Je veux un père
24 septembre 2025

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Maria BRIAND-MONPLAISIR
Textes

Le procès de subjectivation passe par la mise en place pour le sujet d’un lieu à partir duquel il peut dire non à l’autre, bien qu’il ait commencé par dépendre entièrement de lui.

 

Chaque enfant est contraint de faire pour prendre place dans cette économie langagière organisée autour de l’impossible immédiateté, autour du vide de la chose. Et donc organisée par le semblant, par la représentation, par la dialectique de la présence et de l’absence,  par la référence au phallus etc…

 

Cette opération n’est pas l’affaire du seul sujet, c’est l’une des fonctions du discours social que de soutenir l’enfant et ceux qui l’entourent, dans ce trajet singulier.

 

Selon JP Lebrun, la plupart des cultures occidentales, les anciens ont  réussi  cette opération grâce à l’invention du patriarcat, décrétant la prévalence du père sur la mère et se donnant ainsi les moyens d’installer l’autorité de la parole.

 

Aujourd’hui, sous la pression de forces telles que l’égalité et de l’idéal démocratique, la délégitimation de l’autorité…, le discours social ne se trouve plus tricoté aux exigences de l’humanisation. Quel appui pour l’enfant alors pour son trajet d’humanisation ?

 

Dans bien d’autres cultures, par exemple celles où le lien social est organisé par le matriarcat, il en va autrement.

 

Le texte proposé par Charles Melman, écrit il y a une trentaine d’années, concerne une culture de type  matrifocal, née dans un contexte politique de colonisation. Il y analyse l’organisation familiale matrifocale comme le résultat d’une invention, soit d’un accommodement réalisé avec la structure du langage. Il repère l’instance phallique qui assure l’identification du parlêtre, autorise la filiation, et organise la possibilité d’une transmission et d’un commerce sexuel qui s’épargne les défilés de la castration. Ainsi, l’identité sexuelle est assurée d’une trace réelle, celle des enfants. Pour le garçon, la possibilité d’un accès au phallicisme se fait par un procès qui est celui de la donation maternelle. Pour la fille , la marque réelle de la maternité assure son identité féminine. Ce procès aboutit à évacuer la dimension du semblant, avec un dispositif du conjugo sans référence tierce. La dimension du grand Autre y est niée, impactant les dimensions de l’altérité, de la parole, et de la dette.

 

La langue qui accompagne ce dispositif est dite par lui sans refoulement, et il ne reste pas sans souligner les tentatives d’en faire une langue conventionnelle, soit, avance t-il, une langue à l’égal des autres, une langue de maître, avec les inconvénients adjacents d’opérer une rupture dans la fraternité de la langue entre ceux qui la maîtriseraient et les autres.

Il différencie l’autorité paternelle et l’autorité du maître, rappelant que le père ne tient   son pouvoir d’aucun agencement réel, l’autorité paternelle se supportant d’une pure absence.

 

Il termine son propos en proposant que l’évolution vers ce type de société se révèle très probable pour l’occident de part la dominance exercée par la science. Cette dernière se trouve en effet alimentée par une langue exacte, qui, menaçant, ainsi la langue imparfaite de notre humanité, vise à méconnaître le procès de la  castration

 

 « JE VEUX UN PÈRE »,

 C’est la demande qu’adresse ce jeune garçon à sa mère. Au fond,que  demande-t-il ?

 

 

David a 7 ans quand je le rencontre la première fois. Ses parents ne s‘entendent pas. « ça se fait pas de s’injurier devant les petits », dira t-il  à sa mère en ma présence . « Tu es ma maman, et je suis petit , et que … »… Les mots lui manquent, l’émotion monte, il tente, à son jeune âge de sauvegarder une disparité des places, nécessaire à sa jeune vie.

 

Ses parents se séparent, mais il n’a cessé de demander son père, ou un père, qui pourrait aussi  être, quelques années plus tard, le nouvel amoureux de sa mère. Cette demande s’adresse à sa mère surtout  en présence d’un tiers, comme une garantie  qu’elle puisse entendre sa demande.

 

Dans sa lignée paternelle, son père et son grand-père sont violents et portés sur l’alcool. Prenant un jour la défense de David un jour agressé par son grand-père, le père dira au grand-père « ce n’est pas moi qui suis là », nous rapporte David. Une violence sans nom s’adresse à l’image masculine, de génération en génération.

 

Faisant diversion à l’émotion  qui monte, il regarde  par la fenêtre des oiseaux sur un arbre à l’extérieur, il leur trouve de gros yeux, « c’est pour voir les poissons » dit-il, mimant une course-poursuite entre poissons et oiseaux. il fait mine de s’adresser aux oiseaux dans l’arbre «  Arrêtez de me regarder » leur  dira t-il. Nous met-il en scène  une captation imaginaire dont il ne peut encore se déprendre, et qui développe pour lui une dimension persécutrice ?

