À propos de l'ordonnance de 45
23 février 2010

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FELTIN Claire
Controverses



= > lire sur ce sujet le texte de J.Périn Punir plus

L’abrogation de l’ordonnance de 45 serait une abrogation de la dimension symbolique et une abrogation du transfert.

L’ordonnance de 45 est une loi qui ouvre la possibilité à un mineur d’être sous le coup d’une mesure d’assistance éducative même si ses actes sont des actes qui relèvent de la dite délinquance. Dans une mesure d’assistance éducative, ce qui est privilégié, c’est la dimension symbolique. Si nous nous reportons aux Ecrits de Lacan concernant la criminalité, nous pouvons relire que le délinquant, par ses conduites réelles, vient dire son défaut de symbolique. Ses conduites sont à entendre comme un appel à prendre en compte ce défaut de symbolique.

Prenons un exemple très simple: si nous nous arrêtons au feu rouge, c’est que nous savons qu’attendre le feu vert nous permettra d’arriver sans encombre vers une destination qui nous est agréable, par exemple retrouver un ami un amour, nous rendre à un rendez-vous de travail important pour nous. En un mot, nous savons que l’interdit, marqué par le feu rouge, est un interdit qui nous ouvre la route, de même que l’interdit de l’inceste nous ouvre le chemin d’une sexualité.

Un mineur qui passe au feu rouge est d’abord à entendre comme quelqu’un qui n’a pas le feu vert, comme quelqu’un dont la conduite signe son défaut à pouvoir enregistrer l’interdit comme une autorisation. Ce qui lui fait défaut, c’est cette possibilité de pouvoir intégrer l’interdit comme une possibilité d’avoir le feu vert pour vivre sa vie.

Ce que je veux montrer avec cet exemple très simple c’est que face à l’acte ou aux actes d’un délinquant :

  • – soit nous considérons seulement sa conduite réelle et nous l’inscrivons, non pas dans une mesure d’assistance éducative, mais nous en faisons un délinquant. C’est dire que nous privilégions le versant de l’acte réel et que nous ne prenons pas en compte son défaut de symbolique que vient nous donner à lire son acte ;
  • -soit nous considérons sa conduite réelle comme venant signer son défaut de symbolique et nous nous intéressons alors, dans le cadre d’une mesure d’assistance éducative, à la possibilité pour lui de réintégrer par le biais d’un transfert éducatif, l’interdit de passer au feu rouge, comme une possibilité d’avoir ensuite le feu vert.

L’abrogation de la loi de 45 ou les aménagements de cette loi iraient dans le sens de sanctionner les conduites plutôt que de lire ces conduites. Il ne s’agit sans doute pas d’ailleurs de ne pas sanctionner mais simplement de ne pas privilégier la sanction. Il s’agirait que la sanction tienne compte de ce défaut de symbolique et s’applique à permettre cette réintégration de la loi symbolique lorsque c’est possible.

C’est possible lorsque l’acte d’un mineur est un appel, ce que nous appelons un acting out, c’est à dire un acte qui est adressé, qui demande à être lu. Ne pas prendre le temps de cette lecture, c’et rabattre la dimension symbolique à la loi réelle et fixer une conduite, réduisant ainsi son auteur à être tout dans cette conduite, en l’invitant à une chronicisation dans la délinquance.

Nous pouvons dire que l’ordonnance de 45 donne la possibilité à qui veut ou peut la saisir, d’une relation éducative qui permet à un mineur de parler sans être étiqueté « délinquant ». C’est la possibilité que ses actes soient lus comme des acting out d’abord, c’est à dire adressés, même s’il apparaît ensuite que ce sont pour certains des passages à l’acte; c’est à dire des actes difficilement déchiffrables qui s’adressent à personne.

C’est à dire qu’abroger la loi de 45, c’est abroger la possibilité d’un transfert et rabattre d’emblée un acting out sur un passage à l’acte. Alors que l’on sait que même certains passages à l’acte se réinscrivent dans le cadre d’un transfert, en acting out, quand ils trouvent une adresse.

