À propos de la première leçon du séminaire Encore
19 juillet 2010

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GEBELIN DELANNOY Annie



Il n’y a pas de rapport sexuel, rien qui puisse aboutir à l’union parfaite entre un homme et une femme, rien qui puisse garantir l’unité et soustraire l’être homme ou femme à sa condition de parlêtre qui le fait manquant et incomplet, pas de rapport sexuel qui mènerait à la complétude.
Déjà Lacan nous introduit à ce dire dans …ou pire et continue dans Encore à en décliner les conséquences à partir du  pas-tout  corrolaire de cette impossibilité d’écrire le rapport sexuel.
Dans …ou pire, Lacan nous dit : « pour accéder à l’autre sexe, il faut payer le prix, celui de la petite différence qui passe par l’organe et qui devient instrument en tant que c’est un signifiant ».
C’est la question de la jouissance qui sera reprise dans la première leçon d’encore où Lacan avance que finalement « ce que nous appelons le corps ce n’est peut-être en l’affaire que ce reste que j’appelle l’objet a »  précisant que ce qui fait tenir l’image et du coup le Un de l’identification c’est bien ce reste, cet objet a. (page 16) « Mais l’être c’est la jouissance du corps comme tel, c’est-à-dire comme a – mettez le comme vous voudrez – comme a-sexué- puisse que ce qui est dit jouissance sexuelle est dominé par l’impossibilité d’établir comme tel,  nulle part dans l’énonçable, ce seul Un qui nous intéresse, l’Un de la relation rapport sexuel ». 
Il poursuit, « C’est  ce que le discours analytique démontre en ceci justement que pour ce qui est de l’un de ces êtres comme sexué, l’homme, en tant qu’il est pourvu de l’organe dit phallique, (j’ai dit : dit) [signifiant], le sexe, le sexe corporel, le sexe de la femme, (j’ai dit de la femme, justement, il n’y en a pas, la femme n’est pas toute), le sexe de la femme ne lui dit rien, si ce n’est par l’intermédiaire de la jouissance du corps. »
Puis il précise « que tout tourne autour de la jouissance phallique, c’est ce dont l’expérience analytique témoigne, témoigne en ceci que la femme se définit d’une position que j’ai pointé du « pas-tout » à l’endroit de la jouissance phallique. »

Lacan de conclure au fait que cette jouissance corrélative de la castration et commandée par le surmoi vient révéler par ailleurs l’infinitude de la jouissance de l’Autre, du corps de l’Autre.
Dans cette première leçon, il introduit la question mise en jeu dans son séminaire, c’est-à-dire que là où la jouissance en tant qu’elle est sexuelle est « marquée d’un côté par ce trou » « est-ce que de l’autre côté, nous dit-il, quelque chose ne peut s’atteindre qui nous dirait comment ce qui jusqu’ici n’est que faille, béance dans la jouissance, serait réalisé ? »

Il termine, suivant sa logique et ses conséquences sur la question de l’être  et de l’Un ou plutôt de l’Une. « Ces femmes « pas-toutes » telles qu’elles s’isolent dans leur être sexué, lequel précise-t-il ne passe pas par le corps », sont comme conséquence du langage, comme exigence logique : le langage ex-iste hors corps, c’est le lieu de l’Autre, qui s’incarnant comme être sexué, exige cet « une par une ». L’Un sort de l’Autre ; « Là où est l’être c’est l’exigence de la finitude. ».
En conclusion de cette leçon et à propos de l’être, Lacan pointe que l’être ne peut s’articuler qu’à tenir compte de la formule « être sexué », en tant qu’il est intéressé par la jouissance. La césure de la formule est impliquée ici, parler de l’être implique la suspension de la formule qui est toujours là quand il s’agit de l’être.

Bien, voilà les rappels qui m’ont paru  nécessaire puisque cette première leçon du séminaire fait appui à mes réflexions et à mon propos d’aujourd’hui en résonnance avec ma pratique. C’est en effet ce qui fait, si je puis dire,  le lit  de notre clinique. On rencontre parfois cette façon particulière de faire avec le phallique, le phallus aujourd’hui, qui n’est pas sans quelques conséquences sur la façon dont un sujet va être contraint de « circuler », de « s’arranger » avec ces modalités de jouissances. C’est ce que je pointerais d’une errance. Là où le phallus semble inopérant, du fait d’une sorte de refus de se soumettre aux conséquences d’être assujetti au langage, le sujet se maintient, est condamné à errer du côté Autre. Dans une impossible articulation au phallus, repéré pourtant comme tel, le sujet se trouve aux prises avec le manque dans l’Autre, (le s de grand A barré), mais passe son temps à viser la complétude, en en appelant à l’Autre primordial.

