Lacan nous propose dans les chapitres de Mars, Avril et Mai 1969 du séminaire
« D’un Autre à l’autre », un retour à la question
de la sublimation.
Il fait un certain nombre de rappels assez resserrés, surtout du séminaire
« L’éthique de la Psychanalyse » : les coordonnées
freudiennes concernant la pulsion et la sublimation, la place de l’amour courtois,
l’oeuvre d’art.
J’indiquerai les points qui bien que repris comme écho, au(x) séminaire(s)
antérieur(s) peuvent poser difficultés, puisqu’après tout
le terme même de sublimation, le concept même souffre d’une certaine
inertie dans son utilisation.
Disons d’emblée que ce que Lacan nous apporte devrait nous éviter
de confondre sublimation et issue de la cure.
D’autre part, il nous faut mieux réfléchir aux effets collectifs,
sociaux, de ce destin pulsionnel car un certain mythe esthétique de la
sublimation apparaissant comme le prétendu dépassement des questions
névrotiques, leur pacification entretient une sorte d’hypnose, favorable
à mon sens, à mésestimer les effets dramatiques dans la
cité, du passage d’une satisfaction objectale à une satisfaction
narcissique, moïque.
J’essaierai aussi de dégager dans les deux axes classiques : l’amour
courtois et l’oeuvre d’art la possibilité d’un nouveau repérage
pour la sublimation surtout du côté de ce qui occupe ou qui déplace
peu à peu le courant occupé par cette place définie comme
celle de l’amour courtois.
Ou passe socialement la sublimation en dehors de la production artistique ?
Que peut-on également avancer en dehors de l’étude » des
formations de réaction » telles qu’on les voit développer
par exemple par un auteur comme Jones davantage que par Freud lui-même
?
Lacan rappelle les quatre éléments de la pulsion : la source,
la poussée, l’objet et le but.
Il n’introduit là rien de particulièrement nouveau : l’objet
est interchangeable, à la limite indifférent ; les buts pulsionnels
sont substituables en fonction d’une syntaxe, la source est marquée par
la structure de bord des zones érogènes.
C’est peut-être à la poussée, au Drang qu’il faut
prêter une certaine attention ; il y a chez Freud une mesure (biologique)
et il y a l’exigence d’une certaine dose de satisfaction directe.
Dans le chapitre du 5 mars 1969, Lacan expose le plus simplement du monde la
considération suivante : « Dans notre culture, notre civilisation
[…] le sexuel est maintenu dans une torpeur sans précédent. »
Cette notion de Drang, de poussée est liée avec la fluidité,
la mobilité des signes et donc dès le départ avec le travail
du signifiant comme tel mais la psychanalyse a t-elle pour fonction d’entretenir
notre bien généreuse censure ? Si notre culture engage chacun
de nous à tenir une femme comme on tient un homme, avons-nous simplement
à en accompagner les effets les plus caricaturaux ?
Lacan le répète souvent : la psychanalyse reste sur le seuil
; c’est le terme également qu’il prend pour désigner l’arrêt
de Freud concernant la sublimation.
Lacan rappelle les caractéristiques de la sublimation :
– détournée/quant au but
– inhibée
– idéalisation de l’objet
– opérant avec la pulsion et mode de satisfaction de cette dernière.
Si la sublimation se distingue du refoulement, insister uniquement sur l’inhibition
quant au but ne suffit pas.
Il faut mettre l’éclairage sur ce lien que j’évoquais entre
le Drang, la poussée pulsionnelle et la mobilité des signifiants
comme tels.
L’opération consiste-t-elle à dénouer arrimage, signifiant
et fixation pulsionnelle ?
Il y a là une première difficulté qui a fait souvent télescoper,
confondre : opération portée sur le fantasme et sublimation.
N’épuisons pas tout de suite cette difficulté qui me paraît
véritable :
– Nous verrons avec l’amour courtois, qu’il y a effectivement relance de l’économie
du Sujet, au prix d’un travail particulier qui amène signifiant et objet
sur le même rang, avec ceci à souligner c’est que cet objet d’idéalisé
devient inaccessible ; ou bien, je pense à l’oeuvre d’art, l’objet
est trouvaille (non pas retrouvaille). Il y a donc production – non pas expulsion,
séparation (concernant l’objet).
