Autour du statut à donner à la négativation du phallus
04 février 2014

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HOPEN Cécilia
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Jean-Jacques Tyszler m'avait demandé de parler du féminin dans le cadre de ce séminaire. Je ne peux que le remercier. Ce travail m'a permis de mieux saisir les logiques qui nous gouvernent dans la nécessaire, non contingente, dépendance homme-femme dans la dialectique de leur rapport au phallus, si ce que nous voulons est trouver une place juste au féminin.

C'est à ce point là qu'arrive Lacan dans ce séminaire, en nous disant que ce n'est pas grand-chose, que donner cette place ne veut pas dire y entrer, mais que c'est déjà ça. Je vous donne, donc, ma lecture des points où Lacan traite de façon plus spécifique du féminin.

Je vous propose pour partir, de mettre le cap à la fin de la leçon du 18 janvier, où il nous dit que l'analyse par son travail vient à inverser ce rapport qui faisait que tout ce qui était de l'ordre du statut du sujet dans je ne suis pas, (un champ vide, sujet non identifiable) c'est pour autant que ce champ-là va se remplir, que va apparaître le -φ de l'échec de l'articulation de la Bedeutung sexuelle ou Bedeutung du phallus.

Ce séminaire permet à la fois démythifier le rapport du couple homme-femme, le fameux faire une seule chair comme corrélat de l'illusion de l'Un unifiant maternel et au même temps, bien saisir comment l'incidence de la castration en tant que structure subjective, c'est-à-dire en tant qu'opération symbolique qui détermine une structure subjective, peut nous permettre de sortir de cette fascination et ses symptômes que sont l'expression, justement, du rejet de la castration.

Il ne s'agit pas de répudier ce registre mais de remettre à sa juste place le pôle maternel dans la conjonction sexuelle, qu'il va indiquer ici comme 1 moins a (1-a).

Ce pôle maternel qui dans le mythe oedipien semble se confondre, donner purement et simplement le partenaire du petit mâle, n'a en réalité rien à faire avec l'opposition mâle-femelle, car aussi bien la fille que le garçon à affaire à ce lieu maternel de l'unité comme lui représentant ce à quoi il est confronté au moment de l'abord de ce qu'il en est de la conjonction sexuelle.

Mais rappelons que le passage est différent pour la fille et pour le garçon.

Si le garçon doit renoncer à être le support de l'objet a pour sa mère et le narcissisme que cela suppose, et aller chercher ces supports du côté des femmes, pour une fille, le cheminement est autre…

Elle doit aussi renoncer à être ce support de l'objet a pour sa mère, mais il va falloir qu'elle recommence, en étant le support de cet objet pour un homme.

Or, dans ce séminaire Lacan ne se lasse pas de dire qu'autant pour le garçon comme pour la fille, ce qu'il est comme produit, comme petit a a à se confronter avec l'unité instaurée par l'idée de l'union de l'enfant à la mère et que c'est dans cette confrontation que surgit ce 1-a qui va nous apporter cet élément tiers en tant qu'il fonctionne comme signe d'un manque.

Mais ce Un unifiant plane sur le couple. Et cet Un du couple est de l'ordre du grand Autre maternel.

Dans le mirage érotique pour l'homme et la femme vient jouer cette croyance infantile enracinée et refoulée que la mère est porteuse d'un phallus caché et le désir d'enfant de vouloir faire Un avec elle. Nous savons la valeur fascinante de ceci : nous sommes dans une relation duelle et l'on peut faire dans le couple, sur le modèle de cette union de l'enfant et de la mère, le lieu élu de la frustration et de la gratification.

Une des conséquences de ce que notre imaginaire soit habité par ce fantasme de complétude que nous pouvons dire homosexuel, (homo : le même), est que l'on est soumis logiquement a la frustration et à la gratification, est-ce qu'il m'aime ou est-ce qu'il ne m'aime pas ?

