21/02/2017 (LM) Leçons 12,13 C. Noirjean/ (TT) Leçon 9, 10 J-L. de Saint-Just
10 juillet 2017

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NOIRJEAN Cyrille,DE SAINT-JUST Jean-Luc
Séminaire d'été


Séminaire de préparation du Séminaire d’été. 21 février 2017


Le Moi dans la théorie freudienne et dans la technique de la psychanalyse Leçons XII, XIII.

Pierre-Christophe Cathelineau – Vous vous en souvenez c’est le schéma Perception-Mémoire de Freud et puis le rêve de l’injection faite à Irma.

Puis l’exposé de Jean-Luc de Saint-Just, plus particulièrement sur la première partie, essentiellement le travail d’Alain Didier Weil et encore plus particulièrement parce que Jean-Luc de Saint-Just a choisi de faire un focus là-dessus : les remarques de Vappereau, vous verrez pourquoi, parce que ça s’inscrit bien dans la continuité.

Cyrille NoirjeanLeçons XII et XIII, ce n’est pas une lecture mot à mot des deux leçons, je vais quand même en suivre le déroulé au moins pour la leçon XII. Lacan propose de lire la partie 7 de La Science des rêves, il propose à Valabrega de faire ça, et comme souvent dans ce séminaire II, il propose à quelqu’un de parler et il ne le laisse à peu près pas parler, et sans cesse il va reprendre le peu de choses que dit Valabrega. Du coup je m’appuie essentiellement sur les propos de Lacan et je ne fais pas de différence entre ce que l’un et l’autre disent puisque Valabrega se contente essentiellement de citer Freud et de faire une proposition qui a quand même son importance.

Il s’agit de reprendre à la fois cette lecture de la partie 7 de ce que Lacan appelle à ce moment-là La Science des Rêves avec les schémas de L’Esquisse, avec comme point de fuite, ce qu’il en est de ce que Freud apporte aussi dans « Au-delà du principe de plaisir » comme Lacan le disait déjà dans la leçon XI, cette recherche de ce qui vient faire aporie ou point de réel dans la théorie freudienne.

Et ce séminaire II est vraiment formidable, ces deux leçons particulièrement. C’est un véritable apprentissage de la lecture pour ses élèves, qui sont les élèves de Lacan à ce moment-là : apprentissage de la lecture et qui est aujourd’hui encore la nôtre. Au début de la leçon, Lacan reprend ce qu’il avait évoqué la séance précédente, à savoir la différence entre la censure et la résistance. La censure étant une qualification spéciale de la résistance, elle est une espèce de sous-partie de la résistance. Et la résistance c’est tout ce qu’il qualifie comme tout ce qui s’oppose au travail analytique, avec la question qui va être la question de ces deux leçons, à savoir : qui est le sujet dans la relation analytique ? Puisque si ça résiste, d’où est-ce que ça résiste ? Et où est le sujet qui résiste ? La réponse que Lacan note dès le début, qu’on ne peut figer ni le patient ni l’analyste dans quelque chose d’univoque, et il nous dit que, dès lors qu’on envisage cette manière-là, on s’attaque aux racines du langage. C’est pour ça que l’exemple du rêve vient indiquer quelque chose du côté de la plurivocité, sinon de l’équivocité.

Avec pour rappel que le rêve réalise un souhait, un désir rejeté, étouffé par le préconscient, dit Freud. Il réalise donc un désir inconscient. Cette réalisation, ça c’est dans Freud et Lacan le reprend de Freud, cette réalisation devrait être source de plaisir donc, puisque c’est la réalisation d’un souhait, mais pour qui ? On retrouve la question qu’on posait juste avant : qui est le sujet de la relation analytique ? Plaisir pour qui ? Puisque le rêveur n’est pas dans une attitude univoque, loin de là, face à ses rêves, y compris ce qui est notable dans les rêves d’angoisse, et même face à cette sidération que constitue l’angoisse, le rêveur n’est pas tout à fait Un, c’est ce qu’on verra dans la leçon XIII.

C’est déjà, dès les premières lignes de cette leçon XII, une manière de reprendre, et de dire autrement, ce que Lacan a évoqué les deux, trois leçons précédentes, à savoir le décentrement du sujet. Il varie parfois décentrement du sujet par rapport à son ego et les formulations sont assez flottantes.

Et je trouve qu’on peut quand même se servir d’une écriture lacanienne puisqu’il l’a présentée l’année précédente, qui est celle du schéma optique, si quand on évoque cette question du décentrement du sujet, on a en tête le schéma optique immédiatement, il me semble que ça s’éclaire, j’y reviendrai. Lacan va pointer que Freud vient en dire quelque chose, dans La Science des rêves, dans la Traumdeutung, et notamment par le fait que Freud utilise ses propres rêves. C’est un coup de génie et Lacan le note. Et en effet quand on se penche 10 secondes sur la question, c’est absolument génial que Freud ait utilisé aussi ses rêves et pas seulement ceux de ses analysants, parce que justement dans ses rêves, comme il livre les associations et ses interprétations comme on le verra dans la leçon XIII, on peut se rendre compte précisément qu’il y a un autre qui parle dans ses rêves, y a un Autre de Freud, on va le dire comme ça plutôt, qui parle comme ça dans ses rêves. C’est ce que Lacan évoque « quelqu’un d’autre.»

(Je ne peux pas vous donner les pages, parce que j’ai les pages de la version numérique qui ne sont pas les mêmes que l’édition, « quelqu’un d’autre » p. 220 du PDF, p. 225 de la version en gros.)

Quelqu’un d’autre apparemment, ce 2ème personnage, qu’est-ce que ça veut dire ? Quel est son rapport avec l’être du sujet ? C’est toute la question dont il s’agit depuis le début jusqu’à la fin, depuis le petit « Draft », L’Esquisse, dont nous avons vu à quel point, à tout instant, tout en se maintenant dans le langage atomistique, il en dérape à quelque chose, parce qu’il pose tout le problème des relations du sujet et de l’objet dans des termes remarquablement originaux. Et c’est aussi un des fils de ces deux leçons : la relation sujet-objet, que j’évoquais juste avant le schéma optique. Et si je voulais paraphraser ce que vient de dire Lacan, à propos de Freud, et en l’appliquant au schéma optique, c’est que d’une certaine manière, on ne peut pas s’occuper simplement de ce qui se passe à gauche, c’est-à-dire sur le miroir concave ou dans la caisse, ni seulement de ce qui se passe à droite, c’est dans la mise en tension des deux, dans la dissociation des deux, qu’il est permis de lire quelque chose. Et c’est ce qu’on retrouvera justement sur les schémas Perception-Conscience.

Lacan insiste tout de suite sur cette problématique de la perte de l’objet, qui va produire quelque chose, non pas de l’ordre des retrouvailles, qui sont impossibles, c’est à peu près dit clairement dans le texte, mais qui sont de l’ordre de la reconstruction. Je le repointe au passage, il l’a très clairement dit et très bien dit dans la leçon précédente, que le sujet, crée l’objet à force d’aller à sa recherche et c’est vraiment de l’ordre de la reconstruction.

Je le repointe au passage parce que nous le retrouverons dans la suite : toute dialectique en somme de la décomposition de l’objet, le fait que l’objet humain est quelque chose dont le sujet va tenter de retrouver la totalité, à partir de je ne sais quelle unité perdue à l’origine. C’est quelque chose de très frappant qui déjà s’ébauche à l’intérieur de cette symbolique construction théorique que Freud cherche, que lui suggèrent les premières découvertes sur la structure du système nerveux, dans la mesure où elles peuvent être appliquées à son expérience clinique. Et voyez, je ne vais pas en faire un développement, mais je l’indique comme ça en parenthèses « tenter de retrouver la totalité à partir de je ne sais quelle unité perdue à l’origine.», si vous lisez les différents schémas optiques que Lacan va apporter dans leur construction comme ça, quasi temporelle. Il y a un premier schéma où l’oeil se trouve face à la boite et au miroir, et là où l’oeil peut apercevoir une espèce d’unité originaire, mythique.

Dès lors, à la suite de ce que j’ai dit avant, quelles sont les questions qui se posent ? Puisqu’on était aussi sur cette question du rêve : c’est qu’est-ce qui apparaît ? C’est aussi une des questions de Freud dans L’Esquisse : qu’est-ce qui apparaît ? Pourquoi ça apparaît ? Et pourquoi ça apparaît à la conscience ? Avec cette question, en effet fondamentale, qu’on a envie de se poser un peu: c’est pourquoi y a-t-il des parties du rêve qui nous apparaissent à la conscience ? En fait on travaille tellement avec le rêve qu’on oublie ce genre de questions un peu au ras des pâquerettes. On reprendra ça dans la leçon XIII.

Nous entrons peu à peu dans le propos à proprement parler de cette leçon XII, qui est énoncée par Lacan : comment une écriture, ici celle de l’appareil psychique, va induire la théorisation ? Il dit, c’est les schémas tels que Freud les propose dans L’Interprétation des rêves qui contraignent Freud à penser quelque chose qui est la régression. On retrouve quelque chose qui était déjà, dès les premières leçons de ce séminaire, à savoir dans la leçon II, où Lacan lit Le Ménon et où il a cette assertion qui peut paraître bizarre mais qui est quand même aussi formidable, quand il dit que le symbolique crée sa propre histoire. Comment est-ce qu’on fait un retour de ce côté-là ? C’est à partir de la régression qui naît des schémas de la Science des rêves que Lacan va poser cette question, je vous dis tout de suite la fin que vous avez lu sur la régression, c’est que Lacan finit par dire que Freud en est embarrassé comme un poisson d’une pomme, ce qui est un aphorisme qui arrive, je crois, trois fois dans toute l’oeuvre de Lacan. Roland Chemama en avait fait une étude, qui est intéressante. Autant dire qu’on va travailler sur quelque chose dont il ne faut pas forcément prendre appui.

