Geneviève : Gérard Amiel, en quelques mots pour ceux qui ne vous connaîtraient pas, vous êtes Psychiatre, Psychanalyste, membre de l’ALI, ancien Président de l’ALI-Rhône-Alpes et vous tenez un séminaire intitulé « L’abêtissement moderne ». Vous êtes Directeur de la revue les Feuillets psychanalytiques depuis sa création et vous avez également contribué à de nombreux ouvrages. Apprendre à désirer, que vous nous présentez aujourd’hui, est votre premier livre. Je vais tout de suite donner la parole à Thierry florentin qui est également psychiatre, psychanalyste, membre de l’ALI et vous êtes également membre du Comité de Rédaction de La Revue Lacanienne dirigée par Marc Morali.
Thierry Florentin : Merci, Geneviève, de me donner la parole.
Je suis très content de présenter ce livre, bien que je ne sache pas d’emblée par quel bout le prendre, car il se présente en apparence sous la forme d’une reprise des principaux points des concepts lacaniens, dépliés d’une façon telle qu’ils nous présentent un éclairage très vif, très éclairant justement d’une clinique contemporaine des diverses jouissances que nous observons aujourd’hui chez nos patients, spectre assez large allant de la dépression, au malaise dans l’identité, le genre, et la sexualité. Mais c’est à mes yeux ce qui en fait sa valeur, son prix, sa singularité, ce livre dévoile parallèlement, dans sa trame, en filigrane, toute autre chose qui nous intéresse et qui est la narration subjective d’un parcours et d’un itinéraire.
Alors commençons par son titre :
Apprendre à désirer.
C’est un titre iconoclaste. Désirer, on peut comprendre, c’est un terme qui nous est familier, qui appartient à notre domaine sémantique ordinaire et quotidien, banal presque de la psychanalyse.
Make psychoanalysis desire again.
Ou « Psychanalysant, encore un effort pour devenir désirant ».
Mais apprendre, là non! Ça ne passe pas ! Gérard non, Apprendre à désirer, c’est du grand n’importe quoi !
Que serait, en effet, une psychanalyse qui n’apporterait pas de nos jours, une guérison sans effort et de surcroit, une chute miraculeuse des objets a comme s’il en pleuvait ? Hein ? Un jour, comme ça, espérer, dans le désert du désir, dans le désir d’un dessert qui serait servi avant les hors-d’œuvre et les si bien nommés plats de résistance roboratifs…
Croassez, sur le divan, et multipliez !!!
Alors qu’apprenons-nous ?
Si l’on prend la façon dont Gérard Amiel déplie les choses, il suit en apparence dans les différents chapitres de son ouvrage, ce qui pourrait apparaître comme un éventail, un panorama de différents concepts lacaniens majeurs, les plus vifs : la phase du miroir, la constitution du sujet, la pulsion, la répétition, le phallus, l’objet a, le fantasme, le grand Autre, le ou les Noms-du-Père, le symptôme, le transfert, sans oublier le passage par la sexuation masculin-féminin, et le choix d’objet amoureux.
Il revisite dans cet ouvrage d’une façon didactique, très dépliée, les grands thèmes de l’exploration lacanienne. Et bien que chacun fasse avec son style, et celui de Gérard Amiel est très plaisant, on pourrait penser que cela n’apporte rien de nouveau. Chaque année, un certain nombre d’ouvrage d’auteurs lacaniens viennent nous apporter leur explicitation des concepts, chacun avec son immense talent et nous insuffler le désir de nous remettre à l’étude, au travail des textes théoriques à la suite de ces lectures. Mais ce n’est pas du tout cela, ou pas seulement cela, le chemin que prend la lecture de l’ouvrage de Gérard Amiel, bien qu’on y perçoive la trace laissée par trente ans de séminaires, à Grenoble, le dépliement, la clarification des concepts et l’effort pédagogique.
Il y a un autre fil, je ne sais pas si je vais arriver à vous le transmettre de manière explicite, mais certainement Gérard va le reprendre pour nous et cet autre fil nous amène de l’ombre à la lumière. Ce fil parallèle, c’est celui de nous faire sentir, percevoir, vivre, à travers cette explicitation des concepts analytiques, le parcours d’une analyse ainsi que ses enjeux. Et c’est un tour de force, une réussite que d’arriver ainsi à tisser ensemble d’une part les concepts théoriques qui valent pour universaux et d’autre part leur illumination et leur postface, pour nous-même. Il nous revient à chacun de l’inscrire.
C’est un travail que nous avons chacun à faire individuellement, singulièrement, au un-par-un, dans la solitude et la détresse d’une analyse. Et je dis bien solitude et détresse. Je suis toujours étonné de ces personnes qui appellent l’analyste en disant « je voudrais être accompagné ». Les pauvres, s’ils savaient…
De quel singulier accompagnement la psychanalyse se tient.
Travail donc, que nous avons individuellement à retrouver et à écrire.
A Inscrire.
En Nous.
Pour nous.
Mais aussi pour nos patients. Et à leur transmettre et leur permettre de le transmettre. Cela se joue sur trois générations. L’avenir de la psychanalyse ne se joue pas sur une filiation directe mais sur une filiation de la filiation. Marcel Czermak disait toujours à ses élèves de « Foutre le camp ! ». Il ne voulait rien dire d’autre que ça, du moins j’espère !
Ça s’écrit aussi, parfois.
Et l’écriture de ce parcours, Gérard Amiel arrive à le traduire, avec des phrases, dans cet ouvrage.
Soit dit en passant, l’autre terme de ce parcours s’appelle la Passe.
Alors voilà quelque chose de nature à nous donner un éclairage, un peu rétrospectif à ce titre si étonnant que tu donnes, Gérard, à ton livre.