Je dirais que cette opération semble en première approximation,
se passer sur un registre voisin, séparé, de celui de la castration.
Zone où le sujet, (qui est aussi bien celui de la psychologie collective)
peut ainsi peut-être s’accomoder d’une certaine normalisation oedipienne
masquant tout de même le problème du déclin de l’oedipe.
La jouissance, la chose, le Nebenmensch
Lacan nous rappelle que chez Freud la dialectique du plaisir implique la centralité
d’une zone interdite : cette centralité là, c’est le champ de
la jouissance.
Il y a une vacuole, cet interdit au centre qui constitue ce qui nous est le
plus prochain tout ou nous étant extérieur : il faudrait,
dit-il, faire le mot « extime ».
Puis, il rappelle les termes das Ding et Nebenmensch longuement développés
dans l’Éthique.
La notion du das Ding a le rapport le plus étroit avec ce que Freud
appelle l’expérience du Nebenmensch, que l’on peut traduire par »
le prochain « .
Division originelle comme ce qui du dedans du sujet se trouve à l’origine
porté dans un premier dehors avec la notion de ce das Ding comme étranger
et même comme hostile à l’occasion ; autour de Ding le sujet fait
l’épreuve de quelque chose qui peut servir, servir à le référer
à son monde de souhaits et d’attentes.
C’est aussi par rapport à ce Ding originel que va tourner tout le mouvement
de la représentation ; quant au mouvement du désir, sa mise en
place se fait par la voie de l’interrogation sur ce qui vient de la part du
Nebenmensch, aussi bien sur ce qui est fondamentalement perdu dans ce rapport,
que ce qui est la part ignorée du désir de ce Nebenmensch.
Mais il faut dire plus concernant la jouissance et le Nebenmensch : s’il y
a vacuole, si la zone est interdite, c’est que, et Lacan le dit abruptement
comme telle, c’est que la jouissance est un mal.
Elle est un mal parce qu’elle comporte le mal du prochain ; ce qui se pose
comme le véritable problème de l’amour ; c’est la présence
de cette méchanceté foncière qui habite le prochain, mais
dès lors aussi en moi-même.
Lacan rappelle le célèbre texte du » Malaise dans la
civilisation « : » L’homme essaie de satisfaire son besoin
d’agression au dépens de son prochain, d’exploiter son travail sans dédommagement,
de l’utiliser servilement sans son consentement, de s’approprier son bien, de
l’humilier, de lui infliger des souffrances, de le martyriser et de le tuer…
«
Nocivité fondamentale au coeur de la jouissance ; Sade est
sur cette limite : il s’y avance et alors le corps du prochain se morcelle.
Comment ne pas reculer devant l’amour prescrit du prochain ?
Faut-il entendre la sublimation comme la réponse de Freud à ce
problème de la jouissance ; la sublimation comme moyen de réduire
la nocivité de notre rapport au prochain ?
Il ne me semble pas.
Il faut sentir tout le poids de la formule : » Le prochain, c’est l’imminence
intolérable de la jouissance, l’Autre n’en est que le terre-plein nettoyé.
L’Autre, c’est un terrain nettoyé de la jouissance. «
Nous aurions donc ce rapport d’antinomie : la jouissance du côté
de la Chose, jouissance primordiale certes, mais tellement répétée,
renouvelée, actuelle ; le désir serait du côté de
l’Autre comme terrain nettoyé.
Il faut cependant réfléchir à cet endroit à la
phrase du séminaire sur l’impassibilité du désir, complètement
réductible aux formes ; il y a là comme une énigme ou plutôt
une difficulté qui doit pouvoir se réfléchir à l’endroit
du graphe en S(A), c’est-à-dire qu’il faut interroger ici la précarité
de la barre.
Comment repérer dans la parole son déroulement, ses effets, ce
qui limite ou non la toute puissance de l’Autre.
