Au lendemain d’un week-end sur la fin de cure, c’est le hasard d’une programmation télé sur le Birobidjan, et, au détour d’un plan, dans ce documentaire de Marek Halter*, la surprise d’un entretien filmé avec Charles Melman entendu comme témoin.
Demie surprise puisque la Célibataire a déjà publié dans son numéro autour des pratiques de la langue un texte évoquant ce périple de l’enfance : partir au Birobidjan. Mais surprise tout de même, dans l’après coup de la question posée par l’infini et le fini — la fin — d’une analyse.
Dans le texte de la revue, Charles Melman écrit qu’il s’agissait « de gagner une terre non pas promise, mais riche des promesses qu’échangeaient entre eux des hommes de bonne volonté ».
A l’occasion du film, il évoque en langue claire et distincte la Terre Promise. Et c’est un moment émouvant que ce rappel des deux prénoms — civil et traditionnel — de son père : Moïse, Max, cet homme qui en mena plus d’un, plein d’espoir, dans cette lointaine zone de la Sibérie, près du fleuve Amour, construire dans un désert de froid la nouvelle république socialiste juive, au début des années 1930.
Dans ce film, m’a surtout arrêtée, la précision du propos : bien entendu déçu par la réalité du lieu et l’absence de tout accueil _ une extrême dureté _, son père écrivit longtemps à Staline, quotidiennement, en toute bonne foi, pour l’informer de ces difficultés. Le KGB, lui, de répondre en le convoquant… Et Max, Moïse de saisir que demeurer était impossible : aucun heim à cet endroit malgré le nouage tenté entre la puissance du yiddish et le credo du communisme.
Que m’apprend cette histoire, au-delà de sa teneur historique ? Et même, disons le, au-delà de la singularité juive du motif de l’appel et de l’exil, de ce messianisme laïque qui voulut tenter hors d’Europe la socialisation des biens, et dont la correspondance entre Walter Benjamin et Gershom Sholem nous laisse par ailleurs l’écheveau en héritage ?
Elle me donne une certaine nostalgie de la « promesse » et de la « bonne volonté », et me donne aussi une certaine perspective sur la déception. Non celle de Max, Moïse Melman, singulièrement. Mais celle de qui va au terme d’un souhait, passe la rampe de son vœu et brutalement, ou progressivement, réalise que l’Autre ne tient pas. Car il aura été possible de se retrousser les manches et de travailler dur, très dur, non pas jusqu’au moment où les lettres auront accusé qu’il n’y avait personne pour les réceptionner, personne à qui adresser sa demande et ses remarques, mais jusqu’au moment où la lettre même aura été interceptée et imputée à charge. Défaisant tout ensemble et l’espoir et la croyance, en ce pays où alphabets cyrillique et hébraïque tentaient une coexistence pacifique. Dévoilant la violence seule, et la relégation.
Nul doute : la volonté bonne, la lucidité et la responsabilité — qui ne sont pas toujours de la partie — ont ici permis que la déception ne vire pas à la persécution, et que quelque chose demeure Ouvert, fût-ce dans le sans patrie et dans des temps de désastre, quelque chose qui s’appelle le courage, et qui est l’une des questions les plus insistantes de la fin de chaque moment d’une vie.