Il y a les deux premiers schémas de L’Esquisse. :

Comme ça, ici le monde extérieur, et ensuite c’est là où ça…qui est à peu près comme ça, et pour mémoire, ce qu’en dit Freud dans L’Esquisse, c’est ceci :

« Tandis que dans le monde extérieur les processus figurent, et là je vous lis la traduction de [Jean-Pierre] Hiltenbrandt, tandis que dans le monde extérieur les processus figurent et là il traduit darstellen, figurent un continuum selon deux directions, selon la quantité, ainsi que selon la période, c’est-à-dire la qualité des stimulations qui leur correspondent sont, en ce qui concerne la quantité, premièrement réduites, deuxièmement limitées par une découpe.

En ce qui concerne la qualité discontinue, de sorte que certaines périodes n’agissent pas du tout en tant que stimulation ». Vous voyez que ça nous engage déjà dans quelque chose qui est à travailler avec la topologie du continu et du discontinu.

Ensuite, viennent les schémas de L’interprétation des rêves, il y en a trois.

Le 1er qui est processus psychique qui va de la perception à la motricité, c’est-à-dire qu’il a une direction, un sens, des excitations perceptives qui parviennent dans l’appareil vont pourtant laisser une trace, un souvenir. Vous vous souvenez que Freud dit que le système de perception, le système perceptif ne peut pas contenir de souvenirs, ne conserve aucune inscription ; d’où la nécessité pour Freud après ce schéma-là, d’admettre un nouveau système. C’est ce que Valabrega, c’est la partie que prend Valabrega de L’interprétation des rêves : un autre système S, qui est celui qui va pouvoir être le système dans lequel il y a les souvenirs en quelque sorte. Et à l’intérieur de ce système S, le fonctionnement se fait par association, nous dit Freud. Mais, Freud remarque dans sa clinique qu’il y a d’autres modalités de connexions que l’association. Il va en déduire que, il faut supposer d’autres systèmes parallèles, supplémentaires à ce système S et Lacan cite Freud là.

« Le premier de ces systèmes S fixera l’association par simultanéité ; dans les systèmes plus éloignés, cette même matière d’excitation sera rangée selon des modes différents de rencontre, de façon, par exemple, que ces systèmes successifs représentent des rapports de ressemblance ou autres. » Ça, c’est la difficulté du texte freudien, et qu’est-ce qu’en retient Lacan ? Il arrête Valabrega à ce moment de la leçon, pour citer Freud qui dit ceci : « Il serait oiseux, évidemment, de vouloir indiquer en paroles la signification psychique d’un tel système. » Et Lacan indique à ce moment-là que Freud va accepter l’écart entre une écriture qu’il peut donner et la parole. Et que Freud entre dans le fait que pour qu’une écriture serve, il convient qu’elle ne soit pas la doublure des exigences du jeu de la pensée. Ce sont les mots de Lacan, qui continue comme ça.

« Ici on voit qu’il abandonne, que son schéma n’a plus d’utilité, si ce n’est de nous indiquer, que là où il y a relation de langage il faut qu’il y ait connexion, » Et vous voyez que Lacan va chercher chez Freud ce qui fait point d’aporie. Ce que j’ai appelé un point de réel et Freud va chercher sans cesse par de nouvelles écritures, essayer d’en fixer quelque chose.

Si on part du 2ème schéma, comment placer le rêve ? Puisqu’on est dans L’Interprétation des rêves ; comment placer le rêve sur ce schéma-ci ?

Dans le rêve se produit la suspension de ce qui est progrédient, c’est-à-dire que le mouvement qui va de la perception à la décharge motrice ne va pas jusqu’à son but, mais au contraire le rêve va produire la mobilisation des souvenirs qui « constitue, dit Freud, le système inconscient. »

Et dès lors arrive une nouvelle écriture, qui est celle que vous connaissez :

avec ici le préconscient, le système S : inconscient et préconscient, toujours avec la même direction. Dit comme ça, en effet, c’est assez simple : perception vers la décharge motrice, le fait que dans le rêve il n’y a pas de décharge motrice, ça veut dire qu’il y a une sorte de retour en arrière, et sur le schéma ça se lit, c’est assez simple, et donc l’inconscient est à poser à peu près là juste un peu avant la décharge motrice. Avec la théorie freudienne tout s’articule assez bien. Valabrega fait une remarque intéressante : « finalement ce schéma en lignes il aurait été bien mieux en cercle » et puis, un peu plus tard, il se reprend en disant : « Freud connaissait le cercle, donc s’il avait voulu le faire en cercle, il l’aurait fait, donc s’il l’a fait comme ça, c’est pour une raison ». Ça permet, mais Lacan y avait déjà pensé, ça permet en tout cas à Lacan de reprendre cette remarque et de dire que « si par conséquent le schéma, la façon dont il est construit à cette étape de la pensée de Freud, a pour conséquence : pour propriété et singularité qu’il pose un problème de représenter comme dissociées aux deux points terminaux de la série, de ce qui est le sens de la circulation de l’élaboration psychique, ces deux extrémités, ce qui paraît être l’envers et l’endroit d’une même fonction, à savoir la perception et la conscience. L’unité du système Perception-Conscience est dissociée.» Vous entendez que Lacan lit et lie l’envers et l’endroit d’une même fonction. C’est formidable parce qu’il pointe que Freud, là, repère ce qu’il en est de la structure du parlêtre, et on est déjà dans quelque chose qui est la préfiguration d’une écriture mœbienne. L’endroit et l’envers d’une même fonction : qu’est-ce que c’est ? Sinon une bande de Moebius.

C’était la leçon XII. Pour repérer tout ce qui est tombé au cours de cette lecture.

La leçon suivante, une rapide reprise de la leçon du 2 mars, sur la dissociation de la perception et de la conscience dans le schéma de La Science des rêves qui nécessite donc l’introduction de la régression. Je n’ai pas fini de l’expliquer mais c’est suffisamment imagé pour que ça fonctionne comme ça. Lacan annonce que la leçon XIII va être consacrée à une épreuve à propos du travail du rêve ; et à partir du rêve initial, du rêve, des rêves, dit il, celui de l’injection faite à Irma : le rêve des rêves. Ça veut dire, qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que c’est le rêve qui donne à Freud la clef des rêves, la solution, die Lösung des rêves.

Et Lacan répète que : « Il convient de partir du texte du rêve que Freud traite les textes des rêves comme un texte sacré » et que donc l’auteur y a moins d’importance que la lecture qu’on va en faire. Ces deux-trois remarques sont capitales. Ça prend deux minutes cinquante de lire le texte du rêve de l’injection faite à Irma, c’est la traduction la plus récente :

« Un grand hall – beaucoup d’invités, que nous recevons. Parmi eux, Irma, que je prends aussitôt à part, comme pour répondre à sa lettre, lui faire des reproches pour n’avoir pas encore accepté « la solution ». Je lui dis : ‘Si tu as encore des douleurs, ce n’est vraiment que de ta faute’. Elle répond : ‘Si tu savais ce que j’ai à présent comme douleurs à la gorge, à l’estomac et au ventre, ça me serre de partout.’ Je suis effrayé et la regarde. Elle a un air pâle et bouffi ; je pense finalement que j’omets quand même de voir là quelque chose d’organique. Je l’emmène à la fenêtre et regarde dans sa gorge. À ce moment-là, elle se montre quelque peu récalcitrante, comme les femmes qui portent un appareil dentaire. Je pense en moi-même : elle n’en a pourtant pas besoin. Du reste, la bouche s’ouvre alors très bien et je trouve à droite une grande tache blanche, et ailleurs je vois sur de curieuses formations frisées, manifestement formées sur le modèle des cornets du nez, des escarres étendues d’un blanc grisâtre. J’appelle vite en consultation le docteur M., qui répète l’examen et confirme… Le docteur M. a un tout autre air que d’habitude ; il est pâle, boite, a le menton sans barbe… Maintenant mon ami Otto se tient aussi debout à côté d’elle, et l’ami Léopold la percute à travers son corset et dit : ‘elle a une matité en bas, à gauche’, il montre aussi une partie cutanée infiltrée à l’épaule gauche (ce que, malgré le vêtement, je sens comme lui). M. dit : ‘Pas de doute, c’est une infection, mais ça ne fait rien ; il va s’y ajouter encore de la dysenterie et le poison va s’éliminer’. Nous savons aussi immédiatement d’où provient l’infection. L’ami Otto lui a administré il y a peu, alors qu’elle ne se sentait pas bien, une injection avec une préparation de propyle, propylène… acide propionique… triméthylamine (dont je vois la formule en caractère gras devant moi)… On ne fait pas de telles injections avec une telle légèreté… Il est vraisemblable aussi que la seringue n’était pas propre… »

Il faut vraiment relire la suite des associations qu’en donne Freud, c’est époustouflant, pourtant on avait travaillé L’Interprétation des rêves il n’y a pas si longtemps que ça, mais j’avais oublié.