Apprendre. Apprendre à désirer.
La psychanalyse comme apprentissage. Je crois que dans le séminaire D’un Autre à l’autre, Lacan dit que la psychanalyse est le dernier lieu d’initiation et le seul finalement en occident. La psychanalyse comme apprentissage non pas par empilement de savoirs et de soucoupes, lesquels conduiraient en douceur et dans une idéalisation souriante et bienveillante, l’analysant, au fil d’un temps défini au préalable par contrat à l’exercice d’une pulsion bien-tempérée, qui aurait fini enfin par trouver son objet approprié, objet lui-même bien évidemment radieux et rayonnant de santé joyeuse sous la promotion et les applaudissements d’un ministère du bien-être mental. Mens sana in corpore sanum.
Merci à monpsy.com, pour souffrance psychique légère à modérée, comme je l’ai lu ce matin, envoyé directement par les ARS.
Mais qu’est-ce qu’ils en savent dans les ministères, d’une souffrance psychique légère à modérée, et que les enjeux d’une psychanalyse, ce n’est rien de moins, comme le rappelait justement Czermak, que la vie ou la mort. Et que les premiers signes, les plus inquiétants en sont justement cette perte des affects. Une petite dépression, ça va passer, ou tient comme Schreber, une petite insomnie, prenez donc un peu de mélatonine, pas la peine d’aller voir le psy.
Un drôle d’apprentissage qu’est cette résultante sur le psychisme des effets successifs et non sans douleur et sans violence de soustractions d’objet a, quand ce n’est pas de réintégration, et de remaniement de jouissances partielles.
Ah mais là, ça ne va plus du tout.
Qu’est-ce donc que ce discours qui ne s’appuie pas sur l’accumulation, le care, et qui ne donne pas lieu à certification, ce n’est pas du tout dans l’air du temps.
Apprendre à désirer, c’est le résultat que donne une addition.
Mais une addition, nous dit Gérard Amiel, constituée d’un ensemble de soustractions et de divisions, laissant progressivement place à l’émergence, pour finir, et c’est cela qui est jubilatoire, d’une vie pleine et désirante, dernier lieu de liberté dans ce monde.
Et comme il y a un reste à la fin de toute opération, comme chacun ne le sait pas, mais apprend à ses dépens à le savoir, et bien à chacun de s’en débrouiller, et cela s’appelle la responsabilité.
Litter ou Letter, c’est de la responsabilité finale de chacun.
La fin d’une analyse, ce n’est pas ce qu’il a traversé, c’est ce qu’il fait de ce qui lui reste sur les bras à la fin de son opération.
Letter ou Litter.
Je propose la création d’un ministère de l’apprentissage, puisque nous sommes en période électorale, confié aux psychanalystes. Certainement que le niveau mathématique des petits français en serait relevé.
Mise à l’épreuve, donc dans cet ouvrage, à travers l’explicitation des concepts théoriques majeurs de la pensée de Lacan, et leur tissage au plus près de la clinique contemporaine.
Tu ne prends pas des cas cliniques, et c’est un choix très bienvenu, mais des situations cliniques.
Choix très bienvenu, car le risque avec le cas clinique, qui va du particulier à l’universel, est qu’il nous encombre, nous empêche de penser son au-delà, cela a été le principal obstacle des cas princeps des Cinq psychanalyses de Freud, que nous avons encore aujourd’hui du mal à dépasser, tandis que les situations cliniques partent à l’inverse du général, et ouvrent leur lecture sur l’expérience propre du lecteur, son expérience singulière, à laquelle elles font appel.
A ce tissage donc, il faut y rajouter un troisième fil, qui est celui de la poésie, notamment anglo-saxonne, dont tu es également spécialiste, et dont tu émailles le développement de ce que tu déplies au fil de ton ouvrage.
Et qui a sa fonction propre, qui n’est pas celle de l’érudition, outre nous permettre de découvrir à travers ces références rares la poésie anglo-saxonne, mais que ce que tu énonces, des hommes et des femmes qui ont consacré leur vie à se tourner vers leur intériorité, ont su le dire, également, au fil des siècles, avec le talent de leurs mots.
Ce n’est donc pas par anecdote que tu commences ton livre par un hommage très appuyé à deux de tes professeures de Lycée.
Deux femmes, Aline Dubreuil et Maryse Caudron, l’une agrégée de lettres modernes, et l’autre chargée de la classe de philosophie, lumineuse normalienne, premières ébauches d’un transfert au savoir, et premières découvertes qu’un transfert ne va pas sans érotisation.
On n’allume pas la pulsion épistémophilique sans la participation tumultueuse d’Eros.
Un des premiers fondamentaux de la découverte freudienne.
C’est souligner là encore le paradoxe, l’impossibilité, du métier d’enseigner. Que Charles Melman en passant à toujours écrit avec un a.
Comme d’aimer.
Donner ce qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas.
Et tout l’enjeu de la transmission de la psychanalyse est dans cette articulation-là.
Transmission d’un au-delà, parce que dans les deux cas et là, je mets de côté la troisième question, celle de gouverner, parce qu’elle mériterait à elle-seule que nous y consacrions des journées entières. Dans ces deux cas, de l’enseignement ou de l’amour, il ne s’agit, ni de l’enseignement, puisqu’en général, on oublie tout, ni de l’amour, puisqu’il arrive, on le sait bien, qu’il passe mais de ce qui reste et qui est le bien le plus précieux, à savoir, justement, le savoir qui en résulte : le Scilicet. Qu’il s’agisse aussi bien de l’enseignement, qui ouvre au désir d’apprendre, ou de l’amour dont le reste, après avoir traversé le besoin et la demande, donne une direction inébranlable au désir de la vie.
