Artaud, le logicien de l'écriture
03 juillet 2007

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TEXIER Dominique
Textes
Écriture



Paule Thévenin, amie fidèle d’Artaud désignée exécutoire testamentaire par Artaud lui-même, nous raconte (1) :

"Les dernières semaines, il répétait fréquemment : "Je n’ai plus rien à dire, j’ai dit tout ce que j’avais à dire." Il déclarait qu’il n’écrirait plus.

Un jour, il ne s’était pas encore seulement débarrassé de son manteau qu’il lança : "Je vous annonce que je n’écrirai plus jamais, j’ai tout écrit. Voyez, d’ailleurs, je n’ai pas de cahier."

Et il montra la poche intérieure de sa veste, vide de l’habituel cahier. […] Comme je revenais, je l’entendis, et le ton de sa voix était d’une courtoisie incomparable, qui demandait à ma fille : "Ma petite Domnine, voulez-vous, je vous prie, aller m’acheter un cahier à la papeterie ?"

Je ne pus résister à l’envie de le taquiner un peu : "Mais vous venez de dire que vous n’écrirez plus jamais !-C’est vrai, mais c’est pour faire des bâtons ! Ma main, elle, ne peut se passer d’écrire." De fait, quand il eut le cahier, il se mit consciencieusement à faire des bâtons… deux pages de bâtons, qui peu à peu devinrent des lettres.

Il n’en demeure pas moins qu’il avait certainement le sentiment d’avoir fait ce qu’il voulait faire, ce qu’il avait à faire."

Artaud nous invite à réinventer l’écriture, à repenser l’écriture à partir de son acte de naissance, le trait sur une tablette d’argile, comme au temps des Mésopotamiens.

Il nous rappelle qu’Écrire est un acte de scansion où la lettre dans son élément constituant est pulsation donnée par le coup résonnant du bâton sur le papier comme surface du corps et du monde.

Oui, il a tout dit et a fait ce qu’il avait à faire, nous montrer le chemin de l’acte poétique, aller aux confins du langage: il a pris le risque de marquer, de révéler le quiproquo irrémédiable inscrit dans l’exercice du langage. C’est la liberté de son acte créatif.

Artaud nous a laissés sur ce recommencement de l’acte originel à poursuivre. Artaud a osé aller au plus originel de l’écriture, aux confins les plus extrêmes du symbolique : c’est l’enjeu de sa poésie.

Comme nous le fait remarquer Paule Thévenin "On pourrait presque dire d’Antonin Artaud, qu’il créait la réalité", il a créé la réalité à partir de ce qui fait matériau brut de la langue.

L’écriture de ces bâtonnets au crépuscule de sa vie en témoigne. Il a tenu un fil, tout au long de sa vie, construire son existence littéraire, se donner corps par une autre langue du corps, par les lettres. Il part de la consomption-consumation de la langue ou des langues maternelles, passe par les glossolalies, rejoint la lettre, la décompose en éléments graphiques puis franchit le pas extrême, avant que le fil ne casse, il va du phonétisable, la lettre, au non-phonétisable, le bâtonnet ; le bâtonnet, la lettre qui n’a pas de nom mais dont l’écriture réanime, redonne existence à la matérialité même, matérialité organique de la lettre. Comme le potier artisan qui façonne la glaise pour donner enforme au vide, Artaud a mené sa vie à convoquer la matérialité brute de l’écriture, pour faire surgir, dans une forme révélée, l’au-delà de l’écrit. Il l’a crié, sacrifiant son corps à n’être que cet informe du cri.

Écrire pour Artaud, c’est transférer aux mots l’énergie organique du corps, lui transmettre ce qu’elle porte de subversion, de forfaiture qui caractérise la sauvagerie de notre présence au monde. Écrire, l’acte lui-même est politique.

Il s’agit pour Antonin Artaud de soustraire la parole aux concepts de la discursivité rationnelle pour rendre aux mots "leur odeur" et leur "sexe" (2).

Comme Bernard Noël nous l’indique – Bernard Noel, ami de Paule Thévenin et poète lui-même -, le poète incise dans le réel. Du forage qu’il opère par cette effraction dans le réel, il crée un langage du réel. La poésie donne à l’écriture sa fonction de réel. Le poème est le corps, son trouage. Le poète offre autour du trou une nomination du monde.