Juste quelques remarques, que Lacan reprend de Freud. Ce qui vient dans le rêve, c’est la continuation de ce qui a été arrêté, coupé, dans la journée. Encore cette histoire du continu et du discontinu. Dans cette leçon XIII aussi il est à remarquer que Lacan emploie ego très souvent, très peu Moi, le Moi apparaît deux ou trois fois, et que l’usage d’ego, est extrêmement polysémique dans cette leçon et que peu à peu il se confond au début avec ce qu’il en est du Moi et peu à peu il va désigner ce qu’il en est du sujet de l’inconscient, ce qu’on nommera plus tard le sujet de l’inconscient.

Le rêve commence par un « nous », « nous recevons », Lacan le remarque, à la suite d’Erikson dont il lit une partie du texte, il s’agit en effet de Freud et Martha, dont c’est l’anniversaire, sur un plan qu’on dirait tout à fait imaginaire. Mais dès le premier mot, dès ces premiers mots du rêve « nous recevons », apparaît la duplicité de la fonction sociale de Freud, nous dit Lacan : c’est-à-dire que se dit le décentrement du sujet par rapport à l’ego. Et on retrouve cette dissociation perception/conscience, Freud et Martha, d’un côté ce « nous », et puis ce que Lacan nommera dans la leçon « ego vigile » de Freud, l’inconscient de Freud.

Lacan remarque que, dans toute son interprétation, que Freud va donner de ce rêve, à savoir je veux me débarrasser, Freud dit être déchargé, ce qui pour ce rêve n’est aussi pas mal…, être déchargé de l’échec de la cure d’Irma ; Lacan dit mais ce n’est pas du tout inconscient, au mieux, c’est préconscient ; Freud a passé la soirée de la veille à reprendre le cas justement pour essayer d’aller chercher ce que le rêve lui dit, à savoir que c’était vraisemblablement une infection organique. Ce n’est pas du tout un désir inconscient, ce fait de vouloir être déchargé de l’échec de la cure d’Irma, au mieux c’est préconscient, sinon tout à fait conscient.

Ce qui ne tient pas du tout avec la théorie que Freud énonce dans L’Interprétation des rêves, et que Lacan avait rappelée dans la leçon XII, à savoir que le rêve est la réalisation d’un désir inconscient, ce désir qui fait horreur au sujet. Ce qui n’apparaît pas comme étant, à première vue, la solution proposée par Freud.

Lacan va donc proposer de prendre le texte du rêve, et les associations que Freud en a faites, comme un tout. Être déchargé de cette responsabilité devient en quelque sorte le contenu manifeste du rêve. Et ce qui en serait le désir caché, à savoir trouver la solution des rêves, Lacan le dit comme ça. Lacan prend appui, sur la série de petites lettres, qu’il avait proposé et qui s’appelle Le symbolique, l’imaginaire et le réel.

Il y au moment de cette chaîne de lettres : iS, imaginer le symbole, où Lacan dit : « mettre le symbole sous forme d’image, imager le symbole, mettre le discours symbolique sous forme figurative, le rêve. ». La solution, cette Lösung, prend l’image d’Irma, d’une autre solution, elle aussi difficile à faire passer. Et Lacan parle d’une autre étape, sI, symboliser l’image ; symboliser l’image c’est faire une interprétation de rêve,

« Seulement, pour cela il faut qu’il y ait une réversion, que ce symbole soit symbolisé, c’est-à-dire qu’au milieu il y a la place pour comprendre ce qui se passe dans cette double transformation. C’est simplement ça que nous allons essayer de faire, prendre l’ensemble de ce rêve et l’interprétation qu’en donne Freud, et voir ce que ça signifie dans l’ordre du symbolique et de l’imaginaire. »

Pour passer de iS à sI, dans la conférence il y avait une autre étape, sS, symboliser le symbole. Il faut en passer par un tiers temps où l’image disparaît.

Ce que ça m’évoque, puisqu’on en a parlé aussi dans les séminaires d’été précédents, cette espèce de passage de l’un à l’autre, de retournement de l’un sur l’autre, petit i et s ; c’est le retournement de deux tores enchâssés, hein vous vous souvenez, dont Jean Brini et Pierre Coërchon ont parlé (sur le site de [Jean] Brini) ; à l’intérieur d’un tore se découvre un autre, la solution proposée à Irma enferme la solution des rêves. Et pour parvenir à cette ouverture, il y a un moment qui a été nommé par [Jean] Brini je crois le moment du double panier, un moment d’indécision et de vacillement, où justement les tores ne sont plus reconnaissables, et c’est après ce moment de vacillement où les deux tores enchâssés peuvent se transformer en deux tores enlacés. On aurait un nouage des deux sens.

Aux trois temps du rêve de Freud. Freud est face à Irma, derrière laquelle il reconnaît cette patiente idéale, amie d’Irma qui en plus ne lui a jamais demandé de la soigner, donc ça renforce le fait qu’elle est tout à fait idéale, Martha, c’est dans les associations de Freud, sa femme, qui est enceinte, et avec l’arrivée de la dysenterie, Freud reconnaît aussi Mathilde, la fille morte. Ça c’est le premier temps. Il y a ce moment de, qui pourrait être un moment de sidération, où Freud plonge son regard au fond de la gorge d’Irma. Lacan le commente ainsi :

« C’est le spectacle d’horreur par excellence ! … la chair en tant qu’elle est souffrante, qu’elle est informe, que sa forme par soi-même est quelque chose qui provoque l’angoisse. C’est de cela qu’il s’agit dans cette vision d’angoisse, avec tout ce que comporte aussi d’identification d’angoisse, dernière révélation le ‘ tu es ceci’, ‘ tu es ce qui est le plus loin de toi, tu es ce qui est le plus informe, le plus impossible à révéler.’ Devant cette révélation du type Mané, thecel, Phares, que Freud arrive au sommet de son besoin de voir, de savoir, de chercher dans ce dialogue, au niveau strict du dialogue, de l’ego avec l’objet. Voilà où nous arrivons. »

Et la question que Lacan pose à la suite d’Erikson est : pourquoi Freud ne se réveille-t-il pas à ce moment-là ? C’est normalement une scène qui provoque le réveil, chez la plupart des analysants. Lacan nous dit qu’au moment où Freud évite le réveil, son ego régresse, qu’il ne sera plus question de Freud dans la suite du rêve.

J’ai effacé les schémas de L’interprétation mais vous voyez comment ça se joue. Je fais remarquer aussi que l’étape précédente, dans la ligne de Lacan, c’est iR (petit i grand R), imaginer le réel. Est-ce que ce temps-là, ce temps intermédiaire, d’angoisse, il ne serait pas de ce côté-là dans le rêve de Freud ?

Le rêve se poursuit, et la triade autour d’Irma, la triade qui était autour d’Irma à savoir la patiente idéale, Martha et Mathilde, se recompose et à cette triade qui accompagnait Irma succède une autre triade, le professeur M., Otto et Léopold. Même si on dit que l’ego de Freud régresse, Freud est quand même plus ou moins là représenté, en tout cas dans le récit du rêve. Donc cette triade accompagne Freud ; à une triade qui accompagne Irma succède une triade qui accompagne Freud.

Ce trio, dit Lacan, il joue de la parole, une parole ridicule en plus ; c’est quand même formidable puisque ce dont il s’agit chez Freud c’est aussi de ce qui peut se nommer la talking cure, c’est aussi du côté de la parole, mais là dans le rêve, une parole ridicule, sans effet.

Et à nouveau, à la toute fin du rêve, il y a un « nous », « nous savons », nous savons que c’est juste l’infection décrite par le professeur M. Nous savons, un nous qui est un nous à quatre, Freud et les trois autres. Et apparaît là la formule de la triméthylamine :

CH3 répété trois fois, avec le N de l’azote.

Trois fois le même élément répété, trois éléments équivalents, qui sont tenus ensemble par un quatrième qui fait exception. C’est formidable que Freud, même dans ses rêves, dans un rêve qui est composé entièrement de trois, rêve du quatre, et que l’écriture qui lui soit donnée ce soit, si on l’écrit autrement, ça pourrait être l’écriture d’un nœud borroméen à quatre ?

Lacan énonce que la solution des rêves, c’est le mot, qu’il n’y a pas d’autre mot à votre mot que le mot, et que ce n’est pas tout à fait un mot puisqu’il s’agit d’une formule, qui devient quasiment une formule mathématique, celle qu’il me plaît de lire comme un nœud à quatre, qui est quand même ce sur quoi Freud base à peu près toute sa théorie.

Pierre-Christophe Cathelineau – Merci beaucoup, c’était vraiment très éclairant comme explication. Quand j’ai lu les deux leçons j’avais un sentiment de flou et là vous l’avez clarifié avec des axes assez lisibles et construits. Ce que je trouve très intéressant c’est la façon dont vous introduisez dans votre exposé des notions topologiques qui seraient en quelque sorte sous-jacentes à la lecture de Lacan, avant même que la topologie dans sa forme élaborée ne soit née. Quand vous dites par exemple, l’envers et l’endroit d’une même fonction, c’est quand même très intéressant parce qu’effectivement on n’a pas l’habitude de lire les schémas de Freud avec cette perspective. Ça donne une idée quand même tout à fait neuve et passionnante. Ce que vous relevez aussi c’est l’usage polysémique de l’ego. C’est-à-dire on est obnubilé par ce terme d’ego mais en fait ce que fait Lacan, et vous l’avez dit dès le début, il fait surgir la dimension du sujet par différence avec le Moi.