Ce qu’il est convenu d’appeler le bonheur, dont tu rappelles que Freud lui-même le qualifiait de « rêve d’enfant », et qui n’est que la traduction de la capacité de chacun à pouvoir accueillir d’une manière good enough la douleur d’exister, c’est-à-dire notre faille de structure, sans laquelle aucune vie ne serait possible.
Autre élément de ce tissage entre universel, singulier, général, et particulier, qui fait l’assise de ce livre, sa consistance, c’est la rencontre avec Jean Paul Hiltenbrand, « cadeau inestimable », « privilège », écris-tu, et cette pratique si singulière, c’est le cas de le dire, que vous avez institué à l’Ecole de Grenoble, de demander à vos analysants de s’inscrire, dans le même temps où ils viennent en analyse, à vos enseignements et à vos séminaires.
De lire Freud et Lacan.
Et pas en catimini, pas dans leur coin, dans un chacun chez soi, dans un « auriez-vous un livre à me conseiller ? » demandé angéliquement en fin de séance mais à la lumière et à l’exposition du cartel.
Je te cite : « Nous sommes maintenant avisés », écris-tu, « qu’il s’agit d’adjoindre à cette procédure de la libre association, sur et derrière le divan, et pourquoi pas le plus tôt possible, la lecture d’un certain nombre de textes fondamentaux et inhérents à l’analyse même, mais aussi fondateurs de notre civilisation, non dans le silence de la découverte, mais en lien avec ce que l’on appelle un travail soucieux de l’échange à plusieurs. La surdité des uns étant déplacée par la lucidité des autres ».
Comment aborder les textes ? Tu écris « Il faut chercher à les lire » – et tu reprends une strophe d’un poème de Léon Paul Fargue dans Vous faites un songe- « comme on cherche un ressort secret », provoquer un choc de lecture, un choc qui viendrait toucher, entamer les ressorts, les éléments clefs structurels de notre propre rapport au langage.
Ce livre m’est apparu comme venant rendre compte de cette entame qui se produit de ce dispositif original, de ce tressage entre l’universel du texte et le particulier de l’énoncé sur le divan.
Voilà l’hommage que tu rends à tes enseignantes, avec un a, et ce n’est pas une anecdote même si ceux qui en ont rendu compte l’ont fait sur ce mode, sur ce bord-là, c’est d’ailleurs ce que les analysants de Lacan eux même vivaient, au tissage double de leur analyse personnelle avec Lacan et de leur participation au séminaire, inquiétamment étrangement convaincus que telle ou telle phrase, ou tel énoncé de Lacan à tel séminaire leur était personnellement destiné et adressé, dans la suite de leur dernière séance, ou de ce qu’ils venaient de raconter à Lacan sur le divan.
Ce genre d’organisation, tel qu’en ont témoigné les analysants de Lacan, me semble très bienvenu, puisque le transfert c’est ça, c’est le che vuoi ? Mais qu’est-ce qu’il me veut ? Qu’attend-il de moi ? Comment veut-il que je me comporte pour enfin m’élire comme l’unique ? Que me veut le texte ?
Et je dois dire, pour en avoir reçu quelques-uns, qu’il y a une marque des analysants grenoblois qui est celle de cette entame déjà amorcée à Grenoble de leur participation à vos séminaires de l’Ecole de Grenoble.
Voilà déjà quelques éléments sur lesquels tu voudrais peut être commencer à rebondir.
Gérard Amiel :
Je te remercie énormément pour le tour que tu donnes à ta lecture, c’est toujours très touchant quand on a dans un moment de grande solitude écrit quelque chose, de s’apercevoir qu’on a eu des lecteurs. C’est quelque chose d’assez fondamental. Je suis tout à fait d’accord avec bien sûr ce que tu repères de la dimension provocatrice du titre qui voudrait faire cohabiter des choses irréconciliables comme au fond l’analyse nous conduit à les découvrir puisque quel que soit le trajet que les uns ou les autres ayons pu faire sur un divan, subsistera toujours cette dimension de la division qui est une façon de reconnaître des inconciliables dont nous sommes porteurs et qui nous traversent, ce qui va d’ailleurs complètement à l’inverse de cette conception académique du sujet comme nous l’a appris la philosophie, c’est-à-dire ce sujet construit à partir de l’idée d’unité, non, l’expérience de l’analyse nous démontre exactement le contraire mais elle ne part pas de rien, comme tu le dis.
