avec cette question qui apparaît dans les journaux, les rues, les consultations où nous travaillons et où cette question se réitère chaque jour ?
Remercions Marie-Jeanne Seguers de la somme de travail qu’elle nous fournit (!) en même temps que son esprit d’historienne nous aide à nous y retrouver.
C’est d’une place d’exil, « d’enfant embarquée à son insu dans une greffe symbolique » qu’elle nous parle pour faire le point aujourd’hui par la grâce de la psychanalyse et du « style providentiel de Lacan… qui impose un exil de la position de bon entendeur qui saluerait l’identité de compréhension ».
Elle fait donc le point de ses connaissances et nous donne ainsi l’occasion de faire les nôtres dans le même temps. C’est une pédagogue : elle fait un séminaire où nous avons le sentiment de pouvoir poser toutes les questions qui nous embarrassent puisqu’elle n’évite pas d’en indiquer les butées, qu’elles soient théoriques ou cliniques, du plus simple (mais un exil simple existe-t-il ?) au plus large, inscrit dans notre social et notre monde en proie à son évolution et à ses révolutions.
Mais bien entendu pour un psychanalyste l’exil est d’abord la question de la langue, des langues et de leurs télescopages. M.-J. Seguers dans cette première partie fait résonner ce que seraient « les psychanalystes capables de rencontres improbables, au milieu de nulle part, avec des bébés qui ne sont pas encore entrés dans le langage, des adolescents des rues que seule la destruction apaise, des psychotiques sans abri, des grands malades de la carence de la parole et du langage ». Elle enquête auprès de nos confrères passés et actuels : si « nous tous avons perdu le pays de notre enfance… l’ampleur des migrations confronte les cliniciens à de nouveaux nouages… à de nouvelles pathologies qui dérivent de la mélancolisation du lien social ».
Quel est le statut de la métaphore, de la lettre, du lapsus, de l’humour ? Ainsi la deuxième partie de son livre aborde la psychanalyse sous quatre aspects différents : « la transmission, l’aphasie, l’adolescent, la psychose » suivant en cela la bordure de la langue c’est-à-dire la question de la perte. M.-J. Seguers articule et noue ces aspects en donnant la parole à un exilé illustre, R. Jakobson dont l’importante place faite à ses travaux chez Lacan n’est plus à démontrer. De même le passage adolescent est-il une contrainte à « réaménagement de la subjectivité, de l’image, du corps ». Pour décrire l’aventure d’un sujet en proie à son état d’exil et d’exilé, elle fait de subtiles allers et retours entre l’enseignement de Lacan, des moments cliniques, des solutions d’écrivains exilés ou non, les réflexions de collègues qui s’avancent dans cette nouvelle clinique. Il est à remarquer que son système de notes en bas de page est extrêmement fourni, référencé et accessible.
Son livre se clôt sur quelques récits cliniques où l’absurdité du monde dans lequel nous vivons révèle sa dangerosité pour ceux qui y débarquent contraints ou forcés. Sa diversité d’abords, sa nationalité – centrale pour l’européennité qu’elle y démontre – ordonnent un discours : ce livre est à mettre entre toutes les mains, particulièrement celles des étudiants de tous bords. Dans le séminaire Le Sinthome, Lacan dit de « l’exil : il n’y a pas de meilleur terme pour exprimer le non rapport ». M.-J. Seguers y attache et y tisse son humanité.