Permettez-moi d’évoquer Charles Melman. Dans une de ses dernières paroles publiques à l’ALI, il avait dit « J’aimerais bien que vous preniez l’habitude de parler sans lire. »
Comme je ne sais pas m’en tenir à un texte que j’ai écrit, je vais essayer de dire quelque chose à partir de mon travail.
Cette formule, l’inconscient c’est la politique revient dans tous les exposés. Même lorsqu’on ne parle ni de politique et ni de psychanalyse, elle revient !
On disait même parfois « l‘inconscient c’est le social ». L’inconscient, ce n’est pas le social, dit Lacan, c’est la politique. Mais c’est ce qui m’a mené à relire le texte original — sa transcription —, soit la séance du 10 mai 1967 du séminaire « Le fantasme », pour essayer de saisir le contexte qui mène à cette proposition.
Parce que l’inconscient c’est la politique, il fallait quand même y penser, même si la formule se déduit assez facilement des textes de Freud : Totem et tabou, et surtout « psychologie collective et analyse du Moi ».
La politique : C’est plus simple, c’est beaucoup plus pragmatique que ça. Ce n’est pas un concept en l’air ; la politique, c’est « s’occuper des affaires de la cité ».
Et donc, j’étais très étonné de la façon dont cette formule lui venait à l’esprit. Une première remarque : La nécessité, — dans ce séminaire, plutôt précoce sur le fantasme — de marquer un premier écart avec Freud est en général peu commentée.
Donc, Lacan évoque ces personnes qui acceptent de se soumettre à un fantasme, celui d’être rejeté par la mère et qui non seulement prennent conscience qu’il ne s’agit que d’une construction, mais acceptent de se soumettre à cette construction parce qu’elle promet une jouissance qui, finalement, ne coûte pas très cher et qui est une jouissance assez intéressante qu’on appelle la jouissance masochiste. Ce qui rejoint le texte très énigmatique et touffu de Freud, « le problème économique du masochisme ».
Avant de poursuivre , quelques remarques sur la chose victimaire :
Se constituer comme la victime, c’est très actuel. Raison pour laquelle je cite cette phrase de Lacan parce qu’aujourd’hui, cette thématique envahit les esprits.
Un exemple : Avant le SAMU, c’était le secours, le premier secours d’urgence. Maintenant, on appelle ça le service d’aide aux victimes. ça fait un peu SAV… service après-vente d’une injonction identificatoire ?
Et pour qui dit victime, il y a un « Victor, » un vainqueur derrière tout ça. Je ne parle pas des martyrs qui inondent, malheureusement, les rues d’un certain pays, ce qui, à mon avis, de les traiter de martyrs (une personne qui souffre, qui meurt pour une cause, souvent celle d’un dieu) n’arrange pas les choses. Mais enfin, c’est une autre affaire.
Donc, voilà le contexte actuel de cette formule liant l’inconscient et le politique. Et il est facile de se poser la question de savoir en quoi ça touche à la question de la psychanalyse.
Il s’agit là, effectivement, de quelque chose qui permet d’y entendre l’émergence d’une plainte, d’une plainte apparemment sans adresse. Plainte dont Charles Melman nous apprenait qu’elle était une forme jeune, première de la demande, puisqu’on se plaint en général soit aux parents, soit à Dieu. Il n’y a pas d’autre personne à qui on peut vraiment se plaindre, parce qu’ils ne peuvent pas réparer ni le dam et ni le dol, justement.
Nous poursuivons avec Lacan qui, ce 10 mai 1967, développe son propos, je le cite :
« Il s’agit pourtant de convaincre certaines gens qu’ils ont bien tort de ne pas vouloir être admis aux bienfaits du capitalisme… C’est à partir de ce moment-là, semble-t-il, que devraient se poser des questions sur certaines significations, et notamment celle-ci, par exemple, qui nous montrerait sans doute, mais ce n’est pas d’aujourd’hui, que je ferai dans cette direction même les premiers pas. Que si Freud a écrit, quelque part, que l’anatomie, c’est le destin, il y a peut-être un moment où, quand on sera revenu à une saine perception de ce que Freud nous a fait découvrir, on dira, je ne dis même pas que la politique, c’est l’inconscient, mais tout simplement, l’inconscient, c’est la politique ».
C’est aujourd’hui une position de facilité de se dire rejeté, parce que nous n’avons aucune entente sur le Réel. Cette position malgré les apparences bouche le trou de la politique sur un certain mode, c’est-à-dire d’une modalité de défense du sujet devant la menace du Réel.