C’est vrai qu’on ne peut pas ne pas être sensible et intéressé à ce que vous amenez à propos de cette lecture de Lacan, des trois dimensions, à propos du rêve ; c’est-à-dire comment dans le rêve, le rêve de l’injection faite à Irma, ce qui est en jeu c’est finalement les différents abords de l’imaginaire, du réel et du symbolique, selon qu’on les prend sous un angle ou sous un autre. Avec un commencement qui est un commencement, imaginaire, et qui peu à peu va basculer dans la dimension du réel, et se retrouver, je dirais, interprété ou lu à travers le symbolique. Vous êtes d’accord ? (C. Noirjean – Tout à fait, oui.)

On est vraiment là face à quelque chose qui est vraiment borroméen ; le rêve est borroméen. Et ce que vous avez dit à la fin sur la triméthylamine, c’est quand même très intéressant parce qu’on voit comment la formule de la triméthylamine résume le parcours-même du rêve. Vous êtes d’accord avec ça ? (C. Noirjean – Oui, tout à fait.) Moi j’ai trouvé que c’était formidable.

Julien Maucade – Juste deux remarques, dans le livre de Marc Darmon, sur la topologie, on retrouve toute une analyse à partir des deux lettres, des dimensions, je ne sais plus dans quel chapitre, Lacan expose, Marc Darmon l’explique très bien, comment toute une analyse, du début à la fin, peut être lue par la combinaison de deux lettres.

Marc Darmon – Les trois lettres, la combinaison des trois lettres, le produit des lettres majuscules par les lettres minuscules. (J. Maucade – Voilà.) On a le développement effectivement de cette chaîne que vous avez utilisée pour la partie [inaudible] c’est-à-dire la figuration du rêve et l’interprétation. (J. Maucade – De la cure.) Et l’ensemble de la chaîne donne une idée d’un cycle de cure.

Valentin Nusinovici – Ce qui est amusant c’est la disposition possible de la chaîne, en trois… je ne sais pas s’il faut les appeler, ce n’est pas des triplets, on peut disposer la chaîne, d’ailleurs c’est fait dans l’édition première, en mettant RSI, je ne sais plus dans quel ordre, et puis pour chaque lettre trois branchements. Ce qui fait que Lacan a dû trouver une certaine familiarité évidemment entre la triméthylamine et la disposition même de son, de l’idée de chaîne qu’il a eue. C’est tout à fait frappant.

Je voulais poser une ou deux questions. Quand vous utilisez le terme d’aporie, deux-trois fois, est-ce que vous ne forcez pas un peu la chose ? Lacan, lui, il a hésité longtemps entre contradiction, dans une leçon précédente il dit antinomie, non contradiction, et dans ces deux-là il dit deux-trois fois antinomie une fois contradiction, il cherche, mais aporie c’est difficile, puisqu’on a la solution, ce n’est pas une aporie, c’est une antinomie ; il préfère antinomie finalement à contradiction puisque ça se résout. N’est-ce pas ?

Et puis l’autre question que j’avais : est-ce que ce n’est pas plus le terme de sujet qui est polysémique que celui d’ego ? Parce que le sujet du schéma optique, est-ce qu’on va dire que c’est le sujet de l’inconscient ? Je crois que c’est le sujet qui est polysémique. Ego ne me le paraît pas, personnellement, mais je pose la question.

C. Noirjean Ego ne me semblait pas polysémique ; c’est vraiment dans cette leçon-là, dans cette leçon, que ego vient désigner parfois le sujet. Dans la leçon XIII.

V. Nusinovici – Alors moi je serais curieux de savoir…

C. Noirjean – Ne serait-ce que par exemple dans un des passages que j’ai cité, où Lacan dit « au niveau strict du dialogue de l’ego avec l’objet » (P.-Ch. Cathelineau – Oui, c’est ça.) L’ego, j’entends le sujet, j’entends le sujet de S barré, enfin je l’entends comme ça. (P.-Ch. Cathelineau – Je suis d’accord.)

V. Nusinovici – Est-ce que le sujet, je crois que c’est le sujet qui est particulièrement polysémique ?

C. Noirjean – De toutes façons, l’un et l’autre, dans cette leçon, le sujet aussi, on ne sait pas toujours bien ce que vient désigner Lacan quand il dit sujet. Et il me semblait que ego était traité avec la même… Mais comment vous l’entendez « au niveau strict du dialogue de l’ego avec l’objet » ? Qu’est-ce que ça veut dire ?

V. Nusinovici – L’objet il n’est pas encore à un petit a du tout, on peut tout à fait être dans un rapport imaginaire entre ego et objet, ce n’est pas gênant, même entre sujet et objet, il faudra quand même des années pour dégager l’objet imaginaire de façon radicale. Il y a une question que j’aimerais vous poser en vous écoutant là puisque vous avez repris l’expression « l’être du sujet », est-ce qu’il est là le [inaudible] réel ? Moi je me suis demandé si, puisqu’il y a la célèbre formule, [inaudible] « tu es cela », est-ce que l’être du sujet il n’est pas, là on s’approche d’une imaginarisation du petit a [inaudible] qui justement pourrait faire défaillir l’ego ou peut-être alors là est-ce que ce serait le sujet qui s’abolirait ? [inaudible] mais on peut dire aussi quand survient l’objet, le Moi évidemment s’éclipse aussi.

C. Noirjean – Sur l’être du sujet, je dois dire que je ne comprends pas bien ce que ça veut dire l’être du sujet, mais en revanche sur l’aporie,

V. Nusinovici – Il le développera plus tard, à ce moment-là il est en rapport avec cette formulation : « tu es cela », qu’il a toujours reprise d’ailleurs,

C. Noirjean – Sur l’aporie quand même,

P.-Ch. Cathelineau – Juste une question… on a discuté d’un point qui est effectivement très intéressant qui est le fait que la leçon XII et la leçon XIII vont en quelque sorte à sens contraire, est-ce que vous pourriez expliquer ce point parce que je trouve cela très intéressant ?

C. Noirjean – Dans la leçon XII Lacan va essayer quand même de dire quelque chose de la régression donc, de faire tenir un truc qui ne tient pas et avec lequel du coup on ne travaille pas, il vient essayer quand même d’en dire quelque chose, (M. Darmon – Une régression topique,) .Oui, une régression topique…

M. Darmon – Ce n’est pas une régression dans les stades. C’est une régression topique par rapport au chemin que prend la perception. Qui dans le rêve fonctionne à l’envers jusqu’à l’hallucination.

C. Noirjean – C’est ça, mais ça marche jusque-là. Après ça ne sert plus à rien, une fois qu’on a dit ça on ne va pas plus loin. Et donc Lacan dans la leçon XII essaye de faire sentir ça et dans la XIII on est déjà dans l’invention, enfin dans une tentative d’une autre écriture.

Danielle Eleb – La leçon XIII tout de même, fait une critique de fond de la régression chez Freud. C’est-à-dire qu’au fond ce qui poursuit d’ailleurs ce que vous avez développé, c’est-à-dire que Lacan va reprendre Freud d’une façon très précise, à propos du rêve de Freud en disant que ce fameux moment n’est pas un moment de régression. Mais il le nomme tout à fait autrement : il va dire qu’il s’agit d’une décomposition spectrale. On va voir que Lacan introduit la dimension du réel à partir de « L’Au-delà du principe du plaisir » et il dit qu’à ce moment-là il n’y a plus de sujet. Le sujet Freud n’y est pas. Il y a quelque chose de presque énigmatique que Lacan introduit et qui est à reprendre, avec cette articulation entre imaginaire, symbolique, et réel. Il me semble que dans la suite, ce qu’il va introduire tout de même, c’est le réel… Dans sa propre analyse de la question de la régression.

P.-Ch. Cathelineau – C’est vrai que le rêve d’Irma est une introduction du Réel, massive…

M. Darmon – Du réel traumatique mais c’est intéressant la façon dans laquelle il démarre ces deux leçons dans la division du sujet. Il reprend le texte de Freud pour montrer effectivement que le sujet qui réalise son désir dans le rêve c’est pas ce qui fait plaisir. C’est-à-dire le sujet qui réalise son désir ça provoque répulsion et angoisse. Dans la leçon XIII, il se sert de l’injection faite à Irma pour montrer qu’il y a une dispersion des Mois, du moi, donc une sorte de pulvérisation où le Moi est représenté par plusieurs personnages. Et le fait que Freud ait en quelque sorte le courage d’aller au-delà de ce point d’angoisse où le Moi est tout fait dissout et que le point de réel qui est inscrit par la formule de la triméthylamine apparaît et le mérite de Freud c’est de ne pas s’arrêter là et de suivre son rêve.

C. Noirjean – Oui, du reste j’ai pas écrit mais j’aurais pu, l’étape suivante après sI c’est sR, symboliser le Réel. Ça pourrait être aussi,

M. Darmon – La fin de l’analyse,

D. Eleb – Analyse finie, infinie…

La Topologie et le Temps, leçon IX, X.

