Cet obscène objet
17 avril 1994

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FOUQUET-GUILLOT DE Anne
Textes
Pratique de la psychanalyse

La structure subjective, c’est-à-dire la manière dont
un sujet s’engage sur un certain nombre de questions, m’est apparue assez précisément
lors d’une cure, donc dans une adresse à l’analyste, dans ce que je nommerais
le style de l’analysante, son mode d’énonciation, ici l’obscénité,
difficile à rapporter en tant que telle à une structure clinique
: hystérie, perversion… ? Cela faisait même plutôt barrage,
dans un premier temps, à une lecture clinique, probablement du fait de
la sidération provoquée par une telle obscénité.
Sidération induite par les signifiants de l’analysante aux prises avec
sa propre sidération à l’égard de sa mère. Il est
effectivement difficile, ainsi que le remarquait Roland Chemama, de ne pas répercuter
l’obscénité, sans doute en ce qu’elle nous encombre de la jouissance
de ces patients dont nous sommes ainsi pris à témoin sans voile
ni détour. Je souhaiterais vous parler de deux moments pivots de cette
cure où furent particulièrement sensibles les différents
sens du mot direction (de la cure) : j’entends d’abord cheminement, direction
que prend la cure dans une logique propre à cette structure qui se dévoile
et se constitue dans le mouvement même de la parole de l’analysant, et
également direction donnée par les interventions de l’analyste,
révélatrices de la structure mise en jeu ainsi que catalyseurs
du travail des signifiants.

Il s’agit d’une femme venue poser deux questions relatives l’une à l’angoisse
déclenchée par des séances de kinésithérapie,
l’autre à l’homosexualité ou l’hétérosexualité
de son désir amoureux. Une troisième s’est énoncée
plus tard, autour de la maternité, abordée en tant qu’interdite
médicalement du fait de problèmes de santé, puis reprise
en écho à ce qui fut entendu comme interdiction maternelle.

Le transfert s’est, dès le début, caractérisé par
sa brutalité, par l’avidité de quelqu’un qui n’aurait rien à
l’égard d’un Autre non seulement supposé au savoir, mais aussi
autre supposé tout avoir, et l’envie/l’invidia qui y est inévitablement
corrélée, sur le thème suivant : l’autre femme posséderait
la féminité dont aurait été privée la patiente
du fait de son histoire familiale.

S’y mêlait une certaine familiarité, des essais de complicité,
où je verrais une tentative d’établissement de la relation transférentielle
en terme de proximité et d’identité avec l’autre. On perçoit
là une dimension de l’altérité quelque peu en souffrance.
Ceci lui avait fort bien réussi auprès des membres du corps médical
et para-médical auxquels elle avait eu à faire depuis sa petite
enfance. Surtout, la cure a été rapidement remarquable par l’obscénité
qui envahissait tant la parole (répétitions récurrentes
de mots constituant autant de variations autour de la putain, ou concernant
les fèces, descriptions crues de ses liaisons, de souvenirs liés
au corps de la mère) que l’espace physique : odeurs corporelles, position
sur le divan… C’est devant l’insistance de cette obscénité,
donc de ce mode d’adresse particulier à l’Autre, qu’a commencé
à se dérouler le fil conducteur de son rapport à l’objet
a dans sa dimension du déchet, de l’obscène, mais également
dans sa dimension phallique, que je vais ici tenter de suivre avec vous.

Je retiendrais les quelques éléments biograhiques suivants :
il s’agit d’une femme d’une grande intelligence, ayant fort bien réussi
scolairement, puis professionnellement, malgré des conflits répétés
avec ses supérieurs hiérarchiques masculins de l’autorité
desquels elle se plaint et dont elle dénonce les insuffisances. Elle
relie son travail, l’aménagement du territoire, à des souvenirs
marqués par la jouissance maternelle ainsi qu’à la nécessité
de réparer ce qu’elle nomme « l’injustice subie par sa famille »
du fait d’une origine sociale modeste. Elle vit d’ailleurs dans un milieu totalement
différent de celui-ci, à l’inverse du reste de sa famille. Aînée
des enfants, elle fut conçue avant mariage, ce qui n’avait rien d’exceptionnel,
mais la mère de sa mère en fit un drame sur thème d’ambition
sociale déçue. La famille maternelle méprisait en effet
celle du père, coupable à ses yeux d’être davantage occupée
à jouir de la vie plutôt que de chercher à s’élever
socialement. Elle naquit avec des malformations congénitales qui lui
valurent tôt de nombreux mois de plâtres, suivis quelques années
plus tard d’une intervention chirurgicale. La préadolescence vit le déclenchement
brutal d’une pathologie rachidienne nécessitant de nouveau plâtres
et interventions chirurgicales répétées.

