Averroès questionnant : l'entendement poétique et le sujet mouvant
02 décembre 1993

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FAYE Jean-Pierre
Textes
Philosophie-littérature-poésie

Je proposerai aujourd’hui un jeu de premier jour.

Ne pourrions-nous tenter ensemble d’explorer cela qui est l’explorateur
d’ univers? En prenant pour fil conducteur l’apparition de cette figure, déjà
homérique, mais essentiellement athénienne et cordouane, qu’est
le noos ou le noûs (nouV ). Un poète d’Espagne l’écrira
:

« … ce n’est pas en vain qu’autre Athènes j’ai nommé Cordoba… »

A Qurtuba l’Andalouse, le noûs est devenu al-‘aql, en langue
arabe.

1-1 -Il y a sans doute quelque sens, deux semaines après les résultats
transmis par l’Explorateur Cosmique de l’Arrière-Monde – Cosmic Background
Explorer
, COBE, le satellite jeté dans l’espace en 1989 et qui a
donné soudain de ses nouvelles -, il y a sens à explorer
ce qui s’est pensé vers l’an 325 avant notre ère, à Athènes.
Et autour de l’année 1190 à Qurtuba ou Cordoba, au sujet de la
pensée.

Je dirai en moins de mots : l’explorateur cosmique, le Cosmic Explorer, c’est
ce Noos ou ce Noûs, que tentent de décrire Aristotelès
à Athènes et Abû al-Walîd Ibn Rochd à Cordoba
: celui que nous nommons, d’un nom judéo-latin, Abenrois ou Averroès.

L’explorateur cosmique, c’est ce Noos. A nous d’explorer cet explorateur.

1-2 -A son propos Aristote cite d’abord ces mots d’Homère dans l’Odyssée
:

Toios gar noos estin

« Car telle est la pensée »…

Or le bref et énigmatique chapitre 5 du Livre III, dans le Péri
psukhès
d’Aristote – le De Anima, j’allais dire : le « Sur
Psyché
 » – nous décrit un pouvoir prodigieux. Le précédent
chapitre voulait en venir à cette partie de l’âme « par
laquelle Psyché connaît et pense » :

 

« gignoskei hè psukhé kai phronei ».

J’aime voir surgir de cette interrogation les mots les plus surprenants et
les plus forts pour désigner le vol de Psyché, comme explorateur
cosmique.

2-1 -Ce pouvoir qui pense et connaît, en Psyché, il est donc nommé
depuis Homère, le Noos, ou le Noûs. Mais le voici
qui se trouve désigné, dans le Chapitre Cinq, comme le Poiètikon
:

to poietikon .

 

Qu’est-ce donc que cet « entendement poétique », surgi à
Athènes vers l’an 325 de l’avant-ère, et qui va s’écrire
en langue arabe, à Cordoba-Qurtuba, vers l’an 1190, comme al ‘aql
fa’al.
De lui va survenir, dans une troisième langue, la latine,
une figure plus cruciale encore, mais comme par hasard – le subjectum,
le sujet. La pensée averroïste en sera le lieu de transformation
: ce que nous appellerons son espace du transformat.

2-2 -Il nous faudra donc nous avancer à nouveau dans cette cartographie
de la Psyché qui se dessine, par touches successives, à partir
des énigmes du Livre III, et singulièrement des apories qui concluent
son Chapitre 4.

En effet, « si l’intellect est impassible » – ei ho noûs …
apathès -,
comment pensera-t-il, « si penser est subir une certaine
passion » – ei to noein paskhein ti estin . Quel est donc cet exploreur
qui tout à la fois est « apathique » et « passionné »?
En tant qu’il est « cette partie par laquelle Psyché connaît »
– l’univers. « Devient… le caillou », comme le soulignait Jean-Toussaint
Desanti.

2-3 -Voici donc que l’exploreur de Psyché se dédouble. Il va
être l’impassible et le passionné tout à la fois. Mais avec
le Chapitre 5, l’impassible sera désigné comme « celui qui
fait », le poiètikon Et en tant qu’il est le passionné,
il sera « ce quelque chose qui est matière » – ti to hulè
.
Il est à la fois le poétique et sa matière,
sa hylè : sa matrice.

