Th. R. : Merci beaucoup Nazir pour tout çà, tu as dit beaucoup de choses, et en plus comme tu as eu la gentillesse de m’envoyer ton texte, je l’avais lu avant, et j’aurais beaucoup de choses à dire, mais je ne vais en prendre que deux ou trois pour laisser la parole à la salle.
D’abord je resterais sur une impression que j’ai souvent quand j’écoute les analystes d’enfants – çà ne plaira peut-être pas à Marika, le terme que je vais employer – çà parait presque magique ! Ce n’est pas du tout magique évidemment, mais il y a toujours l’impression qu’avec les enfants, ça s’arrange parfois très vite, et qu’il y a, comme les trois cas dont tu viens de parler, qu’il suffit de cerner un petit truc, et puis en même temps il est vrai qu’on reçoit pas mal d’adultes qui vous racontent qu’ils ont consulté des psy quand ils étaient gamins, et quand on les voit à l’âge adulte, on se dit que la thérapie enfant n’a pas toujours été si magique. Alors je mets un peu de bémol quand même, parce que si c’était si magique, on ne les verrait plus après ; mais ils viennent pour d’autre raisons parfois.
N. H. : C’est le signifiant qui est magique !
Th. R. : C’est le signifiant qui est magique, hé bien justement, prenons un des cas que tu commentes, le deuxième je crois, le « elafin ». Déjà tu l’expliques très bien, mais je me demandais en t’écoutant, supposons qu’on aurait pu rencontrer cette jeune femme, qui n’aurait pas eu la chance de te rencontrer, à vingt ans, et que cette femme aurait pu présenter des troubles du comportement alimentaire. Elle nous aurait raconté que toute son enfance, sa mère lui disait qu’elle ne pense qu’à manger, qu’elle ne s’intéresse pas à la vie scolaire, que tout ce qui l’intéresse, c’est de manger, qu’elle est trop grosse, qu’il faut qu’elle maigrisse, elle nous aurait raconté cela, çà n’aurait pas marché.
N. H. : ça n’aurait pas marché parce que si pour cette fille, elle est prise dans le discours de sa mère, dans la voix de sa mère qui resonne comme la voix de la reine de la nuit aux oreilles de sa fille, il nous parait évident que cette petite est prise dans un discours maternelle réducteur. Elle représente le symptôme de la vérité familiale et elle est loin d’avoir développé son symptôme propre. Le travail avec elle à ce stade ne la sauve pas de sa névrose qui va être la sienne plus tard, mais en revanche cela l’aide à faire avec le discours maternel qui qui fait d’elle l’objet de son fantasme.
Ceci dit le travail avec l’enfant, c’est comment sortir des signifiants des parents pour être dans les signifiants de l’Autre, autrement dit dans ses propres signifiants. C’est là-dessus qu’on arrive à progresser avec un enfant. Il n’y a rien qui dit que c’est magique, si c’est définitif, alors c’est plus que magique c’est miraculeux !
Th. R. : D’accord. Alors un point qui m’a fait question : quand tu parles, c’était au début, quand tu parles de la névrose de transfert. Tu dis que chez l’enfant il n’y a pas ce passage de la névrose ordinaire à la névrose de transfert, qu’il reste le symptôme de la névrose familiale. Alors il y a deux questions, en réalité. D’une part tu dis que l’enfant au début dessine pour sa mère, mais ensuite il peut dessiner pour l’analyste. Il y a quand même, quand l’analyse dure un petit peu, que l’analyste reçoit l’enfant sans ses parents, c’est quand même souvent le cas, est-ce qu’il n’y aurait pas quand même un transfert, une névrose de transfert ? Et qu’est-ce que tu appelles finalement la névrose familiale ? ça passe un peu comme ça, on voit tous ce que tu veux dire, Mais on sait ce qu’est la névrose de la mère, la névrose éventuellement du père, ou la psychose pourquoi pas ? Mais la névrose familiale c’est un peu complexe.