Le discours maternel, conjoignant celui de la mère et de la grand-mère
maternelle, introduit une métaphore paternelle particulière :
les hommes interviennent moins comme faisant loi, référence, que
comme des privateurs, privant leur femme de réussite sociale, d’argent,
de liberté… du fait de ce qui serait médiocrité et
manque d’ambition. Ils sont présentés comme des obsédés
sexuels qu’il faut remettre à leur place, porteurs de pénis plutôt
que de phallus, objets d’une satisfaction sexuelle réduite à une
dimension anatomique, moqués pour leur désir :  » les mots
étaient très orientés sur l’objet, le pénis, le
sexe de l’homme, pas sur le désir « , remarque-t-elle. Je dirais
plutôt pas sur le désir des femmes (du moins pas explicitement)
puisque le désir des hommes est évoqué, mais pour le ridiculiser.
Elle a fort bien perçu l’excitation de sa mère lorsque ces sujets
sont abordés.

Il existe donc du côté maternel une forte ambition sociale au
nom de laquelle le père est dévalorisé par comparaison
avec de riches voisins et employeurs. La réussite sociale est tôt
donnée en exemple à leur fille d’ailleurs distinguée du
reste de la famille par ces personnes qui l’encouragent dans les études.
La nécessité où elle se trouvera plus tard de réparer
« l’injustice familiale », c’est-à-dire de remettre son père
à la place où elle aurait désiré qu’il fût,
l’engagera sérieusement dans l’action politique.

Le discours paternel, peu présent, fait état d’un dommage, d’une
spoliation touchant le patronyme dans un récit où se mêlent
ce qui serait le vrai patronyme, porté par une femme, et le regret d’une
aisance sociale perdue. Son père est associé dans un premier temps
à d’heureux souvenirs d’enfance, jusqu’à ce qu’un deuil l’engage
dans un état dépressif chronique accompagné d’une alcoolisation
épisodique.

Lorsque cette femme entame sa cure, elle se définit comme bisexuelle.
Elle n’a de relations amoureuses qu’avec des hommes qu’elle ne désire
ni n’aime vraiment, et les congédie rapidement. On notera sa peur et
son dégoût du corps de l’homme. Avec les femmes, il faut que ça
souffre. Percevoir l’autre femme souffrante est nécessaire au déclenchement
de son désir. Elle est alors là pour aider, soutenir sa partenaire
au prix de sa propre souffrance avant de se faire régulièrement
quitter.

Deux clashs ont donc constitué des moments pivots dans la direction
de cette cure.

Le premier se passe ainsi : elle décide soudain d’arrêter l’analyse,
furieuse à l’égard de son analyste à qui elle reproche
d’être hautaine, méprisante, de l’avoir intolérablement
mal traitée. Quelques séances de récriminations plus tard,
survient le souvenir suivant, évoqué avec une grande honte : dans
sa petite enfance, pour ramener sur elle l’attention de sa mère détournée
vers l’enfant suivant, elle tente de lui faire croire, en lui montrant ses fèces,
à une maladie. Sans succès. A ce moment là, dans l’épisode
d’enfance ainsi que dans la remémoration adressée à l’analyste,
se dévoile une structure, celle des termes de son rapport au regard de
l’Autre, maternel puis analyste, en tant qu’objet a du côté
non du désirable, mais du déchet de l’obscène. Je rattacherais
la honte à cette présentification de l’objet a au regard
de l’Autre.

