À propos du savoir et de la jouissance
19 juillet 2010

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CHECA Françoise



Ce qui m’a accrochée dans ce séminaire, c’est la question du savoir et de la jouissance.
Dans les premières phrases de son séminaire, Lacan nous dit : « et puis je me suis aperçu que ce qui constituait mon cheminement, c’était quelque chose de  l’ordre du je n’en veux rien savoir » et à son auditoire « je ne puis être ici qu’en position d’analysant de mon je n’en veux rien savoir, d’ici que vous atteignez le même il y aura une paye ! Et c’est bien que quand le vôtre vous apparaît suffisant, que vous pouvez, normalement vous détacher de votre analyse ».
Peut être est ce ce préambule qui m’a accroché : qu’est ce que ce je n’en veux rien savoir ? Que concerne-t-il ? Quel est celui que l’on analyse et quel est celui qui nous apparaît suffisant, est-ce le même ?

Premiers phrases à nouveau mais cette fois de la dernière leçon : « mais le point pivot de ce que j’ai avancé cette année concerne ce qu’il en est du savoir dont j’ai accentué que l’exercice ne pouvait représenter qu’une jouissance, c’est là la clef, le point tournant .» 
Il commence et conclue donc son séminaire avec cette question du savoir et l’on passe d’un « je n’en veux rien savoir » à l’exercice du savoir comme jouissance.

Freud nous amène un savoir inédit jusque là, celui de l’inconscient puisqu’il est savoir insu.
Lacan situe le lieu du savoir dans l’Autre, savoir sans sujet, lieu où ça sait. Mais comment un lieu peut il savoir ?
(Leçon 8) : « si l’inconscient nous appris tant de choses c’est d’abord ceci, que quelque part dans l’A ça sait. Ça sait parce que ça se supporte justement de ces signifiants dont se constitue le sujet. »
Lieu Autre dont il dit aussi qu’il ne tient pas, qu’il y a une faille, un trou. Il dit aussi dans l’Etourdit ajoutant que ce trou vient intéresser  le fonctionnement de l’objet a.
Dans ce même texte : « l’inconscient est structuré comme un langage, tous les langages tombent sous le coup du pas-tout. L’inconscient est donc organisé dans un système de l’ordre du pas tout, organisation qui change radicalement la fonction du sujet comme existant »
Savoir dans l’Autre donc mais pas de texte, c’est la parole dans la cure qui va venir organiser un discours, découper des signifiants, faire entendre une chaîne signifiante.
Pas de savoir tout dans l’Autre. Pas de texte non plus pour nous faire savoir comment organiser notre existence.
Lieu dont il dit aussi dans d’autres leçons à propos de la jouissance féminine : « est ce que l’Autre sait quelque chose de la jouissance féminine ? » Et reprenant le La barré dont il fonde le statut de la femme en tant qu’elle n’est pas toute « c’est peut être ça qui doit nous faire entendre ce qu’il en est de cet Autre, cette jouissance que l’on éprouve et dont on  ne sait rien »
On se retrouve là avec ces trois signifiants : savoir, jouissance et ignorance.
Pour moi ils sont venus se ramasser en cette formule : « dans l’Autre ça fait savoir » avec l’équivoque que l’on entend :
Ça fait savoir comme ça constitue quelque chose de l’ordre d’un savoir.
Ça fait savoir comme je vous fais savoir que le savoir m’intéresse !
Ça constitue un savoir du fait de ces signifiants qui constituent le sujet, des signifiants-à prendre, c’est-à-dire que le $ résulte de ce qu’il doit être appris ce savoir (avec tous les jeux de mots que fait Lacan sur le à-prix) c’est à payer de son être qu’il vient faire lettre dans l’Autre, et qu’est ce que ça fait savoir, dans ce lieu Autre ? ça fait savoir pour jouir : « l’inconscient ce n’est pas que l’être pense, l’inconscient c’est que l’être en parlant jouisse et j’ajoute ne veuille rien en savoir de plus, cela veut dire ne veuille rien en savoir du tout ! »
On retrouve le « je ne veux rien en savoir » de la première leçon.
Il nous dit même que Freud se trompe, qu’il n’y a pas de désir de savoir, que ce désir va à l’encontre du sens de l’inconscient : « l’homme sait déjà tout ce qu’il a à savoir mais ce savoir est parfaitement limité à cette jouissance insuffisante qui constitue qu’il parle »
Il nous dira aussi que l’exercice et l’acquisition du savoir c’est la même jouissance. Le pouvoir qu’il donne restera toujours tourné vers sa jouissance.
On est sujet à la jouissance.

