Vu l’heure, je n’ai que très peu de temps, donc je vais être assez rapide. Il y a beaucoup de choses à dire. En premier lieu, dire merci beaucoup à Carlos qui a organisé cette journée, ainsi qu’à Malika et Corine pour leur assistance constante, et à toutes les personnes qui ont proposé leurs exposés et à celles qui les ont discutés. J’ai envie de commencer par un petit rappel qui me semble toujours important.
La place d’où chacun parle, aujourd’hui, comme dans les différentes journées que nous organisons, n’est jamais que la place de « l’analysant ». C’est en tant qu’analysant que l’on parle. Et bien entendu, des questions qui sont pour nous au travail, pour chacun d’entre nous, de la façon dont notre expérience, je reprends ici ce terme de Lacan employé par Marie tout à l’heure, dont notre expérience nous enseigne. Et tout aussi bien nous enseigne quant à la façon dont les patients, qui sont souvent avec nous très patients, inventent, créent, trouvent des solutions.
Je remercie beaucoup Anouk de nous avoir fait entendre que justement cette position, je vais y revenir tout à l’heure, cette position masculine, ne peut pas se soutenir sans une position féminine. Je le dis volontairement comme ça, parce que ce ne sont que des places. Il n’y a pas d’un sans autre. Dire qu’il n’y a pas d’un sans autre, c’est d’abord une question de logique. C’est-à-dire de prise en compte des lois du langage, de sa topologie même, au-delà des divers aménagements subjectifs et sociaux, au-delà de ce que l’on peut en faire.
Il y a quelque temps maintenant, alors que je lui parlais de pratique dans les institutions, Charles Melman m’a dit : « Enfin Jean-Luc, vous savez bien qu’il n’y a de pratique que sexuelle. » Il n’y a de pratique que sexuelle ? Bon oui, si vous voulez. Je n’ai pas trop osé le contester, mais cela ne m’a pas paru évident dans un premier temps.
C’était parfois sa façon d’amener les choses et à chacun de s’en débrouiller avec ça. Je n’étais pas sans savoir que Charles Melman avait lu et relu Freud. Freud qui, lorsqu’il était accusé de tout renvoyer au sexuel, rappelait qu’il ne s’agissait pas de prendre le sexuel au sens trivial, mais qu’il s’agissait de prendre le sexuel en tant qu’effet d’une division. Rappelons-nous que le sexuel désigne la section. En l’occurrence, celle du signifiant qui vient découper et organiser l’espace du « parlêtre » entre un espace un et un espace autre, et donc qu’en toute logique, il ne peut pas y avoir d’un sans autre, et d’autre sans un. Ce qui ne veut pas dire qu’entre ces deux espaces cela fasse rapport, justement.
Pour le dire autrement, comme cela a été rappelé tout à l’heure, cela a des effets tout à fait déterminants. Ces conditions logiques ont des effets cliniques. Nous l’avons je crois bien entendu tout à l’heure avec l’exposé de Marie et son « prince », puisque bien entendu, c’était sous le regard de deux femmes, au moins.
Il n’aurait jamais été dit « prince », nommé ainsi, s’il n’y avait pas eu une femme à le voir, à le lire, et qui venait ainsi donner valeur à cette place. Anouk nous a également donné un très bel exemple tout à l’heure, avec cet homme, finalement, qui n’était pas considéré par les autres, sauf si une femme venait lui attribuer une valeur. Ou quelqu’un du côté féminin.
Tout d’un coup, il redevient intéressant. On voit bien les effets que cela a. Pour faire référence à l’une des fondatrices de ce groupe de travail, Rozenn Le Duault, qui particulièrement en Bretagne évoquait très souvent l’admiration qu’elle avait pour ces grands guerriers noirs des îles du nord du monde, qu’étaient les guerriers Pictes. Ils avaient fait reculer les Romains, qui avaient dû créer le mur d’Adrien pour séparer l’Angleterre de l’Écosse, tellement ils craignaient ces guerriers. Elle évoquait tout le temps son admiration devant ces grands guerriers qui se battaient nus avec leurs lances et leurs épées.
Quel effet cela avait, à votre avis ? Cela avait un effet immédiat de haine des autres femmes, cette admiration d’une femme pour des hommes qui ne sont pas, dans le dire de Rozenn Le Duault, sans l’avoir. Des femmes analystes, bien entendu ! Car dès que nous sommes en groupe, nous n’avons jamais beaucoup de recul par rapport à ces mécanismes là : analysants que nous sommes.
