À propos de L'adolescent face à ses actes..."
13 février 2006

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FORGET Jean-Marie
Billets



J’ai écrit ce texte (1) à partir de la clinique. C’est l’insistance de la clinique qui m’a amené à essayer de mettre en place des repères théoriques puisque je me suis confronté aux actes des adolescents, à la fois dans une consultation d’adolescents et en cabinet. Comme j’étais habitué à me prêter dans des lieux institutionnels à un travail de consultant, ça m’a amené à aborder la question des parents d’abord puis à affiner les choses au niveau des actes.

L’axe central, bien entendu, c’est l’acting-out. C’est cette structure qui est très intéressante. Dans la première partie du livre, j’ai fait le tour des différentes structures d’acte qu’on pouvait rencontrer. L’inhibition où la dimension symptomatique est dans l’entre-deux, entre le sujet et l’autre. L’opposition révèle les enjeux à désamorcer dans le rapport en miroir de l’adolescent et de l’autre. La structure de l’acting-out est intéressante puisque c’est une parole mise en scène. Puis le passage à l’acte où le sujet s’éjecte pour tenter de faire valoir sa place de sujet.

Donc ces quatre types de mise en acte assez différents impliquent des repères structuraux assez précis pour l’abord thérapeutique. Travailler sur ces quatre éléments m’a permis de reprendre la manière dont Lacan plaçait les actes dans le tableau du séminaire sur l’angoisse et de pouvoir remodeler un petit peu ce tableau, d’une manière qui le rend plus utilisable dans la place respective des manifestations symptomatiques qu’il a présentées à ce moment-là. Ensuite j’en dégage un axe qui me semble intéressant au niveau de la clinique actuelle.

La deuxième partie est essentiellement sur l’acting-out. J’ai repris les choses d’abord au niveau de la pulsion scopique et de la dimension de la mise en scène. Dans la manière dont la mise en scène suscite l’autre en tant que l’autre serait lui-même décomplété. C’est quelque chose que je trouve assez frappant. La mise en scène de l’acting-out est la monstration à l’autre d’un trait inconscient, d’un trait de lui-même, dont le sujet ne veut rien savoir, par sa récusation de la mise en scène. L’adresse à l’autre en tant qu’autre imaginaire est donc une adresse qui est vouée à l’échec. C’est une sorte de démenti adressé à l’autre, à la différence du démenti pervers.

On voit bien dans cette mise en scène quand je la décompose, comment il y a ces différents temps : le démenti de la parole, le démenti de la dimension de la parole, amène le sujet à mettre en scène, à se mettre en scène dans un rapport à l’objet du désir, mais ce n’est pas l’objet du désir, c’est l’objet de la jouissance. Dans cette monstration, le sujet se met en scène dans le rapport au réel de l’objet auquel il aura accès. Du coup il y a ce deuxième temps de la mise en scène où il s’éjecte ; et au fond cette récusation, c’est se refuser à assumer la dimension de la mise en scène qu’il montre d’une manière aussi transgressive. C’est quelque chose que je trouve intéressant qui met bien en évidence la différence entre la mise en scène de l’acting et la dimension du passage à l’acte pervers.

On voit bien comment la différence entre le démenti pervers et le démenti adressé à l’autre est une potentialité d’articulation qui va dépendre du transfert et de la manière dont on pourra lire la mise en scène à proprement parler, qui a basculé de la dimension scopique à l’intrication pulsionnelle, qui permet de réarticuler la pulsion scopique à la pulsion d’invocation et à la dimension de la parole. Sur ce versant de la pulsion, ce que j’ai trouvé assez passionnant c’est de voir comment les intrications pulsionnelles, quand on les reprend dans le travail de Lacan, dans le passage d’une pulsion à une autre, ne se font pas par un mouvement de "développement" mental, ni chronologique mais par une articulation d’inversions des demandes. Je trouve ça tout à fait intéressant parce que ça pointe que les difficultés se situent du côté de la structure de l’autre. C’est l’appel "à" l’Autre, ensuite c’est la demande "de" l’Autre qui sollicite le sujet et puis, ensuite, le retour vers l’adresse à l’autre et le "che vuoi?" qui est une adresse à l’Autre en tant que lieu vide.

