Cela peut paraître à la fois énigmatique et brutal.
La première crise d’asthme chez un homme d’une quarantaine d’année, sans passé allergique, est survenue sans raison aucune. Dans l’entreprise chimique où il travaillait depuis de nombreuses années, aucun cas d’allergie ou d’intolérance n’a été signalé à ce moment là, aucune substance nouvelle n’avait été introduite.
Mais dans son équipe quelqu’un venait d’arriver, un homme plus jeune que lui et réputé brillant.
La première crise d’épilepsie chez un garçon de onze ans survient en pleine journée, dans le cadre familier de la maison, alors que sa santé était bonne, il s’était levé normalement le matin. « Je ne comprends pas, il a pris son petit déjeuner comme d’habitude » et puis il ne faisait rien de particulier. Il est tombé subitement devant le réfrigérateur alors qu’il voulait se servir un verre d’eau comme il faisait souvent.
Mais quand il est tombé subitement, il sortait de la chambre de sa grand mère, décédée le jour même.
C’est lui même qui y était entré en courant et en fermant la porte à clef, pour y rester très longtemps, se forçant, après avoir tenté de se dérober à ce tête à tête avec la mort que sa famille avait voulu plusieurs fois lui imposer.
« Viens avec moi dire bonjour à ta grand mère ». « Tu dois venir, tu dois obéir ». « Je suis resté longtemps, je ne me souviens plus, ma mère appelait, mon oncle tapait dans la porte, ils n’ont pas pu forcer la serrure », dira l’enfant bien après.
Vingt cinq à trente crises quotidiennes, malgré les traitements antiépileptiques, empêchaient toute vie normale et toute scolarisation régulière chez cet enfant qui restait à la maison.
Mais il faut noter que dès le début de son travail, travail sur lui et travail de parole, les crises se sont espacées : une crise par mois.
Une femme souffre de problèmes cardio-vasculaires : hypertension, troubles du rythme, angor, s’aggravant malgré suivi médical et traitements.
Certains médecins sont surpris que ce soit venu tout d’un coup, comme çà, chez quelqu’un qui n’avait pas d’antécédents personnels ou familiaux ni facteurs de risque. Elle dit, elle, que c’est sûrement dû à l’anesthésie qu’elle a subie pour une intervention chirurgicale à laquelle pourtant elle était préparée depuis longtemps. C’est depuis ce temps là que tout va mal, dit elle.
Elle peut préciser l’année, et même le mois de son intervention : « C’était au mois d’octobre, je sais bien, puisque mon mari est mort en septembre ».
Le premier malaise diabétique gravissime chez un enfant de huit ans est venu « comme ça ».
Il n’y avait aucun antécédents familiaux, les examens chez l’enfant avaient toujours été normaux, aucune fatigue ou trouble de l’appétit ou du sommeil, aucune maladie contagieuse n’avait précédé cet accident.
Au contraire tout allait bien dans la famille puisque le père avait une promotion dans son travail.
Cela entraînait de quitter le petit village où l’enfant était né, pour habiter dans une grande ville.
La nouvelle maison était belle et grande et il avait une chambre à lui où il devait dormir tout seul.
Dans l’école de très grande réputation où il était assuré de faire de bonnes études, il ne connaissait personne.
Dans son évolution il présentait des malaises ou un déséquilibre de son diabète, presque toujours liés de façon repérable à des situations qui l’angoissaient, notamment des événements familiaux.
La première crise d’angor, marquée par une syncope, chez cet homme qui n’a aucun passé pathologique, bien suivi médicalement, survient en dehors de tout effort, alors qu’il pouvait se réjouir d’être entouré de ses amis qui lui offrent un somptueux cadeau et lui témoignent leur estime.
Il souhaitait sa retraite pour ne plus se lever à cinq heures du matin afin d’être dans son service dès sept heures et jusqu’à huit heures du soir. Il s’écroule avant même d’avoir bu le champagne qui célèbre son départ.
La première poussée de rectocolite hémorragique chez cette femme jeune, très diplômée, que son travail menait pour la première fois aux Etats Unis pour une mission flatteuse intervient le jour même de son arrivée.
Les crises se reproduisaient dans des circonstances diverses : un changement dans la disposition des locaux, ou l’arrivée de quelqu’un qu’elle ne connaît pas, ou le fait que quelqu’un qu’elle connaît bien ne la voit pas ou ne la salue pas… ou d’autres incidents qu’elle juge mineurs mais dont elle dit qu’ils suscitent chez elle de l’angoisse. « La moindre blessure me faisait saigner », dira-t-elle longtemps après.
Une femme en pleine santé s’est couchée le soir, elle s’est levée le lendemain matin avec une hyperthyroïdie marquée par un goître important et une exophtalmie – modification des globes oculaires – témoignant d’une perturbation grave du fonctionnement de la glande thyroïde qui s’était constituée en quelques heures seulement.
Elle était angoissée de n’avoir pu joindre la dernière personne vue le soir dans son travail, pour laquelle elle avait commis une erreur dont elle craignait qu’elle représente un risque vital.