Mais même sur ce rejet nous n’avons aujourd’hui pas d’accord. C’est-à-dire que plus rien aujourd’hui dans les discours médiatisés n’accepte un point d’impossible, qui viendrait de l’Autre, que nous pourrions partager. Le problème d’ailleurs pourrait s’énoncer ainsi : y-a-t-il un impossible universalisable ou pas ?
Qu’est-ce qui fait lien social ? Qu’est-il possible de partager, qui écarterait le risque de « guerre civile », guerre des mots, ou violence des gestes ?
« Je veux dire que ce qui lie les hommes entre eux, ce qui les oppose, est précisément à motiver de ce que nous essayons pour l’instant d’articuler en logique ». C’est la piste qu’indique Lacan dans la suite de ses propos et vous aurez bien sûr reconnu, dans « ce qui les lie entre eux et ce qui les oppose », quelque chose qui est l’opérateur du fantasme, séparation/aliénation, et qui, pour les gens qui ont parlé ce matin d’Aristote, ressemble bigrement aux passions que la tragédie, le théâtre tragique, est censé chasser, l’excès des passions qui trouble le politique, le lien social, qui sont bien sûr la crainte et la pitié.
Mais la pitié ne traduit pas très bien le grec, et la crainte non plus. On pourrait plutôt dire Phobos, dans lequel on entend bien le rôle de ce qui nous sépare du surgissement de l’étranger, de la Chose, d’une part, et ce qui est donné comme quelque chose qui fait lien, mais lien affectif, lien d’identification, — le premier type d’identification disait Freud.
Tout ça pour dire effectivement que cette question du rapport entre la psychanalyse et le politique est se pose à Freud dès l’origine même de la psychanalyse.
C’est pour ça que les psychanalystes doivent prendre acte du politique, car s’il existe une scène sur laquelle le sujet peut faire son apparition, représentée par un signifiant par exemple, c’est bien sûr la scène du fantasme, mais c’est aussi la scène sociale, son théâtre, sur laquelle l’hystérique convie Freud. Et sur cette scène de la société, le sujet (de l’inconscient) ne peut y apparaître que pris dans l’ordre du politique. Mais la chose se reboucle de l’autre côté parce qu’être pris dans l’ordre du politique le renvoie à ce que ses possibilités identificatoires lui permettent d’occuper comme rôle. Nous avons tous en mémoire la phrase malheureuse : « les sans dents ! »
Or, on s’aperçoit dans ce champ politique, — et ça, Lacan a tout à fait raison de le mettre à l’origine de cette phrase — qu’il est beaucoup plus facile d’être rejeté, de se considérer comme victime, comme non admis aux banquets de la jouissance, parce que ça assure une jouissance qui ne coûte rien. Cette fameuse jouissance masochiste.
Chez Freud, la naissance de la psychanalyse incorpore d’emblée ce qu’il connaissait parfaitement, à savoir la Poétique d’Aristote, c’est-à-dire la catharsis, le rôle de la crainte et la pitié sur la scène. Son beau-père venait d’écrire « trois essais sur la théorie de la catharsis ». Et dans « personnage psychopathique à la scène », il montre que la naissance du sujet est inséparable du théâtre politique. On pourrait avancer qu’il n’y a pas d’autre endroit où le sujet peut apparaître, à visage couvert, bien sûr, mais peut apparaître, porté par des représentations.
Freud, pendant très longtemps, a travaillé que pour que la psychanalyse verse du côté de la science, il fallait qu’elle ne propose pas en aucun cas une vision du monde, puisque dans le fond, la science est censée ne pas proposer une vision du monde, sauf lorsqu’elle accepte de se soumettre à la technique et à la vente de ses produits.
La psychanalyse, bien entendu, bien qu’elle soit née dans un rapport étroit avec la question du politique, est censée aider une personne qui vient chez le psychanalyste pour se plaindre de quelque chose qui dépasse le malaise ordinaire, quelque chose qui complique sa vie et qui n’est pas simplement limitée à cette complication singulière, mais inévitablement à la découverte de ceci, que le symbolique ne pacifie le monde que d’une façon extrêmement limitée, ce qu’on appelle l’incomplétude du symbolique.
Il y a donc quelque chose qui diffère et s’ajoute à qu’on va appeler la souffrance névrotique. La psychanalyse ne s’intéresse donc pas, du moins au début, aux excès et imperfections de la société, mais à faire en sorte que quelqu’un puisse réintégrer le champ du social, débarrasser de cet excès de passion qui l’empêche de vivre, d’aimer et de travailler.