Ou pour le dire autrement, le problème vient du fait que si la jouissance
est interdite, elle est aussi, par structure le plan d’appui où
va se constituer et se soutenir le désir.
Nous pourrions dire encore : comment se repère l’opération de
restitution, de petit a au champ du grand Autre puisqu’il semble que
l’organisation perverse de notre monde pousse à cette restauration ?
La question essentielle est ici l’abord, l’évaluation des rapports du
sujet à l’Autre dans le réel.
Lacan nous propose comme formalisation les quatre structures topologiques :
la sphère, le tore, le cross-cap et la bouteille de Klein.
Toute structure topologique ne laisse probablement pas la même place
à la possibilité de la sublimation, mais il ne suffit pas de s’arrêter
au fait qu’en général le névrosé est en panne avec
la sublimation.
Si au lieu du tore, la structure est celle de la bouteille de Klein, que dire
du retournement induit par cette surface ? Que dire de la contiguïté
dans les différents chapitres étudiés du thème de
la sublimation et du thème de la perversion?
Le désir serait du côté de l’Autre comme terrain nettoyé…
Encore faut-il examiner les incidences des signifiants concernant cet Autre
dans notre culture ?
Croire à l’Autre, les croisés, les croisades, voilà
qui nous ramène à la sublimation et… à la destruction
via l’amour courtois ; il y a bien entendu beaucoup de croisés modernes.
Lacan fait remarquer que le pervers « est du côté de ce
que l’Autre existe, que c’est un défenseur de la foi. »
Il faut également donner sa valeur aux notations cliniques : boucher
le trou, restituer, supplémenter le champ de l’Autre ;
Cette jouissance de l’Autre est à rapprocher, me semble-t-il, de cette
jouissance du corps comme enveloppe, comme surface de la bouteille.
C’est au carrefour de l’hypocondrie et de la perversion que nous sommes conduits
: la prolifération des objets a, « la valse des objets »
comme l’indique Lacan, implique par réversion, l’appel de l’objet
inanimé, idéal du désir pervers.
Nos actualités télévisuelles mettent sans cesse en rapport
ces deux bords : prolifération des objets, grand marché, compétition,
consommation et puis bien loin mais démesurément rapproché,
la guerre, la famine ; le corps que mon oeil enveloppe ou qui me dévore.
Et je ne parle pas des « scansions » publicitaires : tout est remis
entre parenthèses, encadré, la marmite refermée sur l’objet
dont la production est la plus soigneusement travaillée, la plus cher
payée : mousse à raser, protège-slip ; circulez !
La création culturelle, cinématographique surtout, tend à
rendre transparents les modes usuels de la transgression. Les thèmes
ne changent pas fondamentalement – ce que nous savons du côté bancal
de la vie des couples ou des familles – mais c’est l’importance donnée
au dévoilement qui est frappante.
Autre dimension du retournement : celle de la complicité, du »
bien sûr, vous en êtes un autre… »
Le versant de l’amour courtois
Lacan insiste beaucoup sur un bord de la sublimation : la place de l’amour
courtois.
Idéalisation de l’objet et aussi inaccessibilité de l’objet
: la femme est isolée derrière une barrière (à nouveau
la notion de limite, d’infranchissable) ; l’objet se dépersonnalise,
se vide de toute substance, si bien que la tendance est dans cette demande,
la poésie courtoise, d’être privé à proprement parler
de quelque chose de réel : cet objet dit Lacan affolant, ce partenaire
inhumain ; rôle de limite qui, bien sûr, nous rappelle ce que nous
disions précédemment du Nebenmensch.
Nous avons là affaire à une organisation artificielle du signifiant
qui fixe la direction d’une certaine ascèse, donne un nouveau sens dans
l’économie psychique à la conduite du détour ; détour
dont la fonction est de faire apparaître comme tel ce domaine de la vacuole
; détour profondément marqué par l’articulation signifiante
puisqu’elle contient en elle-même la possibilité d’un tel changement
: il n’y a pas nouvel objet, ni retrouvaille avec l’objet d’avant, mais c’est
dans la métonymie même que la satisfaction réside.