J’ai trouvé ça tout à fait passionnant de se référer à ces trois temps d’inversions parce qu’ils montrent bien comment la désintrication pulsionnelle se joue dans l’acting-out. C’est essentiellement dans le registre scopique que le sujet va s’adresser à l’Autre, va chercher le manque de l’Autre. Ça montre bien que c’est une sollicitation qui va s’adresser à la structure de l’Autre. Je n’ai fait qu’ébaucher le travail sur cette difficulté, sur cette articulation de registres entre cet autre qui est un petit autre imaginaire, qui se trouve sollicité dans une dimension d’instance. Il s’agit que ce petit autre imaginaire se manifeste dans la dimension de sa structure subjective pour être exact. Effectivement, on ne peut pas directement "lire" l’acting, on ne peut pas l’interpréter non plus. Ça amène à différer la lecture qu’on va pouvoir en faire. Ce sont les deux éléments les plus intéressants qu’on voit dans la dimension thérapeutique : le "temps du voir" qui passe à la "lecture" et puis la "temporisation" de la lecture qu’on peut en faire. Jacqueline Légaut m’a fait remarquer que c’est un temps de renoncement pour l’analyste ou pour l’interlocuteur. Il s’agit de différer à plus tard, de ne pas se précipiter dans l’induction imaginaire.

L’autre élément intéressant que l’on peut tirer du travail sur l’acting, c’est de repérer comment ce qui est sollicité dans cet enjeu, dans cette mise en scène, c’est le sujet de l’inconscient. Si le sujet est dans cette mise en scène de la parole, c’est dans la supposition, dans le registre scopique que l’autre qui est visé par l’adresse va être vide, va être évidé. Il y a une supposition de l’évidement de l’autre puisqu’il y a la supposition que le jeu pulsionnel de la pulsion de l’autre vienne faire le tour du vide de la construction de la mise en scène de l’acting. L’acting est une mise en scène, l’acting est donc construit sur un vide. Si le sujet met ce vide en scène, c’est bien pour qu’un autre vienne en faire le tour. C’est supposer que la pulsion de l’autre fonctionnerait déjà dans un aller et retour et dans un évidement. C’est une supposition que l’autre serait évidé -on ne peut pas dire qu’il serait barré sur le plan scopique, ce ne serait pas tout à fait juste-, il y a cette dimension d’une articulation recherchée au niveau de l’autre. Je trouve ça tout à fait intéressant, ça renvoie à toute la dimension du jeu pulsionnel et du "nouveau sujet" de Freud que Lacan a repris comme "sujet de l’inconscient". Ce temps d’évidement de l’autre est un préalable pour que l’objet a, le fantasme et le sujet du désir puissent se mettre en jeu en tant que tels. C’est un temps préalable à la constitution de l’objet du désir. Il y a l’inconscient, le sujet de l’inconscient qui est l’appropriation par le sujet du discours inconscient et puis le sujet du désir. Ce sont des temps intéressants à distinguer et je trouve que le souligner montre assez bien comment c’est sur ce temps logique, ce temps d’appropriation du discours inconscient, que la positivation de l’objet actuel a un effet à désamorçage.