Nous ne pouvons que le mettre en rapport avec l'horreur corrélative singulière, première, qui se produit à la découverte que ce premier Autre est castré. La sexualité telle qu'elle est vécue, c'est à cet endroit, quelque chose qui représente un se défendre de donner suite à cette vérité qu'il n'y a pas d'Autre ou qu'il n'y a pas d'Autre sans marque. Il nous le rappelle dans la leçon du 25 janvier. Je dirais que c'est une des raisons essentielles du refus, conscient ou inconscient, du féminin pour les hommes et pour les femmes.

Lacan ne se prive pas dans ce séminaire de répéter que le refus de la castration, si quelque chose lui ressemble, est d'abord le refus de la castration de l'Autre (de la mère premièrement).

Il va articuler, préciser dans la leçon du 1er mars, comment est présent dans la relation sexuelle l'idéal de la jouissance du grand Autre et les modalités différentes qui va prendre chez l'homme et chez la femme.

On est loin d'avoir assimilé ce petit schéma que Lacan fait depuis des années où apparaît dans notre relation à l'Autre en tant que sujet barré ce petit a qui est ce reste, cet élément irréductible.

Comme nous l'a très bien rapporté hier Jean Luc Cacciali, en ce qui concerne la détumescence de l'organe masculin quelque part le sujet peut avoir l'illusion, assurément trompeuse, mais pour être trompeuse elle n'est pas moins satisfaisante, qu'il n'y a pas de reste.

Le ressort de la satisfaction sexuelle masculine est de cet ordre, de sorte que l'on peut dire que l'orgasme ’emporte la satisfaction’. Une zone de recouvrement se situe ainsi, où ce qui se satisfait dans l'ordre du plaisir masque l'obstacle fait à une jouissance.

La détumescence est le point pivot autour duquel le principe de plaisir fait tourner la limite qu'il impose à la jouissance. Néanmoins, elle pourrait prendre la fonction d'un bord d'où s'évoque la jouissance qu'elle suspend, c'est ce que Lacan essaye de nous faire saisir.

Mais chacun sait que s'il y a quelque chose qui est présent dans la relation sexuelle c'est l'idéal de la jouissance de l'Autre, et aussi bien ce qui en constitue l'originalité subjective. Malgré ce qui nous révèle l'expérience de l'hétérogénéité radicale de la jouissance mâle et de la jouissance femelle, c'est encore un idéal vérifier la stricte simultanéité de sa jouissance avec celle du partenaire. Et nous savons combien de ratages et des leurres s'originent dans cette prétention-là.

Et comment va fonctionner pour une femme cet idéal de la jouissance de l'Autre ? C'est ce que Lacan appelle le fantôme du don.

C'est parce que elle n'a pas le phallus que le don de la femme prend une valeur privilégiée quant à l'être. Le don qu'elle fait est son amour. Lacan l'a défini depuis longtemps, comme le don de ce qu'on n'a pas. Mais c'est le don d'un objet imaginaire.

La femme trouve une jouissance cause d'elle-même, en quelque sorte, dans la mesure où elle crée un objet et qu'elle le devient. Ce qu'elle donne imaginairement prend une valeur spécifique en tant qu'elle ne l'a pas, celle de l'être.

Elle devient ce qu'elle crée de façon purement imaginaire et c'est justement ceci qui la fait objet pour autant que dans le mirage érotique elle peut être le phallus, l'être et à la fois ne pas l'être. Ce qu'elle donne de ne pas l'avoir devient la cause de son désir et sa satisfaction à elle. Mais attention, nous prévient ici Lacan, c'est dans la mesure où, d'avoir fourni l'objet qu'elle n'a pas, elle n'y disparaît [pas] dans cet objet, que cet objet ne disparaît, la laissant à la satisfaction de sa jouissance essentielle, que par le truchement de la castration masculine.

Or, nous avons en tête cette citation qui n'a pas pris une ride

C'est pour ce qu'elle n'est pas qu'elle entend être désirée en même temps qu'aimée.

