La psychanalyse d\’un ancien Président de la République est-elle une gageure quand règne autour de la mémoire de sa personne un tel parfum d\’ambiguïté ? Non pas, puisque celle-ci est soeur de l\’équivoque d\’où jaillissent les signifiants de la vérité. Qu\’en est-il en effet de ces idéaux partiellement reniés par celui qui les avait portés pour accéder à la magistrature suprême ? Et de cette fausse probité politique qu\’entache une amitié étrange avec un chef de la police de Vichy ? Autant d\’énigmes sur lesquelles le livre d\’Ali Magoudi apporte un certain éclairage. Car il se lit comme le vrai récit d\’une analyse. Elle est fictive, mais elle s\’appuie avec rigueur sur de longues heures d\’entretien avec François Mitterrand et l\’étude des quelques biographies déjà parues sur lui qui appartiennent désormais au domaine public.
\ »La vérité a structure de fiction\ ». Cette affirmation de Lacan a pour cet ouvrage une double valeur. Elle est la clé d\’une énonciation recueillie qui de signifiant en signifiant progresse et nous indique la trame d\’une existence et d\’un désir mu par une passion du pouvoir aux accents mortifères, sans jamais s\’égarer dans l\’anecdote. Elle est aussi le fil conducteur d\’un dire qui, pour être ambigu, voire mensonger n\’en livre pas moins ses secrets.
S\’y dessine le portrait d\’un homme hanté par la mort prématurée d\’un oncle maternel et la ruine généalogique d\’une famille dont il héritait du côté de sa mère de souvenirs de richesse et de déchéance. François Mitterrand fut l\’émule d\’un oncle silloniste (du nom d\’un mouvement chrétien dit progressiste au début du siècle dernier) et le descendant angoissé d\’une grande famille bourgeoise, provinciale et catholique. Le paradoxe d\’un itinéraire écartelé entre le zèle redistributeur et la nostalgie d\’une opulence perdue se trouve ici mis à jour. Mais ce n\’est pas à cette seule question que répond l\’ouvrage d\’Ali Magoudi. Il montre comment d\’une certaine manière le Général De Gaulle fut pour François Mitterrand une figure abhorrée, mais tutélaire. Il laisse entendre que le sillonisme du Président au plus près de l\’équivoque du signifiant l\’a sans doute réellement conduit à mieux comprendre les motivations des juifs en Europe et au Moyen-Orient. Si la narration de ses évasions multiples des stalags allemands le désigne comme un homme courageux, elle ne fait pas oublier que le lien du Président avec Bousquet est moins la preuve de sa fidélité en amitié que l\’aveu d\’une certaine affinité avec la compromission la plus grave de l\’Etat français.
Ainsi le livre d\’Ali Magoudi a le mérite de faire comparaître un sujet divisé devant ce que d\’aucun appelait le Tribunal de l\’Histoire et le soin qu\’il apporte à le montrer en fait un texte précieux pour les psychanalystes, pour les politiques et les historiens et passionnant pour le lecteur attentif. Parler de la division du sujet en politique n\’est pas une chose si courante.