En voulant abroger ou aménager l’ordonnance de 45, c’est l’abrogation du transfert qui est visée. Comme je le disais au début du texte, à ne tenir compte que des conduites et non de ce qu’elles disent d’un défaut de symbolique à entendre, c’est la possibilité de l’adresse qui est effacée. L’acting out est alors entendu d’emblée comme un passage à l’acte.

Quelles en sont les conséquences ?

La dimension symbolique est bafouée, cette dimension si efficace si l’on en tient compte et si facile à balayer si on ne veut pas en tenir compte, comme c’est le cas dans notre social actuel. C’est cette dimension si efficace et en même temps si fragile que soutient l’ordonnance de 45.

Les mineurs arrivant en justice sont alors directement fixés dans une mesure s’appliquant aux délinquants, ce qui fixe leurs actes et peut chroniciser leur délinquance.

Ces jeunes, privés de la possibilité d’un transfert, vont être poussés à développer avec les représentants de la loi, une érotisation particulière bien connu des juges, des policiers, des éducateurs.

Charles Melman, dans sa conférence à Namur en mars 88, transcrite dans « clinique psychanalytique et lien social » édité en Belgique, nous parlait déjà de ces jeunes « pour qui il n’y a rien à attendre de personne », pour qui  » le monde est perçu comme étant un chaos dont il y a simplement à essayer de tirer son épingle du jeu ». Chez ces jeunes « qui fonctionneraient sans référence à une quelconque instance idéale, il n’est pas rare que néanmoins se mette en place un attachement libidinal aux instances chargées de représenter la loi. C’est à dire comme s’il y avait, peut-être du fait même de ce défaut de transfert, une sorte de bizarre substitution qui venait s’opérer… une certaine forme de jouissance qui est en quelque sorte attachée à ce qui serait à la fois la faculté de se soustraire au pouvoir de ces instances mais pour mieux appeler leur exercice ».

Il continue en nous disant que cette espèce de « complicité » qui se met en place, « cette solidarité qui se noue » entre les instances représentant la loi et le délinquant est un dispositif que le délinquant va entretenir, et qui fait que le passage à la délinquance se chronicise. « Que pourrions-nous faire pour que peut-être ils partent moins handicapés ? » interrogeait Charles Melman.

Priver ces jeunes qui ne croient en personne, d’y croire à nouveau, c’est les condamner à chercher dans le réel une loi dont ils se jouent et à laquelle, sans cesse, ils cherchent à se confronter. Mais « cette bizarre substitution » dont parle Melman les confronte sans cesse à la répression, à la prison, en les éloignant d’une véritable mise à l’épreuve de ce qui leur manque. Car ce qui leur manque, c’est d’éprouver le manque qui ne s’éprouve que du lieu d’un transfert, manque d’où s’inscrit le désir et qui (?) …s’inscrit pour un sujet lorsque son discours s’ordonne dans une adresse à l’Autre.

Nous assistons à une montée de la violence qui nous inquiète, et les aménagements envisagés concernant l’ordonnance de 45 prétendent tenter d’y remédier. Or c’est lorsque le pouvoir relève d’une instance réelle et non plus symbolique que s’amplifie la violence. « C’est autour de cette toute petite différence que gît tout le problème de la violence. C’est lorsque le pouvoir, au lieu de relever d’une autorité qui ne tient son droit que du symbolique, ce pouvoir n’est susceptible de se faire reconnaître que comme réel. C’est-à-dire par la violence ». Voilà ce que nous confirme Charles Melman lors d’une conférence prononcée à Montpellier en Avril 2003, intitulée « Retour de Colombie ». (2002)

Ce qui contraint à la violence, c’est l’impossibilité de mettre en place un pacte par le biais d’une relation qui tient compte que ce qui fait notre richesse, c’est que nous ne sommes pas semblables.

L’ordonnance de 45 laisse la place à la singularité de chacun, ce qui peut permettre à un jeune qui veut s’en donner la peine de respecter les lois juridiques et sociales qui sont les nôtres, pas forcément parce qu’elles lui conviennent mais parce que ce sont nos lois.

Comment prétendre inculquer un quelconque respect quand on n’a pas le respect de la parole de l’Autre que l’on stigmatise dans une conduite ?