N. H. : Ce que j’ai appelé la névrose familiale, c’est l’intrication dans laquelle l’enfant est pris entre le fantasme paternel, le fantasme maternel et les divers conflits entre les parents autour de la représentation que chacun se fait de l’enfant, de son éducation et la projection que chacun fait de son avenir.
Th. R. C’est pas une névrose, ça !
N. H. : on appelle ça problématique familiale plus que névrose familiale. Il est pris dans une problématique effective qui le fige. L’enfant qui a l’occasion d’aller en analyse, cela veut dire au moins une chose : les parents sont dans le transfert sur l’analyste. Par le transfert que les parents font sur l’analyste nous apprenons par la suite que ce transfert facilitent le transfert de l’enfant et qu’ils s’ouvrent au lieu de l’Autre.
Th. R. : Est-ce que tu parles d’une névrose de transfert de l’enfant ou tu ne vas pas jusque-là ?
N.H. : Il est encore dans l’amour dans son lien à l’autre, mais comme j’ai dit, l’analyste peut incarner cet autre, mais un autre qui, par son écoute organisent tout le dispositif analytique autour de l’idée d’évider ce lieu. Il l’introduit au lieu de l’Autre, non pas comme lui l’incarnant, mais en l’évidant. Les parents, dans ce magma dans lequel l’enfant baigne en quelque sorte, n’évident pas ce lieu, car chacun occupe la place, ou veut occuper la place. Combien de fois on entend « on n’est pas d’accord sur son éducation, on n’est pas d’accord sur…, mais de quoi s’agit-il lorsqu’ ils parlent de son éducation ? A quoi se réfèrent-ils ? Ont-ils une idée qui serait le maitre-étalon de toute éducation ou s’agit-il d’un fantasme familial que chacun cherche à appliquer à son insu ? Les parents ne se rendent pas compte à quel point ils parlent de leur propre fantasme de l’éducation, et c’est là où on peut aider les parents à comprendre qu’il s’agit de leur fantasme. Chacun est pris dans son fantasme. Et c’est justement autour de ce point qu’on peut aider les parents à progresser afin d’aider l’enfant à sortir de cette impasse dans laquelle il est pris ou dans laquelle il est figé incarnant pour l’un et pour l’autre quelque chose de de leurs fantasmes.
Th. R. : Oui. Deux petits points, deux petites questions avant de passer la parole à la salle. Tu as beaucoup insisté sur la dimension du sujet. Le sujet est-il déjà là ou pas ? Tu as parlé du câlin-bébé, de cet acte, ouvrir les yeux, sourire ou re-sourire aux proches, tu y vois la marque d’un sujet. C’est évidemment une question. Le bébé marqué par le signifiant, là je crois qu’on serait tous d’accord, est-ce que ça suffit d’être marqué par le signifiant pour être un sujet, sujet divisé ? ou simplement il faut qu’on en fasse l’hypothèse parce que déjà Bergès et Balbo le disaient, que ce soit vrai ou pas, l’important c’est d’en faire l’hypothèse ? Tu vois, c’est cette question de sujet, et est-ce que c’est l’inconscient du bébé qui a réagi à ton intervention ?
N. H. : Oui, quand on travaille avec l’enfant on peut que prendre en compte qu’on est face au fait que le je de l’énonciation et je de l’énoncé ne se laisse pas saisir dans son discours. Il n’est pas encore dans l’équivoque. Il ne peut pas cerner les implications inconscientes que les actes manqués impliquent par exemple. En tout cas, que ce soit avec le bébé ou avec l’adulte, on ne peut que travailler avec l’hypothèse de l’inconscient. Maintenant, comment parler de l’inconscient chez l’enfant tout petit ? C’est justement en soutenant l’hypothèse que cet enfant a quelque chose à dire, ou qu’ilnous dit quelque chose dans tout ce qu’émane de lui. Il est facile de remarquer que le bébé est sensible à ce qu’on dit, il réagit, il sourit, il pleure, il y a quelque chose qui s’engage, et quoi qu’on dise, ce quelque chose qui s’engage est un langage qui se dit sans parole. Et c’est ça qui fait la spécificité de ce lien entre nous et l’enfant, il y a le corps et plus tard la parole. Nous nous engageons auprès de l’enfant et cela nous engage dans la lecture de ce que se dit dans son langage particulier en s’appuyant sur les signifiants des parents.
