Comment ça va, Ferdinand ?
25 mars 2025

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Pascale BÉLOT-FOURCADE
Le Grand Séminaire

Des mots sous les mots à la misologie contemporaine

comme m’a dit un enfant, avez-vous trouvé Saussure à votre pied ? c’est pas sûr !

 

 

Les mots sous les mots : c’est une expression de Ferdinand de Saussure qui situe bien en quoi le sujet est en équilibre sur les mots. Je dis bien en équilibre cad sans idée de surplomb.

 

Lacan dans son élaboration a fait se rencontrer deux génies du siècle précédent qui s’ignoraient : Ferdinand de Saussure et Sigmund Freud, l’un qui inventa l’inconscient ( c’est toujours à « métalanguer », c’est unbewusst ) et Ferdinand de Saussure qui nous a introduit à la linguistique moderne qui a permis à Lacan sa lecture renouvelée de Freud, cad comment l’analyste peut opérer avec le langage.

Vous connaissez : « l’inconscient est structuré comme un langage ». C’est cette rencontre qui en  est à l’origine.

 

Ferdinand de Saussure a décrit le système de la langue comme système de valeurs différentielles et surtout nous a amené l’articulation s/S que Lacan a inversé en donnant la précédence au signifiant: S/s. Mais du fait de la coupure de la barre, le signifiant ne se couple pas au sens mais à un autre signifiant pour produire un effet de signification. C’est là la révolution.

 

Je vais aller un peu vite : Le signifiant refoulé c’est la lettre . La lettre, à mi-chemin entre l’écrit et la parole, introduit à ce qui résiste au sens. Il faut passer des mots sous les mots, de l’instance de la lettre dans S/s pour en arriver à la métaphore. Lacan nous avance :  Le symptôme est métaphore du signifiant refoulé. C’est la dominance du symbolique sur l’imaginaire : c’est ce qui permet de vérifier la lecture à partir de la chaîne signifiante. L’interprétation, elle, est imaginaire : Cette idée rend intelligible et logique la formation du symptôme et le processus d’interprétation que j’appellerai laïque, c’est décisif.

 

Elle a eu du mal à émerger car on croyait aux mystères et à la sphinge, Même Ferdinand de Saussure, malgré la rationalité apportée par la linguistique à l’analyse du langage et de l’acte de parole, avait presque déliré dans ses anagrammes, à vouloir sans doute trouver un auteur, un créateur. Ch. Melman en avait toujours été épaté d’ailleurs, il y avait de quoi ! Ferdinand de Saussure les a remis dans son tiroir et ce sont d’autres qui ont édité son cours de linguistique générale. C’était peut-être déjà une interprétation.

 

L’inconscient est avant tout pour Lacan quelque chose qui se lit : « ne comprenez pas, lisez » nous enjoint-il. On peut dire que Lacan a noué la parole, le dire et la lecture. La passe Saussurienne a été décisive. Dans un deuxième temps, Il va tenter au-delà, dans la mise en avant de la lalangue, une certaine refonte de la psychanalyse qui n’était pas non plus ignorée de Freud ou de son trajet toujours contrasté entre un rigorisme scientifique et le hors sens que Freud avait déjà mis en exergue dans le sens où le réel n’est pas réductible à la signification. Le « pas tout échappe » au phallique. C. Melman dans les Travaux Pratiques de clinique psychanalytique rappelle qu’il n’y aurait pas d’interprétation possible si le sens phallique épuisait la signification. Il n’y a interprétation voire invitation à l’interprétation, que parce que le sens phallique n’est « pas tout », que parce qu’il y a de l’Autre.

 

La lalangue n’est rien d’autre de plus que l’intégralité des équivoques que son histoire y a laissé persister. Cette définition ne s’intègre pas à la logique des linguistes. La lalangue reprend le pas freudien du Witz, des mots sous les mots, des mots dans les mots,. La lalangue n’est pas l’origine du langage mais elle enserre toutes les équivoques du langage,.

 

Il n’y a pas de l’Etre sans la lalangue. Comment est-ce que lalangue ça peut se précipiter dans la lettre ? C’est une question qui nous retient. L’enjeu, il me semble , reste l’incarnation des corps, ce qui était réservé à la religion : un pas de plus laïque !

