Charles Melman : une parole vivante
02 novembre 2022

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OLDENHOVE Etienne
Hommages à Ch. Melman
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Charles Melman : une parole vivante

 

C’est au travers de sa parole que nous l’avons d’abord rencontré.

Une parole extrêmement vivante et vivifiante.

Quand il parlait, c’était toujours éveillant. En cela, il se distinguait de maints autres psychanalystes dont la parole était orthodoxée par une écriture préalable. Avec raison, il évitait la pente mortifiante de l’écrit.

Comme Lacan, il a privilégié la parole à l’écrit.

Il était l’autorité indiscutable de l’Association Lacanienne Internationale.

Cette place d’exception, il l’a assumée pleinement à sa façon et a pu dire qu’il ne pouvait l’assumer autrement. Il nous faudra trouver pour que l’ALI reste vivante, une autre forme d’autorité.

Sa curiosité était insatiable. C’était d’abord un clinicien. Pas seulement pour les  personnes qui s’adressaient à lui, mais clinicien de tout phénomène auquel il pouvait être confronté.

Pas de théorie pour la théorie avec lui, mais une interrogation inlassable du malaise.

Un désir extrêmement fort et une grande intelligence qui ont porté l’ALI pendant quarante ans.

Ce qu’il craignait le plus, c’était de s’assoupir.

Il ne se laissait pas endormir par le principe de plaisir. Toute situation de trop grande stabilité, de répétition du même, d’habitude, de quiétude, d’harmonie, de conformisme, devait être bousculée. Cela l’amenait parfois à laisser tomber une revue ou une institution lorsqu’il pensait , à tort ou à raison, qu’elle était en train de s’enliser.

Il aimait les femmes et savait, bien que mâle indomptable, s’incliner devant leur altérité.

Nul n’oubliera ses sourires qui étaient le plus souvent bienveillants, mais parfois aussi très malicieux. C’est ce qui m’avait amené, durant mon analyse avec lui,  à le surnommer dans mes rêves « Raminagrobis », le héros de la fable « Le chat, la belette et le petit lapin » de Jean de Lafontaine.

Son humour faisait son humanité.

Mais il lui arrivait aussi de carburer à l’inimitié, voire à la haine. Et à mon avis, cela pouvait l’amener à des outrances  grinçantes et inutiles.

Il était profondément indocile.

Très tôt dans son existence, il s’est révélé « meneur d’hommes », comme me l’avait dit notre regretté René Dupuis qui l’avait connu dès avant l’âge adulte.

Le seul maître qu’il a accepté, ce fut sans doute Lacan.

Et il a essayé , mais peut-être en vain, de nous transmettre cette indocilité indispensable dans notre travail. Pas facile de se débrouiller du transfert. Comment arriver à se passer du père, tout en s’en servant, comme l’avançait Lacan.

J’ai eu des désaccords avec lui sur certains points, institutionnels surtout. J’ai pu les lui dire. Il a pu les entendre et il a veillé à maintenir le dialogue, fut-ce sur un mode discret.

Notre dette à son égard est grande. Osons inventer à sa suite. Osons le traduire et inéluctablement le trahir pour lui rester fidèle autrement.

Etienne Oldenhove