Th. R. : Oui, tu montres là que c’est l’analyste qui fait l’hypothèse de l’inconscient, et qui fait partie du concept de l’inconscient, comme disait Lacan.
Peut-être juste une dernière remarque, tu as abordé plein de choses, et en t’appuyant sur Lacan, tu as rappelé les spécificités de la psychanalyse de l’enfant par rapport à l’adulte, le fantasme n’est pas déjà constitué, la dépendance de l’enfant par rapport aux parents, et ce que tu as mis en valeur aussi bien dans les cas cliniques que dans ce que tu as dit avant, l’analyste tâche d’incarner le grand Autre en tant que tiers, et aussi de l’ évider, ce grand Autre, c’est aussi ce qu’on fait avec l’adulte, l’analyste est justement en position de grand Autre – Melman disait qu’en psychothérapie il est en position de petit autre, alors qu’en analyse, c’est ce qui le spécifie, en analyse il est en position de grand Autre et non pas de petit autre qui accompagne qui soutient. Donc, on travaille avec la lettre, avec la jouissance, avec l’au-delà du principe de plaisir, avec l’au-delà du sens, donc tout ça, c’est aussi ce qu’on fait avec l’adulte, j’en parle souvent avec Marika, il n’y a pas de différence de catégorie entre les deux, mais il y a des spécifications.
N. H. : Il y a une nuance, si j’ai bien compris et peut-être pouvez-vous me reprendre, ce qui fait la différence dans la notion de transfert entre Lacan et Freud. Freud fait du transfert à l’autre, l’autre qu’il pose en tant que maître, un symptôme en tant qu’enseignant, tout ça, tout est basé sur l’idée que le transfert se fait à un autre, et la psychanalyse, c’est dans le temps, la fin de la psychanalyse c’est de s’identifier à son psychanalyste. Vous vous souvenez de ça, c’était courant, on estimait que la fin d’une psychanalyse c’était quand l’analysant s’identifiait à son analyste.
Th. R. : Mais c’est Freud ou c’est les post-freudiens, ça ?
N. H. : Non, si vous lisez Freud, vous lisez que les post-freudiens, çà ne vient pas de nulle part, ça vient de Freud.
Th. R. : Je ne suis pas sûr que Freud parle de l’identification à l’analyste, Freud
N. H. : J’ai un passage, je peux vous le lire, qui nous montre que …
Th. R. : Il y a chez Freud ce côté maitre comme ça, peut-être que chez Freud, on a les témoignages de ses cures des débuts, on a les témoignages de la pratique de Freud en 1900, 1905, mais on n’a pas de témoignage en 1930. Mais enfin ce n’est pas …
N. H. : J’aimerais bien le retrouver…
Th. R. : Est-ce que quelqu’un sait dans la salle si Freud parle de l’identification à l’analyste pour la fin de la cure ?
X : Je ne crois pas. Dans analyse finie et infinie…
Th. R. : Il dit que c’est les post-freudiens. Il y a peut-être une phrase de Freud qui est un peu ambigüe là-dessus.
N. H. : Je l’avais annoté quelque part pour vous l’amener, pour vous le lire, mais…
Th. R. : C’est qu’il n’a pas dû le dire, sinon tu l’aurais déjà retrouvé.
