A propos de Cinquante ans après de Nazir Hamad
24 avril 2024

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FLORENTIN Thierry
Notes de lecture
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Les cultures du Moyen-Orient ont toujours cultivé l’art du conte pour transmettre la quintessence de sagesses forgées et peaufinées de génération en génération.

 

Après avoir acquis une expertise inestimable des situations d’adoption dans les familles en tant que psychologue à l’Aide Sociale à l’enfance (Jai même rencontré des adoptions heureuses, avec Charles Melman. Odile Jacob. 2014. Adoption et parentés. Questions actuelles. Eres 2008. L’enfant adoptif et ses familles. Denoël. 2001. Entretiens avec Françoise Dolto. Destins d’enfants. Adoption. Familles d’accueil. Travail social. Eres. 1995.), expertise qui va l’amener à présenter d’une manière originale les questions de l’immigration sous l’angle de l’adoption (Psychologie de l’immigration, en deux tomes. Ed. Langages. 2021), Nazir Hamad met en scène de façon romancée son propre parcours, celui d’un jeune intellectuel né et élevé au Liban, amoureux depuis l’enfance de la France et de sa culture, et qui décide dans les années 70, d’y faire sa vie. Double amour, celui des valeurs françaises et de sa langue, d’une part, mais aussi de la rencontre avec une jeune femme suisse qui s’avère partager les mêmes idéaux, et avec qui ils décideront ensemble, malgré les obstacles et les embûches, d’une communauté de destin.

 

En choisissant de présenter son propre parcours de vie, et son  « Emmigration » en France, avec deux m, il ne se revendique en effet à aucun moment ni immigré, ni exilé, mais il se situe dans une dynamique constante d’appropriation des valeurs de son pays d’adoption, Nazir Hamad éclaire son parcours théorique, quels sont les ingrédients d’une adoption réussie, que faut-il pour se sentir membre à part entière de son pays d’accueil, s’y épanouir et contribuer à son rayonnement, mais il apporte aussi un regard sur l’adolescence qui est une forme d’ « emmigration » également, comment doit-on procéder pour entrer dans ce monde des adultes et s’y faire sa place ? A-t-on le droit à l’expérimentation et à l’erreur, sinon une certaine errance ? Comment se comporter quand on se sent rejeté et exclu du monde dont on ne peut pourtant se soustraire à l’injonction de le rejoindre, reprenant en cela les enseignements de Françoise Dolto (le complexe du homard) dont il a été un élève très proche.

 

Cet ouvrage reprend donc d’une seule main, et à travers son parcours de vie, l’ensemble de ses réflexions théoriques depuis plus de trente ans : Adoption-Immigration-Adolescence (Lucie et Léa ou le rapport des adolescents à la vérité. Eres. 2011).

 

Conte de sagesse, conte d’amour, conte d’initiation également, qui vient après un premier roman (La bille bleue. Ed. Muse. 2021) qui racontait l’initiation et l’émancipation d’un jeune libanais du monde rural, qui s’ouvrait au monde par le livre et la culture.

 

Nazir Hamad ne cache rien de son amour pour son pays de naissance, qu’il n’a jamais renié (La langue et la frontière. Double culture et polyglottisme. Avec Charles Melman. Denoël. 2004), et dont il déplore avec douleur l’interminable confiscation par l’antagonisme confessionnel destructeur, ainsi que la déception des courants progressistes qui se sont engagés avec ferveur et intégrité dans les luttes d’émancipation nationale du monde arabe et palestinien, avant de voir leur engagement trahi et piétiné par l’intégrisme islamique.

 

« Deux mondes, deux cultures, trois langues », comme il l’écrit.

 

Mais aussi, et cela est l’essentiel, trois générations, et en cela Nazir Hamad se situe encore une fois dans la lignée de Françoise Dolto, puisque son « roman » se déroule à l’occasion de la fête organisée par ses enfants et ses petits-enfants pour les cinquante ans de vie commune de leurs parents, si tant est que c’est à la génération de ses petits-enfants que peut se mesurer la valeur de ce que l’on a transmis.

 

Dans la subtilité, par petites touches, et sans insistance, mais avec clarté, Nazir Hamad nous livre aussi quelques secrets simples de la vie, énumérons-en quelques-uns, au lecteur d’en découvrir d’autres : l’homme n’est rien sans sa femme, qui est son symptôme, et qui le représente, il n’y a pas d’apaisement sans conflit, il n’y pas d’amour sans projection dans le temps et la durée, il n’y a pas de chemin sans égarements, il n’y a pas de vie sans racines.