Une femme en pleine santé également se retrouve en quelques minutes envahie par les frissons, elle est fébrile et cela constitue le début d’une pneumonie grave que le médecin diagnostique et traite.
C’est elle qui se questionne, puisque ce début venait immédiatement après une situation où elle a vu son enfant traverser pour venir vers elle et en même temps, elle a vu l’automobile qui arrivait. La voiture a pu éviter l’enfant qui était sain et sauf, la mère avait vécu quelques instants d’intense angoisse.
Une patiente présentait de multiples maladies, apparaissant les unes après les autres à partir de l’adolescence, concernant successivement des appareils divers, appareil digestif, puis équilibre hormonal, puis articulations, et dont les dysfonctions pouvaient varier, puisque après une hypotension qui entraînait des évanouissements fréquents pendant de longues années, brusquement une hypertension vient s’installer avec vertiges et troubles du rythme, essoufflement.
Elle dira après quelques années de travail, alors que malgré l’âge elle avait retrouvé une santé tout à fait satisfaisante, son hypertension étant résolue et ses maladies chroniques non seulement ne s’aggravaient pas mais avaient disparu : « Je me trouvais toujours obligée d’obéir à ma mère, j’avais peur d’elle ; mon père ne s’occupait pas de nous et il me faisait peur aussi ». Cette angoisse quasi permanente et cette obéissance sous la contrainte avait duré des décennies bien au delà de l’âge de l’adolescence.
Et elle n’est plus dans le déni, elle pense que c’est son travail de psychothérapie qui lui a permis de commencer une vie sociale normale.
Questions sur les phénomènes psychosomatiques
Dans notre culture, le patient va s’adresser pour ce qui vient affecter son corps plus souvent au médecin qu’à l’analyste, alors que les phénomènes et maladies psychosomatiques sont vus de façon très différente par la médecine et par la psychanalyse.
Du côté du somatique
Il est important de noter que la physiologie classique laisse une large part à ce qu’elle appelait « afférences corticales » c’est à dire une certaine action perturbatrice du cortex cérébral sur des fonctions biologiques, par l’intermédiaire de cette zone très importante qu’est l’axe hypothalamo hypophysaire, dont la fonction normale est de mettre en jeu les régulations nécessaires et de limiter les variations excessives de sécrétion de la plupart des systèmes hormonaux et du système neurovégétatif.
Des anomalies des régulations neuro-hormonales, des variations au delà des marges habituelles étaient donc supposées venir du cortex lui même… en relation avec des affects de l’individu vivant… Peut on voir là une ébauche de la question du sujet et de sa place ?… Cette physiopathologie serait une physiologie du pathos…
La médecine scientifique et la recherche médicale en tant que telles ont pour objet le corps humain et son fonctionnement au cours du temps, avec des méthodes qui leur sont propres et qui peuvent varier selon les époques et les hypothèses qui paraissent les plus utiles à un moment donné.
Ces recherches privilégient le corps en tant que réel biologique, le comparant souvent à certains organismes du monde animal qui en apparence peuvent avoir des éléments et des fonctionnements proches et allant même jusqu’à comparer le fonctionnement du corps humain au fonctionnement des organes (en supprimant toute innervation qui pourrait faire intervenir les instances régulatrices de l’organisme et son « intelligence ») voire le réduisant aux tissus ou cellules isolés dans un milieu artificiel.
Ces recherches sur le biologique isolé, ont permis des découvertes importantes et ce savoir de la science a suscité beaucoup d’ambitions concernant la compréhension et le traitement des maladies actuelles, déclarées.
Mais ces recherches excluent totalement l’individu en tant que sujet, et ne laissent pas de place à la question de la psychosomatique.
Les ambitions sont grandes aussi aussi pour la médecine, concernant la prévision de maladies potentielles, plus ou moins possibles ou probables, pour tenter de les éviter.
Ces prévisions font appel aux antécédents familiaux – alors que les maladies humaines dites familiales ne sont pas toujours héréditaires – et la recherche de tel ou tel gène qui serait là désigné comme cause – alors que de nombreux porteurs d’un gène précis ne réalisent pas le programme porté par ce gène. Les médiateurs chimiques sont aujourd’hui mieux connus à tous les niveaux ainsi que les »programmes génétiques » qui les commandent et en assurent la fabrication, mais ne seraient peut être que des moyens et non des causes. Pourquoi un gène devient il actif après des années ou des décennies de latence ?… Que représenterait le gène de l’obésité par exemple ?
Quand le patient se dirige du côté du somatique, dans notre culture, les demandes peuvent être diverses, mais aussi tous les médecins ne l’écouteront pas de la même façon.
Certains médecins, dans un milieu hospitalier notamment, sont sans doute plus formés pour donner une réponse scientifique, orientée vers le biologique et le mécanisme à combattre.
Certains médecins cliniciens immergés dans la vie sociale – rurale ou urbaine – peuvent entendre dans les plaintes et les dires d’un être humain vivant quelque chose qui sera humain et pas seulement biologique.