La motérialité de lalangue offre ces trouvailles qui peuvent émailler la cure et surprendre l’analyste : ce sont les actes du sujet dans lalangue, une affaire bien laïque encore ! On y retrouve le savoir faire d’un sujet avec sa lalangue, réalisant le lien du signifiant avec la jouissance. Le corps y est toujours impliqué, il n’est pas un appendice du cerveau.

Bien sûr on a tous ressenti que la lalangue correspondait à l’émergence d’un hors sens dans la langue bien différent d’un sujet à l’autre, et nous sommes toujours confrontés à la résistance irréductible de la singularité , d’une vérité que Lacan a  nommé la varité

 

Lacan, dans « le moment de conclure », en 1977, nous dit que « ce qu’il faudrait bien, c’est que l’analyse arrive par une supposition, à défaire par la parole ce qui s’est fait par la parole » (Le moment de conclure 15/11/77). C’est une définition de l’acte interprétatif. Et pourtant Lacan a pu dire aussi, certes tardivement, que le langage est un mauvais outil.  Bien sûr, c’est comme cela que je l’entends : la logique de l’amour inhérente à la libido et à la possibilité du transfert ne s’accorde pas au signifiant comme d’ailleurs il y a discordance entre le miroir et la chaîne signifiante. Cela « frégolise » ou ça « sosifie » toujours un peu ! J’exagère certainement ma lecture mais il ne faut pas oublier que les mots et les choses ne coïncident pas.

 

D’où la question du leurre et la fascination du non-sens dans l’interprétation comme approche de lambeaux de réel, déjà longuement évoquée dans ce séminaire.  La poésie y est avancée en tournant autour de l’injonction célèbre de Lacan, qu’on n’est jamais  « pouâte assez »,

 

Un travail avec un patient m’a fait ré-ouvrir Rimbaud, « Rimbaud le voyou », titre d’un livre étonnant d’un Roumain, Benjamin Fondane, qui l’a écrit en 1930. Il est malheureusement mort à Birkenau en 1944.

A sa mère à qui il avait donné à lire sa « Saison en enfer », à sa mère qui lui avait demandé ce que cela voulait bien dire, Rimbaud avait répondu : « lisez cela à la lettre et dans tous les sens ».

 

A la lettre :pas d’invention, pas d’interprétation fallacieuse, Rimbaud en avait marre de l’interprétation religieuse de ses écrits.

 

Dans tous les sens : on peut rester dans un premier temps sur cette phrase même si on pense que pour l’interprétation analytique ce n’est pas qu’exact, car c’est oublier en particulier que l’interprétation surgit dans une situation de transfert et de singularité et se doit de suivre les méandres de la cure dans une visée pas trop folle.

 

Dans tous les sens : c’est ce qu’on fait de temps en temps sans savoir le résultat de nos « dires éclairants » comme les nommait Lacan au départ, sans conférer à ces dires le nom d’interprétation, et parce que nous ne gardons pas totalement la boussole de l’œdipe freudien. La structure langagière interdit d’assimiler l’œdipe à l’inconscient. C’est cela le pas de Lacan.

 

Dans la triade RSI, l’inconscient dans la langue a permis de situer le but de la cure et sa finalité. car le sujet est infini mais le désir limité, ce qui limite heureusement la cure infinie. On peut y croire !

 

L’analyste n’a pas à se poser comme un idéologue armé de son savoir : La voie royale a été à nouveau ré interrogée et nous a simultanément montré que de la transmission d’un savoir il y en avait : c’est une bonne nouvelle il faut l’accueillir. J’aurais presque aimé que de la voie royale on parle de la voie « em-pire-iale », cela aurait été plus lacanien ; mais Claudel et surtout Calderon de la Barca nous ont fait savoir que le pire n’est pas garanti non plus !