Jean-Luc de Saint-Just – Ces leçons dernières leçons sont un peu particulières puisque Lacan n’y parle pratiquement pas, sauf pour donner la parole, d’abord le 8 mai à Alain Didier-Weill, et le 15 mai à Juan-David Nasio et à Jean-Michel Vappereau qui vont dialoguer. C’est plus un commentaire de Jean-Michel Vappereau qu’un dialogue. Lacan ne fera aucun commentaire de ces interventions.

Il se trouve qu’il les a sollicités tous les trois la veille, à propos de travaux qu’ils lui avaient soumis avant. Avec pour Jean-Michel Vappereau, une commande de Lacan qui n’était pas seulement de dialoguer le propos de Juan-David Nasio mais d’essayer de tirer quelque chose des quatre séminaires qui à cette date avaient été publiés. Ce qui est un challenge assez impressionnant qu’il lui demandait de relever ; c’est-à-dire, Les Quatre concepts publié en soixante-treize, Les Écrits techniques et Encore en soixante-quinze, et Le Moi l’année précédente du séminaire en soixante-dix-huit.

Il se trouve qu’en écoutant Cyrille [Noirjean], je me suis aperçu dans ce qu’ils amenaient, il y a plein de points qui sont repris du séminaire sur Le Moi.

Il se trouve que ces trois intervenants ont donné suite à leur intervention, puisque Alain Didier-Weil a publié en quatre-vingt-quinze un ouvrage où il reprend ce qu’il amène lors de cette intervention de soixante-dix-neuf, Les Trois temps de la loi qui a reçu le prix Œdipe, et il est venu reprendre aussi les termes de cette intervention en 2015 au Séminaire d’été de l’A.L.I., et qui a été commentée par Marc Darmon, Charles Melman et quelques autres, interventions et commentaires publiés sur le site de l’A.L.I.

Juan-David Nasio a publié un ouvrage qui reprend en partie le titre de son intervention de soixante-dix-neuf, L’Enfant magnifique de la psychanalyse, simplement en soixante-dix-neuf. C’était la théorie du sujet qu’il venait interroger, alors que l’ouvrage qu’il a publié par la suite en deux mille un c’est L’Hystérie, ou l’enfant magnifique de la psychanalyse. C’est plus du tout la même chose. Il y a un glissement qui s’est fait. Et Jean-Michel Vappereau quant à lui a publié deux ouvrages : Etoffe, les surfaces topologiques intrinsèques, paru en avril quatre-vingt-huit, dont vous pouvez retrouver d’ailleurs sur internet l’intégralité du texte, et Nœud : la Théorie du nœud esquissée par J. Lacan. Il a publié un certain nombre d’articles aussi de topologie, dans la revue Essaim n°21 en deux mille huit : Sa claque, du nœud borroméen fort généralisé. Définition, fonction et champ de la généralisation.

Je me suis demandé comment j’allais pouvoir présenter ces trois interventions manifestement si hétérogènes, et je me suis posé la question, en fait pourquoi Lacan les avaient sollicités, eux ? En dehors des difficultés d’élocution que pouvait avoir Lacan à cette époque-là, il me semblait que ce n’était pas anodin qu’il les avait sollicités et j’ai pris ces interventions comme une mise à l’épreuve par Lacan de son enseignement, des effets de son enseignement, y compris à l’insu de ceux qui intervenaient. Effets, heureux ou non.

Ce que je vais essayer de présenter c’est quelques traits qui à mon sens spécifient ces trois interventions comme l’a rappelé Pierre-Christophe Cathelineau, peut-être en m’arrêtant plus particulièrement sur l’intervention de Jean-Michel Vappereau et d’essayer de les lire dans une certaine continuité.

Ce qu’amène Alain Didier-Weill en soixante-dix-neuf, c’est ce qu’il appelle « une dialectique diachronique d’une division du sujet qui serait inférable à une division du surmoi, à un rythme à trois temps du surmoi du sujet parlant ». Il en a parlé en deux mille quinze : le Surmoi médusant « Pas un mot », le Surmoi fascinant « Pas deux mots », et le Surmoi sidérant « Pas trois mots ». Ce qu’il décrit serait l’effet d’une identification primordiale par incorporation de la voix et du regard de l’Autre maternel, parental, qui est à la racine du surmoi. Il décrit dans la clinique une difficulté de se laisser dire, en fait de l’association libre elle-même, association libre dont on sait qu’elle peut être particulièrement difficile.

« Le premier mot méduse le sujet. Il reste coi face à ce signifiant venu de l’Autre, oubli de mot, lapsus, ou mot d’esprit qui atterre le sujet. Il ne sait pas quoi répondre, puis dans un second temps il le neutralise pour ne pas en être surpris. » « Vous pouvez entendre quelque chose des schémas qui étaient présentés tout à l’heure. Il peut le reprendre, mais ce ne sera plus le même signifiant, effet de refoulement. Cet écart ouvre alors la possibilité d’articuler un troisième mot, une question, celle du Che Voi ? Une interrogation du sujet quant à son désir. »

Ce qui fera discussion en deux mille quinze, c’est la question de la parole mais aussi cette dimension de regard sur lequel il insiste beaucoup. Je vous renvoie au texte de cette discussion. De façon très résumée, il s’agit pour Alain Didier-Weill, que le sujet en référence à la Bejahung d’une incorporation positive puisse dire trois fois oui à ces Surmois ; c’est d’ailleurs ce par quoi il conclut son livre, la persévérance du oui de la Bejahung , qu’il les incorpore dans une opération de retournement qui permette l’introjection du dehors au dedans, que le sujet puisse ainsi symboliser le Réel, éventuellement se contredire, s’étonner de ce qu’il dit, mais non pas se dédire.

L’intervention d’Alain Didier-Weill en dix-neuf-cent-soixante-dix-neuf s’appuie sur une certaine utilisation du graphe. Volontairement, je ne l’ai pas repris, ni fait le choix de le déplier. Il faut savoir que dans son ouvrage par la suite et en deux-mille-quinze lorsqu’il fait son intervention il n’a pas du tout fait référence au graphe. Il ne l’a pas réutilisé. Il a aussi à la fin de son intervention en soixante-dix-neuf, aidé par Contardo Caligaris, proposé le dessin du retournement de deux tores troués. Il l’a proposé à Lacan comme une façon d’écrire la topologie dans le temps. Apparemment, d’après ce qu’il nous dit, Lacan ne l’a pas dissuadé dans cette démarche.

Ce retournement de deux tores, Cyrille [Noirjean] en a parlé tout à l’heure, qu’il propose, il le réfère explicitement au retournement des tores mis au travail par Lacan au cours du séminaire Le Moment de conclure, dont on a parlé l’année dernière, et dont plusieurs ont fait des propositions d’écriture topologique.

Alain Didier-Weill nous dit que ce sont deux tores séparés et liés en même temps par deux trous. Ce que j’ai saisi là, je vous avoue que j’ai eu beaucoup de mal à lire ce dessin, j’ai compris que c’était une coupe. J’ai demandé un éclairage à Jean Brini qui lui-même m’a dit : « ça renvoie au retournement des tores dessinés avec une coupe ». Mais il m’avouait que ça lui semblait quand même très compliqué à commenter. Il y a une invagination, par le trou mis en commun du mauvais dehors, dedans. Après retournement, ils sont séparés l’un de l’autre par une torsion dit-il, deux tores troués, l’un s’invagine et l’autre s’évagine. Voici comment c’est écrit au tableau : que j’ai colorié, j’ai juste rajouté la couleur, autrement c’est exactement le dessin que propose Alain Didier-Weill, en tout cas, ce qui est dans la version de [Patrick] Valas de ce séminaire. Je vous propose de laisser là ce dessin s’il y en a parmi vous qui peuvent donner des éclairages sur cette écriture, je serais tout à fait preneur.

Juste faire remarquer que, dans sa conclusion en août 2015, Charles Melman reprendra la question de l’introjection à la suite d’Alain Didier-Weill, dehors au dedans, en fait d’avoir été parlé. Ce qui ne me semble pas sans rapport non plus, sans s’y assimiler tout à fait, avec ce que Freud appelle les impressions premières de l’enfance. Point théorique et clinique qui fera divergence et rupture avec Jung et Adler. Charles Melman fait deux remarques à Alain Didier-Weill qui me semble assez freudiennes. La première, c’est que la Bejahung est toujours suivie de la Verneinung, la dénégation. Ce n’est pas en disant « Oui, c’est bien ça ! » que je suis dans le vrai, mais en disant « C’est pas ça du tout ! » Ce qui s’incorpore c’est cette instance majeure qui fait que c’est parce que ce n’est pas ça que c’est ça. La seconde remarque de Charles Melman découle de la première, c’est que la psychanalyse serait une escroquerie si elle entretenait le fait que le sujet se fasse croquer par le grand Autre et d’accepter ce pacte. Je trouve que c’est assez fondamental à rappeler.