2-4- A Alexandrie au IIe siècle de notre ère, Alexandre d’Aphrodisia
s’attache à distinguer de façon plus explicite ces deux moments
ou, comme les nommait Aristote, ces deux différences dans Psyché
: tautas tas diaphoras. L’aporie du Chapitre 4, l’énigme brève
du Chapitre 5, devient l’étrange dialogue entre le Noûs poietikos
et le Noûs hulikos – chez Alexandre d’Aphrodise. D’une part un
« entendement poétique ». De l’autre, un intellect matériel
ou, dirons-nous peut-être, un « entendement matriciel ».

3-1 – L’an 1190 est l’année où Maïmonide, Moïse ben
Maimon de Cordoue (ou en arabe Musa ibn Ubaydallah al-Qortobi) écrit
son Guide des EgarésMoré Nebukhim .

Cette même année est celle où Ibn Rochd
de Cordoue, l’Averroès Cordobensis des traducteurs latins, écrit
son Grand Traité sur l’âme, Sharh Kitâb al-nafs. Dont
les manuscrits arabes sont perdus – hors quelques fragments en caractères
hébraïques, récemment retrouvés.

3-2-Dans la langue latine du traducteur de 1235, ce Michel Scot venu du comté
de Fife en Ecosse et qui d’Oxford et Paris passe par Tolède, avant de
rejoindre, par Cologne, l’empereur Frédéric II à Naples,
– nous voyons s’éclairer longuement l’interrelation entre l’al-‘aql
fa’al
, devenu l’intellectus agens, et l’al-‘aql almaddi , devenu
l’intellectus materialis. Nous y découvrons un paragraphe singulier,
constitué de quatre longues propositions. Pour la première fois
peut-être dans l’exploration de l’exploreur, le subjectum y survient
en relation avec l’intentio. – Le sujet est l’intention? La subjectivité
« occidentale » serait donc née en langue arabe…

4-1-Je voudrais annoncer cette nouvelle. Que le sujet aurait surgi à
Cordoba, voici huit cent deux ans. dans ce Sharh Kitâb. Quand le
sujet devient « intention comprise ». La description averroïste
nous fait pénétrer dans le dédoublement de la Psyché,
d’une façon plus dramatiquement inoubliable que celle de toute autre,
parmi celles des prédécesseurs.

Résumons les jeux précédents.

– Pour Alexandre d’Aphrodise, l’intellect matériel est cela qui est
périssable, et où s’opère la venue de l’intellect
agent. Qui est divin.

– Pour Ibn Sina – Avicenne -, un seul intellect agent vient agir sur l’intellect
matériel (ou « patient ») propre à chaque âme.

– Pour Ibn Rochd, l’intellect matériel est éternel et unique
pour toute l’espèce humaine, tout comme l’intellect agent. Celui-ci actualise
les formes intelligibles dont l’intellect matériel est le réceptacle
ou, dans la traduction latine, le recipiens.

Entrons ensemble dans le récit de l’exploreur psyché. Et de son
« capteur » : le noos ou le noûs.

4-2 – Voici donc les quatre propositions du paragraphe singulier, dans
le Sharh Kitâb :

 

-« Si nous posions que cet intellect matériel est dénombré
par le nombre des individus hommes, il s’ensuivrait qu’il serait ce quelque
chose, soit corps, soit vertu dans un corps.

-Et alors même qu’il serait ce quelque chose, il serait en puissance
une intention comprise.

-Cependant l’intention comprise en puissance est un sujet mouvant
l’intellect récepteur, et non un sujet mu.

-C’est pourquoi si le sujet était récepteur (au point que) soit
posé ce quelque chose, il s’ensuivrait que la chose se recevrait elle-même,
ce qui, disons, est impossible. »

4-3-Reprenons ce fragment énigmatique.

Il s’agit pour Averroès de démontrer, contre Avicenne, que l’intellect
matériel n’est pas « dénombré » (numeratus)
en chaque individu humain. Car en ce cas il serait corps ou vertu corporelle,
« ce quelque chose » – aliquid hoc – , et en même temps
il serait en puissance une « intention comprise ».

Or voici la proposition cruciale:

« l’intention comprise en puissance est un sujet mouvant », capable
de mouvoir l’intellect récepteur, ou recipiens , ou matériel,
« et non le sujet mu ».

