Charles Melman, repaire ou repère ?
22 octobre 2023

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GUERRERO Omar
Hommages à Ch. Melman
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Charles Melman, repaire ou repère ?

Que peut-on dire un an après la mort de Charles Melman ? Lui-même n’aimait pas trop ce genre d’exercice, sorte de bilan mortuaire. 

Bien d’accord : un hommage d’anniversaire devrait être du côté de la vie. Mais qu’avons-nous fait, depuis, de l’appris ? Et puis, qu’allons-nous faire après ces 365 jours de grâce ? Voilà des questions qui visent nos actes et leurs conséquences. Comme une fin d’analyse. 

La fondation de notre Association, il y a plus de 40 ans, voulue par Charles Melman, avec Jean Bergès, Marcel Czermak et Claude Dorgeuille, s’est faite dans un contexte particulier : la progressive disparition de Lacan (pour les détails, on peut toujours se référer au précieux témoignage qu’est le livre de Claude Dorgeuille : La seconde mort de Jacques Lacan). Le souci de cet acte de fondation, pour toute cette génération de psychanalystes, était que l’enseignement de Lacan puisse se transmettre au-delà des élèves directs, au-delà de leur transfert. 

Dernier des fondateurs à partir, Charles Melman aura tenu, avec une constance rare, la position éthique du psychanalyste. Tout du long. L’acuité de sa lecture, tant de Freud que de Lacan, a durablement marqué la trajectoire de notre maison. Mais il a poussé très loin ses propres interrogations aussi, alimentant notre patrimoine et nos outils. Psychiatrie, poésie, politique, homosexualité, transsexualisme (on le disait comme ça), lien social, autisme, économie, littérature, science, travail avec les enfants, le couple, les langues, le colonialisme, psychose, architecture, traumatisme, topologie, exclusion, religion, autorité, musique, amour, philosophie, mathématiques… parmi d’autres. Sous notre toit, chacun a été en général soutenu, voire encouragé, à explorer les questions qui l’animent. Comme le fait le discours de l’analyste. Notre responsabilité articulée à notre désir. Notre travail comme une forme de jouissance, parfois mal comprise extra-muros. 

Bien sûr nous aimerions faire savoir à Charles Melman et aux autres fondateurs, que chacun est à son poste, que malgré les tempêtes de notre époque, nous nous relayons pour que la réflexion et le travail soient toujours possibles.

Mais il s’agit davantage de le faire savoir aux nouvelles générations. Qu’elles sachent que Freud et Lacan incarnent un tournant majeur de l’histoire occidentale, qu’elles puissent les lire et les commenter ou les critiquer grâce à des éditions de qualité. Qu’elles sachent qu’il y a des groupes de psychanalystes, comme le nôtre, qui ont produit des avancées dans plusieurs de ces domaines.

Il nous revient ainsi de faire fonctionner un maître – comme l’a été Charles Melman pour de nombreux élèves et analysants – non pas comme un repaire, éventuellement confortable, mais plutôt un repère, faisant honneur à la qualité de présence qui le caractérisa, une vie durant. Comme il arrive à l’enfant qui construit sa subjectivité, nous aurons, avec lui (qui se prêtait comme support réel) et sans lui maintenant, à opérer un nouage borroméen pour tisser la suite. Pour que nos séminaires aient un ancrage, une cohérence et une portée. Pour que notre adresse implique autant les initiés que le bachelier, aussi bien l’engagé que le célibataire sans gravité. 

Notre hommage sera notre navigation, notre façon de négocier nos virages et nos symptômes (les mêmes que notre époque ?) afin d’arriver à bon port, l’année prochaine encore.

Omar Guerrero

 

 

Crédit photo : O. Guerrero, printemps 2022.