Antonin Artaud s’est affranchi : Il s’est affranchi de la filiation par le père géniteur, il s’est affranchi de l’aliénation à la langue maternelle, comme véhicule du sens, il s’est créé par la lettre dans l’acte d’invention d’écriture, il s’est auto généré par sa poésie…

Alors peut-on parler d’Artaud, avec quels mots ? En avons-nous les mots ?

"Qui suis-je ?
D’où je viens ?
Je suis Antonin Artaud
Et que je le dise
Comme je sais le dire
Immédiatement
Vous verrez mon corps actuel
Voler en éclats
Et se ramasser
Sous dix mille aspects notoires
Un corps neuf
Où vous ne pourrez
Plus jamais
M’oublier"
(3)

"Comment dire mieux, comment dire plus" commente Paule Thévenin (4).

Antonin Artaud est mort le 4 mars 1948.

Il nous a laissé un nom et une oeuvre, oeuvres complètes ainsi nommée dans l’édition Gallimard.

Or ce nom, l’homme qui le reçut à sa naissance n’eut de cesse de ne pouvoir s’y reconnaître, s’en dénommer. Après sa rupture avec Cécile Schramme, jeune femme qu’il a beaucoup aimée et dont il attendait par le mariage, une nomination, un baptême, dit-il, "au fait , il faudrait enfin songer à baptiser cet enfant illégitime que je dois être puisque je n’ai pas encore de nom à moi" (5). Artaud ne signe plus ou signe Antonin Nalpas, patronyme de sa grand-mère maternelle. Il ne retrouve son patronyme qu’en 1943, mais ce nom ne suffit pas à donner à Artaud de l’être.

"Oui, oui , moi, Antonin Artaud, 50 piges, 4 septembre 1896 à Marseille, Bouches-du-Rhône, France, je suis ce vieil Artaud, nom éthymologique du néant, et qui bientôt aussi abandonnera cette éthymologie avec tous les acides éthymines, liliques, thyliques, éthyliques, taliques, manimanes, thymsiliques, éthylamétiques, tatriques, taltiques et taltaliques et manimanétiques de manitou, maniques, éthanes et métamniques, qu’elle contient" (6).

Son nom se réduit éthymologiquement au néant. Artaud est son nom propre de néant. Cette dérive métonymique à partir de l’éthymologie écrit avec un H supplémentaire nous indique comment il se situe dans son expérience, celle de sa traversée par les effets de néantisation ou d’érosion de sa propre pensée liées aux substances qu’il absorbe, mais comment par cette invention d’écriture, l’adjonction du H, lettre qu’il dit "lettre de la génération", fait de deux bâtonnets où Artaud voit "Une figure d’homme et de la femme qui se faisaient face, et l’homme avait la verge levée" (7). Comment par ce H il poursuit sa génération par l’acte d’écriture lui-même, par la création d’une écriture prise au pied de la lettre. Le H est la lettre génitrice, elle est aussi la lettre du souffle : Artaud nous le dit d’un trait : la lettre condense à elle seule la génération et la scansion du souffle, l’acte de naissance est produit de la scansion, de l’interstice opérée par le souffle de la respiration.

Artaud refuse la nomination, aucune nomination ne pourra donner de l’être à ce qu’il est, le non-être, l’incréé. C’est le langage qui fait l’être, or Artaud refuse le langage. Le langage est parti.

"dix ans que le langage est parti,
qu’il est entré à la place,
ce tonnerre atmosphérique,
cette foudre,
devant la pressuration aristocratique des êtres,
de tous les êtres nobles… ?
Comment cela fut-il possible,
par un coup
anti logique,
anti-philosophique,
anti-intellectuel,
anti-dialectique
de la langue"
(8)

Aucun nom ne peut venir donner consistance à cet être, déserté de son propre corps, désarticulé de sa pensée, habité par son cadavre, traversé par les démons, envahi par les sensations imposées par l’Autre, mort et vivant, homme et femme, Dieu et caca, Tout et Néant.

Face à cette impossible nomination, on a tenté de lui faire un Nom : Antonin Artaud, auteur des "oeuvres complètes".