Mais son désir à elle, elle en trouve le signifiant dans le corps de celui à qui une femme adresse et son don et sa demande d'amour.

C'est de cette valeur signifiante que l'organe qui en est revêtu prend valeur de fétiche. Le résultat pour la femme reste que convergent sur le même objet une expérience d'amour qui comme telle la prive idéalement de ce qu'il donne, et un désir qui y trouve son signifiant.

Vous avez sûrement reconnu les mots de Lacan dans la Signification du phallus, conférence prononcée en 1958.

Et pourtant on ne peut pas dire que ça fasse partie de notre culture en tant qu'acquis.

Si une femme disparaît dans cet objet, amoureuse de l'amour qu'elle donne, elle reste prisonnière de cet idéal de jouissance du grand Autre. Pour le dire d'une autre façon, elle reste prisonnière de quelque chose de mortifère qu'il y a dans la jouissance débridée du grand Autre maternel.

La demande de complétude est au fond un fantasme incestueux, même si la demande est adressée dans la réalité à un homme.

C'est plus tard, dans le séminaire Encore au moment d'énoncer les formules de la sexuation que Lacan nous fait la recommandation de ne pas écourter la distance entre l'objet a qu'une femme joue et , source où elle pourra puiser dans cet infini virtuel qui, aussi, la constitue. Bien entendu, il faut que l'homme puisse mettre du sien.

Ce danger de l'idéal de la jouissance de l'Autre, qu'il appelle ici le pôle maternel, plane dans la rencontre sexuelle.

Nous avons une tendance à rester dans le registre de la frustration-gratification. Et on ne s'en sort pas. La castration que Lacan symbolise comme -φ, est d'un autre registre. C'est une structure subjective que se met en place à partir de l'acceptation du manque à être.

Dans la leçon du 12 avril, Lacan introduit ce que lui appelle l'homme-elle. Il fait des précisions que je trouve courageuses et pertinentes pour réfléchir aux problèmes actuels en ce qui concerne la sexualité. On est en 67 et il dit aux femmes présentes de ne pas sourciller, car, à la vérité, c'est précisément pour préserver la place où elles sont, la place d'une femme, qu'il va faire ces remarques.

Il critique la littérature analytique de l'époque, en disant que ce qui est articulé de la femme dans l'acte sexuel ne vaut que pour autant que la femme joue la fonction d'homme-elle. Pour le dire dans d'autres termes Lacan reproche aux psychanalystes d'aller dans le sens de la pression sociale, en tant que l'hystérie c'est ce qu'on attend d'une femme : une provocation au tout phallique. Nous savons que même aujourd'hui on confond une position hystérique avec le droit, la possibilité d'une position féminine. Pour faire l'homme-elle, nous dit-il, elle ne manque jamais de ressources.

Mais Lacan introduit l'homme-elle pour signaler à quel point, d'une façon habituelle, l'homme et la femme dans l'acte sexuel sont au maximum de leur disjonction. Et j'arrive au point que je trouve délicat et essentiel. Il s'exclame : ça n'empêche de circuler l'homme comme valeur pénienne pour les femmes, mais c'est clandestin.

Il va même faire porter aux femmes, dans cette façon de se servir des hommes sans leur donner sa juste valeur, une certaine responsabilité dans l'homosexualité masculine.

Il nous dit : Si l'homme-il n'est pas reconnu dans le statut de l'acte sexuel au sens de la société dont il est fondateur, il existe une société protectrice de l'homme-il, c'est ce qu'on appelle l'homosexuel. C'est ainsi qu'il finit sa leçon du 12 avril.

Une position féminine permettrait à une femme de sortir de la clandestinité acceptant la logique par laquelle elle a besoin du désir de l'homme et de la matérialité de l'acte sexuel pour accéder à une jouissance essentielle et trouver une place symbolique.

