« Une fois, quand j’étais un jeune homme dans le pays où tu es né, je suis allé me promener dans la rue un samedi, bien habillé et en portant, sur la tête, un bonnet de fourrure neuf. Survient alors un Chrétien (ein Christ) qui, d’un coup, envoie dans la boue le bonnet de fourrure et crie : ‘Juif, descends du trottoir! – Et qu’as-tu fait ? – Je suis allé sur la chaussée et j’ai ramassé le bonnet , dit mon père avec résignation.’
Cela ne m’avait pas paru héroïque de la part de cet homme grand et fort qui me tenait par la main. À cette scène, qui me déplaisait j’en opposais une autre, bien plus conforme à mes sentiments, la scène où Hamilcar fait jurer à son fils, devant son autel domestique, qu’il se vengera des Romains. Depuis lors Annibal tient une grande place dans mes fantasmes. »
Freud, Sigmund, « Matériel et sources du rêve », in : L’interprétation des rêves(1929), PUF, 1996, p 175
« Un jour, les frères expulsés se groupèrent, abattirent et consommèrent le père et mirent ainsi un terme à la horde paternelle. Réunis, ils osèrent et accomplirent ce qui était resté impossible à l’individu. (Peut-être un progrès culturel, le maniement d’une nouvelle arme, leur avait-il donné le sentiment de leur supériorité.) Qu’ils aient ainsi consommé celui qu’ils avaient tué, cela s’entend, s’agissant de sauvages cannibales. Le père primitif violent avait été certainement le modèle envié et redouté de tout un chacun dans la troupe des frères. Dès lors ils parvenaient, dans l’acte de consommer, à l’identification avec lui, tout un chacun s’appropriant une partie de sa force. Le repas totémique, peut-être la première fête de l’humanité, serait la répétition et la cérémonie commémorative de cet acte criminel mémorable, par lequel tant de choses prirent leur commencement, les organisations sociales, les restrictions morales et la religion. ».
Freud, Sigmund, (1913), « Totem et tabou », in : Oeuvres complètes, TXI, PUF, 1998, [171], p. 360
« Comme la civilisation obéit à une poussée érotique interne visant à unir les hommes en une masse maintenue par des liens serrés, elle ne peut y parvenir que par un seul moyen, en renforçant toujours davantage le sentiment de culpabilité. Ce qui commença par le père s’achève par la masse. »
Freud, Sigmund, Malaise dans la civilisation (1929), PUF, 1981, p. 91
« Le mythe, c´est ça, la tentative de donner forme épique à ce qui s’opère de la structure ».
Lacan, Jacques, Télévision.
[…]j’ai annoncé que je vous parlerai cette année des Noms du Père. Pas possible de le faire entendre ; pourquoi ce pluriel concernant les Noms ? Ce que j’entendais apporter de progrès dans une notion que j’ai amorcée dès la troisième année de mon Séminaire, quand j’ai abordé le cas Schreber, la fonction de Nom du Père ponctuait dans mon enseignement passé les repères où vous avez pu voir se fonder les linéaments :
– premièrement, 15 janvier, 22, 29 janvier et 5 février 1958, la métaphore paternelle ;
– deuxièmement, les séminaires du 20 décembre 1961 et ceux qui suivent concernant la fonction du nom propre ;
– troisièmement, les séminaires de mai de mon année sur le transfert concernant ce qui est intéressé du drame du père dans la trilogie claudélienne ;
– quatrièmement enfin, les séminaires de décembre 1961 et janvier 1962 concernant le nom propre. […]
« Il est clair que si Freud, au centre de sa doctrine, met le mythe du père, c’est en raison de l’inévitabilité de cette question. Il n’est pas moins clair que si toute la théorie et la praxis de la psychanalyse nous apparaissent aujourd’hui comme en panne, c’est pour n’avoir pas osé sur cette question aller plus loin que Freud. »
« Il est clair que l’Autre ne saurait être confondu avec le sujet qui parle au lieu de l’Autre, ne fût-ce que par sa voix ; l’Autre, s’il est ce que je dis, le lieu où ça parle, il ne peut poser qu’une sorte de problème, celui du sujet d’avant la question. Or, Freud, cela, il l’a admirablement ressenti. »
« Si, mythiquement, le père ne peut être qu’un animal, le père primordial, le père d’avant l’interdit de l’inceste ne peut être avant l’avènement de la culture, et conformément au mythe de l’animal sa satisfaction est sans fin ; le père est ce chef de horde. Mais qu’il l’appelle Totem, et justement à la lumière des progrès apportés par la critique de l’anthropologie structurale de Lévi-Strauss qui met en relief l’essence classificatoire du Totem, ce qu’il faut en second terme, c’est mettre au niveau du père la fonction du nom. Référez-vous à un certain de mes séminaires, celui où j’ai défini le nom propre. Le nom, c’est cette marque, déjà ouverte à la lecture, c’est pour cela qu’elle se lira de même en toutes les langues, y est imprimé quelque chose, peut-être un sujet qui va parler. »
« Car ce père, est-ce que nous ne pouvons pas, nous, aller au-delà du mythe pour prendre comme repère ce qu’implique le mythe dans ce registre que donne notre progrès sur ces trois termes de la jouissance, du désir et de l’objet. Car tout de suite nous verrons, concernant le père, le père pour que Freud trouve ce singulier équilibre, cette sorte de conformité de la loi et du désir vraiment conjoints, nécessités l’un par l’autre dans l’inceste, sur la supposition de la jouissance pure du père comme primordiale.
Mais ceci, qui est censé nous donner l’empreinte de la formation du désir chez l’enfant dans son procès normal, est-ce que ce n’est pas là qu’il faut qu’on se pose la question de savoir pourquoi ça donne des névroses. »
Lacan, Jacques, Extrait de l’unique leçon du séminaire « Les noms du père, Leçon du 20 novembre 1963 », publiée aux éditions hors commerce de l’ALI, in : L’Angoisse, séminaire X, version ALI (hors commerce), 2002