Ainsi l’intellect agent, le noûs poietikos , l’entendement « poétique »
vient mouvoir l’intellect « matériel » : dans  » l’intention
comprise » il est ce sujet mouvant – et non un sujet mu.

5-1-La merveilleuse profondeur de pareilles énigmes philosophiques ont
comme un envers – tourné vers l’univers… Ainsi, quelques paragraphes
plus loin, Ibn Rochd fait référence au traité De Caelo
et Mundo
qu’il commente en 1188, deux ans plus tôt, dans son Sharh
Kitâb al-Samâ wa al-‘alam,
. Là se développe le
débat sur l’impetus qui va culminer au XIVe siècle avec
les positions de Jean Buridan, annonçant le principe galiléen
d’inertie : « Il faut admettre que le moteur d’un mobile lui imprime un
certain impetus. C’est l’élan, l’impetus , qui meut la
pierre, après que le bras a cessé de le mouvoir… »

5-2-Quand Michel Scot traduit les deux Commentaires al-Samâ wa al-‘alam
– le Sharh ou le Talkhis, le Grand de 1188, ou le Moyen Commentaire,
écrit à Séville dès 1171 -, il prépare un
débat qui va être décisif, notamment dans la Cracovie du
XVe siècle. Débat présent dans le Commentariolus super
theoricas novas planetarum
d’Adalbert de Brudzow, le maître de Copernic,
qui l’entendra enseigner les Commentaires averroïstes.

La révolution copernicienne s’inscrit dans le contexte du débat
averroïste, en Pologne. De Cordoba à Cracovie, et Padoue, toute
l’Europe scientifique est traversée en diagonale par la discussion de
l’averroïsme.

6-1 -Mais ce qui davantage m’importe est cette interrelation énigmatique
entre l’entendement « poétique » et l’entendement « matériel »,
mise en oeuvre par le sujet mouvant – comme intention comprise.

Lorsque Louis Althusser s’efforce de saisir comment « L’avenir dure
longtemps »
, en retraçant « la forme d’une matrice structurale
de mon psychisme », qui elle-même serait à produire –
par une « prise » produisant des « faits » sur cette matrice-,
la relation entre cette prise et cette matrice évoque quelque
chose, dont un commentateur décrira l’impact dans les termes d’un « désir
d’existence comme sujet d’un récit » . Singulier sujet, pour
une philosophie « sans sujet… » Questionnant cet « étonnant
même » qu’est sa propre vie, Althusser répond… « voire
par l’inconscient ».

Quelles sont donc cette prise et cette matrice (voire cet inconscient
), entre lesquelles se meut et s’émeut le désir d’un sujet
de récit
(« sujet improbable« , ajoute-t-on ) ? Prise
qui est surprise, ajoute le projet de préface althusserien. Subjectum
movens…

 

6-2 -Cette « matrice structurale » de la psyché n’est pas sans
évoquer l’entendement matériel, surtout là où se
tissent le lien et l’entrelacs entre « constructions rationnelles »
et « enjeux obscurs de cette autre scène ». Que sera donc l’entendement
matériel, affronté au cas du penseur qui a voulu réaffirmer
le matérialisme historique comme la philosophie. Et quel sera
son rapport à cet entendement poétique ou actif dont Ibn Rochd
a fait le privilège de toute Psyché ? « Prise » antérieure
à la conscience individuelle, et qui peut la destituer de son nom,
de son identité nominale. Et qui change le rapport au nom, au langage
?

Michel Foucault me racontait ce que lui avait confié Althusser : l’angoisse,
au cours d’un oral d’examen de licence en philosophie, après avoir répondu
normalement à la question posée par Jean Wahl, d’avoir à
répondre à la question courtoise : pourriez-vous me rappeler votre
nom? l’angoisse d’avoir à avouer, sueur froide au visage : Monsieur,
je ne sais pas mon nom…

7-1 -Or précisément cet « entendement poétique »
est questionné par une autre pensée, sur laquelle existe un brillant
essai d’Althusser lui-même. Dans un texte daté par Lacan lui-même
de « Pâques 1960 », mais qui demeure intitulé « Remarque
sur le rapport de Daniel Lagache » (au Colloque de Royaumont de 1958), voici
que l’intellect agent est à nouveau interrogé.