Encore faut-il pouvoir faire le deuil de la jouissance phallique du maternel. Dans le rapport sexuel, pour qu'une femme puisse jouir de cet organe que l'homme souhaite lui offrir et que lui manque, il y a certains franchissements logiques incontournables. Faute de quoi, face à cet Autre nanti, elle risque surtout de ressentir de l'angoisse. Comme nous savons, en faisant le deuil de cet objet sans limites, des limites s'établissent.

Lacan se demande : Quelle marge dans ce contexte de l'homme-elle et de la fiction mâle, est-elle laissée à ce qui serait le temps propre d'une culture de l'amour. Tout n'en témoigne-t-il pas, pour nous ; que c'est bien, là, la réalité la plus exclue de notre communauté subjective ? Nous sommes toujours là.

La nécessaire disparité phallique – nécessaire au désir sexuel – n'est pas rentré dans notre quotidienneté, quotidienneté qu'il nous enjoint de la prendre au sérieux. C'est plutôt un discours sur la parité et l'égalité entre hommes et femmes qui nous hante.

Des concepts comme celui du phallus, s'avèrent un instrument précieux pour figurer la dissymétrie nécessaire à l'économie du désir entre un homme et une femme. À condition de lui garder sa valeur de signifiant du manque et de ne pas le ravaler à un quelconque synonyme du pénis.

Mais pour viser l'objet cause de son désir, encore faut-il qu'un homme puisse se soutenir sur le phallus comme étant de son côté, voire constituant son assiette de sustentation, Φ. Il s'agit donc d'un phallus coloré d'une positivation imaginaire, indispensable pour que le désir puisse s'ériger. Tout désir implique cet élément légèrement pervers : la positivation du phallus. C'est en ce sens que Lacan propose de trouver un statut spécial à la négativation du phallus.

Être un homme ou être une femme pourrait s'envisager seulement à partir du moment où l'on aurait quelque idée de ce que ça suppose pour nous comme prix à payer.

Or, dans ce séminaire il va récuser le mot être et il va parler de la fonction de partenaire, faisant des articulations tenant à donner un statut aux mots homme et femme, partant de la base que dans l'inconscient rien ne l'indique à priori.

Même l'acte sexuel ne permet pas au sujet de s'inscrire comme sexué, ce qui compte c'est le rôle qui joue la fonction phallique dans cet acte.

À partir d'une position sexuée on fait signe d'être semblant homme ou semblant femme. Mais, dans ce séminaire, il n'avait pas encore fait cette trouvaille qu'est le concept du semblant.

C'est un jeu très sérieux, certes, ce qui n'empêche pas de le prendre avec humour. Justement parce que nous savons la difficulté d'être un sujet sexué… La fonction phallique toujours glissante dans l'acte sexuel, ne nous permet pas de poser l'homme et la femme opposés en quelque essence éternelle.

À différents moments du séminaire, il nous met en garde par rapport aux mirages de l'objet phallique. C'est dans les leçons des 24 et 31 mai.

Il n'y a pas d'objet phallique, nous dit-il, c'est ce qui nous laisse notre seule chance justement qu'il y ait un acte sexuel. C'est n'est pas la castration, c'est l'objet phallique qui est l'effet du rêve autour de quoi échoue l'acte sexuel.

Néanmoins, je voudrais dire un mot sur la propension des femmes à l'exaltation phallique, autant qu'à la dépression, quand les valeurs phalliques sur lesquelles une femme supporte son identité féminine viennent à diminuer ou à manquer.

Cette exaltation phallique est à relier aux deux promesses, disons, qui lui avaient été faites lors de son entrée dans l'oedipe et qui lui avaient permis d'accepter d'être une femme : celle d'un enfant en substitution du phallus et celle d'une certaine forme de phallicité de son corps tout entier.

Or, les effets subjectifs ne sont pas les mêmes si le fait qu'il pourra être l'objet cause du désir d'un homme est introduit à partir de ce qu'elle a de phallique et non du manque à être. Nous sommes loin de là.