Cette patiente présentait à la naissance, ainsi que je l’évoquais
plus haut, des malformations ayant nécessité pendant ses premières
années plusieurs mois de plâtre immobilisant partiellement le corps.
De cette période, elle retient avant tout ceci qui n’est ni un souvenir,
ni une chose racontée, mais une certitude : elle se déplaçait
en rampant. J’entends l’insistance de ce  » ramper  » en opposition
à la valeur phallique de l’érection du corps du petit enfant.
On peut se demander quelles furent les conséquences de cette pathologie
contemporaine du stade du miroir. Comment s’est-elle vue dans le regard de sa
mère, comment celle-ci a t-elle regardé cette petite fille plâtrée,
comment s’est-elle regardée en comparaison avec sa mère ? Qu’était-ce
que ce corps qui rampait sans parvenir à s’ériger ? Y a-t-il eu,
du fait de cette situation particulière, de ce mélange de soins
médicaux et maternels, de douleur, d’inconfort moteur mais aussi concernant
la propreté et les fonctions excrémentielles, le regard des autres
sur son handicap etc. une sorte de positivation de l’objet a dans le
corps qui devient lui-même objet a ? Elle note le silence de sa
mère qui ne lui parlait ni de sa maladie, ni des douleurs, ni du corps
soigné : « Il manquait des mots. Ma mère me soignait sans
rien me dire. »
Selon quelles modalités a-t-elle constitué
pour sa mère le support de l’objet a ? Ceci s’est-il trouvé
pour elle conjoint à être un « corps souffrant », deux
signifiants qui reviennent en véritable leitmotiv dans sa parole.

Roland Chemama rappelait que, si le père réel soutient difficilement
l’opération symbolique, l’objet a semble moins détaché
par la castration et insiste dans le réel. Ceci me semble correspondre
aux particularités de la métaphore paternelle dans cette famille,
évoquées plus haut.

Par ailleurs, il est certain qu’en tant que fille aînée, cette
patiente a été la dépositaire, aux yeux de sa mère,
du phallus imaginaire transmis de femme en femme du côté maternel
dans cette ambition d’élévation sociale dont sont exclus les hommes.
Il y a pour elle conjonction entre son handicap physique et l’investissement
phallique imaginaire par sa mère, qui la fait osciller d’une position
de déchet à une position phallique.

Les séquelles : boiterie, chutes, cicatrices, qui persistent après
l’intervention chirurgicale la libérant du plâtre, la marquent
au regard des autres dès ses premières années. Puis à
la préadolescence, à la suite d’une dispute conjugale entre les
parents où la mère fait mine de se suicider, se déclenche
une pathologie rachidienne qui, dit-elle,  » ratatine, replie son corps
sur lui-même, et met en creux ce qui chez la femme est en avant, le buste,
la poitrine. « 

D’où, de nouveau, plâtres, interventions chirurgicales etc. pendant
une vingtaine d’années. Que dit-elle de cette scène ? « J’étais
effondrée de ne pas être plus que ça pour ma mère »
qui faisait si peu de cas de son amour « qu’elle envisageait de se
tuer quand on était là. Je me suis élancée vers
elle pour lui crier, on est là, nous, on t’aime. »

Une des caractéristiques de cet amour est qu’il se soutient de ce qu’il
suppose être le malheur de la mère avec le père : « mon
bonheur, c’était de la soulager de sa souffrance… je trouvais ma
place dans la souffrance de ma mère. »
On reconnaît ici
ce qui détermine ses relations homosexuelles. Cette scène la confronte
à ce qu’elle a méconnu : elle n’est pas le support de la jouissance
maternelle, pour celle-ci ça se passe ailleurs, avec le père.
Ceci est longtemps demeuré pour elle inadmissible. Elle présentait
comme pure obscénité en soi, en dehors de toute relation de désir
au père, ce qui touchait au désir sexuel chez sa mère.

Comment la jouissance de cette patiente va-t-elle se trouver prise dans la
pathologie ? Lorsqu’elle parle des années de maladie, c’est avec un luxe
de détails et une complaisance certaine que sont décrits les aspects
les plus impressionnants, voire repoussants, comme par exemple les dispositifs
maintenant son corps sur le lit d’hôpital, et tels que certains visiteurs
s’évanouissaient. Son discours fait ainsi entendre sa jouissance ignorée
à avoir été cet objet à la vision réellement
insoutenable, à la fois immonde et unique. Le fantasme « christique »
de sa crucifixion rachetant les péchés de sa mère nous
dévoile l’adresse de cette « mise en scène » du réel
en même temps qu’il rend compte de sa double position, à la fois
de déchet : le crucifié est objet de dérision, de railleries,
de mépris, mais aussi phallique : il s’agit du sauveur au corps glorieux
et aux cicatrices objets de vénération.

