A propos de la psychosomatique (3)
22 mai 2003

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LE CAÏNEC Mary
Textes
Psychosomatique



A partir des repères que nous a laissés Lacan, je voudrais poser la question de ce passage énigmatique, dans la psychosomatique, d’un fonctionnement dit normal du corps biologique, régi et limité par l’ordre phallique, à cette autre jouissance, jouissance du corps qui n’est plus limitée par le signifiant.

Et c’est un autre rapport à l’objet, un autre état du sujet.

Nous pouvons voir dans l’écriture du Nœud Borroméen l’objet a qui se trouve dans un coinçage entre les trois ronds du Réel, de l’Imaginaire et du Symbolique.

Cet objet a est entouré des triangles de la jouissance phallique entre Réel et Symbolique et de la jouissance autre entre le Réel et l’Imaginaire…..Le croissant de l’angoisse, contigu à la jouissance Autre, vient doubler le rond du Réel en empiétant sur l’Imaginaire.

« La topologie – nous dit Lacan dans le séminaire Les non dupes errent – définit un espace qui ne part que de ceci, de la définition du proche, du voisinage, de la proximité. »

Que peut-on voir dans cette proximité de l’angoisse avec l’objet a et les deux types de jouissance, jouissance phallique et la jouissance Autre dans la psychosomatique ?

La question de l’angoisse est bien sûr posée à propos de la psychosomatique, angoisse évidente dans de nombreux cas, même si elle n’est pas dite, alors même que certains auteurs notaient que dans la maladie installée il n’y avait pas d’angoisse.

Certains moments, tels la crise d’asthme ou la crise d’angor ou d’autres débuts » aigus » sont vécus par le patient dans l’angoisse, cette angoisse pouvant disparaître plus ou moins rapidement.

Charles Melman décrivait en 88 un cas de torticolis spasmodique chez un homme, en signalant que « la chute de ses spasmes provoquait immédiatement l’émergence de l’angoisse, de telle sorte que c’est avec un réel soulagement qu’il retrouvait son truc »

Je veux donc questionner le phénomène psychosomatique entre autre comme une position ou une réaction »pare angoisse »… dans ce que nous appelons habituellement défense contre la castration, pour toutes les structures.

La proximité avec la phobie a été aussi évoquée, et je peux citer le cas d’une patiente, souffrant de problèmes psychosomatiques, qui avait fait un rêve au cours de la cure, et dans ce rêve un territoire du corps, répondant à un appareil précis qui était au nombre de ses problèmes, lui apparaissait comme recouvert par l’animal phobique, grouillant là en nombre infini.

Ce rêve était vécu bien sûr comme très angoissant.

« L’angoisse est un affect, et ce qui caractérise un affect c’est qu’il n’est pas refoulé, il est désarrimé, fou » nous dit Lacan dans son séminaire sur l’angoisse, dont je citerai plusieurs passages dans ce travail.

Lacan rappelle d’abord que Freud désignait l’angoisse comme signal, signal de ce qu’il appelait danger, danger que Freud précise être un danger vital.

Ce danger vital représente-t-il la mort ou pire que la mort ?

Lacan rapporte très tôt le phénomène de l’angoisse à l’objet a, le rapprochement de l’objet, la proximité de l’objet, la retrouvaille de l’objet, la perte de l’objet.

Dans la leçon du 3 juillet 1963 il nous précise : Ce danger, c’est ce qui est lié au moment constitutif de cession de l’objet a.

Et puis vient articuler progressivement :

Le moment de fonction de l’angoisse est antérieur à cette cession de l’objet, l’angoisse se manifestant dès le premier abord comme se rapportant d’une façon complexe au désir de l’Autre.

… quelque chose antérieur à tout ce que nous pouvons élaborer, ceci que j’appellerai présence de l’Autre.

Avec la demande de l’Autre, quelque chose se détache et nous permet d’articuler la constitution du petit a par rapport à la fonction de lieu de la chaîne signifiante, dans la division du sujet.

Ceci ne s’articule pleinement qu’au niveau de la constitution du sujet dans sa relation à l’Autre, articulée comme centrée autour de la fonction de l’angoisse.

Quand S, le sujet, ressort de cet accès à l’Autre, il est inconscient, c’est à dire ça dont il lui reste à faire quelque chose dont c’est moins le rapport métaphorique qui importe que le rapport de chute où il va se trouver par rapport à l’objet a… Le sujet est alors barré.

Est ce que dans le moment de la psychosomatique qui tourne autour de l’angoisse, cette séparation, cette chute est bien ce qui n’est pas tolérable ?

Le phénomène psychosomatique serait donc l’inscription, la signature de ce qui est vécu comme une catastrophe subjective et qui comme toutes les catastrophes peut être très constructive, construisant là un savoir sur le corps avec un grand génie inventif, évolutif.

Sujet de la jouissance – sujet de l’inconscient

« L’angoisse, c’est quelque chose de central » nous dit Lacan. La fonction de l’angoisse est non pas médiatrice mais médiane entre la jouissance et le désir.

Cette béance du désir à la jouissance, c’est là que se situe l’angoisse. Même si ce temps est élidé, non repérable dans le concret, il est essentiel.

Alors donc, la réaction psychosomatique, inscription dans le réel du corps d’un signe de l’ordre de l’imaginaire, serait une réponse pour un parlêtre donné mis devant la contrainte d’une situation signifiante non symbolisée, ou qu’il se trouverait incapable de symboliser.