Neutralité quasi scientifique, apolitique pourrait-on croire ! Cette neutralité de la psychanalyse, supposée neutralité, d’ailleurs, ça a généré, traduite en français, « la neutralité bienveillante ».
Mais Il n’y a jamais eu de neutralité chez Freud ! Il n’est pas assez stupide pour penser qu’un psychanalyste puisse être neutre. D’ailleurs, c’est assez embêtant, cette neutralité. La formule de Freud ne parle que de bienveillance.
On entend souvent que la psychanalyse se devrait d’être neutre. Remarquons au passage à quel point cela touche à la réception par une grande partie de la communauté psychanalytique du travail de Charles Melman « Une Nouvelle Économie Psychique » en 2002.
Mais Freud lui-même n’était pas tout à fait tranquille avec la neutralité. D’ailleurs, il a défendu un certain nombre de mouvements politiques. Ses élèves, comme Wilhem Reich, ont lutté justement contre le fait de dire que la psychanalyse était en dehors de toute vision du monde et d’autres prescriptions sociales, etc.
Sollicité par Théodor Reik sur ce qu’il attend de la psychanalyse comme science nouvelle censée rejoindre la neurologie, Freud répond (in trente ans avec Reik, une correspondance) : « j’attends d’une cure analytique généralisée à tous, qu’elle permette l’instauration d’un lien social nouveau ». Il ajoute « d’un lien social scientifiquement établi », autrement dit, qui ne soit plus établi sur des affects, des idéaux, mais qui soit réellement un lien social nouveau d’un homme débarrassé de l’excès de ses instincts et de ses affects, excès qui trouve sa cause dans la répression sociale.
Le livre publié immédiatement après s’appelle « L’avenir d’une illusion ». Bien entendu qu’il y a là quelque chose qui ne colle pas.
Quelle est la position de Lacan par rapport à la question de Freud ? Avec la formule « l’inconscient, c’est la politique », qui inverse l’hypothèse freudienne, Lacan, d’une certaine façon, commence à repérer que l’importance donnée à la fonction paternelle, héritée du religieux, ne permet de saisir que partiellement ce que nous pouvons appréhender de ce que la psychanalyse pourrait nous enseigner. Donc, peut-être un doute, qui fera son chemin (un parcours que nous ne pouvons pas aujourd’hui aborder : c’est une autre question).
Et j’ai eu la chance de retrouver, au moment où j’en étais dans la préparation de cette table ronde, un texte qui montrait jusqu’où pouvait aller cette inflexion de Lacan : « Lacan in Italia », qui vient d’être réédité, avec une traduction française. Prenant appui sur son analyse du contexte politique et social du monde d’alors, Lacan déclare : « il faut qu’il y ait des analystes ! Parce que, ça ne peut pas continuer comme ça ! ».
Pour Lacan, il existe une pression dans le champ, dans le champ de la société quelque chose, un signal qui montre que nous sommes arrivés au bout de ce que la fonction de la croyance pouvait apporter dans l’orientation et la pacification d’un champ politique et social.
Et donc, il attend des analystes à ce moment-là qu’ils puissent prendre autrement en charge les gens, mais aussi qu’ils puissent apporter, de par leur action dans la cité, quelque chose qui pourrait faire entendre, en tout cas créer une brèche, peut-être un écart, avec ce qui est en train de se produire parce que « le réel prend le mors aux dents ». Mais il reste suffisamment lucide pour se rendre compte que ce qu’il appelle le Réel regarde tout autant ce qui menace aujourd’hui le champ social que ce qui peut faire chez lui symptôme.
Il accepte cette idée que, si on admet encore une fois que la psychanalyse est née conjointement à l’endroit même où se pose la question du politique, le sujet est d’emblée politique. La nomination de la place occupée par le sujet est politique. C’est ce qui explique peut-être l’écart que Lacan va faire lorsqu’il va introduire la notion de parlêtre, pour ne plus dire le sujet – de l’inconscient — , parce que le sujet est représenté, c’est le sujet du signifiant, c’est le sujet du fantasme, alors que le parlêtre peut désigner en même temps l’individu, et toute personne qui tire son rapport à son existence, à sa consistance, à son être, de par la parole et le langage, prenant ainsi place dans le semblant.
