Le savoir et l’acte
29 août 2025

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Jean-Luc CACCIALI
Séminaire d'été

Il suffit qu’il y ait quelque part, et non seulement dans l’analyse, un sujet supposé savoir pour que se mette en place automatiquement un transfert. Et c’est cela qui est transféré sur la figure de l’analyste et non pas une autre figure comme par exemple une figure parentale.

 

En ce qui concerne plus directement l’analyse, Lacan dira de façon assez simple que le sujet supposé savoir est en fait quelqu’un qui sait le truc, c’est-à-dire comment on guérit une névrose.

 

Mais il est assez prudent vis-à-vis de ce que nous appelons sa destitution en fin de cure. Avec humour il a pu dire que ce serait un peu singulier de concevoir que ce sujet supposé savoir, qui ne sait rien de vous, devrait être liquidé au moment où à la fin de l’analyse, il commence justement à en savoir un bout sur vous.

 

Mais s’il ne doit pas être liquidé, par contre il doit être mis en question, mise en question qui nécessite une révision du savoir dans le champ ou opère la vérité.

 

L’acte analytique doit permettre à l’analysant de s’apercevoir qu’il n’y a pas de sujet au savoir comme il peut y avoir un sujet de la connaissance. La mise en question du sujet supposé savoir consistera à accepter que s’il n’y a pas de sujet au savoir, il y a par compte un savoir insu de lui-même. Un savoir insu mais qui n’est pas sans structuration, il ne se sait pas lui-même comme l’est la connaissance. Mais c’est ce savoir qui le fait penser, qui le fait agir. Il est parlé plutôt que parlant.

 

Si la mise en question du sujet supposé au savoir ouvre la question d’un savoir sans sujet, qu’en est-il au niveau de l’acte ? Est-ce qu’il y a un sujet de l’acte ? Quand l’analyste opère, il se situe au niveau de l’acte et pas au niveau du sujet. L’acte n’est pas un attribut du sujet, c’est un attribut de l’objet. Il n’y a pas besoin qu’il soit pensé pour qu’il y ait acte.

 

La règle de l’abstinence pendant la cure consiste à ce que l’analysant ne fasse pas d’actes qui seraient susceptibles d’empêcher l’acte analytique d’avoir la possibilité d’opérer.

 

Toujours à propos de l’acte analytique, s’il y a la question du sujet de l’acte, il y a aussi celle de son auteur qui est une question différente de celle du sujet. Y a-t-il un auteur de l’acte ?

 

L’année d’après ce séminaire, Foucault fera une conférence sur la question de l’auteur lors de laquelle il parlera d’une fonction auteur. Lacan sera présent. ET nous pouvons entendre que c’est la question de l’auteur qu’il soulève quand il dit qu’il n’est pas poète mais qu’il est le poème. Nous pouvons entendre la même chose quand Blanchot dit que le poète est second par rapport à son poème, alors qu’il en est le pouvoir créateur. Le poète est le fils de son poème.

 

Nous pouvons aussi l’entendre chez Mallarmé, quand il disait que c’est le langage qui parle. Ce que Lacan reprend quand il crée le terme de parlêtre pour faire entendre que nous sommes parlés plutôt que parlants.

 

À propos de l’acte mais meurtrier cette fois-ci, Charles Melman raconte comment quand il était psychiatre dans une prison, il avait rencontré un homme qui avait tué sa belle-mère. Avec humour, il notait qu’on devinait chez lui, le soulagement du travail accompli et son optimisme pour entrer dans une nouvelle vie. Il souligne qu’il y a nulle préméditation à son acte, que c’était un bon époux, un bon père, mais miné sans cesse par les remarques blessantes de cette femme. Il avance que cet homme était l’agent de son acte, mais pas son auteur, qu’il n’y a d’auteur de l’acte qu’après l’acte.

 

Ceci a des conséquences directes pour la cure analytique, l’analysant n’est pas l’auteur de son analyse mais le fils, comme le poète est second par rapport à son poème.

 

Chacun est le fils de ses œuvres mais pas l’auteur.

 

Pourquoi dire cela ?

Parce qu’au principe de l’acte il y a une mutation subjective. Le sujet n’est plus le même après l’acte qu’avant. Nous l’entendons quand quelqu’un dit en évoquant un évènement que maintenant il n’est plus le même qu’avant. Il y a un sujet nouveau qui est produit par l’acte et c’est ce sujet qui est l’auteur de son acte. Auteur et responsable de son acte.

 

En proposant l’écriture topologique du nœud borroméen, Lacan ouvre la possibilité d’une constitution subjective qui soit dégagée de la nomination, du père comme nommant. Un sujet qui ne serait ainsi plus suspendu à une frappe inaugurale et l’objet (a) plus l’effet d’une coupure mais d’un coinçage. Ce qui permet l’écriture d’un sujet qui ne soit plus le même qu’avant, celle d’un nouveau sujet.