Je crois que ce qui a été pour moi, mais cela on ne le sait que dans l’après-coup de l’écriture d’un livre, ce qui a été le point de départ de cette écriture était une forme d’étonnement qui n’a jamais cessé finalement d’être là, peut-être depuis cette époque où j’ai pu rencontrer des enseignants qui ont voulu transmettre quelque chose et c’est aussi toute la question de la transmission de l’analyse qui se trouve prise à cet endroit-là, c’est cet étonnement devant le fait que certains sujets se contentent d’eux-mêmes, ce qui devient un symptôme extrêmement moderne, se contenter de soi, se satisfaire de soi, avec toute cette dimension de l’amplification individualiste qui est venue avec cela. L’analyse au fond nous apprend que c’est impossible, que si nous avons à nous trouver vivant, c’est au prix de cette douleur de dépendre aussi d’autres et que nous ne pouvons pas exister sans eux. Donc je crois que c’est ça le point de départ de cette écriture qui bien entendu pourrait être prise du côté entre guillemets « positive » des concepts qu’elle apporte mais beaucoup ont parfaitement entendu ce dont il s’agit. La psychanalyse, ce ne sont pas des concepts et l’importance de ce que je souhaitais faire entendre est plutôt dans le mi-dire que dans l’explicitation, comme sur le divan. C’est une autre manière de faire un tour supplémentaire en posant cette question : est-il possible d’apprendre à désirer après une cure psychanalytique ? Je crois que si nous y sommes sensibles les uns et les autres, nous nous rendons bien compte de certaines fins tragiques d’un parcours analytique. C’est-à-dire que notre point de départ, qui est notre drame à tous, nous partons d’une racine dans le biologique, nous partons d’une racine dans l’organique et la jouissance n’est jamais produit que par ce point d’origine et ce que la psychanalyse nous apprend, c’est précisément à nous détacher de ce qui nous constitue dans cette matière vivante et qui fait notre jouissance pour parvenir à la convertir vers un champ qui nous est d’abord hétérogène, qui est celui du signifiant, qui est celui de la parole et ce n’est que dans ce champ là que la dimension du désir peut prendre effet. Or, force est de constater et c’était le grand souci aussi de ce livre, il ne suffit pas de s’allonger sur un divan pour que cette dimension du désir advienne. Il ne suffit pas de lire les textes de Lacan pour que la dimension de l’inconscient soit prise en compte effectivement dans nos vies de tous les jours. Nous voyons bien comment une analyse peut dramatiquement conduire à une forme de suture dans la connaissance qui vient obturer cette place laissée à l’inconscient. L’inconscient, ce n’est pas que le merveilleux, évidemment. Mais y-a-t-il au fond une modalité possible de lien social qui laisserait une petite place à cette dimension de l’inconscient sans pour autant nous conduire vers les plus grandes cruautés qui sont aussi une des pentes de l’homme ? Je crois que cette question est à se poser au niveau individuel mais aussi au niveau collectif et l’histoire actuelle de ce qui se passe en Europe ne fait que confirmer cela.
Dans sa préface que je remercie sans cesse parce que je trouve que c’est une préface qui est venue entendre le texte que j’avais écrit, Esther Tellermann va même jusqu’à dire quelque chose qui était presque prémonitoire puisque quand elle l’a écrit, nous n’étions pas dans les difficultés politiques que nous connaissons aujourd’hui, elle disait dans sa préface que peut-être ce refus de l’inconscient, cette pente de la civilisation qui continue de refuser cette découverte de l’inconscient ne peut qu’avoir des effets de violence dans notre social, dans les relations avec les autres et de façon beaucoup plus générale, comme on est en train de le voir aujourd’hui. Ce refus de la dimension de la béance qui nous habite, et qui pourtant devrait nous habiter tous, ce refus là est source également, de symptômes très graves au-delà de la question de l’individu.
Tout-à-l’heure, tu parlais aussi de la question du soin…
Thierry Florentin : J’ai dit cela ?
Gérard Amiel : Tu as dit le mot soin.
Thierry Florentin : Oui.
Gérard Amiel : Je trouve que c’est très bien venu de le dire parce que c’est un signifiant qui est en train de déserter, y compris le monde du soin.
Thierry Florentin : Qui est vidé de son sens.
Gérard Amiel : Complètement vidé. C’est un signifiant qui s’éradique complètement. Prendre soin, c’est quelque chose qui est aussi une fonction qui est éminemment symbolique et qui est en train d’être abrasé dans les faits politiques que je commençais juste à signaler. Voilà dans un premier jet ce que je pourrais dire du démarrage.
Thierry Florentin : Ce que je trouve de très intéressant dans ce que tu viens d’apporter, c’est la manière dont tu noues la psychanalyse au biologique, c’est finalement être fidèle à la deuxième topique, c’est-à-dire nouer la psychanalyse au monde du vivant.
Gérard Amiel : Absolument et merci beaucoup de me le dire comme cela puisque justement le texte majeur de référence de la deuxième topique, c’est quand même Au-delà du principe de plaisir, c’est-à-dire la pulsion de mort, c’est-à-dire la manière dont Freud avec génie vient nouer la pulsion de mort à la répétition et c’est ce à quoi précisément nous assistons dans ces déchaînements actuels.
Thierry Florentin : Ce à quoi nous assistons aujourd’hui, ça me rend malade, ce n’est pas du tout ce qui arrive, c’est la monstration obscène des combats que mène l’inconscient entre Eros et Thanatos. On est dans une monstration obscène. En direct. Ce que disait très bien Christiane ce matin. Et puisqu’on reparle de la deuxième topique, ça me permet de rebondir. Je suis très content que tu poses cette question de la vie, comme une question centrale dans ton livre. J’en suis convaincu, c’est l’aboutissement, l’achèvement de l’œuvre de Freud, comme l’objet petit a est à Lacan mais tu y ajoutes un au-delà, c’est-à-dire un au-delà de l’au-delà et il me semble qu’à la façon dont tu articules cette question du désir avec cette deuxième topique, tu donnes des indications dans le maniement de la cure extrêmement précieuses parce qu’il ne s’agit pas seulement de repérer ce qui serait du registre du mortifère, de la répétition, de Thanatos, ce repérage seul ne suffit pas. Je ne sais plus qui a dit, c’était Thierry Roth ce matin, on peut passer une vie à ruminer et à être dans une jouissance de ce repérage. Il y faut quelque chose en plus. Je trouve très intéressant que tu l’amènes, ce quelque chose en plus qui consiste à mettre en valeur ce qui serait du côté de la vie. Ne pas faire le simple pari qu’il émergerait de la simple chute de ce qui l’entrave mais qu’il nécessite un choix décisif et courageux qui ne vient pas de surcroit, du simple glissement d’un signifiant qui serait venu occulter la vérité d’un sujet. Cette assomption nécessite un certain courage attendu de la part de l’analysant, comme l’énonce cette fameuse phrase du Deutéronome : « J’ai mis devant toi la vie et la mort. Tu choisiras la vie ».