Si je parle d’errance c’est en référence au fait que ce qui est promu est souvent un appel à la liberté, être libre, refus d’une aliénation quelconque, mais qui pourtant trouve son envers dans une solitude terrible et un désarrimage subjectif. Laissant le sujet dans un embarras difficilement soutenable.
Au cours de nos rencontres préparatoires à Grenoble, j’avais déjà évoqué l’année dernière un patient pour qui sa circulation au gré des jouissances témoignait d’une tentative de saisir et d’inscrire quelque chose de son être qui pourrait l’arrimer, tout en se passant du phallique, tentative en tout cas d’y échapper, en allant chercher la complétude du côté d’une jouissance Autre. Néanmoins là où il rencontrait le manque dans l’Autre, un mouvement inverse le ramenait sous le coup de la jouissance phallique dont l’inconfort du désir qui s’y dévoilait le poussait à nouveau du côté Autre dans une quête sans fin du Un de son être, la complétude de l’être qui lui apporterait une garantie identitaire. Ainsi à tenter de l’attraper dans sa rencontre avec l’autre sexe, il bute sur la question de son être sexué et achoppe sur la castration : là où il pourrait tomber sous le coup du signifiant homme et mettre en route son désir, il ne rencontre que la faille de la castration plutôt que l’Un de l’union qu’il recherche. Cela le renvoie inlassablement à chercher ce Un dans le silence du corps et la complétude par le truchement d’une jouissance infinie qui le dérobe à la tension du sexuel.
C’est toujours autour de cette question que je souhaite poursuivre mes réflexions aujourd’hui.
En effet, il n’est pas rare de recevoir des personnes qui si elles viennent toujours parler de leur « mal-être » présentent des tableaux symptomatologiques parfois étonnants, du moins pour l’analyste : alternance de relations hétérosexuelles et homosexuelles, passages par des épisodes d’anorexie-boulimie, passages par des toxicomanies diverses et variées ou ce que l’on appelle aujourd’hui des addictions en tout genres, mais aussi des aboulies laissant, en tout cas de prime abord, les sujets hors champ du sexuel. 
Enfin bref, du « mal à l’être… » … du « mal à l’être sexué… »… Du « mal à l’être a-sexué ».
Tableaux cliniques ouvrant sur la question des modalités de jouissance et peu, voire pas du tout dans un premier temps du moins, sur la question du désir comme s’il s’agissait de recourir à la jouissance pour une quête de l’être, de l’être de la complétude qui ne serait pas concerné par le désir, un appel à l’amour démesuré, avancé comme seul planche de salut. Dans ce qui s’énonce souvent au cours de premiers entretiens, on entend quelque chose d’une impossibilité à instituer l’autre de l’autre sexe comme Autre, qui du coup met en place un lien à l’autre du côté de la fusion au même et un évitement de la différence sexuée. Là, on pourrait entendre cet a-sexué dans son acceptation de a privatif.

Alors que cet Un de la fusion, de l’union serait attendu du côté du phallique, du côté d’un amour qui supplée au réel du non rapport, il semblerait que c’est justement pour certains de ces patients, en tentant de se soustraire à la limite que le phallus institue, qu’ils essaient de faire tenir une autre forme de Un du côté Autre. Une recherche de ce « une par une », « un par un » mais qui n’est pas semble-t-il sans conséquences sur leur inscription dans la vie. 
Autant de tentative de s’y soustraire, d’échapper à la fonction phallique, de se dérober aux conséquences d’être parlant, de n’en rien vouloir savoir. A moins qu’à ne plus pouvoir aujourd’hui, de par les avatars de notre modernité, prendre appui sur cette fonction phallique, il faille tricoter avec l’Autre … autrement.

A suivre Lacan pourtant, le pas-tout ne s’oppose pas à la fonction phallique.  Or cette clinique à laquelle nous avons à faire parfois, peut laisser penser que c’est comme façon de rendre la fonction phallique inopérante que le sujet tente de mettre en place, de faire fonctionner quelque chose du côté Autre. Quelque chose qui tire du côté de l’amour comme ignorance du désir, peut-être, mais aussi comme effacement de l’altérité, je ne sais pas si on peut le dire comme ça mais visant un « tout Autre » qui du coup prend des accents mystiques, au prix d’une déliquescence subjective. Jouissance infinie nous dit Lacan, jouissance éprouvée dans le corps mais indicible.
Ainsi, si ce tableau de la sexuation rend compte de la façon dont un parlêtre peut se situer au regard du phallus, nous serions tentés de dire que pour certains il y a tentative de se tenir  à droite du tableau (mission impossible nous dit Lacan), tentative de trouver une solution au non rapport sexuel en se passant du phallus, en réfutant la jouissance phallique. En tout cas si l’évitement de la castration est affaire de névrose depuis toujours, il apparaît des façons nouvelles de réaliser cet évitement que la modernité permet.

Là où la peur de rencontrer la limite phallique maintient le sujet du côté Autre, sous le coup d’une jouissance voulue sans limite, qui viendrait tenir la fonction phallique à distance, il s’agit néanmoins d’un « je n’y arrive pas à tenir sous le coup de la castration ».
C’est là un point important qui signe la modernité de ce qui se présente. Au départ tout se passe comme si cette façon de poser d’emblée la question de son être rendait difficilement repérable ce qu’il en est de la structure. Il ne s’agit pas d’emblée d’une plainte et d’une revendication lié à un dol, mais plutôt d’une errance du côté de l’être.