Il suffit que la femme entre dans le jeu de l'être cet objet, que nous désigne si bien le mythe biblique, d'être cet objet phallique, pour que l'homme soit comblé, ce que veut dire parfaitement floué, il croit rencontrer son complément corporel. Or, ce que nous apprend l'analyse c'est que c'est justement dans la mesure où cette opération de flouage ne se produit pas, c'est-à-dire où la castration est produite, qu'il y a chance qu'il y ait un acte sexuel.

Le statut de la négativation du phallus que nous propose Lacan tient à relativiser ce miracle qui fait qu'on puisse être le phallus pour son partenaire, pour privilégier le phallus en tant que signifiant du manque, manque qui, certes, va relancer le désir.

C'est en cela que la rencontre sexuelle prend tout son prix. Même si ce manque ne peut pas être satisfait, la rencontre sexuelle prend toute sa valeur : à la fois elle ne pallie pas ce défaut de réponse et elle l'utilise.

La rencontre sexuelle fait office de réponse, sans pour autant prétendre être la réponse.

À la place de cet objet phallique supposé combler ce qui manque à l'homme, Lacan nous suggère à la fin de la leçon du 24 mai, un rapport plus intéressant, métaphorique et plein de ouvertures possibles faisant allusion au rapport entre cet objet phallique qu'il va ‘dépouiller’ et la pomme que, dans la Bible, Ève donne à Adam.

Ou pour le dire encore d'une autre façon il faut jusqu'un peu d'imaginaire pour faire tenir la dimension symbolique et réelle de l'acte sexuel.

Il y a pour moi un terme clef, qu'il utilise à partir d'un certain moment du séminaire qui est celui de fonction de partenaire, dans cette épreuve où le sujet est mis, de l'acte sexuel. C'est la leçon du 19 avril. Or, cette fonction, il faut l'articuler avec ce que Lacan appelle la valeur de jouissance.

La valeur de jouissance prend origine dans le manque marqué par le complexe de castration, autrement dit, l'interdit de l'autoérotisme porté sur l'organe masculin.

Pourquoi cet interdit ? parce que cet organe précis ne joue là, le rôle et fonction que d'introduire cet élément d'unité à l'inauguration d'un statut d'échange. Voilà la subversion qu'il introduit.

Tout dépend de ce qui va être ensuite économie chez l'être parlé dans son rapport au sexe. Il est clair que l'important est de voir la réversion qui en résulte, pour autant que le phallus désigne quelque chose de porté à la valeur -φ.

C'est à partir de là que l'être va venir à être porté à la fonction de partenaire, dans cette épreuve où le sujet est mis, de l'acte sexuel.

La femme va prendre ainsi sa valeur d'objet de jouissance, il ne s'agit plus de il jouit, mais de il jouit de La jouissance est passée du subjectif à l'objectif, au point de glisser au sens de possession dans la fonction typique telle que nous avons à la considérer comme déductible de l'incidence du complexe de castration.

Voilà la rationalité de cette logique que nous permet d'accepter autrement cette possession du mâle et notre besoin, notre goût d'être possédée.

Vous voyez comment la dimension imaginaire de posséder/être possédée se noue pour des raisons strictement logiques, a la dimension symbolique et au réel, en tant que le sexuel creuse le lieu où le sujet peut se mettre à l'abri du réel. Le réel comme tout réel, vise son articulation symbolique qui vienne lui donner sa juste place.

Il nous dit quelque part dans le séminaire que cela fait un noeud où on peut se tenir. Nous sommes d'accord.

Cette fonction de partenaire, il va l'opposer à ce qu'il appelle la fiction mâle, qui pourrait s'exprimer ainsi, on est ce qui a, ou encore on a ce que vous savez et puis on a ce qui est. Ce qui est, c'est l'objet de désir, c'est la femme. Et Lacan va opposer à cette fiction mâle, la valeur homme-elle dont nous venons de parler.