Et que cette question du choix de la vie est centrale, tant dans notre adresse transférentielle au patient, mais aussi dans ce que nous en attendons en retour de sa propre adresse transférentielle. De quelque chose que nous pouvons exiger de lui, lorsqu’il vient s’adresser à nous.
C’est sans doute ce que tu nommes « l’Ethique du désir » dans la cure et qui vient éclairer ce dont on parlait ce matin, ces analyses interminables qui s’enlisent.
Alors je te cite : « Si cette conversion au désir pour le patient ne s’est pas effectuée durant sa cure, nous pouvons affirmer dans l’après coup, que cela équivaut à dire que l’analyse n’aura pas eu lieu. (Futur antérieur, temps relatif), quels que soient les effets bénéfiques thérapeutiques produits, quel que soient le nombre d’années passées sur le divan, quelles que soient les capacités à circuler dans les connaissances dogmatiques analytiques. C’est le problème des cures en défaut d’acte. L’entrée dans le champ du désir implique un changement éthique radical. Si le poète et là tu cites Daive « affirme que la page écrite imprime un monde, alors nous disons que la prise d’effet du désir qui s’accompagne de la naissance véritable d’un sujet est un changement de monde.
Tu veux dire quelque chose ?
Gérard Amiel : C’est absolument essentiel. Tu viens souligner là un des soucis majeurs de l’analyste quand il reçoit quelqu’un, c’est-à-dire d’abord se donner les conditions que sa pratique conduise à un acte mais ce qui n’est pas donné, ce n’est pas une donnée évidente et ce n’est pas quelque chose de déterminé à l’avance.
Alors tu parles bien sûr du maniement de la cure, oui, nous sommes faits dramatiquement de très peu de choses, c’est ça aussi que le cours d’une cure révèle : quelques signifiants, quelques lettres. Ce n’est pas grand-chose. Nous avons que cela à quoi nous tenir et pourtant se tenir à cela conduit quelque fois à des catastrophes. J’ai en mémoire quelques fins de cure de gens de ma connaissance où va se produire une forme d’identification à la lettre mortifère. Donc nous entendons que ce cours de la cure est aussi quelque chose d’une délicatesse infinie, avec un danger sur la droite dont on doit se préserver et un danger sur la gauche dont on doit se préserver également. Il y a là quelque chose qui se tient sur un fil et qui engage comme tu le dis la question du choix, qui n’est bien entendu pas un choix conscient. Qu’est-ce qui va conduire quelqu’un à renoncer à une jouissance de fascination qui peut le conduire à sa mort ? Quel type de choix peut opérer à cet endroit-là ? Pourquoi j’évoque cela ? Parce qu’au fond, nous avons des éléments pour conduire la cure mais en même temps, nous ne savons pas. Il y a toujours quelque chose que nous ne savons pas et peut-être est-ce aussi parce que nous acceptons que nous ne savons pas qu’un tel parcours est possible. Je veux dire que rien de pire que la suture de celui qui croit tout savoir pour fermer les oreilles à ce qu’il ne saurait pas et donc du même coup venir barrer à ce qu’advienne quelque chose que nous ne saurions pas encore. Lacan nous dit que nous devrions aborder chaque analysant comme si nous ne savions pas. C’est quand même quelque chose qui n’est pas anodin dans la mesure où sans doute c’est une position d’une extrême fragilité pour celui qui entend, de grande solitude également. Ce sont souvent des choses que l’on hésite à dire. Je crois qu’un des grands dangers pour la psychanalyse, c’est sa professionnalisation, c’est-à-dire la réduire à sa technicité comme s’il suffisait de ces quelques éléments pour que ça tourne. Or non, ce n’est pas vrai. C’est complètement faux.
Thierry Florentin : Et justement, si je peux me permettre de rebondir sur ce que tu viens de dire, tu évoques tous ces patients pour qui il est très très difficile, à l’heure actuelle, de repérer les enjeux, ces enjeux-là, les faire entendre. Ces patients qui viennent sans articulation évidente sur le plan métaphoro-métonymique de leur symptôme, mais qui viennent néanmoins, écris-tu, « guidés par l’intuition qu’en ce lieu si étrangement minimaliste, qui est le cabinet du psychanalyste, une issue est possible à un effacement si touchant, à une existence envisagée sur des modèles copiés et par procuration. Rien de ce qu’il y a de plus éminent en l’homme ne peut advenir sans la mise en place correcte de cette structure du langage, qui est son aliénation à la logique langagière ; un chemin long, tortueux, escarpé et aride, parfois même scabreux, dont certains ne parviennent jamais à émerger vraiment, ne pouvant en aucune manière en appréhender les coordonnées correctes. Des pans entiers de leur subjectivité s’avèrent intouchés, y compris par le déroulement de la cure, demeurés intacts tels des séquestres imperméables, ces zones d’étanchéité les retiennent tout entiers à ce qui se traduit par le fait qu’ils sont absents au monde, aux autres et d’abord à eux-mêmes. »
Alors comment aborder ces cures, ce traitement de ces zones séquestres qui semblent inaccessibles, comme tu l’énonces très bien, à une prise en charge classique ? Et à cet égard tu fais une hypothèse très intéressante, qu’il y aurait d’autres modalités de constitution ou de mise en place du sujet que le nouage Réel, Imaginaire, Symbolique, et tu nous mets en garde sur ce recours immodéré à une topologie qui viendrait fonctionner en impasse. « La topologie, écris-tu d’une manière très provocatrice, est un délire si n’y figure pas la castration au même titre que dans les textes fondateurs de la psychanalyse », et tu cites à l’aplomb de ton insertion deux fragments tardifs de Lacan, que je ne vais peut-être pas reprendre, mais tu conclus : « Les indications intéressantes que nous pouvons dégager de la topologie ne trouvent pas forcément leur traduction clinique. Attention danger, attention grand péril, on sait combien un analyste peut être sourd s’il se cramponne à son idéologie ou s’il préfère appliquer les recettes toutes faites plutôt que d’apprendre à partir de ce qui est déposé chez lui par chaque patient ».