Il y a là pour Lacan quelque chose d’extrêmement important qui est en train de se jouer et qui amène à ce magnifique texte de la Troisième lorsqu’il dit « si la psychanalyse réussit, alors elle disparaîtra » : Si elle fabriquait un savoir qui pourrait se boucler, s’enseigner, on peut dire se transmettre ad integrum, alors comme telle, elle disparaîtrait, puisque son objet deviendra immédiatement, dans le champ social, un mode d’emploi lié à une époque donnée.
Or, justement, le vrai problème de la psychanalyse, et là, j’amène quelque chose qui me semble important, c’est qu’il y a dans la cure analytique, dans l’expérience analytique, quelque chose qui ne s’échange pas. Et j’ajouterai peut-être même y compris avec soi-même, parce qu’il y a quelque chose qui reste hors langage. Et c’est ce hors langage-là, c’est ce point effectivement qui fait trou dans le symbolique, objet d’une jouissance ineffable et qui ne se partage pas, y compris avec soi-même, puisque sitôt qu’on le partage, c’est-à-dire qu’on parle, on n’est plus hors langage. L’objection qui consiste à dire que cela peut s’écrire ne rend pas compte du rapport au temps de la parole : pas d’arrêt sur le son comparable à un arrêt sur l’image !
Et la seule chose qu’on peut dire, qu’elle échappe à toute possibilité de nomination, et que seule la lettre permet d’en écrire le lieu qui la situe.
Et c’est, il faut bien le dire… une évidence pas très vendable !
Mais qui bloque toute la dynamique de l’échange. Quelque chose dans le champ social vient faire bouchon. Et, il faut le dire aussi aperçue par Karl Marx assez rapidement, dès le début du Capital, lorsqu’il décrit la perversion de la marchandise, et de l’objet fétiche. Chacun d’entre nous le sait et l’a éprouvé.
Que fait-on là, l’après-midi, où on pourrait être en train de prendre du plaisir ou de jouir d’un objet largement mis en vente ? Pour essayer de transmettre, justement, cette expérience qui fait qu’on a touché à un objet qui, justement, est radicalement hors langage.
Pour Freud, le franchissement qui consiste à sortir de l’âme, et surtout du Geist allemand, de l’esprit allemand, pour proposer à cet endroit-là ce qu’il appelle le psychisme — la psyché, certes répond au regard mais aussi à la géométrie !— est un acte de rupture politique avec ce qu’il appelait, effectivement, non pas le malaise dans la civilisation, mais l’inconfort dans la culture.
En guise de conclusion, je voudrais, aujourd’hui, partager avec vous une expérience étonnante. Profitant du temps des vacances, j’ai soumis à l’IA, Chat GPT en l’occurrence, la question qui nous intéresse aujourd’hui : « Discours psychanalytique discours politique ».
Et j’ai reçu, en quelques minutes, un texte absolument étonnant où la question est documentée de façon exhaustive, mentionnant les déviations des élèves de Lacan concernant le politique, détaillant les positions de Deleuze, de Foucault, de Zizek, présentés comme des « commentateurs » appartenant à la mouvance de Lacan ! Par exemple et pour ne citer que cela, selon l’IA, pour Deleuze, c’est le désir qui construit le social. Donc, le désir préexisterait à la construction du social !
Mais la suite de l’expérience est encore plus étonnante : j’ai envoyé cette production de l’IA à mon ami Thierry Florentin. Qui m’a répondu : « c’est terrible ce truc-là. Il n’y a aucune énonciation, aucun sujet de l’énonciation », partageant l’essentiel de ma propre réception, voire un certain malaise.
Je laisse le malaise versus inconfort de côté et je refais l’expérience avec Marc Darmon qui me répond « ce truc-là ça me fait froid dans le dos ».
Et je me suis dit effectivement que ce à quoi nous avions à faire aujourd’hui, c’était quelque chose de vraiment nouveau. Il ne s’agit pas du malaise freudien, C’est-à-dire de l’inconfort dans la culture, mais d’un autre déplacement qui touche à la civilisation ; errance ou nouveauté, l’avenir le dira !
Pour dire les choses simplement, devant le malaise, on se fait une petite purge, une petite catharsis, de temps en temps, en allant écouter un concert de rock, en écoutant un opéra ou en faisant un colloque de psychanalyse… Nous avons à faire à quelque chose de radicalement différent. Ce n’est pas le malaise, mais l’angoisse de morcellement. C’est l’angoisse contre laquelle nous avons extrêmement de difficultés à nous défendre, qui touche à l’image du corps, à son unité, au lieu qu’il occupe.
