Ce livre paraît chez Érès dans la collection Humus où a été publié, il y a peu, l’excellent livre de Roland Chemama, Clivage et modernité.
Après À l’aise dans la barbarie, paru chez Grasset en 1994, Marc Nacht prolonge sa réflexion. Il écrit avec modestie qu’avec ce nouveau livre, il ne prétend à aucune élucidation. "Dans l’idéal, j’aurais voulu en faire l’analysant qui, en traversée de souvenirs, éclaire le présent sous un jour renouvelé."
Il aborde le politique en démontant les mécanismes qui l’articulent avec l’inconscient. Pour lui la barbarie moderne ne se mesure plus à l’aune de la libération des instincts et de leur déchaînement sous la levée des interdits de la civilisation, mais à celle plus subtile de la pression exercée par la satisfaction potentielle de n’importe quel désir assimilé à un besoin vital.
Dans une société de spectacle, il constate que la généralisation par la télévision, par les procédés informatiques de l’exhibition de la scène sexuelle et du donné à voir en attestation de la vérité, infiltre chaque individu de la puissance du voyeur, capté par l’image dont il devient lui-même objet, celui d’un regard aussi indéterminé qu’englobant.
Il interroge aussi la relation à l’Autre dans l’usage des drogues. Le désir du toxicomane, écrit-il est un désir qui n’a pas de signifiant. On peut référer le signifiant manquant à ce qui s’est trouvé désarticulé de la pulsion sexuelle et de la pulsion de mort, dans le désir d’enfant des parents. Le toxicomane serait alors en tant que sujet, le sujet de cette jouissance-là, disjonctive, qu’il ignore autant que ses géniteurs.
Son propos est aussi de mettre l’accent sur la mutation du sujet impliquant une régression du langage dont il fait partir la dégradation de 1968. L’appauvrissement, la généralisation des barbarismes ayant valeur superlative vient occulter toute la gamme des adjectifs et rend impossible l’expression des muances. Le langage devient provocation, appel à une loi absente, mais il n’y a pas de petit autre dans son altérité qui puisse donner une réponse symbolique véritablement opérante lorsque cette réponse est désarrimée des signifiants premiers.
Les derniers chapitres, consacrés à la mémoire traumatique que ce soit celle d’Auschwitz ou celle de la guerre d’Algérie, lui permettent d’analyser les deux sources de la mémoire traumatique : les traces non verbales et le meurtre traumatogène. La première est innocente, la deuxième est coupable.
L’enjeu de la politique de l’oubli est la politique elle-même. Il fait référence au très beau livre de Nicole Loraux "De l’amnistie et son contraire" dans Usage de l’oubli paru au Seuil. Cette politique de l’oubli ne peut que faire penser aux stratégies névrotiques et aux isolations de la névrose obsessionnelle, aux effacements et aux déplacements hystériques. Ce qui n’a pu être évité est oublié pour que ça ne se répète pas, car le souvenir animerait l’esprit de vengeance et risquerait de provoquer un nouveau malheur, symétrique et égal au premier. La négation renforcée de l’oubli implique une dénégation. L’"inoublieux" dit Nicole Loraux sera finalement oublié et rejeté de la mémoire par l’affirmation du souvenir.
La remémoration est un véritable travail pour faire émerger le symbolique du souvenir, elle implique une véritable traversée du traumatisme. Il s’agit de délier la culpabilité inconsciente de notre conscience meurtrière en la transformant en conscience du meurtre.
Au regard de la culpabilité inconsciente, indissociable de l’organisation symbolique des collectivités humaines, il n’y a pas d’innocent. Et tout humain pourrait devenir criminel en mémoire de l’origine meurtrière de la civilisation.
Le refoulé originaire porte la trace de la culpabilité inconsciente qui est angoisse structurelle. Et si nous suivons l’organisation logique du fonctionnement psychique, tout traumatisme suscite une culpabilité. Elle lui donne la parole au lieu même de l’absence du sujet.