 

J’ai donc reparcouru Rimbaud où j’ai retrouvé Lacan comme un grand lecteur. Il ne s’agissait certainement pas pour lui de mémoire. Dans un des derniers textes de Rimbaud : « Démocratie », il nous avertit de la crevaison du sujet : je vous cite : « Nous aurons la philosophie féroce ; ignorants pour la science, roués pour le confort ; la crevaison pour le monde qui va. C’est la vrai marche ». Lacan en 74 à Milan a rejoint l’interprétation incomprise de Rimbaud et du rôle qu’il pense allouer comme « poumon » à la psychanalyse. Je ne pense pas du tout que cette alerte de 74 soit à minimiser. Car nous savons aujourd’hui que la crevaison c’est la course à l’utopie des technosciences qui désérotisent. Le pire n’a peut-être plus de limite non plus. Lacan avait été capable d’entendre ce que Rimbaud nous délivre d’insupportable en lui. Rimbaud n’est pas arrivé à cette aperception d’un réel, ce pourquoi il a arrêté.. Lacan quant à lui écrit : « Il n’y a que la poésie, vous ai-je dit, qui permette l’interprétation et c’est en cela que je n’arrive plus, dans ma technique, à ce qu’elle tienne : je ne suis pas assez pouâte »

 

 « La poésie fait œuvre à partir de « se jouir » et prend tous les risques » . Mais  ne nous impassons pas : Rimbaud nous avait averti : « on me pense » et il ajoutait :  « je est un autre ». Comme le rappelle Esther Tellermann,: « le poète ne fait que pratiquer, comme pourrait le faire le patient en cure, le savoir insu de la langue ». Ne nous impassons pas : entre on et  autre, l’assurance n’est pas garantie. la poésie ne soigne pas la folie. Ne nous impassons pas aussi dans l’extase littéraire. Lacan a toujours recherché dans la rigueur de l’écriture ce qui échappe à la parole, celle de la logique et peut-être a-t-il voulu trouver dans la logique des nœuds une rigueur qui reste un outil indépassable. Rappelons le : Les formules de la sexuation s’inscrivent dans l’impossible rencontre des Hommes et des Femmes dans leur dissymétrie. Elles sont nécessaires à conjoindre la langue et le sexe. Le savoir sur le non rapport sexuel est nécessaire pour la psychanalyse car il est le savoir du névrosé.  Ne nous impassons pas dans la passion de l’ignorance comme dans celle d’un trop savoir : les facilités que propose aujourd’hui ce que Lacan a appelé des signifiants fous et le dopage toxicomaniaque de la société. Freud, d’ailleurs, nous avait déjà alerté : « Quiconque promet à l’humanité de la libérer des épreuves du sexe, on le laissera parler, quelque ânerie qu’il débite ». C’est pas si simple !

 

Il rapporte plutôt qu’il faudrait que l’analyste puisse opérer convenablement, qu’il se rende compte de la portée des mots pour son analysant, ce qu’incontestablement il ignore. Il ne le sait qu’à posteriori et parfois très longtemps après.

 

Je n’ai pas assez dit que s’il y a de l’interprétation, c’est bien là que se dit la socialisation humaine. Je m’accorde en cela avec J-P. Lebrun car le symptôme psychique relève du parlêtre cad de la parole et du langage. L’interprétation nécessite le cadrage de la cure et l’interpellation du sujet qui suppose le désir de l’Autre en question et cette interpellation du sujet est de départ. Je le reprendrai.

 

Peut-on faire des interprétations en vidéo, sans présence ? Toute technologie révèle un changement du rapport au monde et il faut en prendre acte. J-P. Lebrun interroge : Faut-il prévoir une nouvelle psychanalyse en raison d’une technologie qui crée un nouveau monde ? Savons-nous même y lire les résistances qui s’y déploient ? Un patient averti qui me parlait de son copain en analyse par vidéo m’avait suggéré que ce serait une analyse sans grand Autre et sans corps. Il s’en inquiétait.

 

Autre question encore : le discours social met en communication les signifiants marketing du pouvoir social : burn out, gender, dysphorie sont des interprétations folles Cela devient le symptôme d’un discours néo libéral organisé par l’argent. La très large diffusion par les media d’un pseudo savoir politiquement correct, l’engouement pour les soins, pour l’éducation amène sur nos divans une population bardée de fausses connaissances, capturée voire stigmatisée par de fausses interprétations qui constituent un barrage à l’irruption de la vérité subjective. Sommes-nous assez conséquents pour y faire face ?