Il y a des exemples cliniques que je passe parce qu’ils sont assez explicites. Ce qui m’intéressait aussi c’était d’élargir un tout petit peu cet axe à ce que j’appelle le "symptôme-out" c’est-à-dire cette structure du symptôme qui est adressée à l’autre. À ce moment-là, ce n’est plus un trait réel qui est mis en scène dans la monstration mais c’est un trait imaginaire. D’un point de vue clinique ce sont des manifestations qui sont habituelles, qu’on ne peut traiter comme des symptômes puisque la structuration du symptôme, en tant que le réel de la souffrance viendrait le nouer, n’est pas organisée comme telle. C’est quelque chose que je trouve intéressant, qui est actuel. Ce qui est récusé dans ces cas-là, dans l’exemple clinique que je donnais d’une dépression récusée, c’est le trait positivé qui commande le discours de l’autre. On retrouve cette articulation entre le sujet et le discours de l’autre, réel sur le moment. C’est une articulation difficile. On pourrait la reprendre, approfondir cette question de l’articulation de l’autre réel, symbolique et imaginaire telle qu’elle se joue dans la clinique actuelle. C’est certainement très délicat à articuler. Dans l’exemple que je donnais, une fille récusait la dépression qui était le trait du discours de la mère mais qui était au fond un stigmate, un signe plutôt qu’une approche de sa souffrance. La récusation par cette fille portait sur un trait du discours qui éludait complètement sa subjectivité et son symptôme. Ce sont des manifestations qu’on voit extrêmement souvent et qui nécessitent pour les aborder les mêmes précautions que l’acting out. Avec la difficulté que j’ai évoquée dans ce cadre, que ce à quoi se confronte le sujet, c’est un discours pervers, c’est un discours sans perte. La question qui s’en suit est de savoir à quel titre l’analyste ou le clinicien peut s’autoriser un forçage symbolique pour réintroduire cette référence à la perte, ou est-ce qu’il laisse courir ce discours pervers ? C’est une question assez délicate.

Alors cette identification du "symptôme-out" me permettait de reprendre le tableau de J. Lacan que j’avais modifié, d’introduire cette forme symptomatique comme une modalité intermédiaire entre l’acting out et le symptôme, en la dégageant comme une mise en scène du trait positivé qui commande le discours pervers et non pas d’un trait réel comme dans l’acting, ni d’un trait refoulé. La dépression est une manière pour le sujet de résonner d’un discours où il n’y a pas de référence à la perte, au même titre que les perversités -qui est une forme de perversion sans structure perverse- est aussi une manière de résonner de la logique même de ce discours. L’exemple de perversité est l’histoire d’une jeune homosexuelle qui bascule dans la névrose, à l’occasion d’une séance manquée quand je lui annonce qu’elle aura à payer toute séance manquée si la situation se répète. Elle est furieuse, mais amorce une bascule structurale en réponse à cette énonciation, repérant que l’objet de son amour est au fond une instance symbolique. Elle effectue alors le mouvement inverse de l’homosexuelle de Freud c’est-à-dire qu’elle remet en place l’instance symbolique Autre et sort de son homosexualité. C’est quand même assez étonnant. Ça illustre bien la dimension d’appel et d’adresse des demandes d’adolescents ou de jeunes adultes qui viennent pour des questions d’homosexualité, pour des questions de perversion. Évidemment il y a la demande, ce ne sont pas des mises en acte de perversions, mais cette dimension de perversion est la marque du discours pervers de l’entourage du sujet. Je trouve intéressant du coup, dans le tableau, de pouvoir dégager une modalité de la clinique actuelle entre la dépression et les perversités que sont ces "symptômes-out" qui nécessitent une approche particulière.

La dernière partie de ce travail est consacrée à l’approche thérapeutique. Toutes ces questions d’acte nécessitent souvent un travail avec les parents des adolescents. Parfois pas. L’inhibition dans certains cas. Dans l’opposition on est souvent amené à désamorcer des enjeux idéaux entre les parents et les adolescents. Je pense à un exemple de parents que j’ai vus pendant deux ans, sans leur fils, avant de pouvoir amorcer un travail avec celui-ci. Il a fallu les voir encore pendant deux ans d’une manière plus espacée pour désamorcer ce qui resurgissait de l’idéal attendu de ce fils. C’est assez troublant parce que c’est un travail, qui n’est pas un travail thérapeutique vis-à-vis des parents, ça ne les change pas, ou très peu. Simplement ça évite qu’ils passent à l’acte pendant un certain temps. Ça permet à l’adolescent de se dégager de l’influence des parents et d’être un peu tranquille. C’est assez modeste, mais c’est efficient.