Dans le registre imaginaire, ses handicaps comme elle les nomme, aussi bien
celui de la petite enfance que de la pré-adolescence, sont marqués
de la castration : « mon handicap, c’était le handicap de ma famille
; on peut pas dire que j’ai été battue physiquement, mais ça
me fait un peu cet effet-là »
; « ce qui est dans mon
corps n’est pas sympathique à moi ni aux autres, la vie m’a pas fait
beaucoup de cadeaux »
; ils sont aussi marqués du phallus dans
sa présence : ne la distinguent-ils pas des autres, ne lui donnent-ils
pas une valeur particulière, ne sont-ils pas à l’origine, pense-t-elle,
de l’intérêt qu’on lui a témoigné dans son enfance,
la poussant à faire des études, par exemple ?

Il y a identification imaginaire à la souffrance et à la déformation
corporelle : « depuis que j’ai mal au dos, je ne me connais plus sans
avoir mal quelque part « 
,  » mon image de moi est restée
fixée sur un handicap que je n’ai plus »
, et encore : « quand
je me regarde dans la glace, il y a un décalage entre l’image imaginaire
que j’ai de moi et ce que j’ai à voir qu’est pas aussi pire. »

Tout ceci se fait au prix de sa féminité. Elle oppose radicalement
féminité et maladie, présentant celle-ci comme un renoncement
à la première. « Je vais être femme, plus malade »,
décide-t-elle.Elle renonce ainsi à ses kinésithérapeutes,
des femmes avec qui elle nouait des relations de proximité et de soutien
sur le mode de l’appel à sa mère, ce qui finissait d’ailleurs
par rendre le travail impossible. Il s’agit à ce moment pour elle du
renoncement à être le support de la jouissance maternelle dans
et par son corps malade. Qu’en est-il alors de la possibilité de se faire
le support de l’objet a pour un homme ? C’est ce qu’aborde le second
clash de la cure.

Elle me parle un jour avec un grand mépris, en se ridiculisant, d’un
homme qui s’intéresse à elle d’une manière qui, me semble-t-il,
ne justifie en rien de telles railleries. Celles-ci provoquent mon agacement,
devant sa certitude de ma connivence, de la similitude supposée de ma
position dans cette affaire. Je lui réponds donc qu’il y a peut-être
autre chose à faire ou dire, lorsqu’un homme s’intéresse à
une femme, que de le ridiculiser, ce qui déclenche une réaction
de haine : l’analyste est comme sa mère, toujours à lui faire
la morale, et elle a bien envie d’arrêter l’analyse. L’analyste est comme
sa mère. Qu’est-ce à dire ? Elle a beaucoup insisté sur
l’obscénité maternelle, à la fois fascinante et dégoûtante
; il s’agit de souvenirs d’images du corps maternel dans certaines situations,
de manières de se tenir en public…, dont elle dit : « j’étais
fascinée, c’est le point de départ d’un attachement très
profond « 
et dans le même temps :  » j’avais honte pour
elle
. » Obscénité également dans la parole maternelle
: plaisanteries sur l’intérêt des hommes à l’égard
des femmes, répétition de signifiants tels que « putain »…
qui sont intéressants en ce qu’ils ont à voir avec la jouissance
de la mère. Sa fille note d’ailleurs que lorsque sa mère lui répète
de faire attention car « les filles qui attrapent des enfants hors-mariage
sont des… »
, elle ne veut surtout pas que ceci puisse s’appliquer
à celle qui l’énonce. « Pour éviter ça, il
fallait que je me l’applique à moi, pas à elle. »

L’objet a n’est donc, comme on peut le constater, pas vraiment voilé
chez la mère. Quelle obscénité exhibe alors sa fille, quel
objet a ? Le sien, ou celui de sa mère ? Ce que dans ses paroles
et son corps, elle reprend obscènement dans la cure est exactement ce
qu’elle décrit avec dégoût chez sa mère, cet objet
a à son regard immonde et désirable. Elle est là
comme un miroir de sa mère, son propre objet a s’étant
constitué en miroir par rapport à celle-ci.