Faire que l’analyse aille dans le sens d’un bien dire, qu’elle n’échappe pas totalement à la vérité est un cap de la cure car être pris dans la fallace des mots qui n’existent pas n’a rien à voir, bien sûr, avec ce qu’attendait Lacan d’un signifiant nouveau.

Alors Je me demande toujours « que fait-on ? » : en fait pas moyen de faire autrement, il en va, d’ailleurs, nous dira Lacan, de la responsabilité de l’analyste.

Au dispensaire nous étions pour beaucoup dans une période transgressive, à exercer notre savoir sans le monnayer d’analyste à analysant. On croyait peut-être à la cure libre !… J’ai eu beaucoup de chance : aucune de ces analyses ne s’est révélé dommageable par des symptômes qui auraient été intraitables, en particulier psychosomatiques.

J’y ai donc rencontré un patient qui me dit : « Mes parents sont divorcés » « Ils ne l’ont pas toujours été » ai-je répondu. qu’est ce qui m’était passé par la tête de renvoyer cette évidence ? Cela n’en était pas une pour lui. Après 2 séances ce patient a poursuivi de longues années une analyse. j’ai pu mener cette analyse grâce à une intervention de Simatos qui m’a dit : « allez-y à  la lettre ». Je souligne l’importance de ces contrôleurs, de la lecture des collègues et de certains auteurs ancien et actuels (Braunstein, Toboul, etc…) qui a peut-être limité mon « je n’en veux rien savoir ». La proposition lacanienne de Simatos m’a permis de ne pas être écrasée par les infinis résistances des obsessionnels. A la lettre permet de se défaire du sens tragique de la passion et de la capture indue de l’Autre. Elle permet de redessiner la frontière entre le moi et l’autre, de retrouver un jeu possible en retrouvant le sens de la comédie. L’analyste doit résister au patient et aux demandes sociales ambiantes : c’était l’avertissement de Jean Bergès. Ce patient s’est marié, il a eu des enfants, a retrouvé une place adéquate à ses capacités. Il a pu résoudre au moment de la mort de son père une affaire bien difficile dans sa famille. Il a pu hériter. En bref, on se demande toujours pourquoi , pour les obsessionnels, tout est là et pourtant c’est un problème. Par moment on se croit au temps de Freud.

 

C’est dire que n’est pas prévisible ce que notre intervention, notre écoute, notre parole va permettre. Cela ressemble à un coup de dés, et comme vous le savez, jamais un coup de dé n’abolira le hasard.

 

Le style de l’analyste est en jeu car toutes les analyses ne sont pas sur le même modèle au contraire. Ce patient je l’ai mis dans l’intranquillité, c’est peut-être ainsi qu’il a payé. Pour mon contrôleur second, c’était impensable le dénouement des symptômes obsessionnels dans cette cure. Il s’y est fait.

 

Bien sûr nous sommes soutenus là-dedans par ce que nous a proposé Lacan, cad que la vérité de la névrose est d’avoir la vérité comme cause. Et nous sommes soutenus de même par le fait que le discours de l’hystérique serait celui de la subjectivité elle-même du sujet parlant.

 

Cela pose aujourd’hui de nombreux problèmes : je  n’aurai peut-être pas le temps de les évoquer. Je pense effectivement que l’hystérie n’a pas fini ses tours avec l’analyse :qu’est-ce que il ou elle ne dit pas encore dans son refus ou son évitement de son assujettissement car apprendre à lire est apprendre que dans le langage nous ne sommes que des signifiants et des semblants : semblants d’Hommes et semblants de Femmes. C’est aujourd’hui souvent oublié, par exemple quand il est revendiqué de sortir de cet affranchissement ( je me casse, je me barre..), de cet assujettissement qui divise mais qui nous permet de parler et d’agencer notre espace et notre temporalité. On se laisse parfois porter par des propos qui peuvent être de l’accompagnement, des reformulations, des dires éclairants en deçà de l’interprétation. Lacan en parle en fin de sa vie comme d’un bavardage, cad qu’on s’adresse à « un analyste à qui l’on parle librement », il est là pour ça, voilà le vrai cadre du transfert.