Gérard Amiel : Peut-être puis-je dire quelque chose ?
Thierry Florentin : Bien sûr.
Gérard Amiel : Alors tu évoques évidemment ces difficultés peut-être qui s’exacerbent dans le contemporain mais qui existaient probablement sous d’autres formes, une analyse interminable chez l’Homme aux loups enfin, on entend bien cette chance extraordinaire qu’il a pu avoir de disposer sous les yeux du texte de Freud qui explicitait la moindre des articulations de ce qu’il avait pu souffrir, dire, penser, et dont pourtant il ne pourra rien faire ! Donc c’est un problème on pourrait dire à la fois actuel mais qui n’est pas seulement actuel, c’est quelque chose qui existe depuis que la psychanalyse existe cette affaire ou non de la présence d’un acte à l’issue du parcours de la cure.
Il y a quelque chose tout de même là il me semble qui est déterminant dans ce parcours, c’est la question du transfert. Le transfert, je commençais tout à l’heure en disant la psychanalyse ce n’est pas des concepts. Pourquoi ? Parce que ce que nous constituons dans le corpus de l’analyse est une forme de savoir que nous héritons de la parole de ceux que nous entendons, mais pas d’une parole nue, une parole prise dans la dimension du transfert, dans ce sens que le transfert est déterminant, et que d’une certaine façon, ces zones inaccessibles, souvent ce que l’on repère, c’est que le sujet s’est mis dans une forme de défiance ou de refus de son transfert. Il y a quelque chose de terrible dans l’analyse, c’est qu’elle en appelle à une forme de transfert inconditionnel, sans réserve ; la réserve dans le champ du transfert se traduit malheureusement souvent par une réserve dans les résultats du côté de l’acte de l’analyse.
Alors pourquoi aussi disais-je quelque chose sur la topologie ? Ce n’est pas du tout que je sois contre la topologie, je suis contre le fanatisme topologique. Ce n’est pas la même chose. Nous avons tous connu à nos dépens, dois-je dire, une forme d’idéologie qui était propre à la psychanalyse à l’époque où nous y sommes entrés ; ça veut dire qu’à mon époque il y avait ce fait par exemple de taper systématiquement sur tout l’Imaginaire, il y avait cette prévalence du Symbolique, cette prévalence de la résolution du symptôme et donc l’Imaginaire ce n’était pas bien ! Mais que se passe-t-il si l’on tape pendant toute une analyse sur l’Imaginaire d’un sujet ? Eh bien comme vous le savez, il va en quelque sorte mettre son narcissisme de côté, le protéger quelque part, puis une fois que la cure sera finie ce narcissisme va exploser comme un feu d’artifice, c’est-à-dire que va se produire exactement l’inverse de ce qui était recherché. Donc dans mes quelques remarques sur la topologie, c’est que je veux vraiment signaler combien l’idéologie et la psychanalyse, ce sont des mouvements qui vont à contre-courant l’un de l’autre. Nous avons à veiller, d‘une façon scrupuleuse et sérieuse, parce que cela n’engage pas que nous, aux diverses idéologies qui peuvent se fomenter dans notre champ. Je crois que c’est ce que nous pouvons produire de plus grave, non pas de plus grave au niveau individuel, non pas de plus grave au niveau collectif, de plus grave en tant que ceci vient être une modalité de résistance à la psychanalyse au fond, c’est ça, c’est ça ! Nos propres constructions peuvent être reprises en tant que résistance à la psychanalyse, c’est ça qui est incroyable dans notre champ.
Thierry Florentin : Alors je te pose une dernière question parce que l’heure tourne, j’en avais beaucoup d’autres, notamment sur la question du corps, on va les laisser de côté, simplement la plus importante me semble-t-il c’est cette question, parce qu’apprendre à désirer, finalement quoi ? Ton livre parle de quoi ? Il parle de la fin de l’analyse ?
Gérard Amiel : Oui. Et de l’après.
Thierry Florentin : Et de l’après, absolument, absolument. Alors qu’est-ce que dit Freud ? Il dit la fin de l’analyse c’est aimer et travailler. Mais c’est la phrase la plus conne de la psychanalyse ! Excuse-moi ! Il y en a d’autres des phrases très connes, celle où il est censé répondre à des parents venus l’interroger sur ce qu’il convient de faire avec leur enfant pour être des parents parfaits. Il leur répond : « Quoi que vous fassiez ce sera mal » (rires). Mais il y en a quelques-unes comme ça, mais ces phrases-là, il faut une vie entière pour les déplier, tant il est vrai que la connerie ce n’est pas la bêtise, elles n’ont aucune commune mesure, elles sont incommensurables comme le disait Christiane ce matin. La connerie c’est la pointe extrême de la vérité, elle dit le vrai sur le vrai, elle ne supporte ni dialectisation ni compromis, mais ce qu’aimer et travailler, elle est la cruauté, on disait ce matin le propre de l’homme, c’est la cruauté dit Lacan — après les horreurs de la Seconde guerre mondiale — en 1947, mais c’est ça la vérité du sujet ! Tout le reste c’est mi-dit. Ce qu’aimer et travailler font valoir, c’est quoi ? C’est ce qui est contenu dans l’ordinaire, c’est-à-dire comment l’extraordinaire surgit de l’ordinaire. Comment l’infinitude se déploie à partir de la finitude ? Et effectivement, comme tu le dis très bien, ce n’est qu’un début ! Le début de la vie !