P.-Ch.Cathelineau – Est-ce que je peux faire une remarque là, à ce point, en fait, vous l’avez bien dit notamment à la fin, ce que met en évidence Alain Didier-Weill, c’est une dimension essentielle de la mise en place de l’Autre, qu’il pointe à travers le terme freudien d’incorporation et qui met en place un type de rapport au Surmoi. Qui, quoique ça apparaisse très théorique dans cette leçon, c’est-à-dire une identification de l’Autre avec l’objet a, d’une certaine manière, il le dit d’ailleurs, a des conséquences dans l’ordre de la structuration familiale et politique, considérables. Je dis ça parce que j’ai personnellement fondé mon interprétation de la radicalisation sur ce point précis. C’est-à-dire la question de l’incorporation du père, de la mise en place du Surmoi dans une identification primaire et qui est à l’origine précisément d’un certain rapport que vous avez cité à la fin de votre exposé, au Surmoi, cette dimension où le Surmoi croque et dévore. Et je pense que là, Alain Didier-Weill touche une dimension de Réel qui est absolument fondamentale pour comprendre notamment les problèmes de la radicalisation. Je trouve que ça va vraiment très bien quoi, vous êtes d’accord ? (J.-L. de Saint Just – J’ai pas tout à fait fini mon exposé mais,) Ah bon, vous seriez d’accord ?

J.-L. de Saint-Just – Oui, et la remarque de Charles Melman va dans ce sens-là, il me semble.

M. Darmon – Il s’agit de l’incorporation de quelque chose de maternel ? (P.-Ch.Cathelineau – Oui c’est ça,) Ce n’est pas l’habitude de saisir l’incorporation du Réel du père, le primitif.

J.-L. de Saint-Just – Ce que j’ai lu dans Alain Didier-Weill, c’est que cette incorporation elle passait par la mère, par l’Autre maternel.

M. Darmon – On est du côté symbolique là.

P.-Ch.Cathelineau – C’est-à-dire qu’il y a ce texte de Freud, dans le chapitre 6 de La Psychologie des masses, où il met en évidence cette dimension d’incorporation de l’ennemi qui est la première identification. Effectivement il y a peut-être des nuances à faire.

M. Darmon – Mais il y a deux interventions de la première identification. Celle qui est dans le texte sur l’identification, qui est qualifiée de première. Il parle du père dans ce texte. (P.-Ch.Cathelineau – Dans le chapitre 6, oui, il parle du père.) Et, il y a une autre allusion à cette première identification, c’est dans l’Homme aux loups. Dans l’Homme aux loups, il parle de la première identification par incorporation, en nuançant, en disant c’est peut-être le père, c’est peut-être les deux parents.

J. Maucade – C’est dans l’identification aussi, c’est-à-dire les deux parents non différenciés.

P.-Ch.Cathelineau – C’est ça, mais en tout cas, je trouve que le texte d’Alain Didier-Weill a le mérite d’appuyer sur un point qui est essentiel je trouve, et vous l’avez très bien montré.

J.-L. de Saint-Just – Vu l’heure, je vais devoir passer sur l’intervention de [Juan-David] Nasio. (P.-Ch.Cathelineau – Ça n’apporte pas grand-chose,) La réponse de Jean-Michel Vappereau à l’intervention Juan-David Nasio, comme à la demande de Lacan, va être essentiellement topologique, c’est ce qu’il annonce dès le départ. Il va reprendre cette référence de Lacan aux machines, référence présente dit-il, dans les quatre séminaires et en particulier dans le séminaire sur Le Moi, pour montrer que selon les machines, les poulies, les dés, les nœuds, les chaînes, elles ne produisent pas la même chose, pas les mêmes types de répétition. Et il va se référer à deux figures : la bande et le nœud borroméen. Il va commencer par s’intéresser aux bandes comme machines, des bandes sans torsion puis avec torsion. Il va lire ce que produisent les surfaces de ces bandes. Puis à partir de ces bandes sans et avec trou, il va faire un pas de plus en lisant les bords. Des bords qui vont faire des nœuds, des chaînes. De façon progressive, il montre que l’usage de ces machines topologiques dans les séminaires qu’il commente, nous amène à être de plus en plus proches de la structure du langage. Elles permettent d’autres choses que les mathématiques dit-il, et en particulier la chaîne borroméenne donne une très grande consistance matérielle au discours. C’est un cheminement particulier parce que, précise-t-il, c’est un cheminement qui échoue et reprend successivement. C’est intéressant parce que, ça évoque le Lust de Freud, la répétition de la jouissance et son ratage : « C’est parce que ce n’est pas ça, que c’est ça !».

J’ai imaginé ce par quoi il commence, les surfaces des bandes machines, comme les bandes de transmission mécanique dans les scieries par exemple, mais aussi les bandes des cartes perforées des orgues de barbarie, ou les premières bandes informatiques. Lui, il ne s’intéresse pas aux têtes de lecture, il s’intéresse aux bandes. Des bandes de Turing sans torsion qui sont linéaires et qui ne peuvent produire que ce qu’elles savent faire c’est-à-dire que pour aller plus loin, cela nécessite une infinité de machines, une mise en série. Ça ne peut produire que ça, mais c’est une étape. La bande avec torsion, celle-ci, c’est la bande de Mœbius, sur laquelle il fait une coupure continue, le trait bleu, permettant de distinguer trois surfaces, une bleue mœbienne au centre, et une bande bipartite en deux faces, une verte et une rouge opposées, qui ne se rencontrent pas.

Donc, là, on voit qu’elles sont opposées et elles font le tour sans se rencontrer. Il situe la verte et la rouge comme l’Imaginaire et le Symbolique, le bleu étant le Réel. C’est ceci, là.

Ce qui lui permet de passer au nœud borroméen. Il pose alors la question du passage des surfaces de la bande au nœud borroméen, mais fait aussi remarquer que selon où vous circulez sur la bande, cela ne donne pas la même chose. Il va faire un certain nombre d’illustrations de ces séminaires à partir de ce qu’il appelle ses machinations. Il s’en sert pour montrer que la clinique avec les surfaces, les bords ou les nœuds, ce n’est pas aborder les questions de la même façon qu’avec une écriture, cela n’a pas les mêmes conséquences.

Il poursuit et propose alors de faire un trou sur cette surface… Voilà, j’ai symbolisé le trou.

Et de l’étendre ce trou, pour produire ce qu’il appelle un carrefour de bande. Là, vous l’avez ici autrement.

Le trou donc qui a un bord noir, je vous le signale parce que c’est important. Il fait remarquer qu’avec la lecture des surfaces, on va arriver à un point de butée où on ne peut pas aller plus loin. Il note trois choses importantes, à chaque fois qu’on utilise, qu’on manipule une machine, il arrive toujours un moment où les choses sont insuffisantes. On a déjà commencé à faire marcher une autre machine, quand on a abandonné un certain type de machine. Et le troisième point : c’est donc un échec mais en même temps une reprise. C’est la description de ce que j’évoquais tout à l’heure. Il passe à autre chose et il propose de passer aux bords et de découper et de lire uniquement les bords. Ce qui produit des machines topologiques fort différentes dans leur propriété et en particulier que ces bords finissent par produire autre chose : donc voilà, là il y a un carrefour de bandes. La bande bleue est déjà découpée par les bords mais, si elle n’était pas découpée, si elle était homogène, là vous avez un carrefour de bandes et si vous découpez la bande rouge et la bande noire, voilà…

Donc ces bords finissent par produire autre chose, une chaîne, on pourrait dire la chaîne des bords de la surface. Pas n’importe quelle chaîne puisqu’on voit que ça correspond à ceci, c’est-à-dire un huit intérieur avec…

Comme j’ai indiqué au début, Jean-Michel Vappereau démontre la nécessité logique suivie par Lacan de passer des surfaces de bandes, aux bords, des mathèmes aux chaînes-nœuds, c’est-à-dire d’un type de machine à un autre avec ce qu’elles peuvent produire, reproduire à chaque fois de façon plus consistante au regard de la clinique. Cela l’amène à soulever un point important : si la rationalité de la psychanalyse relève de la discontinuité comme le dit Lacan en référence, en opposition, à la pensée sauvage de Claude Lévi-Strauss, il fait remarquer que la topologie se définit de fonctions continues. Reprenant le séminaire 20, Jean-Michel Vappereau rend compte ainsi du saut fait par Lacan, qui passera de la borne du calcul des prédicats dans la théorie des ensembles, à la chaîne borroméenne. Le tableau de la sexuation et la chaîne borroméenne apparaissent dans le même séminaire. C’est ce qu’acte le séminaire Encore. En fait, il s’agit de savoir là si la fonction du discontinu est nécessaire à la psychanalyse ou si celle-ci n’opèrerait pas aussi dans la fonction du continu. Ce qui nous ferait passer de la chirurgie à l’homotopie, pas l’un ou l’autre, discontinu, mais l’un et l’autre en continu. Dans ce passage de la borne, le pas de plus, dit Jean-Michel Vappereau, c’est le pas-tout. Et ce sont les chaînes qui, sont selon lui, les seules machines à pouvoir produire du pas-tout. Le pas-tout, c’est la réponse de Jean-Michel Vappereau à Juan-David Nasio. Écrivant ce nœud à 4, Jean-Michel Vappereau, montre que le quatrième est implicite, autrement dit, que la propriété borroméenne n’est pas dans le quatrième.