C’est à cet endroit que le concept de sublimation me paraît le
plus opérant, le plus intéressant car on sent bien que la psychanalyse
se tient aussi là, dans cet espace, cette économie du détour
où ce qui est approché, révélé est quelque
chose qui concerne la jouissance, mais aussi le désir, pour peu que la
psychanalyse elle-même n’accepte pas le glissement, le déplacement
opéré sur cette place du désir : puisque si Lacan insiste
sur l’amour courtois, c’est qu’il est le reliquat d’un ordre antique, témoin
d’un certain rapport au désir et ce qu’il faut rappeler maintenant c’est
que dans notre cité, ce qui domine, nous aveugle, c’est l’amour chrétien
; l’amour chrétien a bousculé les anciennes places ; le désir
a été poussé ailleurs.
Ce qu’il faut joindre ainsi à la formule » l’Autre comme terrain
nettoyé de la jouissance » se sont les deux versants de cette affaire
: à un bout, possibilité d’émergence d’un certain discours,
là où les soldats ont vidé les lieux ; à l’autre
bout, rencontre de ce qu’ils allaient chercher, un haut degré de perversion
dit Lacan et la destruction qui s’en suit.
Pour être nettoyé, c’était nettoyé !
Je veux faire sentir ici, toute la difficulté de ce concept de sublimation,
le fait qu’il n’opère jamais seul.
Freud dans « Les relations de dépendance du moi » (1923)
insistait déjà sur le risque de la désunion pulsionnelle
introduite par la sublimation : » La composante érotique n’a plus
après la sublimation la force de lier la totalité de la destruction
qui s’y adjoignait et celle-ci devient libre comme tendance à l’agression
et à la destruction. »
L’autre versant de la sublimation chez Freud c’est l’oeuvre d’art : la
satisfaction de la pulsion dans une production. Freud insiste sur l’aspect mercantile
de l’affaire puisqu’il s’agit de la possibilité de rendre ses désirs
commerciaux.
Pour rester dans le fil précédent, je dirai simplement que le
culte du beau, l’esthétisme s’accomode dans l’histoire sans difficulté
de la cruauté la plus programmée.
Dans « L’Éthique », Lacan pointait peut-être
davantage la dimension de l’objet créé comme signifiant
: la femme comme être de signifiants.
Ce séminaire-ci insiste plus sur l’irréductible du réel
de la pulsion et sur la topologie de la vacuole, et du même coup c’est
bien la question du fantasme, du S×a, qui donne l’horizon aux problèmes
de la sublimation et plus généralement de la cure.
La formule d’inclusion (« l’objet chatouille das Ding de l’intérieur « )
remplace la fonction de couverture, de recouvrement.
Dans » l’Éthique « , Lacan terminait néanmoins
sur une métonymie très particulière : en parlant de la
sublimation comme création signifiante : manger le livre.
Il disait déjà que le désir ne s’en trouvait nullement
libéré, mais plus subtilement que dans les périodes historiques
précédentes, refoulé dans la pulsion la plus aveugle, celle
de savoir, et il visait là le livre de la science occidentale.
Je crois avoir assez insisté : la sublimation est à considérer
sans idéalisation. Elle trouve sa limite dans son économie même
et par certains bords, nous détourne d’une juste évaluation du
moment du Sujet, individuel comme collectif puisque c’est le même.
Sa place dans chaque structure me semble encore à établir.
J’aimerai finir, puisque Lacan nous le propose, en essayant d’ajouter à
la sublimation un vecteur possible assez nouveau dans son extension au corps
social.
Je veux parler du « tout-humanitaire », ingérence humanitaire,
médecine humanitaire, droit humanitaire…
Ce « tout humanitaire » est dans la chute des idéaux, la valeur
qui monte et occupe le champ.
– C’est d’abord un thème récurrent chez beaucoup d’entre
nous, autour de nous, mais je veux dire y compris dans la recherche de ce qui
ferait par exemple point d’acte dans une cure.
– C’est un thème fantastiquement médiatisé et par conséquent
glorifié, faisant rebond de toute critique.