 

Rejoignant Jean Louis Chassaing qui nous avait proposé dans son intervention Jacques Villeret, j’ai proposé à une famille, au papa bien embarrassé de la symptomatologie de sa fille dans un mauvais corps, d’écouter Raymond Devos : comment déplacer un trou ? Cela ressemble parfois à cela une analyse. C’est par l’absurde remettre en jeu le manque à être de chacun.

 

Un autre temps s’ouvre pour le patient  dans une temporalité qui n’est pas linéaire. C’est à la fois un hors temps présent et un jeu entre le passé et le futur, celui de certaines retrouvailles avec son histoire et de trouvailles langagières qu’il y découvre dans des surgissements qui ne sont pas sans le surprendre lui-même. Ces trouvailles qui ne cessent de perdre leur valeur, pas toujours mais souvent, c’est le patient qui arrive avec :

« Vous voyez Mme Fourcade, me disait une patiente, ce que l’on a dit vendredi c’est vraiment quelque chose qui ressemble à « sacrifille » : Elle disait « sacrifille », signifiant le sacrifice de son désir dont elle demandait la reconnaissance. Je ne me suis pas étonné que ce soit une fille qui dise « sacrifille » : pas d’identité d’être de naissance pour la fille, pas de signifiant la femme. On retrouvera la question dans la rencontre qui n’est pas symétrique Homme et Femme. Est-ce que j’aurais pu entendre « sacrifils » : f-i-l-s ? cela n’aurait pas été la même adresse mais cela aurait surtout signifié la peur de la castration et de la féminisation si porteuse de la haine des Hommes à l’égard des Femmes. C’était de la fiction.

 

Sacrifille ; Est-ce un néologisme ? j’en connais bien d’autres : divorçage, écrouelles, Ce sont des mots valises à ouvrir encore et encore. C’est le terme de l’aliénation dans laquelle elle a été inscrite dans la suite du ravage maternel. C’est aussi une articulation du corps à la lettre, une inscription, l’interprétation va permettre la séparation, d’adresser à l’analyste qui doit le supporter, l’autorité dont elle délivre ses grands Autres incarnés comme disait Dolto, et qu’elle fait porter à l’analyste le temps que son présent s’ouvre différemment. Il n’y a pas d’interprétation hors du transfert et cela se vérifie. Cette trouvaille, qui est à la fois un instant poétique et un instant de vérité, c’était pour elle ouvrir une porte et c’est décisif, peut-être inoubliable dans ses conséquences.

 

Mais il faut être prudent aussi (cela fait parti du style de l’analyste), trouver le bon moment. Car l’avenir de l’interprétation n’est pas certain et Freud lui-même a vécu des déconvenues, découvrant la résistance dans le transfert. Nous ne cessons d’entendre que l’analyse ne va pas assez vite, qu’il y a des propositions d’analyses courtes. Une des plus grandes déconvenues de Freud a été de découvrir que l’inconscient était menteur, déconvenue que Lacan a pu ré interpréter : une avancée sur ce qu’il en est de l’acting out

 

Nous savons que l’acting out, ce transfert sauvage ne doit pas être interprété, il est la porte à tous les ravages, les refus ou les annulations. N’oublions pas que ce serait aujourd’hui inaudible : l’homosexualité de cette jeune personne était un acting out, même si celui-ci est un appel à l’Autre et veut en démontrer, car le sujet sait fort bien ce qu’il fait. Marcel Czermak se demandait comment ce transfert sauvage on peut le domestiquer, comment agir sur l’acting out : il faut du temps pour un déroulé de ce qui a pu empêcher la subjectivation, ce n’est pas gagné !

 

J’ajouterai enfin qu’il faut remettre dans notre besace la réaction thérapeutique négative que nous aurions tendance à oublier. Je serai, avec prudence, amené à en reparler.

