CHARLES MELMAN  (1931-2022)
07 novembre 2022

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CHASSAING Jean-Louis
Hommages à Ch. Melman
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CHARLES MELMAN  (1931-2022)

« Il entendait !»

La disparition de Charles Melman marque incontestablement la fin d’une période. Il laisse bien sûr un enseignement remarquable exceptionnel dont nous pouvons en grande partie disposer grâce aux courageuses et sérieuses re transcriptions de l’ALI. Toutefois cet enseignement vivant était, est marqué par une énonciation qui alliait une grande rigueur et une facilité à délivrer le plus souvent avec clarté des énoncés fondamentaux. Il ne craignait pas d’aller également vers quelque nouveauté, en se basant sur les énoncés de Lacan mais sans aucunement les répéter, les reproduire ou alors à sa façon à lui, toujours innovante. Cela (ce la ?) n’est pas « permis » à quiconque ! C’était une aide précieuse. S’appuyer sur l’enseignement de Lacan pour un dire singulier, au dit ici marqué par le désir de transmettre, mot qu’il appréciait peu alors qu’il l’a, notamment ces derniers temps, tellement prononcé ! Il y a quelques années tandis qu’il me conduisait dans sa voiture au siège de l’ALI je me souviens d’une conversation essentiellement marquée par son inquiétude pour le devenir de la psychanalyse, et il citait toujours « les marchands » de la précieuse discipline.

Enseignement et transmission. Avec Charles Melman la formation de l’analyste ne se limitait pas selon moi aux deux mots précédents.
De même que ce trait fort caractéristique et unique à mon avis et selon mon expérience : « il entendait ! ». Au sens étymologique du mot : il était attentif, il tenait sa position d’une adresse, une adresse non factice. Non pas une oreille aux aguets mais toujours tenue, à l’écoute toujours, comme il a poursuivi son enseignement, toujours. Et je ne parle pas de la cure ou des contrôles, mais en dehors, même s’il suivait son chemin. Il y avait toujours à apprendre. Il y a longtemps, un déjeuner, avec Safouan, Simatos, Raimbaud et un professeur influent de psychiatrie, psychanalyste. Il est question du DSM, de la place de la psychanalyse en psychiatrie, et le professeur fait part de l’obstacle de la langue, il faut parler américain. Melman : « Safouan parle bien américain ». Silence. Melman n’insiste pas. L’obstacle doit être ailleurs… !
Pourtant, avec sa générosité souvent remarquée, son obstination, sa persévérance et son encouragement ne faisaient pas défaut. Pour des journées prévues à Clermont-Ferrand, des préavis de grèves s’annonçaient et Charles Melman ne voulait pas prendre l’avion pour des raisons contextuelles. « Ne vous inquiétez-pas Jean-Louis je viendrais en voiture ». Ou encore une autre fois, après l’orage dû à l’incompréhension de ses propos par un public « non initié », c’est lui qui propose de revenir, en présence de ses « contradicteurs », à Clermont. Une journée dans « l’intimité » est réalisée, basée selon mon vœu sur transfert et transfert de travail, journée passionnante.
Ou encore, après les journées sur « Réel de la science, Réel de la psychanalyse » Charles Melman vient nous dire, à nous organisateurs « il faut continuer, il faut faire une suite, une deuxième ! ». Ce sera, bien plus tard, une « Troisième » !
J’étais également au bureau de l’AFI il y a longtemps lorsqu’il y proposa : « quels sont les psychanalystes qui ont véritablement lu tout Freud et Lacan ? Nous devons les lire alors de façon chronologique ! » Ce sera il me semble le début des séminaires d’été, Dijon et puis….la suite.

Charles Melman était stimulant, terriblement stimulant. Et à l’écoute, vraiment ! Ce fut avec un ou deux autres psychanalystes le seul, et sa position était toujours originale et inventive, avec lequel je pouvais dans les années 1980 parler des toxicomanies.  C’est lui qui suggéra le titre du recueil « Écrits psychanalytiques classiques sur les toxicomanies » en 1998. « C’est un livre qui fera date » encourageait-il. Mais est-il encore tenu compte aujourd’hui du « passé » ? Il encourageait toujours au travail, avec acharnement et parfois (souvent ?) avec une insatisfaction à la fois réelle et stratégique ! 

Je devais le revoir en novembre, je lui téléphonais pour cela, pour prendre rendez-vous. Ce fut « toujours avec plaisir », mais la dernière conversation, celle-là, eu donc lieu par téléphone, passionnante et touchante comme …toujours. Toujours fort accueillant. 

Enseignement, transmission, formation. J’oubliais : institution, là où se joueraient les trois premiers, plus sa propre analyse personnelle, et quelques autres « qualités », celles avec lesquelles « on » s’autorise » ! Charles Melman a toujours de longue date souhaité un contre-poids à un bureau. Sa dernière contribution témoigne également de sa préoccupation quant à l’institution.

Mille merci, et respect, Monsieur Charles Melman, pour ces appuis singuliers durant ces 40 années, et pour celles qui vont suivre, avec ceux-là et autrement.

Jean-Louis Chassaing