Alors à la lumière un peu rapide de ceci, qu’est ce que le « tu peux savoir » de la cure ?
Si l’amour de transfert met en route ce « tu peux savoir » quid de la jouissance dans ce processus ? Je veux dire dans le déroulement même de la cure, sans parler d’une cure qui se terminerait avec un savoir jouissif en poche ?!
Quel lien cette jouissance a-t elle avec la mise en place d’un sujet supposé savoir ?
Ma question serait peut être : quel saut y a-t il entre cette passion de l’ignorance dont parle Lacan, en lien avec cet être parlant qui  à parler, jouit, et n’en veut rien savoir, et cette chute de savoir qui accompagne une analyse qui se termine, chute de savoir qui, à mon avis va au-delà de la destitution d’un supposé savoir ? Est-ce le « je n’en veux rien savoir » suffisant de Lacan ?
Quel saut, donc ou plutôt quel passage paradoxal s’opère-t il par le pont du « tu peux savoir » de la cure, avertis que nous sommes qu’Oedipe voulant aller jusqu’au bout de son désir de savoir s’est  tragiquement retrouvé dans le champs interdit de la jouissance ?
A quel savoir l’analyste doit il renoncer sans pour cela être ignorant ?

(Vignette clinique supprimée pour ce dossier)
Le trajet d’une cure qui laisse entendre le déplacement nécessaire d’un certain appel au savoir, et comment dans une recherche qui concerne l’être, viennent répondre des signifiants du côté de l’objet ou du côté du Un.

Il y a tout un développement sur l’être dans ce séminaire, plutôt toute une avancée qui nous conduit au désêtre de sorte que ce qui est interrogé dans l’analyse, à partir du discours analytique, ce n’est pas l’être, ni le penser d’ailleurs , mais justement ces lettres dans l’Autre que la parole, via le transfert dans la cure, va venir découper des signifiants, autrement dit le lien entre parole et écrit.
« Et c’est bien l’analyste dit Lacan à la leçon IX qui à mettre l’objet a en place de semblant est dans la place la plus convenable à faire ce qu’il est juste de faire, interroger comme du savoir ce qu’il en est de la vérité ».
Il s’agirait peut être de ne pas confondre le « tu peux savoir » de la cure avec l’apprentissage – savoir à prendre et apprentissage – mais d’interroger ce qui fait savoir dans ce lieu Autre que le langage institue comme lieu de la vérité, vérité qui concerne le désir du $ : pas d’être pour le sujet, qui n’est qu’une hypothèse, quant au langage ça n’existe pas, c’est ce qu’on essaie de savoir concernant la fonction de la langue, nous dit Lacan. 
« Le savoir c’est ce qui s’articule, mais l’inconscient structuré comme un langage c’est très précisément que ces effets de la langue déjà là comme savoir va bien au-delà de tout ce que l’être parlant est susceptible d’en articuler comme tel. »
Dans cet Autre il n’y a pas de sens, ce sont des lettres que nous interrogeons, de la lettre, ce qui fait lettre. En tant qu’analyste nous interrogeons le réel. Qu’est ce que ce réel peut nous faire savoir ? Est-ce bien même de savoir dont il s’agit ?…

Comment pouvons-nous nous appuyer sur la lettre pour que ce « tu peux savoir » ne vienne pas remettre en route les rouages bien huilés de la jouissance, risque ou tentation qui concerne me semble t il tout autant l’analysant que l’analyste ?!…