Et corriger la phrase simplette : on n'est pas ce qu'on a. Ce n'est pas la même phrase. On est ce qui a, mais on n'est pas ce qu'on a.

En d'autres termes c'est pour autant que l'homme a l'organe phallique qu'il ne l'est pas. Ce qui implique que de l'autre côté, c'est précisément en tant qu'elle ne pas le phallus que la femme peut en prendre la valeur.

L'importance de ce savoir mutuelle implique une certaine éthique. Tenant compte de leur mutuelle dépendance et de leur différente position par rapport au phallus, un pacte peut s'établir entre eux, pacte non explicite, bien entendu. Lacan ne cesse de nous montrer ici en quoi l'amour n'est pas de l'ordre du langage et à la fois de nous indiquer comment l'acte sexuel nous amène à penser.

À la fin de la leçon du 18 janvier il y a une référence au fait que le langage s'adapte mal a la réalité sexuelle. Le langage est, de par son statut même, antipathique à la réalité sexuelle. Lacan nous rappelle la radicale inadéquation de la pensée à la réalité du sexe. Nous ne le savons que trop bien, parfois à notre corps défendant. Il me semble une occasion où cette expression d'un discours sans paroles serait juste. Peut-être que c'est une des raisons qui lui a fait mettre en rapport l'acte sexuel en tant qu'acte avec l'acte analytique.

À un moment du séminaire, le 12 avril, il nous dit que l'acte sexuel représente le silence. Et dans la leçon du 10 mai, que l'acte sexuel est une occasion de penser. Est-ce que c'est contradictoire ? Je ne le crois pas.

Il nous demande : pourquoi il faut réaliser l'acte sexuel ? Il parle de signifiants matériels. Faire un acte, c'est introduire un rapport de signifiant par où la conjoncture est consacrée comme significative, c'est-à-dire comme une occasion de penser. Le 10 mai, il nous dit que l'Autre c'est le réservoir de matériel pour l'acte. Le matériel s'accumule, très probablement du fait que l'acte est impossible.

Apparemment Lacan ne dit pas grande chose dans ce séminaire sur la jouissance féminine, mais je dis que c'est seulement apparent, parce qu'il y au moins deux points importants à relever, qui pourraient nous réveiller. Dans la leçon du 24 mai, il se pose la question de l'objet intéressé dans l'acte sexuel, la question de savoir si cet objet est l'homme ou bien un homme, la femme ou bien une femme. Nous avons déjà évoque dans ces journées, comment pour l'homme l'objet n'est pas du tout donné en lui-même par la réalité du partenaire. Mais que ce soit la personne, en tout cas, peut faire doucement sourire quiconque a un petit aperçu de la jouissance féminine, nous dit-il.

L'autre remarque que je voudrais souligner c'est quand il affirme que c'est erroné de parler de sexualité féminine, alors que ce dont il s'agit est précisément de sa jouissance.

Je me demande si cette importante précision n'était pas à l'origine de ce qu'il dit des femmes analystes à l'époque, qu'elles semblaient terrifiées par ce qu'elles auraient à formuler à ce sujet. Peut-être ne sommes-nous plus autant terrifiées aujourd'hui. Mais je crois que nos difficultés à nous exprimer à ce sujet proviennent justement du manque d'un statut à donner à la jouissance féminine et je crois que cela pourra se faire seulement quand sera plus clair parmi nous, qu'il y a le sexuel comme un enjeu qui nous concerne qu'on soit homme ou femme, et des jouissances différentes. Ou encore, qu'il nous faudrait ne pas refuser cette jouissance devant quoi le sujet se refuse, voire le sujet se dérobe pour autant précisément que cette jouissance, comme telle, est trop cohérente avec cette dimension de la castration perçue dans l'acte sexuel comme menace.

La jouissance du corps fait point à l'encontre de l'inconscient.