Au niveau de l’acting-out, comme au niveau du symptôme-out, j’ai été amené à identifier les conditions du transfert : à la fois la réintrication pulsionnelle où il s’agit de lire ce qui est montré, plus exactement d’entendre ce qui est montré -ce qui articule les deux pulsions, les articule à la parole- et puis la temporalité, temporiser ce qu’on lit pour pouvoir le dire ou en tout cas le reproposer au patient un peu plus tard. C’est un élément précieux pour supposer possible un travail, un accrochage, un transfert. C’est le passage de "l’appel au transfert" au "transfert". Il y a là il y a quelque chose de tout à fait intéressant. Dans les exemples que je donne, le fait de proposer de revoir les parents introduit un élément de temporalité pour l’adolescent. Le seul fait de voir l’adolescente et de lui proposer des rendez-vous ne suffit pas. Ce qui est mis en scène l’est par rapport à ces petits autres qui ont récusé la parole. Il s’agit que ces petits autres soient encore en jeu, qu’ils soient encore dans l’affaire et qu’ils s’acceptent barrés. Si les parents reviennent, s’ils continuent à travailler, c’est qu’ils donc qu’ils s’acceptent barré, ils s’acceptent articulés à un tiers. A partir de ce moment-là il y a une ouverture possible et on peut travailler. La référence à la topologie est intéressante et illustre bien cette question de consistance, ce paradoxe dans l’acting-out, la déconnection du symbolique et du symptomatique. Le symptomatique nous saute aux yeux, est évident. Le témoin s’y précipite. La dimension du symbolique en est complètement déconnectée. On a deux consistances dont on ne sait pas très bien quoi faire et qu’on ne peut pas articuler de manière discursive. La temporalité fait apparaître la consistance de l’imaginaire puisqu’on tient compte de la dimension symptomatique puisqu’on va continuer à travailler mais on ne s’y précipite pas en étant sous l’impératif de cet imaginaire. On ne va pas passer à l’acte. On ne va pas réparer. Cette temporalité révèle une troisième dimension, celle de l’imaginaire. Comme cette dimension de l’imaginaire émerge du fait du savoir faire de l’analyste, elle s’articule avec cette quatrième dimension qu’est la présence de l’analyste. Ça fait consistance à quatre, un noeud borroméen à quatre, et qui constitue un vide central sur lequel on peut travailler. La topologie illustre bien cette sorte d’accrochage qui fonctionne alors que le dire simplement dire en terme de temporalité et de réintrication pulsionnelle rend plus difficilement compte des choses.

Les histoires d’acting exigent un travail pendant un temps avec les parents. Le passage à l’acte nécessite de travailler de manière régrédiente, en supposant qu’il y a des acting-out qui ont précédé. Il s’agit d’essayer de mettre en jeu, de dévoiler les mises en scène précédentes qui n’ont pas été repérées comme telles, ensuite de remonter au symptôme. Ça représente un travail avec les parents qui ne peut pas se faire avec le même interlocuteur. Car pour éviter les passages à l’acte réitérés il s’agit qu’il y ait quelqu’un qui soit en position d’autorité vis-à-vis des parents ou de la famille Ce n’est pas cet interlocuteur qui peut entreprendre un travail analytique ou un travail d’écoute avec le patient. Voilà en gros le fil de ce travail. Il y a dans l’acting-out cette structure tout à fait étonnante de monstration et de récusation.

Ça pose d’autres questions autour des dénis que l’on peut aussi approfondir… Voilà. Les mises en acte, et l’acting-out J. Lacan les a plutôt traités comme des échecs du travail analytique dans la cure. On a assez peu parlé du versant que je développe ici.

(1) Jean-Marie Forget, L’adolescent face à ses actes… et aux autres : Une clinique de l’acte, Érès, 2005, 207p.