Voilà, quelque chose là, ce n’est que ça et c’est tout ça. L’analyse c’est quoi ? Eh bien ce n’est que ça, un jeu de lettres déplacées, et à cet égard, peut-être on manque de temps, mais j’aurais bien voulu t’interroger sur un petit différend théorique entre l’école de Grenoble que vous avez…, sachant que cette finitude, elle vient d’un creux inaugural, et cette lettre que tu citais…, vous dites à l’école de Grenoble, notamment après Hiltenbrand, que cette lettre manquante, elle est manquante de structure…, ce n’est pas seulement…, voilà une lettre qui viendrait manquer à sa place dans la bibliothèque sur son rayonnage, marquée par son absence, un désordre, un dérangement, mais qu’une autre organisation c’est ce fait de structure que la lettre manque à jamais, et qu’elle vient comme ça marquer tout signifiant d’un impossible à symboliser, et ça je trouve ça absolument extraordinaire cette nécessité de métaboliser à partir d’un défaut réel.
Gérard Amiel : Tout à fait. Ecoute, oui, tu vois en disant les choses ainsi, le livre ce serait comme une forme de passe.
Thierry Florentin : Ah oui.
Thierry Florentin : Une forme de passe puisque cette lettre que tu dis être si essentielle, si essentielle en tant qu’elle manque, faut-il encore la faire manquer !
Thierry Florentin : Ah oui ! Va apprendre cela aux jeunes !
Gérard Amiel : Faut-il encore la faire manquer, puisque ce n’est qu’un produit de la demande, mais faut-il qu’il y ait demande ! et adresse d’une demande, articulée, ce n’est pas « passe-moi le sel », c’est la demande fondamentale en tant qu’elle vient immédiatement colloquer, interroger, crocheter la question de l’inconscient et d’un au-delà possible, et qu’effectivement le cours d’une cure c’est que cette lettre que nous avons fait manquer, par d’ailleurs une opération complexe, ce que tu évoquais tout à l’heure, la manip de la demande. Car une demande d’analyse ce n’est pas quelque chose sans consistance, c’est complexe de mettre en œuvre une véritable demande d’analyse, que s’énonce une demande, qui fait surgir un creux, un trou, un manque, etc., ce n’est pas non plus une demande de guérison. Ce qui laisse deviner toute cette difficulté lorsque nous sommes évidemment confrontés à des patients qui n’ont pas de demande. Donc cette demande et cette lettre que nous faisons en quelque sorte émerger par une opération bien particulière n’est que réitération d’une lettre qui a pu manquer avant dans l’histoire et le parcours d’un sujet ; cette lettre, si le sujet en reste là, ne fait que fomenter par cette immobilisation une forme d’insatisfaction intarissable. Et tout le cours de la cure va consister à tenter de faire muter cette lettre d’origine vers quelque chose d’autre dans le champ du désir ; ça paraît être une opération très simple mais c’est une opération éminemment complexe. Lorsqu’elle n’a pas lieu, il n’y a pas de passe, lorsqu’elle n’a pas lieu, il n’y a pas eu d’acte analytique, et lorsqu’elle a eu lieu, c’est un paradoxe, c’est comme la fonction de la parole. La parole on ne sait pas ce que c’est, on ne peut pas définir ce qu’est la parole, mais on peut savoir quand il y a eu de la parole ou quand il n’y en a pas eu. C’est pareil pour l’analyse. On peut savoir quand elle a eu lieu et quand elle n’a pas eu lieu, à des petites choses d’ailleurs qui font qu’on se reconnaît quand on parle avec quelqu’un qui a traversé quelque chose de ce dénuement aussi, ce n’est pas qu’une simplification, c’est un dénuement qui s’accompagne d’une complexification, mais complexification non pas liée à un désir de complexifier, mais liée au fait que si nous advenons véritablement en tant que parlêtre, qui serait donc la véritable issue d’une l’analyse, eh bien nous sommes obligés de charrier cette complexité parce qu’elle est inhérente au langage, à la parole, et que cela, nous n’avons pas d’autre choix que de l’endosser. Voilà.
Geneviève : Merci. Je vais prendre la parole sur ce dénouement ou ce dénuement. Est-ce qu’il y a des questions dans la salle parmi les gens présents ici ? Et du côté de la salle virtuelle vous pouvez cliquer sur la petite main. On va commencer par la salle. Donc Pierre. Non ; Il y a quelqu’un d’autre qui parle ? Pour la salle virtuelle, attendez un tout petit peu, il y a une première question ici de Jean-Pierre Lebrun, un commentaire, quelque chose.
Jean-Pierre Lebrun : Ce n’est pas sûr que le micro marche…, si ça marche ! Alors merci beaucoup pour le travail de Gérard et aussi pour ce qu’en a dit Thierry, je voulais savoir, ajouter un tout petit point, je ne sais pas comment il faut le dire, mais il me semblerait important, c’est comment éviter l’idéalisation de l’analyse ? Y compris et surtout dans notre société d’analystes.
Gérard Amiel : C’est la question, parce que cette idéalisation conduit aussi à une forme de totalitarisme. Moi je suis surpris par le fait que, alors même que ce matin tu disais qu’il y a ce déplacement sociologique du côté on pourrait dire féminin de l’articulation logique, du rapport au phallus, en même temps, paradoxalement ça s’accompagne aussi d’une intolérance de plus en plus grande à l’altérité, c’est incroyable ! Et que cette intolérance à l’altérité je crois que nous en avons aussi des échos dans nos rapports entre collègues et entre nos écoles et que c’est encore une façon de saper les fondements de la psychanalyse.