Pourquoi je vous raconte ces histoires ? Parce que ce sont des questions de logique, qui peuvent pour nous constituer des repères. Comme de faire entendre le statut de ce phallus dont nous avons évoqué plusieurs fois la fonction. Il est important de se rappeler quelque chose qui est tout à fait essentiel à propos du phallus. C’est ce que Lacan vient nous dire, je crois que c’est dans « Subversion du sujet et dialectique du désir », que la fonction phallique c’est une fonction de signification, de référent dans la signification.
C’est une fonction qui vient alors vectoriser l’énonciation. Donc c’est dans la parole que ça vient s’entendre, raisonner (ou résonner). Et bien entendu, c’est une fonction dont on ne sait pas très bien ce dont il s’agit, cette barre.
Je me souviens de journées qui avaient été organisées à l’époque où Bernard Vandermersch était président de l’ALI : « Savons-nous encore ce qu’est le phallus ? » Bernard était venu en introduction de cette journée s’excuser, en disant « mais on s’est trompé dans le titre, parce qu’en fait, on n’en a jamais rien su de ce que c’était. » Donc il s’agit tout à fait, dans cette position masculine, de se retrouver en position d’être représentant de quoi, d’un manque, d’une absence.
Pas de se situer dans la représentation, dans l’imaginaire, mais dans le symbolique du représentant. Et vous savez comment aujourd’hui on est confronté à plusieurs endroits à une crise de cette fonction de représentant. On ne fait plus crédit aux représentants.
Il s’agit donc d’être représentant de quelque chose qui a aussi été évoqué pendant cette journée et qui me semble très important. C’est d’un semblant. Ce n’est qu’un semblant, puisque vous allez vectoriser la signification dans un sens ou dans un autre.
Ce n’est qu’un semblant. Pourquoi ce serait ça ou pas ça ? Prenons l’exemple qu’Anouck nous a donné : « Je ne peux plus coucher avec ma femme » lui dit cet homme.
« Comment vous l’entendez ? » Vous voyez bien que, bien entendu, la valeur qui va être donnée à cette parole ne va pas être la même si je l’entends comme « je n’y arrive plus » ou « on m’empêche », ou encore « je n’en peux plus », « je n’en veux plus ». Vous voyez qu’il y a vraiment quelque chose là à prendre en compte. Qu’est-ce que cet homme va devoir inventer pour pouvoir faire entendre quelque chose qui n’est pas entendu dans la valeur de sa parole ? C’est-à-dire que lorsqu’il dit « Je ne peux plus coucher avec ma femme », il parle d’autre chose. « Qu’on dise reste oublié… » Il parle d’une impuissance qui voile et dévoile un impossible.
Si j’entends ce qu’il dit au premier degré, si je n’entends pas qu’il y a là une équivoque, eh bien reste oubliés cette dimension Autre et le vide qui la fonde. Et alors la valeur que je vais donner à cette parole, ce n’est que celle d’une plainte. Un pauvre petit vieux qui se plaint.
Ce n’est pas quelqu’un qui vient dire quelque chose qui a une signification pour lui tout à fait essentielle. Ça fait écho avec le fait que Lacan évoquait qu’homme, c’était un signifiant. C’était aussi insignifiant, parce que le référent phallique en tant que semblant est très facile à destituer.
Pour paraphraser Sandrine Rousseau, c’est pour cette raison que ça se déconstruit aussi facilement. Lacan disait homme, femme ce sont des signifiants, mais ça renvoyait effectivement à cette question logique, c’est-à-dire comment s’articule un signifiant avec un autre signifiant. Les conséquences que cela peut avoir d’un côte, bien différentes de celles de l’autre.
C’est de cela dont il s’agit dans nos dernières journées, celle-ci et celle de l’année dernière sur l’éternel féminin. Je crois que cela a été entendu dans les exposés qui ont été faits aujourd’hui, comment cette question logique vient s’articuler dans la clinique. Comment, dans le contexte actuel, mais aussi dans les contextes institutionnels qui ont été décrits, je vais dire malgré tout, une parole peut quand même se faire entendre.
Comme cela a été remarqué ce matin, pour peu qu’il y ait des jeunes femmes qui soient disposées à venir les écouter, ces hommes, à donner un peu de valeur à leurs paroles, eh bien, il y a quelque chose qui peut de nouveau s’articuler, résonner, et se faire entendre. Et alors, c’est cela que je trouve important à retenir de notre journée de travail, cela a aussi été dit ce matin, et cela me semble essentiel à prendre en compte, c’est que jusqu’au bout de la vie, quelque chose peut s’inventer. C’est-à-dire qu’il y a encore quelque chose de nouveau qui peut émerger d’une parole subjective encore à l’œuvre. Cela me semble tout à fait important à soutenir lorsque nous abordons le vif de cette clinique.
Voilà, je vous remercie de votre attention.