Car n’est-ce pas la fonction même de l’oeuvre que de nommer un auteur ?

La notion d’oeuvre est une notion moderne dont la consistance est fondée sur un système de nomination qui se réduit le plus souvent au nom de l’auteur et à la référence à un titre donné.

Or, de cette oeuvre, celle d’Antonin Artaud, qui semble faire legs, héritage culturel, et dont on connaît la complexité de sa transmission, oeuvre que chacun pense pouvoir s’approprier, tirer vers sa propre pensée, faire résonner dans son propre champ théorique, Artaud n’a cessé d’en crier l’indécence et la forfaiture, et d’en réclamer sa déjection. Dès 1925 dans Pèse nerfs, il assimile l’écriture à une "cochonnerie" et ses propres oeuvres à des déchets :

"Ce que vous avez pris pour mes oeuvres n’était que les déchets de moi-même, ces raclures de l’âme que l’homme normal n’accueille pas".

Ou encore "Toute l’écriture est de la cochonnerie", "tous ceux qui sont maîtres de leur langue, tous ceux pour qui les mots ont un sens… sont des cochons" "et je vous l’ai dit : pas d’oeuvres, pas de langue, pas de parole, pas d’esprit, rien. Rien sinon un beau pèse-nerfs" (9)

Alors à défaut de savoir de qui on parle, de quoi on parle, on appelle à son génie, à sa folie. On pose son oeuvre au croisement du discours critique et du discours clinique. L’histoire des travaux sur Artaud suit cette ligne de démarcation : Artaud le psychotique et Artaud le génie. On interroge où le génie est le répondant de la folie et réciproquement. La boucle est bouclée, on ne sépare plus folie et oeuvre : ainsi disparaît encore une fois Artaud. Artaud est encore une fois enfermé, camisolé par le forçage interprétatif des psychobiographes et des critiques littéraires.

Peut-être, peut-on là appeler Michel Foucault à notre secours pour sortir Artaud de cet enfermement, comme Paule Thévenin et ses amis, en 1946 ont sorti Artaud de Rodez, pour lui laisser la parole, laisser la parole à celui qui nous parle.

"La folie ne manifeste ni ne raconte la naissance d’une oeuvre : elle désigne la forme vide d’où vient cette oeuvre, c’est-à-dire le lieu d’où elle ne cesse d’être absent, où jamais on ne la trouvera parce qu’elle ne s’y est jamais trouvée…C’est le point aveugle de leur possibilité à chacune et de leur exclusion mutuelle" (10).

Artaud ne figure-t-il pas cette mutuelle exclusion, la négation de la folie par l’oeuvre et la négation de l’oeuvre par la folie.

Artaud, jamais là, insaisissable donc.

Artaud est comme ce qu’il crée, il est ce qu’il crée, soit ce moment de brisure, d’éparpillement en dix mille morceaux qui le constituent et qui jamais ne se rassemblent.

André S. Labarthe dans son film qu’il a tourné dans le cadre d’"un siècle d’écrivain" en 2000 sur Antonin Artaud propose cette image qui offre très justement et avec une précision exquise, comme on dit d’une douleur qu’elle est exquise, pour dire l’acuité, la force pénétrante de la sensation, qui offre donc une lisibilité de l’impossible à situer Artaud quelque part : l’image donc d’un verre, et vous pouvez entendre l’équivocité signifiante du terme même, un verre qui chute d’une table et vient se briser en mille morceaux. Artaud, vers poétique lui-même, tendu vers ce moment de brisure.

Son oeuvre, au sens de main-d’oeuvre de l’ouvrier qui apporte son énergie manuelle, énergie de corps à la réalisation d’une pièce détachée, son "oeuvrerie", néologisme que je vous propose, comme on dit maçonnerie ou menuiserie, mais dont la résonance avec beuverie indique l’excès qui le caractérise, sa tache donc, c’est de donner corps -matériel- à ce morcellement éclaté qui constitue son non-être. Artaud a refusé de se ranger sous la bannière de son patronyme, il a refusé de se soumettre au régime du nom générateur de l’unification identitaire, il a refusé d’être le fils de son père, né d’un homme et d’une femme, il a refusé d’appartenir à une histoire familiale, générationnelle qui lui aurait permis de s’inscrire quelque part, dans l’univers du langage.

