A propos de Lands of Plenty" (Terre d'abondance), le dernier film de Wim Wenders.
19 octobre 2004

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VINCENT Denise
Billets



Lands of Plenty met en scène d’une façon caricaturale des deux Amérique, l’Amérique méfiante, guerrière et nationaliste et l’Amérique généreuse et idéaliste. C’est un peu sous la forme d’une parabole où deux personnages se rencontrent, s’évitent et finalement se retrouvent que le film peut peut-être constituer un message d’espoir.

Le personnage de Paul interprété magnifiquement par John Diehl est pathétique. Son absence de repères, de lien à un Autre corrélatif d’un engagement, le rend extrêmement sensible à toutes les injonctions venues d’autrui. Même s’il est apparemment au centre du système comme s’il était décideur — il a décidé en effet de s’investir d’une mission dont il serait l’instrument indispensable. Il est éminemment manipulable et manipulé. Ancien du Vietnam, il a été persuadé par ses chefs,"d’avoir retardé de 10.000 jours l’envahissement du monde occidental par le bloc communiste". Il est aux prises avec un réel grimaçant, où il perçoit "des signes" et où il dénonce la présence des terroristes.

"Le terrorisme, comme l’écrit Charles Melman dans L’homme sans gravité, est la représentation la plus crue d’un réel qui n’est plus dialectisé par le symbolique". C’est le traumatisme à l’état pur. Autour de lui le délitement des liens sociaux le renvoie à une vision paranoïaque de monde où il s’est mis au service de Big Brother, il est son informateur volontaire. Utilisant des techniques périmées qui s’apparentent à celles qu’il a utilisées au Vietnam, il y a trente ans, une caméra-espion, le camouflage, le langage codé, les talkies-walkies, il conduit seul sa guerre et voit des poseurs de bombes partout. Lands of Plenty est présenté comme un cauchemar.

Charles Melman, dans son livre, parle de ce fascisme volontaire, non pas un fascisme imposé par quelque leader et quelque doctrine, mais une aspiration à l’établissement d’une autorité qui le soulagerait de l’angoisse et qui viendrait dire ce qu’il faut ou ce qu’il ne faut pas faire, ce qui est bon et ce qui ne l’est pas.

L’autre personnage est Anna, elle-même fille d’une ardente gauchiste qui a passé son enfance en Afrique du Sud et en Jordanie. Elle vient de débarquer à Los Angeles venant de Tel-Aviv. Elle fait partie d’une mission protestante qui vient au secours de plus démunis. Nous découvrons avec elle les faubourgs cachés de Los Angeles où les SDF dans leur abri de carton, tentent de survivre. Elle cherche à retrouver le frère de sa mère parmi eux. Cet oncle est bien sûr Paul qu’elle finira par rejoindre. C’est au nom du message évangélique qu’elle essaie de pallier aux injustices.

Dans Der Himmel über Berlin ("Les ailes de désir"),des anges assuraient la permanence d’une innocence au-dessus des ruines de Berlin ravagé par la guerre et mutilé par la présence du mur. Le message de Wim Wenders prêtait davantage à l’espérance. Dans Lands of Plenty ("Terre d’abondance") Wim Wenders éclaire les bas-fonds d’une mégapole où la faim frappe les oubliés de la croissance. Un homme étranger, un Pakistanais, va être assassiné non pas par des terroristes mais par deux jeunes délinquants, défoncés au crack qui confondent racisme et vigilance antiterroriste.

Ce qui m’a intéressée ce n’est pas tant le massage qui serait politique, mais plutôt cette dérive où le destin collectif est représenté par des destins individuels où la figure de l’Autre est de plus en plus énigmatique.