À propos du livre de Jean-Marie Forget, Y a-t-il une différence sexuée ?
16 juin 2014

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RENARD Stéphane
Notes de lecture



 

L’auteur reprend les tableaux de la sexuation et leur applique une dynamique féconde. Les positions masculine et féminine pour l’homme comme pour la femme apparaissent dans le mouvement qui les anime. Les hommes oscillent entre un discours autoritaire ou décrédibilisé parce que trop nuancé. Réfugié dans un discours en acte, sans parole, leur mutisme est insupportable à leur entourage. Les femmes de leur côté recherchent chez un homme une parole sur laquelle prendre appui. Elles peinent à trouver la reconnaissance de leur féminité, question qui semble d’ailleurs emporter d’un seul tenant l’ensemble de leur difficulté. L’articulation de la maternité à la sexualité, la parité dans la vie sociale, sont les arêtes vives de la cohabitation délicatement dépliées par l’auteur. 

Pourtant le langage est également, et pour chacun, la quête d’une réponse à un manque qui s’origine de la structure. Ainsi la confrontation à un autre, de sexe différent, est bien celle du traitement différencié de la parole. Le parcours du couloir œdipien que file Jean-Marie Forget pour un garçon et pour une fille ramène la différence sexuée non plus à ce qu’il en serait d’un écart de l’un à l’autre mais à « deux positions différentes du sujet ». Il  déflore en cela ce que suggérait le titre de l’ouvrage prudemment contemporain et provoque la surprise engageante, à la forme originale, d’une écriture de la sexuation lacanienne. 

La question de la langue positive univoque, le parler babysh entre l’infans et sa mère illustre par opposition l’expérience des places du discours post-œdipien : l’une affirme un manque où l’autre est l’adresse de l’affirmation. Une des difficultés de l’auteur est de rendre compte de ce que la parole témoigne d’une perte autant qu’elle tente d’y palier, et le texte qu’il nous propose n’échappe pas à la règle qu’il énonce. 

Jean-Marie Forget rappelle que la parole est aussi ce qui « permet le lien social ». Il n’hésite pas à subjectiver la sexualité pour proposer qu’ « elle » considère la perte liée à la structure de la parole comme un manque, et ce de « manière différente pour un homme et pour un femme ». Pour autant, la libido fidèlement canonique est une et la parole y est reliée par un langage structuré. 

Le sexe affirme bien la référence à la parole le genre ne s’y réfère pas. Avec la théorie du genre, épinglée de procéder à la substitution leurrante de sexe, par, genre, jouant sur les mots où les mots ne jouent pas, l’auteur nous livre peut-être le cœur de son offensive. C’est un trait du travail de Jean-Marie Forget que de s’inscrire dans une défense de la langue et des lois du langage dont il établit un ouvrage d’art, une fortification en rempart à la confusion des sexes. L’auteur puise des références littéraires classiques chez Marivaux et Thérèse d’Avila, G. Rodenbach ou encore chez R. Brasillach par exemple pour l’illustration du plaisir dans la jouissance féminine. Il nous donne à voir le psychanalyste dans la cité comme à la cure, à entendre les effets signifiants de la langue. 

Jean-Marie Forget organise avec raison et justesse la différence sexuée à partir des positions subjectives, à partir des positions par rapport à la langue, différentes pour un homme et pour une femme. La langue en tant que réel est une idée plaisante, certainement plus qu’un simple amuse-gueule pour joueur de go.

Il me semble cependant que l’analyse des effets de l’angoisse de castration chez le garçon offrait une bonne entrée à l’exploration, au lieu même de la perte et du trou, via le nœud borroméen, des effets d’un serrage, mais l’auteur ne s’engage pas dans cette voie.

Que la sexualité soit liée à la parole nous le savons de la psychanalyse traditionnelle, celle de Freud. Elle se corrèle de l’asymétrie des places qui s’imposent du discours en psychanalyse classique, lacanienne, ce dont cet ouvrage vient renouveler l’abord.

Le style, didactique et plaisant, souligne avec vigueur les linéaments de la pensée de l’auteur. Un passage d’une grande clarté élabore la confrontation de l’infans à l’absence radicale, décrivant de quelle façon il se saisit de la trame langagière dont il fait l’épreuve de la décomplétude. La structure du langage ne lui permet pas de rendre compte de l’énigme du désir de sa mère. Que faire alors pour y voir clair, si ce n’est entrer lui même dans le désir ?