Le médecin peut avoir quelques difficultés à trouver appui dans le corpus théorique que la médecine moderne met à sa disposition – description et évolution des maladies (nosographie et nosologie) – pour entendre ces questions, il les entendra parfois de sa place subjective selon sa connaissance de son malade.
La réponse sera-t-elle uniquement technique et médicamenteuse – cela peut être nécessaire – ou une position plus subtile qui induit une autre relation entre le médecin et le malade, quand les symptômes dits ou montrés ne sont plus considérés comme de simples signes traduisant l’anomalie d’un organe isolé. Cette approche du corps humain souffrant, qui va au delà du mécanisme biologique peut aborder autrement la question de la cause qui reste prégnante pour tout être humain sur le « pourquoi vient ou s’installe ce qu’on appelle la maladie ». Pourquoi un sujet reproduit-il la maladie non contagieuse, non toxique que présente son conjoint ?
Toute insomnie relève-t-elle de somnifères, toute dermatose répondra-t-elle au bon remède ?
Les causes des maladies somatiques ont été recherchées dans l’environnement de l’organisme humain : en effet de nombreux éléments physiques, chimiques ou biologiques peuvent perturber son fonctionnement et la survie de l’individu.
Les problèmes permettant de questionner le fonctionnement de l’organisme lui même à l’origine de sa pathologie peuvent concerner des maladies que l’on connaît depuis longtemps, notamment allergies, maladies auto immunes, tumeurs et problèmes vasculaires.
On va souvent retrouver des mécanismes qui concernent ce que la médecine appelle défenses.
Ce sont des mises en jeu de systèmes neuro-hormonaux bien explorés , qui sont censés protéger le fonctionnement normal de l’organisme.
– Les globules blancs du sang et quelques éléments des tissus ont pour but d’isoler ou détruire les agents étrangers dangereux tels les microbes ou les cellules mutantes échappant au programme fixé et entraînant des tumeurs bénignes ou malignes.
Pourquoi ces défenses se trouvent-elles défaillantes, ou pourquoi se retournent elles contre l’organisme lui même, pouvant réaliser en dehors d’une agression extérieure une auto agression ?
Maladies « auto » auto immunes où à proprement parler l’organisme ne se reconnaît pas lui même…
– Les vaisseaux sanguins et les plaquettes sanguines vont sécréter en cas de blessure – plaie ouverte du vaisseau – des médiateurs chimiques qui vont diminuer le diamètre du vaisseau pour combattre la perte de sang à l’extérieur et qui vont mobiliser et modifier les cellules pour cicatriser la plaie… C’est le caillot qui sert là de protection.
Pourquoi ce mécanisme vient il se produire en dehors de toute plaie réelle, et donc la contraction du vaisseau et le caillot introduisent un dispositif inutile et nuisible qui en venant réaliser une autre coupure – celle de la circulation qui se trouve interrompue – vient mettre en danger fonctionnement normal des organes et leur survie.
La répétition de ce spasme peut créer des lésions des parois artérielles.
Du côté du psycho
Le psychanalyste peut se trouver lui aussi dans un cadre qui n’est pas tout à fait le cadre de la cure.
C’est souvent une demande particulière qui parle du corps en termes médicaux, ou une demande qui vient d’un autre, du médecin par exemple, ou toute autre intervention extérieure… un article de magazine.
Et c’est une demande pour un patient qui, de ce qui vient affecter le corps ne peut rien en dire.
Ce serait au départ une simple demande… de quoi… écoute, réponse, guérison… ? et adressée à… mais à qui en effet ?
Et pour beaucoup ils auront d’abord à se repérer dans un lieu de parole où le thérapeute n’a pas la même place que le médecin ou le guérisseur qui nomment la maladie et ordonnent des remèdes.
On verra le transfert évoluer vers différentes formes, restant au niveau d’une plainte ou d’une demande naïve de guérison ou évoluer vers une recherche au delà du corps.
Mais que pourrait on dire de ces phénomènes dont le patient ne peut rien dire ?
On peut retrouver, mais souvent difficilement, dans l’histoire du patient des éléments évocateurs de situations particulières, situations signifiantes, le patient lui même ne rattachant pas toujours sa maladie à cette circonstance, dans une curieuse attitude de déni : « C’est venu comme çà, il ne s’est rien passé ».
Ce sera souvent à partir du temps et d’un moment dans l’histoire racontée que viendront de façon imprévue des rapprochements, des questions que le patient pourra peut être voir et articuler autrement.
C’est donc fréquemment dans un dispositif inhabituel de la cure et de la demande que la psychosomatique est abordée, même si parfois la question peut se poser dans le cours de la cure par un névrosé, d’un problème somatique qui relèverait de ce domaine psychosomatique.
Et bien sûr de nombreux patients pourront en faire quelque chose, y compris ce lapsus ou jeu de mot que je veux citer où quelqu’un décrivait, une fois ce travail déjà bien avancé, ce processus qui était pour lui comme transformer « LA MALADIE » en « MAL DIT ».
Et au cours de ce travail, certains repères spécifiques de la psychanalyse peuvent, sans aucun doute, se révéler utiles dans ce domaine de la psychosomatique…