Puisque si on coupe un quelconque des trois colorés, pas le noir, mais un des autres, et bien, l’ensemble est libre. La propriété borroméenne n’est pas dans le quatrième. Ce n’est pas ce qui représente le nouage, ce n’est pas ce qui en fait ou spécifie un nœud borroméen. Ce qui fait tenir le nœud dit-il, n’a pas de représentation, pas de consistance, c’est rien, un vide, un trou. Mais un rien qui compte, compter ce rien c’est faire jouer quelque chose qui n’est pas représentable et ne peut pas être épuisé par aucune machine. C’est là à mon sens, l’essentiel de sa réponse, la machine nœud borroméenne à 3 n’épuise pas l’espace, ne peut pas l’épuiser, c’est pas-tout. On ne passe pas avec le nœud borroméen à trois, d’une machine à l’autre comme avec les bandes de Turing qu’il évoquait au début, à cet infini-là, parce qu’elles n’épuisent pas l’espace. Il finira son intervention par une réponse plus directe à la proposition de Juan-David Nasio en lui faisant remarquer que les espaces feuilletés – ça c’est une proposition de Nasio – c’est très difficile parce que, c’est effectivement inimaginable, et parce que c’est inimaginable on n’a pas meilleure garantie de structure, à condition pointe-t-il, ça, ça me semble très important, que ça ne fasse pas modèle : « qu’on n’y tombe pas en tant que modèle comme ce fut le cas pour le calcul des prédicats dans le tableau de la sexuation. » Ce sont ses propos.

En conclusion de cette lecture, puisqu’il est question du rapport et de l’un et l’autre qu’on modélise à partir des prédicats côté homme et côté femme, dans une machine qui est régie par le discontinu, nous changerions de registre « c’est parce que c’est pas ça, que c’est ça.» Cela s’écrit avec une bande de Mœbius et encore mieux avec un nœud borroméen. Ce changement de registre logique, revient à considérer que le dedans et le dehors sont en continuité sur la bande de Mœbius, il y a bien un dehors et un dedans distincts mais sans franchissement de frontière. C’est en continu. Comme le désir du sujet et la réalité, rappelle Charles Melman dans son séminaire, qui sont en continuité et pourtant distincts sans franchissement de frontière. Ce qu’amène Jean-Michel Vappereau dans la suite de la dernière leçon de Lacan commentée par Pierre-Christophe Cathelineau, c’est le rappel que ce qui vient faire tenir le nœud, c’est un rien qui n’a pas de représentation. Sa représentation, comme l’a plusieurs fois rappelé Charles Melman, à la suite de Lacan qui le dit dans R.S.I, c’est de surcroît, bref, on en rajoute toujours. On rajoute du 4 dans la modélisation des hommes et des femmes, or, il n’y a aucune nécessité de structure d’en rajouter, pour autant que la structure est comptée, que c’est un rien qui compte.

Charles Melman en janvier, rappelait que l’inconscient est polychrome, mais s’il est polychrome, il y a à prendre en compte que, je cite Lacan : « Dans le sexe il n’y a rien de plus que l’être de la couleur. Ce qui suggère en soi qu’il peut y avoir homme couleur de femme ou femme couleur d’homme.» C’est dans Le Sinthome, la leçon du 9 mars 76. Ce qu’il y a d’intéressant dans la couleur, c’est qu’elle est à la fois continue et discontinue. Le nœud borroméen généralisé suggère à Lacan un troisième sexe, mais un troisième sexe sans que les deux puissent tenir ensemble. Pourquoi les deux sexes ne peuvent tenir avec le troisième ? N’est-ce pas parce qu’ils relèvent du discontinu alors que le troisième sexe c’est la fonction du continu, de la connexité, un objet d’un seul tenant ? Si l’homotopie permet une différence dans le continu d’une consistance, un dessus-dessous qui change, c’est strictement équivalent à l’écriture du même nœud homme et femme dans le Sinthome. Le troisième sexe serait un changement de registre qui prend en compte que dans le nœud borroméen la différence entre homme et femme est en continu. Le troisième sexe évoqué par Lilith, n’est pas un sexe en plus, mais un autre rapport à la sexualité, avec d’autres coordonnées. « Dieu créa l’homme à son image, homme et femme il les créa. » Le passage de homme ou femme à homme et femme est un changement de registre logique du pas l’un sans l’autre. Je ne vais pas le développer ce soir, je n’ai absolument pas le temps, mais je voulais faire remarquer que c’est très précisément ce changement de registre dont nous parle Charles Melman depuis plusieurs années, d’un autre type de rapport entre les hommes et les femmes qui ne serait plus organisé par le phallus, ce représentant, mais par un objet qui manque, un rien.

Je vous remercie.

M. Darmon – Merci beaucoup, c’était des leçons difficiles à résumer. Sur le travail de Didier-Weill, vous avez été assez clair et complet. Il faudrait, pour reprendre ce que Didier-Weill a présenté en s’appuyant sur le graphe dans le texte qu’on avait étudié à l’époque dans le séminaire précédent, de L’Insu, avec ce personnage de Bosef qu’il a inventé pour mettre au jour les écrits du graphe et que Lacan critique. Là, Lacan fait une critique, dans ce que vous avez repris ? Dans le séminaire de cette année ? Y a une critique de Lacan ?

J.-L. de Saint-Just – Non, il ne dit rien Lacan.

M. Darmon – Il ne dit rien, il ne fait aucun commentaire à Didier-Weill ?

J.-L. de Saint- Just – À personne.

J. Maucade – Non, il ne moufte pas, y a pas un mot.

M. Darmon – Oui, Je me souviens d’avoir assisté à ces séminaires…

J.-L. de Saint-Just – Ce n’est pas dans la transcription, sur le site de Valas il n’y a pas l’enregistrement audio, donc on ne peut pas non plus vérifier la transcription, alors que dans les autres leçons on a l’audio donc on peut au moins l’entendre…

Marc Darmon – C’est intéressant effectivement, ce que soulignait Pierre-Christophe [Cathelineau] sur cette incorporation et cette première identification et qu’il attribue à l’incorporation de quelque chose de maternel. Mais on peut discuter. Sauf, que si on s’intéresse à ce que nous avons travaillé le week-end dernier c’est-à-dire la radicalisation de certains jeunes, qui peut-être se trouvent en mal d’identification symbolique, c’est intéressant par rapport à l’hypothèse de Pierre-Christophe [Cathelineau]d’une certaine valorisation d’une identification réelle. Ce serait intéressant de travailler sur l’incorporation de la mère, parce qu’on n’a pas parlé de la mère.

P.-Ch.Cathelineau – Tout à fait, je suis d’accord, c’est vrai. On n’en a pas parlé mais c’est très important je crois, tu as raison.

Marc Darmon – Voilà. Après sur les interventions de Nasio et de Vappereau, il n’y a eu, vous l’avez souligné, aucun dialogue. Ce n’est pas ce qui était recherché. Nasio a fait son intervention, je crois me souvenir qu’il a parlé du sujet, de l’inutilité du sujet, puisque, enfin, c’est ce qui me reste de cette intervention, je ne l’ai pas relue…

P.-Ch.Cathelineau – Oui c’est ça, mais y a pas grand-chose.

Marc Darmon – Mais il y a une sorte d’affirmation selon laquelle le recours à la topologie et aux mathématiques permettrait de se passer du sujet.

J.-L. de Saint- Just – En fait, ce [inaudible] la façon dont je l’ai lu, je peux éventuellement en dire deux mots, j’ai été très gêné par la forme. Lacan est là, et il parle comme s’il était mort, enfin, c’est comme ça que je l’ai lu, j’ai trouvé cela très désagréable dans la façon dont il amène les choses. D’autre part, il fait une critique du sujet en disant que le sujet qui se détermine dans sa parole et qui en même temps disparaît dans sa parole, lui, ça ne lui convient pas du tout. Il propose en faisant référence aux surfaces de Riemann, un feuilletage du sujet. Mais, il le dit lui-même, il fait lui-même sa critique de son propos, c’est-à-dire qu’il tire le sujet du côté du Moi, c’est-à-dire des identifications du Moi, mais il le dit d’ailleurs à la fin de son intervention.

J. Maucade – C’est tout l’enseignement de Nasio, tout le temps dans tous ses livres, Les Sept concepts, c’est ça. Mais je trouve que ce que tu soulèves Pierre-Christophe [Cathelineau], mérite d’être questionné, discuté du côté de l’incorporation de la mère et de l’incorporation du père parce que dans l’identification du texte de Freud, ça pose un problème quand même, cette identification à un temps, parce qu’il dit que c’est un temps, où les parents sont non différenciés. Et c’est questionnant quand même, cette affirmation de Freud. Et j’ai trouvé que ce que vous avez souligné par rapport à Jean-Michel Vappereau, ce quatrième nœud qui est implicite qui sert à rien mais qui est un rien qui compte. Et vous avez très bien résumé, et je trouve ça dans la clinique, c’est extraordinaire, parce que c’est exactement ça. C’est un élément quatrième qui ne sert à rien mais qu’il faut prendre en considération dans la parole du sujet.

P.-Ch.Cathelineau – Non, le problème c’est que cette incorporation par identification réelle peut venir prendre place comme quatrième. Donc, ça complexifie les choses, c’est ce qu’on peut appeler la nomination réelle. Donc si effectivement ce quatrième est une nomination réelle, la dimension fusionnelle avec le discours de l’Autre, avec la voix, avec l’objet, elle est encore plus prégnante et détermine l’ensemble du nœud.