Ce faisant, elle évite le détour par le père dont le regard
et les paroles constitueraient sa femme comme support de l’objet a. Mais
admettre la place du père, ce serait perdre quelque chose de cette complétude
imaginaire avec la mère ; ce serait aussi admettre du désir entre
les parents. Or, bien qu’elle ne puisse pas ne pas savoir qu’il y en a –
même si sa mère en parle par sous-entendus ou dénégations,
ou parfois crûment, elle ne peut ignorer que naissent frères et
soeurs, ni ce qu’elle nommera plus tard des lunes de miel entre ses parents
– ceci reste pour elle inadmissible. « J’ai une haine farouche de
tout ce qui touche à la sexualité de ma mère. »

Alors que la reconnaissance de l’obscénité de l’objet
a peut avoir dans une cure, pourquoi pas, un effet libérateur,
allégeant, sa prégnance a ici pour conséquence non d’ouvrir
les choses, mais de les fermer. C’est une sorte d’arrêt sur image qui
les fige de manière non dialectisable dans la sidération. Ça
fait bouche-trou, si je puis dire, dans la mesure où ça clôt,
en l’éludant avant même qu’elle n’ait été abordée
en tant que telle, la question du désir de la mère et de sa jouissance.

Cette femme n’est jamais considérée par sa fille comme désirante
à l’égard du père, mais uniquement comme porteuse d’obscénité
en soi. Il s’agit de refuser de prendre en compte la castration symbolique de
la mère. « Or, dit Lacan, il n’y a rien de plus névrosant
non pas que la peur de perdre le phallus, ou la peur de la castration, mais
que de ne pas vouloir que l’autre soit châtré. »
(Le
désir et son interprétation
, p.189)

Elle ne peut reconnaître à sa mère qu’une jouissance homosexuelle
qui apparaît dans sa description d’un souvenir d’enfance mettant en scène
sa mère parant des femmes riches. Elle décrit un tableau lumineux,
sans ombre, que rien n’entame, des femmes entre elles et l’excitation de sa
mère devant ces femmes. Le bonheur, dit-elle. On reconnaît là
la présence du phallus imaginaire qui tombe d’un coup lorsque la scène
passe côté maison, où tout devient sombre et triste par
l’effet de la simple présence virtuelle du père.

Petite fille, elle divisait les femmes en deux groupes : les « riches »,
convenables, discrètes, bien habillées, sans sexualité
mais qui se mariaient, et qui « avaient tout ce qu’elle n’aurait jamais ».
Il s’agit des femmes porteuses de l’objet a dans la dimension désirable
de l’agalma, dans toute sa brillance phallique. Les « salopes » affichant
leur sexualité, enceintes hors-mariage, vulgaires, porteuses de l’objet
a obscène dégoûtant.

Elle ne se trouvait ni dans le premier groupe, de par sa naissance (n’est-elle
pas la fille de sa mère ?) ni ne voulait appartenir au second. L’analyste
fut imaginairement longtemps du côté des premières, puis
elle lui attribua quelque chose des secondes.

Transférentiellement la réponse faite à ses railleries
envers l’homme qui manifestait son désir est venue la déloger
de cette relation en miroir entre femmes qui chatoie dans son souvenir et qu’elle
faisait jouer dans la cure, cette relation où l’homme est indésirable
(dans tous les sens du terme). Elle a également délogé
l’analyste de la position idéalement non castrée où elle
avait été mise, et je pense que la référence à
la morale maternelle renvoie aux paroles de la mère qui, avec certes
de la maladresse, de la crudité, inscrivaient cependant sa fille dans
le champ des femmes, de celles qui sont désirables et désirantes,
à qui on fait des propositions, qui sont susceptibles d’être enceintes
(nous retrouvons là sa question : « puis-je avoir des enfants ? »).
Or cela, « cette vie de merde » comme elle dit en parlant de sa mère,
il n’en était pas question. D’une certaine manière, elle n’était
pas totalement dupe de ce qu’elle protégeait ainsi chez sa mère,
mais, dit-elle, un jour où je la questionnais avec insistance sur la
question du désir entre ses parents : « J’ai l’impression d’être
butée, de pas vouloir entendre une autre version. »
Car comment
de sa position hystérique, accepter ceci : « avec les hommes,
dit-elle, on risque de perdre quelque chose ».

Effectivement, si rien n’a été perdu, comment être le support
de l’objet a pour un homme, et comment le désirer ? Or l’analyste,
auprès de qui elle était venue chercher soutien contre ceci, se
révèle comme sa mère symboliquement castrée, désirante.
C’est donc une grande déception que cette obscène analyste !