"Les enfants n’ont pas à obéir à leur père parce qu’ils n’ont pas demandé à leur père de les faire, ni d’être et que c’est leur père qui les a forcés à être par le canal de son être à lui -un sexe à qui manque tout l’infini, sans d’abord les y avoir invités puisque bien sûr ils n’étaient pas nés. Et que toute la question de la génération est à reprendre absolument par un autre plan.

Je pensais en 1918 que tous les enfants sont à refaire par le canal d’un sexe infini, d’un sexe qui n’est pas dans ce monde mais qui de nouveau le forcera, à la place de son sexe à lui" (11).

C’est par l’insulte à Dieu qu’Artaud rejette l’imposture paternelle : Dieu, objet invariable d’exécration, est l’emblème de l’engendrement par le père.

"Canaille de canaille de Dieu, innombrable fuyard du ciel, intronisé exécrable de l’être, c’est l’être qui t’a fait Dieu et non toi, avant lui tu ne l’étais pas, et qui t’a permis de me mettre où je suis, qui t’as permis de disposer de mon être à moi qui n’en suis pas et qui me sens mangé par l’être jusque dans l’être de mon propre néant que seule l’idée de non-être me permet chaque fois de fuir…

Jusqu’à quand me faudra-t-il me réfugier dans le non-être pour avoir le droit d’être ce que je suis ?" (12).

C’est de cette impossibilité qu’il cherche toute son existence à trouver origine, à se créer, à donner consistance -consistance de corps- à son existence.

Toutes les productions d’Artaud, ses poèmes, ses textes, ses dessins, son théâtre de la cruauté, ne sont pas des produits qui viendraient à se détacher de lui. Elles sont ce qu’il saisit de lui. Elles lui assurent existence, elles le destinent. Elles lui assurent un destin : naître, c’est porter son destin. Mais elles le destinent aussi parce qu’elles s’adressent à lui. Elles le convoquent. C’est comme chambre d’écho qu’il existe à ses productions créatives. C’est comme chambre de résonance qu’il peut exister comme être matériel, porter dans son corps, la trace de cette adresse.

Artaud est un créateur, ce n’est pas seulement un inventeur : la création, c’est créer du nouveau, de l’original. L’artiste créateur est toujours sans père. Même si l’oeuvre est datée, elle n’a pas de filiation et son auteur est toujours le "fils de ses oeuvres" comme l’a dit Cervantès et c’est sous cette acception que nous entendons le terme d’oeuvre pour Artaud. Il s’est donné une filiation par la lettre. "Le secret c’est d’être soi-même la source de la poésie et cela ne se dit pas".

Artaud a cherché à émerger hors de l’incréé. "J’ai déjà chié et sué ma vie en des écrits qui ne valent guère que des affres dont ils sont sortis". Une même expérience de l’excès tient l’existence et l’expression. Une seule origine, une seule force, le trou de l’incréé, le souffle originel du néant qui trouve son expression et sa forme dans l’écriture dont il noircit ses cahiers, avec débordement, avec excès, dans l’agitation propre au déferlement de sa pensée envahissante et dévastatrice.

C’est là que se situe son acte créatif, se créer lui-même par les lettres : exister littérairement, c’est-à-dire dans sa matérialité scripturaire.

"Ne vous ai-je pas dit assez pour vous prouver que j’ai un esprit qui littérairement existe, comme T existe, ou E ou S ou M", écrit-il à Jacques Rivières.

La puissance créatrice d’Artaud tient à cette nécessité absolue d’auto génération, auto procréation littéraire. Il fait de la lettre, la matière vivante de sa conception et de sa génération.

