Parmi les traits dégagés par Ch. Melman dans son analyse de la NEP, un point me paraît essentiel actuellement dans le champ de nos interrogations cliniques : le traumatisme. Le trauma est corrélé à la scène primitive… "L’enfant est le témoin d’un événement direct, en temps réel ; il ne sait pas ce qu’il doit en penser, ce qu’il doit en éprouver… en tant que sujet il est en aphanisis". (p. 183)
Depuis quelques années de jeunes adultes évoquent la séparation de leurs parents comme un fait banal, sans incidence sur leur vie, sur leur "malaise, leur difficulté à…" : "tout a été bien géré". Ils ont été entourés d’experts. Les ex et nouveaux partenaires ont passé des vacances ensemble, "en famille". En ont-ils souffert ? Le patient est étonné par cette question…
Le sujet est dans un état de sidération – effet du traumatisme – où la pensée / l’apensée revient dans "un ça va, pas de problème", masquant que l’enfant comme le jeune adulte qu’il est devenu ne peut/doit rien en penser, ne peut/doit rien en éprouver : "ça (la séparation) n’a pas fait de différence".
Ce qui mobilise ces patients dans le travail de cure est l’étonnement de l’analyste qui interroge cet état d’évidence dont le signe est chez eux l’abrasement des affects.
Cet effet traumatique, réel – dit Melman – insiste lorsque l’enfant a été dans une relation duelle, fusionnelle avec "la mère qui, pas folle, s’aperçoit un jour que cela doit cesser et qu’elle casse… cela ne permet pas le "repérage de la dimension Symbolique" (p. 183).
Nous retrouvons chez ces patients, dès le premier entretien, le trait d’une trop grande promiscuité affective : "L’enfant se retrouve sans cesse entre Imaginaire et Réel". Il devient objet de toutes les confidences maternelles et adolescent partage avec elle ses secrets dans un jeu de transparence partagée.
Traumatisme encore quand le sujet est confronté à un Réel qu’il ne peut nommer : "l’horreur des images portées à l’écran (mort et sexualité à l’encan) évoque cette scène primitive à la différence que l’objet présentifié – cause du traumatisme – n’est pas le phallus mais l’objet a". Cette exhibition immédiate et directe de l’objet fonctionne comme une invitation à la Jouissance. Melman parle d’un "phénomène de mithridisation : le sujet s’habitue à l’horreur… l’horreur est au fond de tout désir ; c’est la réalisation du fantasme".
Cette modalité produit un rapport : "Le sujet ne reçoit plus son message sous la forme inversée du grand Autre mais du consensus social qui s’impose en délivrant un message plus direct, plus simple" (p. 106). Il n’a plus à se demander ce que le grand Autre veut, lui veut… il sait ce qui peut le satisfaire puisqu’"il se croit en accord avec le message qui lui présente un objet commun de jouissance à partager". Nous avons affaire alors à une "identification par agglutination, celle qui se retrouve au fondement du fanatisme : le sujet n’est plus divisé, il ne peut plus dire non", l’altérité ainsi est déjouée. (pp. 187, 157 et 86)
Cette analyse de Ch. Melman renvoie à "la constitution d’une foule", ce que M. Gauchet conteste : il y voit plutôt une "déliaison sociale" qui pose pour lui cette question : "jusqu’à quel point (ces individus) sont-ils susceptibles d’une identification ?… "il n’y a plus ni de chef ni de collectif , seulement des idéologies fondées sur les contradictions d’un processus d’individualisation extrême et d’une dépendance extrême" (p 134).
Bien que l’analyse de M. Gauchet soit différente : "ce n’est pas une fabrique du totalitarisme", nous trouvons chez lui l’analyse d’une "forme d’agglomération meurtrière et suicidaire". (pp. 154 et 171)
Ces réflexions peuvent amener le lecteur à considérer alors que la psychanalyse ne serait plus opérante. Pourtant, la clinique nous offre quelques raisons de ne pas verser dans ce pessimisme, quelques raisons aussi de se risquer.
L’étonnement (de l’analyste) peut susciter en retour l’amorce d’un questionnement subjectif chez de jeunes adultes.
Je pense également à une consultation, organisée autour du récit des mythes grecs, que j’ai proposée dans un CMPP du 94 à des enfants de 7/12 ans en raison des difficultés que cette nouvelle clinique présente, peut-être du fait de ses accointances avec la clinique du traumatisme.
Travail qui a permis de faire consister l’imaginaire et le Symbolique à partir de Réel (1).
Notes
(1) Michèle Dokhan, "L’avenir d’une fiction", in Dossier EPEP sur site de l’ALI.