Jean-Luc Cacciali : Merci beaucoup Gérard et aussi Thierry. Je voulais simplement insister sur ce point sur lequel toi-même tu as insisté du choix de la vie parce qu’effectivement le choix peut-être conscient et le plus souvent inconscient, mais c’est aussi important parce que c’est le choix de la vie ou le choix de la mort, de la même façon au niveau inconscient, il peut y avoir le choix de la mort, d’où l’importance quand même que tout cela se fait, ce choix, ce choix se fait au niveau de l’inconscient, et nous pourrions déjà remarquer que pour Freud comme pour Lacan, dans leur propre vie, je veux dire : c’est la vie jusqu’au bout. Freud, on peut imaginer le nombre d’opérations qu’il a subies, il ne peut plus intervenir en public, c’est sa fille qui doit lire ses textes, pour autant il a fait le choix quand même de continuer. Mais de la même façon, Lacan, on pourrait dire aussi c’est le choix de la vie jusqu’au bout. J’insiste parce qu’aujourd’hui c’est un débat, dans la culture, très important.
Gérard Amiel : Avec l’euthanasie, oui. Tout à fait Jean-Luc.
X : Une question très courte oui, justement ça rebondit sur ce qui venait d’être dit sur le choix de la vie. En fait moi je m’interroge beaucoup ; alors moi je suis jeune étudiante donc tout à fait profane et j’ai des conceptions assez naïves pour l’instant, ce qui peut être un avantage, sur le fait que du coup je n’ai pas le cerveau encore rempli de toutes ces théories, des mots, etc., donc qui donne une certaine liberté d’esprit critique, justement moi pourquoi je m’intéresse à la psychanalyse ? c’est parce que tout d’abord c’est des concepts qui me parlent, avec des mots qui me parlent, et puis avant tout aussi la découverte de l’inconscient, qui pour moi est la dernière grande découverte j’ai envie de dire quasi scientifique du monde après que la Terre soit ronde et qu’elle tourne autour du Soleil, eh bien il y a la découverte de l’inconscient qui vient aussi après certaines déclarations philosophiques, la première celle de Descartes « je pense, je suis », puis celle de Nietzche « Dieu est mort », et ensuite on arrive avec cette nouvelle découverte donc de l’inconscient, et ce qui m’intéresse dans la psychanalyse surtout c’est la pulsion de mort, et cette chose donc la mort qui nous effraie dans un premier temps, et puis après qu’on tente et qu’on arrive à rendre docile, et donc ma question ou même mon commentaire, ça serait : comment pour moi apprendre à désirer ça me fait penser à apprendre à mourir en fait, donc ça rebondit aussi avec ce choix de la vie, donc comment vous, Monsieur Amiel, vous reliez la question du désir avec la question de la mort ?
Gérard Amiel : Oui, alors peut-être juste en préambule, je dirai qu’entrer dans la complexité des choses ce n’est pas pour autant abraser l’esprit critique, je crois que c’est même le contraire. Alors la question que vous me posez, évidemment il faut bien distinguer la pulsion de mort de la mort réelle, ce n’est pas tout à fait la même chose. Freud insiste sur la question de la pulsion de mort en tant que c’est la répétition d’un même, même si ce même prend une figure de changement, c’est en ce sens que c’est quelque chose de la dimension de l’immobile en l’homme. C’est ça cette pulsion de mort au départ qu’il crochète, et il va dire par exemple que la mort réelle, explicitement réelle comme dans une guerre, c’est déjà une forme de dévoiement de cette pulsion, c’est-à-dire c’est déjà on pourrait dire une traduction réelle de cette pulsion qui pourtant peut tout à fait exister sans qu’il y ait des cadavres partout, c’est dans ce sens-là que Freud attrape l’affaire, avec toute l’énorme difficulté qui est la sienne, puisqu’il pense pendant très longtemps qu’il suffirait de lever tout le refoulement pour que du même coup cette répétition s’éteigne, et il se rend évidemment compte qu’il y a, du fait du langage, une part de refoulement qui peut être levée, qu’il appelle le refoulement secondaire, mais par contre une part décisive, fondamentale du refoulement originaire, qui correspond à cette question telle qu’elle est reprise par Lacan autour de la lettre, qui ne peut évidemment jamais être levée, et qui est une forme de séquestre indépassable, en l’homme, avec lequel il doit composer, mais sûrement pas conduire ce point à résolution. D’ailleurs ce qui est assez extraordinaire quand même dans le parcours d’une cure, c’est que la cure nous permet d’attraper ces éléments de structure qui sont des références indépassables, non pas dans le sens de les dépasser, mais dans le sens de faire avec, pour ne pas que ce soit une entrave à l’existence, alors que le névrosé, comme on le sait, se saisit de ces points-là, à l’inverse, pour se trouver un motif à son propre arrêt.
Thierry Florentin : Pour répondre à Mademoiselle, ce qui nous rend vivant c’est de connaître ce point de finitude qui permet de générer de l’infinitude, mais c’est ça le parcours d’une analyse, et ce qui d’ailleurs nous rend vivants est de savoir que nous sommes mortels, que ça peut s’arrêter et que ça s’arrêtera bien un jour. Il y a une phrase de Charles Melman, que vous trouverez dans un petit livre d’entretiens avec les anciens analysants de Lacan, qui avait été fait par Didier Weil, il dit : « Mais vous savez, le temps, on dit toujours que c’est de l’argent, eh bien non, le temps c‘est de la mort ».
Geneviève : On va terminer là-dessus. Merci beaucoup Gérard Amiel, merci beaucoup Thierry Florentin.
Gérard Amiel : Merci à vous.