Néanmoins, lorsque Lacan rappelle que le désir de l'homme, c'est le désir de l'Autre (génitif objectif et subjectif), il faut entendre que ce désir est prescrit par l'Autre, forme avérée de la dette symbolique et de l'aliénation, et que, d'une certaine façon, cet objet de désir est également arraché à l'Autre. C'est ainsi que j'ai compris quand il nous dit ici que le courage du sujet c'est peut-être de jouer le jeu du désir, du désir de l'Autre, que je mettrais en rapport avec cette phrase repère à un tournant de ce séminaire : que notre jouissance est coupable, surtout quand elle est innocente.

En tout cas en 1974, dans la leçon du 12 mars du séminaire Les non-dupes errent, Lacan nous dit que l'amour pourrait ne pas être toujours un ratage, que l'amour est quelque chose de passionnant, mais que ça implique qu'on y suive la règle du jeu. Bien sûr, pour ça, il faut la savoir. C'est peut-être ce qui manque : c'est qu'on en a toujours été là dans une profonde ignorance, à savoir qu'on joue un jeu dont on ne connaît pas les règles. Alors si ce savoir il faut l'inventer pour qu'il y ait savoir, c'est peut-être à ça que peut servir le discours psychanalytique.

Et dans la même leçon, il avance des propos tout à fait dans la ligne du séminaire que nous étudions, il nous dit qu'à partir du moment où l'amour sera quelque chose de civilisé, ce qui va écoper, c'est la jouissance.

En effet, dans la leçon du 24 mai, après avoir retenu cette vérité que la rencontre sexuelle des corps ne passe pas dans son essence par le principe de plaisir, Lacan nous amène à l'importance de s'orienter dans la jouissance qu'elle comporte, supposée, dit-il, car s'y orienter ne veut pas dire y entrer.

Pour s'y orienter, cette vérité n'a d'autre repère que cette sorte de négativation portée sur la jouissance, l'organe de la copulation. Et que la jouissance féminine ne peut passer que par le même repère. C'est ça qu'il appelle chez la femme le complexe de castration.

Le sujet femme n'est pas facile à articuler.

Pour comprendre mieux la façon dont il est sujet dans l'acte sexuel, il faut tenir compte de cette double spécificité féminine qui est que d'une part elle dépend, elle doit passer par le désir de l'homme et que la jouissance qu'elle peut ressentir dans l'acte sexuel la dépasse.

Pour vous transmettre ce que j'ai saisi, je me suis appuyée sur une phrase lumineuse qu'il écrit en 1972 dans ‘L'Étourdit’ : Pour satisfaire aux exigences de l'amour, la jouissance qu'on a d'une femme la divise, lui faisant de sa solitude partenaire, tandis que la union reste au seuil…

Dans la leçon du 7 juin, Lacan fait référence à la jouissance féminine comme métaphore de la jouissance de l'homme. Ici il nous montre la logique de cette interdépendance, mais dans le séminaire D'un discours qui ne serait pas du semblant, dans la leçon du 17 février 1971 il dira plus clairement en parlant de l'incompatibilité de l'être et de l'avoir que le phallus en tant qu'organe est la jouissance féminine.

Le dernier point que je voudrais souligner, qui fait partie de la logique dans laquelle nous sommes engagés en tant que humains au-delà de notre volonté, comme il le précise dans les dernières leçons, c'est qu'il y a impossibilité d'échange de leurs jouissances entre un homme et une femme.

Ce point aussi s'est éclairé pour moi en me rappelant de ce que Lacan va écrire à la suite de la citation de ‘L'Étourdit’ que je viens de vous faire : Car à quoi l'homme s'avouerait-il servir de mieux pour la femme dont il veut jouir, qu'à lui rendre cette jouissance sienne qui ne la fait pas toute à lui : d'en elle la re-susciter.

Je veux m'arrêter sur ces phrases de Lacan, qui me semblent mettre bien en évidence comment dire c'est faire. Merci.

Cécilia Hopen