 

Si nous pouvons interpréter, c’est bien, comme je l’ai déjà dit, parce que le sujet est collectif, mais il reste « apparolé » au S1. Mais comment prendre  garde à la perversion du social qui voudrait par exemple qu’on parle de TCA, trouble du comportement alimentaire (le trouble : c’est quoi ? le comportement ?) alors j’ai tenté, et il faudrait le faire beaucoup plus, le rétablissement plus correct des mots : à ces petites anorexiques qui viennent me voir, je leur dis : TCA ? Trouble du comportement amoureux !, et pas une ne s’exclame pas : « alors ça c’est vrai ! », même une petite dont la mère est morte à sa naissance et pour qui la vie ne cesse de s’arrêter . « Au début était la faim » disait Lévinas et comme toutes ces « affemmées », elles prennent le mot faim (f-a-i-m) dans l’écriture FIN.

 

Je reviens à ce trouble amoureux : est-on arrêté dans l’interprétation au seul cas par cas ? bien sûr que oui, c’est le propos de ces cures de ramener ces patients à un procès subjectif, qui redonne place à un éros entre les mots leur permettant de jouer de l’équivoque, équivoque qui ramène toujours au sexuel, et au fait que le sexe est un dire et ne définit pas un rapport. On a réussi dans le siècle précédent, avec certainement la montée de résistances que nous payons peut-être aujourd’hui, à diffuser l’œdipe comme une banalisation. A-t-on aujourd’hui, et le faut-il, la possibilité d’enrayer ce qui va à l’encontre du jeu des signifiants dans ces demandes d’être du même : TDAH, TCA, etc… on s’aperçoit là que l’identité qui s’essentialise, est bien indifférente à la différence des sexes, au jeu du semblant et de l’altérité.

Alors évidement, l’interprétation à la lettre, cad en suivant le texte du patient en ce qu’il dit de son désir ou de sa jouissance, ça n’est pas sans efficace.

 

Ça n’est pas sans efficacité dans la névrose obsessionnelle : j’ai tenté de le démonter dans l’exemple de ce patient au dispensaire. Je citerai l’exemple simple d’un patient arrêté qui découvre qu’il avait déliré mais sans délirer, en pensant qu’il avait dépucelé sa mère en naissant (fantasme pas si rare chez les obsessionnels !) : cette consommation de départ était un vrai frein à la vie : Comment mettre en place le temps du désir qui était là incarcéré ? Pour l’analysant cela implique de reprendre en permanence sa lecture, son interprétation, mais il a pu mettre un peu de légèreté dans sa recherche car, comme dit Lacan, ce qui importe dans le sexuel c’est le comique !

 

Pour la phobie aussi c’est assez opérant : Je pense à  une jeune femme dont je ne dirai pas les prénoms, qui présentait une phobie des oiseaux, cette phobie qui couvrait les secrets de l’amour et dans la suite de ses prénoms une nomination bien cachée du père , et sa terreur qui l’emprisonnait dans un espace bouché : elle me dit « on rencontre des oiseaux morts dans la rue » , je réponds : « on rencontre des amoureux aussi ». C’était une façon de percuter le regard persécutant de ces oiseaux. Avec un travail soutenu sur toutes les déclinaisons de l’oiseau, l’espace a pu être libéré en retrouvant pour elle l’altérité qui l’avait fait naître. Pour cette femme, l’enfermement  chez elle n’était plus  utile. Du possible s’ouvrait dans sa vie.

 

J’en profite pour rappeler le texte retentissant de René Tostain sur la perversion dans une phobie.

 

Pour l’hystérie ce n’est pas tout à fait pareil. Les réminiscences ce ne sont pas des lettres qu’il faut faire advenir, ce sont plutôt des lambeaux de phrases. Freud exerçait une pression frontale qui n’était pas assimilable à de la curiosité qui aurait pu paraître malsaine et qui aurait pu provoquer un recul. Le travail de la cure doit se faire dans un jeu subtil entre opacité et dévoilement.

 

On reproche beaucoup à la psychanalyse de ne pas tenir compte de la mode actuelle qui tend à faire porter la responsabilité du symptôme sur l’agression par le séducteur, on la juge insuffisante !