Ce serait une sorte de contournement du signifiant ou dérobement à la demande de l’Autre, dans l’angoisse et pour éviter l’angoisse, qui fait basculer le parlêtre dans un autre état que le sujet divisé.

C’est une bascule ou un montage qui tourne autour d’un moment d’angoisse, et vient réaliser l’entrée dans une jouissance Autre, et qui elle n’a pas de limites, pas d’autre limite que la mort parfois.

Puisque ce ne sont pas de faux malades ou des malades imaginaires, ce sont parfois des mises en jeu de la survie de ce corps affecté, même si le sujet ne peut rien en dire.

Chez le névrosé, si l’on peut évoquer un clivage, on peut aussi rapprocher ce mode de jouissance de la logique du Pas Tout, différente de la logique du Tout phallique.

Puisque ces deux côtés du Tout et du Pas Tout, Lacan nous précise bien qu’ils ne relèvent pas de l’anatomie mais de la jouissance.

Et les mystiques sont habituellement questionnés du côté du pas tout, y compris dans des phénomènes tels les stigmates, souvent considérés comme une marque sur le corps relevant de la psychosomatique.

Le cas de l’enfant est communément reconnu comme une problématique avec l’Autre réel, maternel ou plutôt le couple parental, puisque le père dans ces cas ne pourrait pas jouer son rôle de père présent ni son rôle de tiers symbolique. Dans ces couples ou dans ces familles, comme il est fréquent, on a pu effectivement avoir du mal à rattacher certaines choses dans le symbolique. Ce sont des situations où le contact de la mère est très recherché par l’enfant… où la demande de la mère devient étouffante… et ces situations peuvent entraîner une réponse du type psychosomatique.

Dans la réaction de la peau par l’eczéma (dénommée parfois allergie de contact) qu’est ce qui se joue pour l’enfant, alors que l’on sait que dans beaucoup de cas d’eczéma infantile il y aura guérison après la scolarisation ou à l’adolescence.

Cet enfant de huit mois était couvert d’eczéma, et alors que je le recevais avec sa mère, il était avec elle dans un jeu perpétuel d’envahissement dont elle ne se défendait pas, alors qu’il introduisait ses doigts dans sa bouche, ses oreilles, ses yeux, marchait sur elle.

Une simple parole de l’analyste, qui s’adressait à la fois à la mère et à l’enfant pour mettre une limite et différencier le corps de l’enfant et le corps de la mère, a-t-elle suffit pour jouer ce rôle de séparateur ?… l’eczéma avait totalement disparu après quelques séances…

Que représente l’asthme infantile, qui a suscité de nombreux écrits et de nombreux travaux… c’est une mise en jeu du souffle de la vie – dans l’asthme la constriction des bronches réalise une retenue de l’air, empêchant d’expirer c’est à dire de rejeter l’air à l’extérieur… L’air est gardé dans le corps de l’asthmatique, il ne « manque » pas.

Lacan évoque le trauma de la naissance, « Cette angoisse fondamentale de la naissance n’est pas seulement séparation de la mère, mais en même temps aspiration en soi de ce milieu radicalement autre, envahissement par l’air ».

Peut on concevoir là aussi dès les premiers mois de la vie une situation de contrainte angoissante, qui fait revenir l’enfant à ce point d’angoisse fondamentale. On le sait, les crises d’asthme peuvent ne pas se produire pendant les voyages scolaires ou les colonies de vacances où l’enfant vit en dehors du cadre familial.

Ce qu’on a évoqué comme type de sujet présentant une particulière sensibilité ou tendance à répondre par des phénomènes psychosomatiques pourrait venir à la suite de ces tableaux infantiles en rapport avec un fonctionnement particulier du couple parental.

L’enfant en grandissant aurait quelque difficulté à se situer autrement et trouver un autre type de réponse devant des circonstances angoissantes.

Chez certains de ces patients on note un rapport au langage problématique … certains glissements ou néologismes ou expressions qui ne sont pas de vrais lapsus.

Ainsi un homme qui souffrait de torticolis spasmodique avait cette parole « A la maison on était très « maternisés »… mon père c’était un vrai papa gâteau, il demandait toujours à ma mère de lui faire des gâteaux, car il était très gourmand.

Cet homme voyait il son père dans un rôle d’homme et de père ?

Une patiente qui avait présenté dans l’enfance et dans sa vie d’adulte de très nombreux épisodes – qu’elle qualifiait elle même de psychosomatiques – disait de son cadre familial « On ne savait jamais qui était qui, c’était très angoissant »

Et sans doute dans toutes ces famille où, pour diverses raisons les places ne sont pas symbolisées, différences entre les sexes ou entre les générations – ce qui laisse l’enfant dans une situation qui peut être angoissante – cela peut donner lieu à ces phénomènes psychosomatiques – pare angoisse – comme mode habituel de réponse à l’ordinaire de la vie familiale ou à certains événements.

Ce qui peut donner une impression de structure ou « tempérament » au patient lui même qui ne se reconnaît que comme « malade », et aurait une certaine crainte devant ce qui pourrait représenter une guérison, c’est à dire une autre façon de voir la vie et de s’y situer.

La psychosomatique de l’enfant serait ainsi la marque, l’inscription de ce qui n’est pas symbolisé dans le cadre où il vit : la structure du couple parental, ou dans la vie familiale une nouvelle naissance, la mort d’un grand père ou d’une grand mère ou tout autre événement qui fait partie de la vie normale.