N. H. : Alors que chez Lacan le transfert se fait sur l’analyste mais en position d’objet petit a. Ce n’est pas tout à fait la même chose, le même support.
Th. R. : Oui. Le sujet supposé savoir, on peut dire que c’est implicite chez Freud. Après, avec Lacan, il y a plus cette idée d’évider le grand Autre. Et il y a cette idée du roc de la castration ; En tout cas je n’ai pas trouvé qu’il y avait tellement de différence entre la psychanalyse avec les enfants et la psychanalyse avec les adultes comme tu l’as présenté. Mais il y a des spécificités dues à la temporalité et à la dépendance de l’enfant. C’est un peu comme ça que je l’ai compris.
N. H. : C’est vrai que qu’est-ce qu’on appelle la traversée du fantasme ? Qu’est-ce qu’on appelle la destitution subjective ? Qu’est-ce qu’on appelle le non-rapport sexuel ? On parle de l’enfant qui est pris encore dans des scénarii sexuels infantiles. Est-ce qu’on peut poser ça de la même façon qu’on pose le non rapport sexuel ?
Th. R. : ça dépend aussi de l’âge de l’enfant. Tu as parlé d’enfants de l’âge de six mois. Douze ou treize ans, c’est déjà…
N. H. : je dis à partir de l’Œdipe, il y a quelque chose qui commence à percer. Et avant l’Œdipe, il y a quand même…
Th. R. : Encore faut-il qu’il y ait de l’Œdipe, ce qui aujourd’hui, n’est pas forcément …
N. H. : oui, ou même avec Mélanie Klein qui nous dit que l’Œdipe, ça commence à un an, ce n’est pas la même position que Freud, ni même que la fille de Freud, Anna
Th. R. : Qui voudrait prendre la parole dans la salle ? Bernard ?
Bernard Vandermersch : Ecoute, merci beaucoup Nazir. C’est à propos de l’hypothèse du sujet. C’est multiple, le sujet. Il y a d’abord le sujet à la jouissance, et le bébé nous signifie clairement qu’il y a… Que fait l’analyste là ? Il fait l’hypothèse d’un sujet, je veux bien mais c’est surtout que pour le bébé, il y a là en quelque sorte une réouverture du transfert sur quelqu’un qui sait quelque chose de lui. Qu’est-ce qui s’est passé avant ? C’est que les gens l’ont gardé et ils l’ont laissé, ils ont fait comme si ce n’était pas intéressant. Telle que tu racontes l’histoire ça a l’air tout bête, c’est ce que ferait une mère normale avec son enfant et l’enfant marche. Toi, tu as ré-amorcé la pompe. Il y a d’ailleurs une aspiration étrange chez les petits enfants, à prendre leur pied à écouter les mamans qui leur causent, c’est assez étrange après tout. Ils pourraient se contenter de caresses, non, il y a un véritable appel, un appétit de paroles de l’autre.
N. H. : Exactement. Comment entendre cela ? Est-ce que c’est la langue ? La musique ? le signifiant ? C’est pour çelà que quand je dis l’hypothèse de l’Autre, le sujet est déjà là, bien sûr, j’ai parlé de la langue.
B.V. : Je vais dire le contraire, c’est l’hypothèse d’un sujet dans l’Autre
N. H. : L’hypothèse d’un sujet dans l’Autre, c’est que l’inconscient est déjà là.
B.V. : Il y croit. Ce n’est pas forcément le sujet en tant que sujet du langage.
N. H. : En tout cas, il y a le sujet de la jouissance, sinon je ne vois pas quel rapport on pourrait avoir avec sa mère et avec son entourage. Il n’y a pas que ça, c’est vrai que l’enfant est sensible, il n’y a qu’à regarder une mère changer son enfant pour voir la complicité, la jouissance. Et quand on s’adresse à lui comme je l’ai fait, pourquoi il a changé sa position ? Ma question est là. Il ne suffit pas de dire qu’on fait l’hypothèse d’un sujet toujours déjà là. Il est sensible au signifiant déjà, au langage qu’il entend déjà dans le ventre de sa mère. Nous connaissons des enfants qui à leur naissance étaient capables de reconnaître plein des choses qui se sont passées autour d’eux alors qu’ils étaient dans le ventre de leur mère.