 

On essaie aussi  aujourd’hui un processus thérapeutique comme on consomme. On assiste à l’hystérisation des thérapeutiques naturelles : EMDR, systémique et jusqu’à récemment la relaxation orgasmique !…Elles veulent être toutes, sans religion et sans incarnation

 

Je voudrais à ce sujet insister sur un point d’éthique important : Nous ne sommes pas des radiologues de l’intime. L’intimité ne doit pas intéresser l’analyste. La métaphore du symptôme persiste. Il aura tendance à se dissoudre car elle n’en a plus besoin : insuffisance de la psychanalyse !

 

Il faut du temps pour qu’une patiente hystérique accepte de laisser tomber son malheur pour un destin commun : « la rivière a retrouvé son lit » m’a dit une patiente . Ce n’était pas dans une promesse de guérison de plénitude ni d’un bien être harmonieux. Je dirais : elle pouvait continuer à faire avec ce qu’on propose aux femmes une par une. Ainsi en va souvent le destin des femmes.

 

Ce refus aggravé d’assujettissement au malheur commun dans l’insupportable du préjudice réel ou imaginaire d’un sujet qui se considère comme un individu qui se reconnaitrait comme plein, ce que C. Melman appelait la question de l’aléatoire comme le propre de l’humain, trouve un soutien aujourd’hui dans ce grand concert médical et de sur-humanisme qui complexifie la question du corps comme médiateur entre le sujet et la jouissance : c’est le corps qui pâtit aujourd’hui, ayant bien du mal à retrouver une unité permanente.

 

C’est pour cela que ces jeunes femmes affranchies, que l’on écoute dans leurs maux, qui refusent de se plier au langage, il est bon, au lieu de l’énonciation de toute interprétation qui pourrait porter à récusation immédiate, de les interpeler, par exemple en ponctuant une parole assertive par un : « c’est vous qui le dîtes ».

 

Il faut  le rappeler à ceux et celles qui se mettent en position de déni, récusation ou refus du phallus.

 

Plus particulièrement pour les anorexiques dont j’ai déjà parlé, qui démontrent dans une dysmorphophobie le refus de la féminité, il s’agit d’une révocation du pacte de parole, d’une véritable tentative d’abstraction, dé métaphorisation, dé naturalisation qui destitue en même temps l’analyste.

 

Il serait dangereux d’interpréter et de renforcer par là la récusation du phallus.

 

Pour contrer la nouvelle politique qu’elles voudraient proposer, dans le goût de la mort, il ne s’agit pas de renforcer cette récusation du phallus mais peut-être de les interpeler, ce que méconnaissent le comportementalisme et les neurosciences qui tentent d’écraser l’éros du langage entre les mots et de les conforter dans la satisfaction de besoins supposés.

 

Il s’agit de tenter une relance et la recolonisation métaphoro-métonymique d’une subjectivité qui cherchait à s’abstraire. Patience et temps s’imposent.

 

Nous sommes dans la nécessité de ces interpellations sur les bords de ce que C. Melman appelait la misologie, la haine du langage.

 

Peut-être faut-il penser que l’hystérique participe à ce refus du langage dans la représentation et la volonté formulée de se libérer des carcans qu’il impose. La volonté d’une communication possible et totale dans les grands mouvements et l’idéal de transparence des  technologies actuelles voudraient s’émanciper d’assurer un lieu Autre soumis à la condition de l’équivoque,  de la nécessité d’en passer par le symptôme et d’acter  l’altérité.

 

On y reconnait sûrement une affaire paranoïaque. Il faut peut-être aller voir outre atlantique dans les inventions performatives qu’ils ont proposées : plus d’équivoque, plus de métaphore ou de métonymie, plus d’inconscient mais des échanges purement sémiologiques, un ordinateur, une bonne surveillance : c’est le sens du mot intelligence.

 

Charles Melman affirme que la révélation de cette sociopathie tient à l’omniprésence de l’image et la mise à l’écart de la dette. Est-ce que nos sociétés rendraient l’interprétation impossible ? L’analyse pourrait-elle se boucler dans l’impossible de l’interprétation , dans un retour à un réel réductible à la signification, pour quel Dieu?