Car, pour Lacan, « la notion d’intellect agent » met en question déjà
le « sujet de la connaissance » – que « relègue » aujourd’hui
« l’avènement du sujet qui parle ». Et c’est « dans sa dignité
de personne » que la mise en question du sujet connaissant s’effectue par
le concept de l’intellect agent, ou de l’entendement poétique – Noûs
poiétikos
d’Alexandre d’Aphrodise, ou to poietikon aristotélicien,
al-‘aql fa’al averroïste. Quelle est cette « dignité
de personne » que vient questionner la dangereuse impersonnalité
de l’intellect agent ou poiétique ?

7-2 -Celle sans doute pour qui « le sujet même devient la coupure
qui fait briller l’objet partiel de son indicible vacillation », – « le
sujet où ça peut parler sans qu’il en sache rien ». On ne
peut pas ne pas songer au cou « tendrement massé » d’Hélène
Rytmann, à qui vient d’être ôtée la voix (et la vie)
: la vacillation de l’objet, à la lumière du sujet devenu lui-même
sa coupure, – du « sujet improbable », du sujet d’un impossible et « interminable »
récit, de sa « tâche… infinie », rarement elle s’est
faite aussi chargée de redoutable énergie. Au point de ligoter
et d’aveugler en soi-même ce géant, ce Polyphème dont Lacan
s’écrie : « quel beau nom pour l’inconscient ! »

7-3 –Nous avons vu s’obscurcir l’oeil de Polyphème – ce petit moi,
corrélatif du « petit autre », du parvulum décrit par

Saint Augustin et évoqué plusieurs fois par Lacan. Le voici
littéralement voilé par l’anonymat : voici
Outis, Personne,
le sire Anonyme de la philosophie sans sujet, qui a fasciné les années
1960-70 de la vie occidentale, -et jusque dans sa transcription phonétique
japonaise :
Arturoseru

8-1 -« Le sujet s’éclipse », annonçait Lacan dans sa
« Remarque sur le rapport ». Cet évanouissement, ce « fading
du sujet », ce sujet disparu dans l’éclairage du fantasme est la
chose même – das Ding – qui pour lui est tout à la fois
« prochaine » et « s’échappant » : la mère. Cette
jeune fille qui à Alger en 1918 épouse le frère de l’aimé,
disparu aux combats de Verdun, Louis Althusser, dont le nom sera reporté
sur l’enfant, c’est bien la Chose qui hantera le sujet dans sa disparition perpétuelle
– et jusque « dans son gîte hors d’escient  » que Lacan
semble décrire d’avance, comme s’il s’agissait déjà de
cette Ecole Normale Supérieure où Althusser s’est à la
fois abrité et éclipsé durant trois décennies, redoublée
par un Parti politique tout à la fois perçu comme unique et comme
dénié, ou récusé, ou forclos : le parti de Staline
et de Brejnev… Pour lequel il s’acharne à être le gardien du
« concept » par excellence ( qu’on ne peut jeter par la fenêtre
« avec l’eau du bain » ), le « concept » qui a tout justifié
d’avance, la dictature du prolétariat? Garant de toute universalité,
et l’universal par excellence – au dire de cette science qui est matière
elle-même.

Même si (ajoute incidemment Althusser) « la pensée de la
matière n’est pas la matière »-

8-2 -On a souligné à plusieurs reprises fort justement, par Dominique
Dubarle comme par Jean Jolivet, que dans la vue d’Averroès manque « ce
sujet qu’est l’âme individuelle »; et même qu’il « s’intéresse
peu à la subjectivité de la pensée ». Et pourtant,
c’est chez lui, par son traducteur privilégié, Michel Scot, que
survient, pour la première fois sans doute, le sujet même, ce subjectum
manifesté comme intentio intellecta, et étrangement décrit
comme « mouvant ». Subjectum movens, sujet mouvant en effet,
et qui parcourt le chemin perpétuel entre la « prise » produisante
et la « matrice structurale ». – Entre cet «  »entendement poétique »
dont émane rêveusement l’existence même, et cette matrice
sur laquelle s’imprime sa prise en effet. Dans l’entre deux, la singularité
du sujet est le mouvement qui fait toute sa précarité et son dépérissement,
– son fading … Où est alors le moment où « cet homme
comprend » – hic homo intelligit, demande à juste titre Thomas
d’Aquin ? Il est bien vrai que c’est, dans son individualité, « cet
homme (qui) comprend ». Mais il est non moins vrai qu’il demeure entre les
parenthèses du marteau et de l’enclume.

