Du sujet supposé savoir au savoir sans sujet
29 août 2025

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Cyrille NOIRJEAN
Séminaire d'été

Du sujet supposé savoir au savoir sans sujet, c’est avec ce mouvement que nous allons clore les journées. En préambule, j’insisterai sur le mouvement constitutif du groupe de Klein, l’écriture qui sert d’appui à Lacan et dont il a été question la première matinée. Ainsi tente-t-il d’inscrire l’acte dans un trajet. Il est vrai que l’écriture que Lacan utilise a tendance à aplatir et figer le mouvement. Mais si vous lui redonner sa forme de tétraèdre, ça change tout. Notamment parce qu’il n’y a plus le leurre des diagonales, ainsi s’appréhende la circulation, le mouvement. Aussi voulais-je pour ouvrir cette table parler du corps en mouvement, Marc Morali m’a ouvert la voie hier. Un corps ça bouge, ça danse.

 

La danse ne se limite pas au tourner en rond. Pour faire toucher cette question, en lien avec celle de l’acte, ici artistique, je vous demande de faire appel à l’une des chorégraphes majeurs du XXe siècle, Pina Bausch. Dans un premier temps, elle ré-acte « Le Sacre du printemps. » Lors de la première présentation en 1913, la musique d’Igor Stravinsky fait scandale ; en revanche, le chorégraphe, Nijinski, n’a pas perçu les enjeux ni la nouveauté, il a raté l’acte du compositeur. Stravinsky sera discret sur la question, mais l’évoquera en privé. Il faut attendre donc 1975 et la proposition de Pina Bausch pour que les corps et la musique participent du même mouvement que nous pourrions ramasser par l’anéantissement de la ronde.

 

Trois années après, en 1978, Pina Bausch présente « Cafe Müller » sur une musique d’Henry Purcell. Le franchissement est au départ de la pièce, d’abord d’une porte tourniquet, mais surtout, certaines danseuses (dont Pina elle-même) se déplacent les yeux fermés, dansent les yeux fermés, sur le plateau couvert de chaises, de tables de bistrot que d’autres danseurs doivent écartés vivement pour permettre le passage. Et puis un couple s’enlace, un troisième danseur manipule, fabrique un enlacement qui ne tient pas, recommence, etc… Franchir sans recours au regard, buter sur la compacité du réel ; ça parle aux analystes non ? Il me semble que dans cette pièce on peut lire le trajet de Pina Bausch de réduire le sujet supposé savoir à une fonction qui peut se passer de l’incarnation. Les pleurs de la Didon de Purcell prennent corps dans la solitude radicale, dans l’hilflosigkeit des danseuses et danseurs sur le plateau.

 

L’invention de Pina Bausch fait acte, aujourd’hui encore Le Sacre et Cafe Müller sont des œuvres qui conservent leur puissance. Mais comment continuer ? Elle meurt en 2009. En 2011, Wim Wenders réalise « Pina » qui est tourné au Tantztheater Pina Bausch de Wuppertal. Sa mort a cristallisé sa position pour les danseuses et danseurs, barrant toute inventivité possible en les enfermant dans la répétition. Absenté par la mort le sujet supposé savoir fixe, arrête. Le sujet supposé savoir réduit (ici) à ce que nos amis turques nomment nazar, le mauvais œil, alors que l’enjeu est de le réduire à une fonction qui ouvre au mouvement : savoir sans sujet…

 

 

Cyrille Noirjean

 

 

 

Pina Bausch, Le sacre du printemps :

 

 

Pina Bausch, Cafe Müller :