Le désir de l’analyste. Lacan ne semble pas revenir sur cette formule dans le séminaire L’Acte psychanalytique, ou très peu, j’ai eu bon chercher la trace, je n’ai pas trouvé. Ce n’est pas une raison pour ne pas la reprendre ici. D’autant plus que le désir de l’analyste et l’acte psychanalytique semblent plus que jamais intriqués, je dirais même qu’ils sont écrits dans une surface moebienne : un dans l’autre, un dans la continuité de l’autre. Si je radicalise encore un peu, ils vont jusqu’à partager un seul et même endroit dans la structure : point d’acte, point de désir en forme de trou, que dans la topologie de Lacan, cela correspond au cœur du nœud borroméen, le tryskel, là où Lacan localise l’objet a, lieu, trou tourbillonnant du désir et de l’acte. Disons que dans cette mise en acte du désir de l’analyste, il ne peut y avoir d’acte sans désir.
Donc la mise en acte de ce désir, comment dire ? Serait-elle le passage à l’analyste ? En ceci, que ce passage, cette passe va être radicalement marquée par un acte de désir. Pas d’acte sans désir, et nous ne pouvons soutenir son contraire, à savoir que des désirs sans acte c’est très courant : des actes inachevés, inhibés, ratés, forcés, nous témoignons de cela dans notre pratique quotidienne, les désirs sans acte ne sont pas sans conséquence, car c’est eux que le plus souvent conduit le sujet à faire la demande d’une l’analyse, un sujet qui arrive en mal de désir.
Nous trouvons la trace de cette formule, le désir de l’analyste, dans le séminaire L’Éthique de la psychanalyse, il vient accompagné de cette autre formule bien tranchante (et connue) de Lacan: « ne pas céder sur son désir », Lacan ne reviendrait pas là-dessous, mais « c’est dit », et on ne peut qu’entendre ici la portée, ne pas céder, donc il s’agit d’y aller, d’aller où et comment ? Éthique de la psychanalyse, éthique du psychanalyste, car le psychanalyste à son insu, a à répondre de sa place de sujet aussi, car, même si ce n’est pas de là qu’il opère, il n’y a pas de neutralité du côté de l’analyste (on doit le savoir), d’où la question : à partir de quoi et d’où il opère ? Nous voilà face à un moment de solitude. Car, c’est seul que le psychanalyste opère, en matière d’acte, c’est chacun pour soi, on est seul devant son Acte et devant son inconscient, « le psychanalyste a horreur de son acte », rappelez-vous, ou encore, « la solitude du sujet devant la cause de son propre désir ». Alors désir de l’analyste, Éthique de la psychanalyse (et du psychanalyste) et Acte psychanalytique : voici un triptyque qui devrait nous intéresser (Acte, désir et éthique). Pour cette troisième table ronde, « La troisième », cela ne pas pour me déplaire, nous allons mettre cela au travail, ce nouage qui nous pouvons qualifier de borroméen, nous retrouvons ici trois opérateurs privilégiés de la cure, noués à partir d’un trou central, trou générateur, causé par le désir.
Pour ce qu’il en est de cette mise en acte du désir de l’analyste proprement dite, je vous propose une extension du séminaire que nous avons mis à l’étude cette année. L’acte psychanalytique s’avère un séminaire assez conceptuel, que semble privilégier le symbolique comme le lieu d’Acte, or, le risque est de réduire l’Acte psychanalytique à son aspect purement signifiant, et laisser à désirer quant aux conséquences réelles de cet Acte, car s’il a lieu, c’est toute un nouveau champ qui s’ouvre au sujet, au commencement était l’acte. Acte de naissance du psychanalyste, un s’autoriser de soi-même (et des quelques autres, toujours).
Alors, je viens interroger chacun de vous à cette table, et chacun de vous dans cette salle, que faisons-nous de ce désir de l’analyste, une fois qu’à la fin d’une cure, il vient nous coller à la peau ? Un désir qui pousse à l’acte ? Une écriture du nécessaire, qui ne cesserait pas de s’écrire pour chacun de nous, en chacun de nous. Ça il faut le savoir, cela ne nous lâcherait plus jusqu’au bout ! C’est très rare qu’un analyste prenne sa retraite, et quand cela arrive, ça nous étonne nous-mêmes… et cela n’est pas rare que si par malchance on tombe malade, même gravement malade, voilà, on continue encore de travailler… On continue de travailler après toute une journée de travail, les samedis, les dimanches, les jours fériés, même en été ! Un truc de fou ! Mais d’où sort ce désir, un désir pas comme les autres, un désir sans sujet, épuré de jouissance, car le but de ce désir ne pas de se satisfaire, à la différence du désir sexuel. Le désir de l’analyste, sa visée est de désirer, un pur désir de désir.
Avons-nous une idée d’où il sort ? Avons-nous suffisamment analysé qu’est-ce que nous a mis dans cette voie ? Je m’adresse à nouveau à chacun de vous, pourquoi êtes-vous psychanalyste ? Quels sont vos raisons, motivations, aspirations ? Quel fantasme est en train d’animer un tel désir ? Ce ne sont pas des questions faciles à répondre, mais elles me semblent essentielles à poser. Ce sont des questions pour l’analyse.
Nous sommes cinq dans cette table ronde, nous avons cinq parcours de formation très différents, nous traitons des cliniques très différentes aussi, et nous tenons à la pratique analytique. Pas toujours à la pratique analytique pure, type, même si nous sommes tous installés dans une pratique libérale, mais chacun de nous a (ou a eu) un parcours institutionnel en dehors de la psychanalyse. Lia Batista, Felipe Diaz, Sandrine Calmettes, Bernard Vandermersch, j’ai eu envie d’interroger chacun de vous quant à la mise en acte de votre désir de l’analyste – que ça soit en libéral ou en institution- que faîtes vous de cela ? Dans quel interface travaillez-vous ? Que fait une analyste avec les bébés ? Ou un psychanalyste avec les psychotiques, ce sont des discours incompatibles : le psychiatre à l’hôpital et en libéral ? Sandrine et Felipe, vous travaillez en CMPP, comment faire vivre la psychanalyse et le désir de l’analyste dans ce type de lieu et dans le temps que courent ? Quels sont les impossibles et les possibles de notre travail ? La séance est ouverte !