Écriture et existence sont liées indissociablement

"Je vais pouvoir écrire ce que je pense
Être sûr de penser ce que j’écris
Et penser enfin ce dont j’ai besoin
Pour écrire,
C’est-à-dire pour exister" (13)

C’est de cette poésie comme fonction d’existence que nous pouvons dire d’Artaud qu’il est un logicien :

Comme logicien, il refuse tout appui dans l’intuition commune, dans le sens commun, il refuse toute routine pour tirer du langage des entités inédites. Il prend fond de l’inexistence et s’établit sur le défaut de toute précompréhension. Il crée, dans le sens de création qui se pose ex nihilo, c’est-à-dire de rien. Cette création, de ce qu’elle ne vient de rien, est corrélative d’une forclusion, forclusion de ce qui précède : il s’exprime dans un langage créationniste. Il construit son langage sur un vide qui n’a pas de corrélat dans la réalité. Mais cela ne veut pas dire qu’il s’agit de fiction. Artaud n’est pas dans la fiction. Artaud construit un savoir qui n’a pas de références dans la réalité, ce n’est pas un savoir référentiel, mais ce n’est pas de la fiction pour autant : c’est un savoir textuel, qui tient sa cohérence des articulations internes au texte lui-même.

Et cela, il le dit tout de suite, dans sa correspondance avec Jacques Rivières : Artaud accepte la publication de ses lettres mais demande que rien ne soit dissimulé, que ce ne soit présenté comme une fiction mais comme le cri de la vie. Il s’agit que le lecteur croie "à une véritable maladie et non à un phénomène de l’époque" sans doute fait-il référence au surréalisme. La quête d’Artaud est d’être pris à la lettre. Son existence littéraire commence d’ailleurs par induire une substitution, c’est l’épistolaire qui vient occuper la place des textes proprement littéraires, ce qui d’après Paule Thévenin lui fut très douloureux. La place de la correspondance est très importante dans la constitution de son oeuvre. Elle en est une partie constituante. Ces lettres s’adressent toujours à des interlocuteurs privés, sa mère, ses amis, ses maîtresses, éditeurs, médecins, psychiatres… Mais elles sont publiées avec l’autorisation d’Artaud, c’est-à-dire adressées à un ensemble anonyme de lecteurs, au-delà du destinataire initial. Cette double adresse est très importante : quelle est la fonction de ce lecteur public que nous sommes et à qui il écrit. Qu’entendons-nous dans ces lettres qui nous sont destinées ? Que l’on ne doit pas être trompé, qu’il nous adresse le cri de la vie, qu’il nous parle ce cri.

Mais aussi que sa maladie touche à l’essence même de l’être et que, c’est de ce lieu de "déperdition de la pensée" qu’il nous adresse son cri.

Et c’est sans doute ce que l’on doit à Jacques Rivières mais aussi à Paule Thévenin qui dans la continuité de Rivières, a su faire expédier les lettres : L’un comme l’autre n’ont pas été le secrétaire privé d’Artaud, mais l’un comme l’autre ils ont su expédier les lettres c’est-à-dire qu’ils ont accepté d’occuper une place, un lieu troué qui permette que la lettre comme ordure vienne à se perdre. Ils ont accepté d’être entamés par la vérité dont témoignait Artaud, faire acte que la genèse, l’origine de l’acte poétique, de l’acte créatif gîte là, dans ce O de l’infini du néant, de l’au-delà du nom, de l’au-delà du mot, de ce vide qui pour certains est moins recouvert que pour d’autres.

C’est pourquoi c’est toujours un cri, un souffle originel qu’il énonce. Il nous convoque à cette place, il nous propulse avec ses mots – bombes, ses mots – fusées vers le vide : C’est sa cruauté :

"Le spectateur qui vient chez nous saura qu’il vient s’offrir à une opération véritable, où non seulement son esprit, mais ses sens et sa chair sont en jeu. Il ira désormais au théâtre comme il va chez le chirurgien ou chez le dentiste…Il doit être bien persuadé que nous sommes capables de le faire crier".

Notes :

(1) P. Thévenin, Antonin Artaud, ce désespéré qui vous parle, Essais/Seuil, p. 69-70

(2) Ombilic des limbes

(3) [XIII] p. 118

(4) Ibid. p. 71

(5) [VII] p. 196

(6) [XXVI] p. 10

(7) [IX] p. 122, 123

(8) A.Artaud, publié dans Luna park, n° 5 octobre 1979, texte de 1947

(9) [(9) I] p. 10

(10) M. Foucault, préface Histoire de la folie, édition de 1961, retirée dans l’édition de 1972

(11) (XVIII] p. 110

(12) (XV] p. 26

(13) Cahier de retour à Paris, entre fin mai et juillet 1946