La mère explique que David  ne supporte pas l’autorité. Il  provoque, cherche la limite, cherche à faire que les choses aillent toujours dans son sens. A l’école, il a toujours l’impression qu’on se moque de lui, se sent facilement rejeté, et estime devoir toujours avoir toujours le dessus sur les autres.  « Je me fâche parce qu’ on me dit non. Et de toutes façons, je ne vais pas changer, je suis comme mon père », répond t-il à la maîtresse qui lui demande d’arrêter de taper les autres.

Le seul élément qu’il ait trouvé qui fasse trait dans la lignée paternelle, c’est la violence.

 

Cependant, à la même période, il dira à sa mère qu’il aurait aimé être comme son frère à elle, et faire le travail qu’il fait. Il l’appelle “parrain”, alors que ce n’est pas le cas nous dit-elle.

 

À 7 ans, il dessine des biberons « je suis à la crèche, je suis bébé … c’est un bébé qui a dit :j’ai fait caca dans la poubelle.» ( ce n’est pas le bon lieu, me dis-je, personne ne veut donc prendre ce qu’il aurait à donner ?)

 

Son Grand-père tente de l’étrangler, sa sœur subit le même sort quand elle vient à son secours, et la Grand-mère tente aussi de le défendre. J’interpelle la mère quant à l’aspect très préoccupant de cette situation. Mais il ne lui semble pas envisageable de ne pas répondre à cette demande de son fils, de même qu’il ne semble pas envisageable à David de ne pas aller voir son père. La recherche du père se réalise même au risque de sa vie.

 

Il propose comme solution à son grand malheur que sa mère lui achète des vêtements de fille et une perruque, car son grand-père parle gentiment aux filles.

 

Évoquant le lien à sa mère, David dit ne recevoir aucune parole positive de sa part. « Si je n’étais pas là, si je n’étais pas né, tu n’aurais pas eu à te fâcher après moi »lui répond t-il.

 

Dans ses rêves, un robot envoie un cube sur son père, une bombe y est, et explose quand elle le touche, au cœur, la dernière bombe le touche au visage.

 

Dans ses dessins : « normalement, c’était une pieuvre avec un tsunami, avec un sketcher, et papa a fait une coccinelle à la place…  …  Y’ a un gros tsunami, et la pieuvre a sorti sa tête, j’ai voulu lui mettre un coup dans son œil, et elle a lâché son truc noir sur moi .»

 

Dans ses cauchemars, une araignée monte sur son visage, et le regarde.

 

Il explique sa colère: à l’âge de  2 ans, voyant  ses parents se disputer, il avait peur, et allait se cacher. Sa sœur ne disait rien dit-il. Elle lui disait «  c’est rien, c’est juste une dispute. ».

 

Je l’aurai vu  quelque temps, puis sa mère disant qu’il va mieux, ne l’emmènera plus. Face à mon  insistance, elle parle de son nouveau lieu d’exercice professionnel, qui n’est plus sur le chemin de l’institution et du détour qui serait nécessaire pour amener son fils.

 

Je le revois trois ans plus tard, son père bénéficie d’un sursis mise à l’épreuve pour avoir tenté de l’étrangler. Mais David explique que son mal-être est plus ancien que ce  geste de son père : en classe de maternelle déjà, il se battait, tapait les enseignants,  insultait les élèves. Et à 7 ans, mettant KO « un mec » qui l’avait provoqué, il  dit s’être senti capable de tuer.

 

Il parle alors de son père, sous l’aspect de la violence et de l’ alcoolisme.

 

Sa mère explique lui avoir demandé « Tu es mon 1er garçon, je ne sais pas comment ça fonctionne, je vais demander à mes collègues, es-tu d’accord ? Il m’a répondu OK ». Elle ne fait pas avec son non-savoir, mais surtout annule la disparité des places.

 

Rencontré avec sa soeur,  il est d’accord avec cette dernière que leur mère occupe  les deux rôles, père et mère, ce à quoi sa sœur renchérit qu’il est en colère justement que ce soit elle qui fasse les deux. Ceci, contrairement à bien des jeunes  hommes qui proclament  fièrement que leur mère a joué les deux rôles. « Cé li ki papa, cé li ki manman » .( C’est elle qui est père et mère). Et c’est dans la langue créole que cette idée s’énonce.

 

« Ai-je été adopté ? » est la question qu’il pose à sa sœur.

Il dira « mon père ne m’a rien appris sauf à vivre sans lui. J’ai pas de papa, il ne sert à rien, sauf à donner de l’argent.»