– C’est un thème héroïque (un des derniers héroïsme
nobles) ; ce qui n’est pas sans nous rappeler nos croisés, ou plutôt
les Moines chevaliers (de l’ordre de st Jean de l’hôpital en Terre sainte),
mais aussi à la même époque la léproserie de saint
Francois d’Assise.
Il ne s’agit pas de condamner, ni même de freiner des initiatives nécessaires,
mais simplement de remarquer la valse des objets comme l’indique Lacan
puisqu’en permanence ou nous appelle, sur cette limite : celle où effectivement
devant nos yeux via les écrans, le corps du prochain se disloque.
Ce qui nous ramène à la question du déclin de l’oedipe
car il y a chez Lacan une insistance sur la distinction à opérer
entre la mise en scène héroïque de l’oedipe et ce qu’il
y a de structural derrière : le noeud de jouissance à l’origine
de tout savoir.
J’explicite un peu ce raccourci : l’humanitaire est d’abord un champ qui nous
ramène au corps, mais nous passons à l’image des corps, image(s)
qui force(nt) automatiquement notre Imaginaire : nous sommes convoqués
au lieu de cette « chose » : camp, chantier, ruines, etc.
Il y a bien entendu dans cet appel une certaine polarité de l’Autre,
du grand Autre, puisqu’une valeur, un prix moral sont accordés à
nos marques d’indignation, de compassion, de solidarité.
Mais nous ne pouvons jamais être quittes : la permanence des images,
leurs rappels incessants, leur circuit éffréné d’un point
à un autre de la planète, semblent devoir maintenir l’oeil
sur les objets macabres. L’Image doit être entretenue ; j’irais presque
à dire d’une manière qui crée » dépendance
« .
La difficulté est que tout ceci prend son importance au nom de la morale,
de l’éthique : toi qui es endormi dans ton confort écoeurant,
tu dois savoir ! Avons-nous d’ailleurs affaire à un certain croisement
des discours ?
L’éthique médicale sert de carrefour, de passage, à des
discours dont l’autonomie n’est pas assurée ; discours analytique compris.
Quelle place donner à ce qui est désormais nommé »
désir d’humanitaire » ?
Pouvons-nous dire simplement qu’il est le résultat de ce glissement
que j’évoquais précédemment, ce déplacement de l’amour
courtois, tel que Lacan le positionne, vers l’amour chrétien ?
Bien des exemples, bien des dénégations peuvent accréditer
ce propos.
La tendance est que se détache néanmoins l’humanitaire de son
tissu de Charité.
L’engagement s’est politisé, au sens de la critique social et institutionnelle,
il se serait en quelque sorte laïcisé.
Le » désir d’humanitaire » est une réponse dans le
creux, dans le vide, laissé par le glissement du discours amoureux.
Je rappellais que la sublimation n’opère jamais seule et l’émergence
d’un nouveau discours est à examiner en fonction de ses rapports avec
les autres avatars de l’amour et du bien ; droit du sol – droit du sang, immigration
zéro, hygiénisme, etc.
A ce titre, si l’idée bien entendu n’est pas neuve, la consécration
d’un mot nouveau, d’un signifiant nouveau, « l’humanitaire », doit
nous faire réfléchir à la difficulté d’assumer,
d’assurer la consistance de notre propre discours.
La laïcisation du discours humanitaire a sa limite de structure : si
nous sommes les « uns en plus » qui devons veiller à la santé
de toute la planète, il y a gros à parier qu’une nouvelle alliance
avec le Père y trouve son compte. (Nous pouvons parfois apprécier
les débordements du gros bâton lorsque les peuples égarés
refusent obstinément la fête phallique standardisée).
Lacan a essayé, je crois, de promouvoir une position quant aux discours
qui nous permettrait de traiter moins religieusement nos prétendues exceptions.
Nous n’avons malheureusement pas les indices sensibles de l’incidence de ce
frayage dans notre cité.
Il ne suffit en rien de critiquer le Tout humanitaire. Il faut comprendre pourquoi
son éthique marque aussi profondément notre propre champ, car
si la psychanalyse reste sur le seuil, elle refluera vers les discours qui substance.