J. Maucade – Oui mais ça fait pas un nœud à quatre.

P.-Ch.Cathelineau – Ah si, c’est un nœud à quatre. La nomination réelle c’est un nœud à quatre. C’est ça la difficulté, c’est-à-dire que c’est une façon de mettre en place le Nom du père qui fait prévaloir la dimension réelle du Surmoi. Et là on le voit avec la radicalisation. Les éléments de clinique que nous apportait Serge Hefez sur le fait que ça n’est possible que parce qu’une famille est organisée par l’emprise, de l’enfant aux parents et des parents à l’enfant, c’est-à-dire que ça suppose un contexte d’emprise. C’est-à-dire que ça suppose un contexte d’emprise. Et on voit bien que ce contexte d’emprise c’est une dimension du Réel qui est complétement intégrée comme, une dimension sectaire de la famille et qui va être en quelque sorte déplacée sur le discours de Daesh. Mais je trouve, en tout cas, et vous l’avez très bien dit, que c’est illustratif de ce qu’il en est d’une incorporation réelle et qui finalement prend la place de ce que tu dis, à savoir d’une identification symbolique ou d’une nomination symbolique. Ça prend la place.

J. Maucade – Je retiens que c’est implicite, et que ce n’est pas explicite et ce n’est pas apparent. La quatrième ficelle au tore n’est pas explicite, elle est implicite et donc si on coupe un des trois, le nœud se défait quand même.

P.-Ch.Cathelineau – D’accord.

M. Darmon – J’associe là avec autre chose, sur l’identification première c’est que c’est une identification préalable au désir, à l’objet, (P.-Ch.Cathelineau – Et oui) c’est une première forme, très, très primitive, de façon mythique, archaïque, de rapport à l’objet qui se fait par identification.

P.-Ch.Cathelineau – Oui, oui, tout à fait.

M. Darmon – Avec ce terme d’incorporation qui fait qu’on ne fait plus qu’un seul corps, comme disait Hefez, c’est-à-dire des familles où il y a des fusions.

P.-Ch.Cathelineau – Il y a une fusion. Il y a une fusion entre l’enfant et le parent.

Marc Darmon – Il le disait en termes imaginaires mais (P.-Ch.Cathelineau – mais c’est Réel) c’est la seule façon d’échapper à la fusion c’est de couper un membre.

J. Maucade – De se faire exploser.

M. Darmon – De se faire exploser.

P.-Ch.Cathelineau – De se faire exploser oui. Non, mais c’est là un trait clinique qui est très illustré par le texte d’Alain Didier-Weill et sa question. Très illustré.

L’autre chose que j’ai trouvée très intéressante que vous avez amenée, c’est tout ce que vous dites sur le continu. C’est pas un hasard s’il reprend ça dans cette leçon après avoir proposé à Lacan le nœud borroméen généralisé. C’est-à-dire que c’est vraiment la grande leçon de la fin de La Topologie et le Temps, et vous avez insisté très, très bien, c’est la question de : le même dans l’autre et de l’autre dans le même, le continu, c’est-à-dire qu’est-ce qui fait qu’il y a à la fois stabilité et transformation. Vous l’avez très bien montré.

J.-L. de Saint Just – Changement sans frontière, sans passage de frontière.

P.-Ch.Cathelineau – Changement sans frontière. Ça c’est la grande leçon, et surtout, et ça explique aussi le titre du séminaire, c’est La Topologie et le Temps, c’est-à-dire que c’est plus seulement des structures observées mises à plat. C’est penser le mouvement à l’intérieur de cette topologie, un mouvement dans le continu. Et ça vous l’avez très bien montré.

D. Eleb – Mais qu’est-ce que Vappereau entend par le pas-tout ?

J.-L. de Saint-Just – Il reprend le séminaire 20, en insistant sur le fait que le calcul des prédicats qu’utilise Lacan à ce moment-là, amène à une modélisation et que cette modélisation est problématique. Je le dis vraiment en résumé. Et que ce n’est pas pour rien si ça l’amène au nœud borroméen en fin de séminaire. Il fait un pas que les mathématiciens ne font pas.

P.-Ch.Cathelineau – C’est très intéressant…

D. Eleb – D’accord… et ça c’est dans le texte de Vappereau qui s’intitule ?

J.-L de Saint-Just – Il n’a pas donné d’intitulé.

V. Nusinovici – Si je peux dire encore un mot, je trouve que la question de la fusion c’est très intéressant parce que ça fait quand même problème par rapport à ce que Lacan a voulu faire quand il a dit d’emblée on a trois : mère-enfant-phallus. Alors, que devient, si on part sur cette idée de la fusion, il faut qu’on fasse quelque chose avec le troisième… Moi ça m’est arrivé d’essayer d’entendre, de faire un à trois, dans certains cas bien entendu, pour tenter de trouver une place pour le phallus dans la fusion. Ou alors, on part à deux, mais c’est pas le point de départ qu’il enseigne, je sais pas si vous êtes d’accord mais le départ lacanien est à trois.

P.-Ch.Cathelineau – La caractéristique de la nomination réelle c’est de faire tenir le phallus autrement, et c’est un phallus qui n’est plus un phallus dans le registre de la castration mais du côté de la toute-puissance.

V. Nusinovici – À ce moment-là, il ne l’est pas encore, le trois du départ il n’est pas du côté de la castration, il est un phallus imaginaire.

P.-Ch.Cathelineau – Exactement… Ah non mais, il y est, mais c’est du côté d’autre chose…

M. Darmon – Lacan place le père dans ses premières propositions, comme faisant tenir l’ensemble mère-enfant-phallus. Ça, ça va faire quatre.

V. Nusinovici – Ça va faire quatre, mais quand on part de trois, on ne part pas à deux. C’est pour ça que c’est difficile de le prendre comme ça pierre-Christophe [Cathelineau]. Et ça nous repose la question… On ne peut pas se débarrasser, il faut qu’on fasse quelque chose avec ce qu’il a dit lui aussi.

M. Darmon – Je ne sais pas encore comment on peut formaliser ça. Je pense au nœud de trèfle, où il y a une confusion des trois dimensions, au nœud de trèfle réparé, quelque chose comme ça. En tout cas le phallus auquel on a affaire dans les phénomènes qui nous préoccupent aujourd’hui c’est un phallus qui est l’objet du don de la mère au fils.

V. Nusinovici – On connaît ça depuis bien avant qu’existent ces évènements qui nous préoccupent aujourd’hui, c’est une donnée bien antérieure, il faut qu’il soit spécial celui là.

J. Maucade – On le trouve aussi chez les filles, c’est ça qui est étonnant.

V. Nusinovici – Ce n’est pas nouveau, donc il faut qu’il y ait donc quelque chose de particulier pour qu’il fonctionne comme ça.

M. Darmon – C’est que le rôle du père a énormément évolué dans les générations d’immigrés. L’Œdipe ne fonctionne pas de façon classique. C’est effectivement quelque chose de connu, mais quand ça prend des proportions…

V. Nusinovici – C’est ça, est-ce que c’est quantitatif ou…

P.-Ch.Cathelineau – Il y a un point qu’on pourrait amener, qui à mon avis, permet de clarifier la différence entre le Symbolique et le Réel, c’est que quand on parle de nomination symbolique, on parle effectivement de nomination du Symbolique et quand on parle de nomination réelle, on parle de la nomination du Réel. À partir du moment où la question de la nomination se situe par rapport au Réel c’est-à-dire par rapport à quelque chose qui n’est pas discernable dans le cadre de limites appréciables, le phallus prend une toute autre dimension et prend une dimension qui est précisément la dimension de la toute-puissance.

D. Eleb – Moustafa Safouan a écrit un très beau livre qui a fait scandale au Maroc et s’intitule Pourquoi le monde arabe n’est pas libre ? Il l’avait présenté d’ailleurs à Casablanca. Il part de l’hypothèse suivant laquelle il n’y aurait pas de tiers au même titre que dans l’histoire de la France avec le siècle des Lumières. Il introduit la dimension Symbolique qui n’a pas eu dans l’histoire du Maghreb et il dit, à partir de là, il n’y a pas de tiers, c’est -à-dire que, effectivement comme l’a dit Marc Darmon, ce sont des familles qui ont un rapport extrêmement fusionnel. Et d’ailleurs, moi, c’est ce qui m’a frappée, j’ai passé six mois au Maroc en 2010, j’ai eu des échanges avec des psychanalystes là-bas. Et même une personne qui venait s’adresser à vous pour un entretien ou une analyse était sous l’emprise de la famille, c’est-à-dire qu’à un moment une personne de la famille a dit à une jeune femme, il n’en est pas question, tu arrêtes de parler ou on t’envoie dans un autre pays arabe ou en Israël…

P.-Ch.Cathelineau – Mais c’est pas le propre des familles maghrébines, on trouve ce type de famille y compris dans la société française, des gens parfaitement catholiques et où la question du fusionnel est aussi très présente.

Thatyana Pitavy – Oui mais cette question du fusionnel ce n’est pas la question de l’inceste qui est derrière aussi ? Il me semble qu’on dit fusionnel mais on voit bien que c’est dans un grand bain que ça se passe cette fusion-là aussi. Je veux dire que y a pas… ça circule hein ?

P.-Ch.Cathelineau – Bon, on reprendra ça.

Retranscription : R. Kalfon – D. Bazilier – A.Gebelin-Delannoy – I. Masquerel

Relecture : D. Foisnet Latour – É. Croisé-Uhl