À propos de l'ouvrage de Jean-Marc Faucher : L'automatisme mental. Kant avec de Clérambault
21 novembre 2011

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JEAN Thierry
Billets



Qu’est ce qu’un fait clinique ? Il y a quelques années, Jean-Jacques Tyzsler dans une livraison du Journal français de Psychiatrie empruntait à la physique le terme de « décohérence » pour proposer d’échapper au mythe unificateur de la science en ne reliant pas automatiquement l’infiniment petit et l’infiniment grand.

 À suivre son conseil, la psychiatrie, renonçant à son rêve de grande unification, aurait sans doute conservé la mémoire d’une clinique qui, pour paraître microscopique, n’en retrouve pas moins valeur macroscopique puisqu’interrogeant des questions aussi essentielles à l’homme que celles de sa présence au monde, de son rapport à l’autre, comme à sa parole.

 La collection des Dossiers du JFP s’est ainsi donné pour objectif de poursuivre le travail de nos maîtres qui, par leurs observations attentives, avaient permis d’isoler la récurrence d’un certain nombre de traits, signes ou syndromes, dont l’intérêt, sinon l’importance, est aujourd’hui oublié au profit des grands rassemblements statistiques.

Il faut remercier Jean-Marc Faucher d’ouvrir ce chantier par l’automatisme mental.

 « Toutes les questions de la psychiatrie classique, ce que nous appelons les tableaux, ne sont qu’une foule de questions humaines, énormes, hiérarchisées, complexes dont nous n’avons pas fait le tour », rappelait Jean-Jacques Tyzsler dans ce même numéro du JFP.

 Et l’automatisme mental ne nous introduit pas à moins qu’à la question du parlêtre.

 Bien des questions demeurent ouvertes concernant l’automatisme mental :

–   celles d’abord de son caractère neutre, «  anidéique » pour reprendre la formulation de Clérambault qui y repérait la perte d’initiative du sujet

–   celles  des phénomènes duplicatifs internes à la structure

–   celles mystérieuses encore, de l’objet-voix et de l’hallucination dans ses déploiements divers

–   enfin de façon plus ample, celles, topologiques, des liens entre le sujet et l’acte d’énonciation.

 

Pas de dérobade ici : si l’automatisme mental est la traduction clinique des questions auxquelles Kant s’est confrontées, celles des conditions subjectives nécessaires à la constitution de l’objet, indépendamment du dénivelé, la promenade s’impose.

 Le lecteur arpentera de Kant à Freud et Lacan ce que la clinique laisse comme interrogations.

 On peut résumer comme suit les questions que l’auteur extrait de deux courtes vignettes cliniques :

–   Peut-on examiner une hallucination sans s’intéresser à la façon dont celle-ci  affecte le patient?

 –   En quoi l’irruption dans le réel d’une figure du double est-elle liée à un échec du processus d’attribution ?

 –   Pourquoi cette figure du double prend-elle l’initiative jusqu’à être éprouvée comme menace de « passivation  »?

 La relecture du texte de Freud, « Die Verneinung », et de son commentaire par Lacan  rappelle ainsi ce que notre «  être » doit à  la position féminine : une réceptivité essentielle à la parole. Remarque importante, note l’auteur, en ceci que Kant avait avancé deux siècles plus tôt que nous pourrions «  nous comporter de manière passive avec nous-mêmes ».

 Pourquoi s’introduire à la lecture de Kant sinon pour y repérer une logique qui non seulement éclaire sous un autre jour notre nécessaire division subjective mais nous permet tout autant de progresser dans l’abord de la clinique de l’automatisme mental ?

 Ainsi, si nous suivons ce que nous dit Kant, l’exercice d’un jugement d’attribution produit comme effet subjectif un déplacement en un lieu où je ne peux connaître ma parole qu’après l’avoir émise, et où je ne peux me connaître que dans l’après coup, comme celui qui l’a  énoncée.

 A partir de cet acte inaugural, on voit se dessiner une place vide, celle de l’énonciation. C’est à cette place, comme le remarquait Kant, que la copule « est » désigne l’unité d’une représentation d’objet en lieu et place de l’unité subjective perdue. C’est cette place laissée vide qui constitue le lieu où pourra éventuellement advenir ce que Lacan nommait un « parlêtre ».

 Qu’un jugement d’attribution n’ait pas été exercé, c’est alors un « quelque chose » qui s’en trouve forclos. Tout autre chose est la forclusion de l’instance elle-même, de cette part de moi-même comme lieu où se forme le jugement. Car cette forclusion emporte avec elle toute chance que se constitue la place laissée vide nécessaire à la possibilité de l’énonciation.

 Ainsi donc cette passivité qui est au cœur de ce qu’a décrit Clérambault dans sa description de l’automatisme mental est repérée par Kant comme centrale chez tout sujet.

 Ce que de Clérambault note « écho de la pensée » est-il surgissement d’un doublon ou bien la manifestation de ce «  un en trop » qui témoignerait que nulle place n’a été laissée vide ?

 La conséquence en est dans le meilleur des cas celle une cohabitation pacifique, au pire une rivalité mortifère .

 C’est donc au service d’une attention clinique peu commune, que Jean-Marc Faucher convoque dans ses lectures croisées, Kant, Freud et Lacan.