Telle fut la précaire subjectivité althusserienne, sans cesse
récusée. Il semble que le subjectum averroïste ait
eu comme le pressentiment de cette fragilité…

8-3 -Ainsi le fading du sujet est comme d’avance annoncé par
le subjectum movens du philosophe de Cordoue. Ainsi Córdoba-Qurtuba
est à la fois ce lieu de naissance du sujet occidental et le lieu d’où
disparaît celui qui l’a fait survenir dans une autre langue – sur
une autre scène – que la sienne propre. En 1195 Abû al-Walid
Ibn Rushd est frappé de disgrâce et de condamnation par celui qu’il
tutoie, l’Emir almohade Ya’qub al-Mansûr, – c’est-à-dire par le
fils de celui qui lui a commandé d’écrire afin d' »expliquer
clairement le sens et le rendre accessible aux hommes », en commentant les
livres du philosophe athénien (lui-même étranger à
Athènes, metoikos ou immigré, en situation précaire).
La disgrâce d’Ibn Rochd auprès de Ya’qûb al-Mansûr
et sa condamnation véhémente par les canonistes, les fuqahah
de Cordoue, seront les signes matériels de cette disparition.

L’entre-deux, entre l’an 1190, date du Sharh Kitâb, et l’année
1195, date de son exil imposé, à Lucena près de Cordoue,
et de son entrée irréversible dans le silence, nous y trouvons
l’espace de notre commune investigation. Alors et aujourd’hui. En l’année
exploratoire 92.

La Part maudite, au sens que lui donnera Bataille, survient à
sa façon comme cette dilapidation d’énergie, -« ce
monde du sujet« , qui est la « nuit mouvante ». Et
qui soudain surgit comme le sommeil de la raison, où s’engendrent les
monstres.

9-1 -Or la disparition du sujet est aussi une Sortie ou Pessah, une
Pâques de la pensée. Ici vient nous parler à l’oreille l’autre
grand Cordouan, Moïse ben Maimon ou Maïmonide, dans le livre écrit
en la même année 1190, le Moré Nebukhim, ou, dans
sa langue arabe initiale, le Dalâlat al-hâ’irin -« Guide
des Egarés » ou « des Perplexes ». C’est un devoir religieux,
souligne sa Troisième Partie, à propos de cette classe de commandements
qui se nomme Charité, c’est un devoir « de se rappeler ses moments
de détresse », – car la Loi y insiste : « Rappelle-toi que tu
as été esclave » – « afin que tu racontes aux oreilles
de ton fils ».

9-2 -La narration de la Sortie est en effet le corollaire, l’inverse et la
réparation de la disparition du sujet – « et cum omnia ista sint
sicut narravimus »
, alléguait Averroès-Scot lui-même…
« Et puisque toutes choses sont comme nous les avons narrées »,
il incombe à ce temps de l’entre-deux, entre Cordoue et Lucena – entre
le sujet et son exil -, de penser aujourd’hui le mouvement des paradoxes et
des apories. Comme libération, comme Sortie de l’ esclavage, ou de cet
« aspect servile » que Bataille opposait à « l’artiste souverain ».

Par cela qu’il faudra bien évoquer comme une raison narrative.
Dans la mémoire de l’an 92, – Exil d’Espagne, voici cinq siècles,
et aussi blocage de mémoire par la prescription dans la justice, en France.

Mais aussi sortie européenne , sous le signe provisoire du chiffre Douze,
hors des servilités de la « rage nationale ». Là est le
mouvement éthique dans le langage, que nous opposerons à la Profession
de foi
heideggerienne de 1933 « en l’Etat nationalsocialiste ».
Ou à ce Testament tout aussi heideggerien de 1976, qui déclarait
la « relation » nazie à « l’essence de la technique »
comme  » satisfaisante » (zureichendes)… Ou du moins, « vraiment
dans la direction » de cette « relation satisfaisante » à
« l’essence de la technique »…

La Sortie maïmonidienne hors de l’aspect servile, nous en déclarons
possible l’analyse , ici à Cordoue.

Aujourd’hui.