 

Alors que ses acting-out se succèdent en classe, sans qu’il s’en attribue clairement la responsabilité, naît un vécu dépressif avec idées suicidaires… « tout est contre moi … je ne me sens pas aimé sur cette terre, j’ai même l’impression que mon père n’aime que ma sœur». Il se procure des armes blanches et dit plusieurs fois qu’il pense à partir…   Il sera hospitalisé pour TS.

 

« Il dit clairement avoir besoin d’un papa  » dira la mère. « Mon père est immature, j’ai besoin d’un père mature pour me guider » rapporte t-elle  des propos formulés par David  en  présence d’une tante maternelle. La mère,  alors, vient  dire qu’elle entend quelque chose de la demande de son fils. Elle accepte la proposition de sa sœur qu’il côtoie ses cousins plus âgés, et s’organise alors, afin qu’il puisse côtoyer aussi de plus près un oncle maternel que curieusement, il a toujours appelé parrain. Cet oncle est entraîneur sportif. David entre alors en club de sport dans la même discipline. Ils déménagent, nous ne le verrons plus, mais apprendrons la métamorphose de son apparence physique, il s’est coupé ses cheveux, changé son style, il a bifurqué de la catégorie «  bad boy » dans laquelle ils entrait rapidement ».

 « Mon père, il ne m’a rien appris, sauf à vivre sans lui. »

 

C’est ce que devrait faire un père , apprendre à son fils à vivre sans lui. Mais David  arrive au bout de ce processus sans la disposition imaginaire qui  laisse supposer qu’il a été accueilli dans le désir de l’autre, puisqu’il  a fait l’objet d’une demande de la part du grand Autre primordial maternel, demande de bien grandir, de bien faire caca dans les toilettes, de bien apprendre à l’école… Lui, est orphelin.

 

La place qu’il occupe n’est pas opérante pour la division subjective. C’est par une demande pulsionnelle qu’il tente de se faire reconnaître, sans pouvoir s’appuyer sur un désir de l’autre qui l’aurait précédé, ni pouvoir entrer en dialectique avec cette demande.

 

Arrivé trop vite à ce point de désêtre, comment se confronter à ce manque dans l’autre?

 

La mère comme agent du père , dans quelle mesure  viendrait  s’y opérer le  nouage du  symbolique au réel ? Le père réel, ce n’est pas le père  imaginaire qui tabasse, c’est celui du désir, en tant que c’est le réel du désir de l’autre qui se manifeste. C’est alors que le garçon pourra se libérer de l’obligation de la compétition, sans rester rivé à l’agressivité et à la dépréciation.

 

Cette adoption symbolique où il se retrouve adoubé par des aînés, lui permet de rentrer à nouveau dans le schéma de la demande. Cette demande, la sienne, ne fait pas de lui un sujet de la demande, mais ménage une place pour la disparité subjective.

 

 Alors, la mère,  agent du père ? agent double? …

 

***

 

 

Discussion après l’intervention de M. Briand-Monplaisir

 

Victor LINA : Merci Maria. Tu as atteint le compteur. Tu as atteint le quantum horaire qui t’était dédié. Donc, nous procéderons comme tout à l’heure, Marika BERGÈS-BOUNES va intervenir en tant que discutante.

Et donc à la suite de son intervention, la discussion sera ouverte à tout le monde, autant pour l’intervention de Christophe que de celle de Maria.

Marika BERGÈS-BOUNES : Oui, alors j’avais lu le texte de Maria, et donc je suis partie dans plusieurs directions, parce qu’en effet on peut partir dans beaucoup de directions. Premièrement, l’impuissance de la mère à arrêter cette transmission masculine depuis des générations, et puis la complaisance masculine depuis des générations de  violence, et la question du symptôme. Alors, comment est-ce que j’avais pensé ça ?

Oui, et puis aussi quand même, ce qui m’a frappée dans ce texte, c’est qu’on entend les tentatives de meurtre d’une génération à l’autre aussi, c’est-à-dire que cette violence peut aller très loin, c’est-à-dire il s’agit à la limite de faire disparaître l’autre. Alors je suis repartie du symptôme, je vous dis ce que Freud décrit du symptôme en 1909, “les symptômes sont des signes commémoratifs d’événements traumatiques, ils sont provoqués par plusieurs émois traumatisants”. Donc Freud repère très vite la fonction de compromis du symptôme, la réalisation sexuelle d’un fantasme inconscient à laquelle le patient ne peut renoncer, et cette satisfaction, Lacan va immédiatement l’épingler du terme de jouissance.

Et ça, je trouve qu’on l’entend dans ce que vous avez dit, Maria, c’est-à-dire comment en effet les hommes jouissent de cette transmission de la violence à laquelle en même temps ils ne peuvent pas échapper. Même s’ils essayent de s’en sortir, il y a une espèce de destin là, et on sait bien comment le trauma, puisqu’on peut parler de trauma quand même, fait répétition, il y a une sorte de destin masculin. Lacan dira, “le symptôme ne s’interprète que dans l’ordre du signifiant, le symptôme est une écriture à déchiffrer, un texte à lire”, et puis il dira après, “le symptôme vient du réel, il est le réel”.