Et c’est peut-être ce changement aujourd’hui dans nos sociétés qui produit un retour du communautarisme, perturbant ce qui était pour Lacan les conditions d’émergence de la psychanalyse. Conditions d’émergence de la psychanalyse qui sont, je vous rappelle, la science et la démocratie, la démocratie permettant à tout le monde, au un par un, de ne pas être du même avis, tout en restant préoccupé de l’avenir de la cité.
Une telle démocratie nécessite un point commun, un refoulement commun, quelque chose qui fait que nous puissions avoir un certain accord sur notre rapport au Réel, sur ce qu’est le Réel, Réel d’un sujet, sujet de l’inconscient ?
Ce qui aujourd’hui disparaît dans la globalisation, dans la mondialisation, en faisant complètement fi que le temps de l’histoire n’est pas le même pour tous. Il y a aujourd’hui des gens qui en sont au Moyen-Âge européen. Ça ne veut pas dire qu’ils vivent moins bien ou mieux, mais que les représentations de leur monde sont assez incompatibles avec les nôtres.
Ce qui, effectivement, creuse d’une certaine façon, une forme de fossé et interdit de penser à la globalisation autrement que comme un champ d’échange, de marché dans lequel, effectivement, ce qui s’échange tourne autour de ce que Lacan avait appelé les lathouses, c’est-à-dire les objets, les objets et ces cibles qui vont, effectivement, boucher le trou du politique tel que nous pouvions le concevoir au temps de Freud. Quant à Lacan, il suffit de lire ses prédictions après mai 1968 pour entendre son inquiétude devant la célèbre phrase « il est interdit d’interdire ». Ce à quoi il répond : « le nouveau maître sera plus terrible que tous les maîtres que nous avons connu ! ».
Que se passe-t-il aujourd’hui lorsque quelqu’un, par exemple un jeune interne en psychiatrie, décide de s’investir du côté de la psychanalyse ? Il prend aujourd’hui le risque de s’exclure d’un enseignement ! La question, c’est que la psychanalyse ne peut pas faire grand-chose pour inverser le cours des choses, parce qu’elle est tout à fait impuissante et de toutes les façons, le système s’est chargé de nous remettre à notre place, celle que nous occupons dans les cures, c’est-à-dire celle de déchet.
Mais il n’empêche qu’il y a, à mon sens, aujourd’hui, dans cet intérêt, on pourrait dire cette conviction en la psychanalyse — on parlait de conviction à un moment donné — il y a là quelque chose qui, qu’on le veuille ou pas, participe d’une position politique, c’est-à-dire que nous opposons effectivement au monde actuel une forme de vision, non pas du monde, mais de ce qu’on appelle le parlêtre.
Je vous remercie de votre attention.
Discutant : Merci, Marc, pour cette intervention qui ne manque pas d’énonciation, puisque tu as fait ton intervention pratiquement sans notes ou avec des notes lointaines. Mais je voulais tout de suite te poser une question par rapport à la fin de ton exposé, l’interrogation de CHATGPT sur le rapport entre discours psychanalytique et discours politique, et le résultat remarquable que tu as obtenu, mais sans énonciation. Et ça, c’est très intéressant parce que ça renvoie bien à la question du « savoir sans sujet ». Et le savoir sans sujet que tu pointes, c’est un savoir qui forclôt le sujet. C’est celui de la science. Tu es d’accord ? C’est celui de la science. Le savoir sans sujet tel qu’on en a à faire avec la psychanalyse est d’une autre nature. Et ça, c’est intéressant, et j’aimerais que tu le développes. Je dirais juste un mot, parce que ce savoir sans sujet, c’est une question lacanienne.
Marc Morali : « Lorsqu’un événement surgit, dans le réel, peut-on faire l’économie et lui prêter un sujet ? » dit Lacan. Non, on est croyant, qu’on le veuille ou pas. Il y a « de » la croyance, celle d’un lieu vide d’où s’origine un semblant de vérité. Croire mais savoir qu’on croit, la fin d’une psychanalyse ?
Ce matin, il était question de poésie, ce qui m’a évoqué la façon dont René Char, dont vous connaissez les Fragments, situait l’acte poétique. Il serait d’ailleurs intéressant de revenir sur la façon dont Aristote imaginait l’acte créatif par rapport à la bile noire, pulsion de dispersion. Char dit : le poète n’est que le passeur d’un chemin qui va de la muse à l’auditeur.