Et j’ai repris quelque chose de Melman, qu’il dit à propos, quand il parle des quatre termes de l’identité, le quatrième terme c’est le symptôme. Et il parle, et ça je trouve qu’on le trouve très souvent dans la clinique, du symptôme qui a essentiellement valeur identificatoire. Et ça, on le voit beaucoup, notamment je trouve avec les enfants dont les parents sont séparés, le garçon par exemple reprend le symptôme du père, devant la mère, pour la mère, pour faire exister ce père.

Et la mère lui dit “mais arrête, tu manges comme ton père, arrête, tu parles comme ton père”, et l’enfant, il tient absolument en effet à faire le père, entre guillemets, pour la mère. Donc cette valeur essentiellement identificatoire du symptôme, dont Melman dit qu’elle est banale, et c’est vrai, et qu’en même temps c’est elle qui nous fabrique, donc les signifiants nous viennent évidemment de nos parents, enfin de la chaîne langagière de nos parents, et ce sont eux qui nous marquent, donc évidemment qu’on s’identifie à eux, et comment faire autrement si on veut grandir, et si on veut devenir un sujet. Donc cette valeur essentiellement identificatoire du symptôme, j’ai trouvé qu’elle était particulièrement intéressante et importante, dans ce cas, devant ce petit bonhomme qui n’arrive pas à faire autrement, qu’à s’identifier à son père, à la fois jusqu’à se faire tabasser, et à la fois jusqu’à vouloir se supprimer, parce qu’il n’arrive pas à sortir de cette identification de violence. Donc j’ai trouvé ça important, et comment la mère en effet n’arrive pas à faire barrage, enfin la mère ou la femme, mère dont quand même il va falloir qu’il se sépare à un moment donné, parce qu’évidemment on ne peut pas rester l’objet de la mère toute la vie, même si le père est déficient ou défectueux, donc cette mère il faudra bien qu’il s’en sépare.

Donc j’ai trouvé qu’il avait beaucoup de travail à faire encore, ce petit bonhomme, et j’aime bien quand Melman parle du symptôme, il dit « le quatrième élément de mon identité c’est mon symptôme, mon symptôme névrotique, il est constitutif de mon identité, je ne peux pas l’oublier, je ne peux pas m’en défaire par quelques actes délibérés, je ne peux pas non plus le méconnaître, il me suit, il m’accompagne, je vis avec lui, il est constitué comme une défense contre le désir, il est cet élément qui pérennise chez moi, le désir, en tant que je m’en défends. Plus que du côté du désir, c’est du côté du symptôme que nous avons le témoignage de ce qu’il y a de plus solide dans notre identité, c’est vraiment la marque individuelle, la marque privée, c’est le mien et pas celui d’un autre”. Donc évidemment on comprend que si le symptôme est la nature propre de la réalité humaine, la psychanalyse ne peut pas évidemment le faire disparaître comme ça, d’un claquement de doigts, et que c’est quelque chose qui va devoir être travaillé longtemps, parce que ce symptôme de cet enfant, je ne sais plus comment vous l’avez appelé, David, au fond, à qui appartient-il ?

C’est pour ça que quand il dit, vous avez, Maria, dit que c’était un lapsus, je crois que ce n’est même pas un lapsus, il a raison. Quand il dit, c’est le père, je crois qu’il dit, “ce n’est pas moi”, enfin je ne sais plus lequel, mais peu importe, puisqu’ils sont tous à la même place, à chaque génération. Donc ce n’est même pas un lapsus, c’est vrai : à qui appartient ce symptôme, et donc comment en effet pouvoir, peut-être pas s’en débarrasser, mais en tout cas faire avec?

Comme Lacan le disait aussi, le symptôme, il faut faire avec. Voilà, c’est ça que ça m’a évoqué, c’est-à-dire que j’ai démarré sur la question du symptôme, et puis aussi sur la question de la violence, et du trauma, finalement, puisqu’on le voit aussi, on voit beaucoup d’enfants qui tapent, qui font du mal à leurs camarades, ou qui font du mal dans la famille, et cette violence, c’est vrai qu’elle est toujours compliquée à parler, comment mettre des mots, quels signifiants mettre sur cette violence, violence dont on voit bien ici que cet enfant, c’est comme un destin qui lui colle à la peau, il voudrait vraiment s’en débarrasser, et il n’en a pas les moyens, pour l’instant, en tout cas, on va dire, pour rester optimiste.

Voilà ce à quoi votre texte m’a fait penser.