B. V. : Je ne voudrais pas monopoliser la parole, c’est vrai qu’il y a une véritable question, mais les animaux domestiques sont aussi très sensibles, mais ce que tu ré-amorces c’est la pompe à l’appétit de langage, au langage articulé. J’ai l’impression qu’on ne peut en rendre compte que par rapport à l’état d’avant et à une sorte de, tu as très bien dit, une sorte de déception parce qu’avant on ne s’occupait de lui que pour les soins, c’est tout.
Aurore Hoang di Ruzza : Et puis ce qui peut participer c’est que les maternantes, elles viennent faire appel à toi. Il y a du tiers là, parce que si les maternantes disaient « il a des traits autistiques », on peut se demander effectivement s’il n’y avait pas une adresse déjà, et puis le fait qu’elles viennent, « on va consulter Monsieur Hamad » c’est aussi se référer à un autre.
N.H. : Il y avait le lieu de l’Autre qui était opérant pour les maternantes et pour la pouponnière. Cela, c’est parmi les rares pouponnières qui adressent les enfants aux psychanalystes à l’extérieur. C’est vraiment extraordinaire, ce n’était pas tout à fait encore le cas, c’était l’époque de Dolto, c’est Dolto qui à un moment a introduit ça. Et si je dis que j’avais quarante bébés, je recevais quarante bébés dans mon cabinet, vous allez trouver que j’exagère, mais une semaine, il m’est arrivé d’avoir quarante bébés, mais ça, c’était à l’époque.
Aurore Hoang di Ruzza : C’est précieux justement, parce que ça introduit du tiers justement. Je pense, mais finalement est-ce que ce n’est pas les deux réunis qui fonctionnent ?
N.H. : L’institution c’est la pouponnière, sinon il y en a d’autres qui refusent strictement de consulter un psychanalyste à l’extérieur. C’est aussi une autre façon d’envisager le rapport à l’autre.
Marika Bergès : oui mais Nazir, tu lui as dit aussi « tiens-toi droit », enfin arrête de faire le bébé, arrête de t’endormir ou arrête de mourir, tu vois.
N.H. : Comme on dit aux grands enfants « arrête de faire le con » quoi ;
B. : Non, tu lui as dit : « arrête de mourir » je crois.
N.H. : Comme on dit à un enfant « Tu veux arrêter de faire le con », je ne lui ai pas dit comme ça, mais je me suis adressé à lui en lui racontant ce qui lui est arrivé, bon, ça suffit comme çà, et il a entendu « ça suffit comme ça ! » c’est ça, ta magie, Thierry, c’est vrai qu’il y a quelque chose de magique. C’est quoi cette histoire ? qu’est-ce qu’il a entendu ? Est-ce qu’il a entendu mes signifiants ?
Valentin Nusinovici. Est-ce qu’il a entendu du signifiant, moi j’ai l’impression que ce qui primait là, c’était l’énonciation. L’énonciation portée par quelqu’un qui lui parle de confiance, et qui lui transmet la confiance, il ne sait pas ce que c’est que la confiance, mais il entend une énonciation. Je ne sais pas si on est dans le langage, mais surtout dans la parole je crois. Est-ce que tu es d’accord ? Tu aurais pu lui raconter je ne sais quoi, naturellement on ne peut pas faire l’expérience.
N.H. : N’importe quoi ? Non, ça ne marche pas.
V. N. : Il y a des expériences de ça ? Tu aurais pu raconter n’importe quoi, porté comme tu l’étais là, par quelque chose de vrai dans lequel tu étais impliqué. Tu voulais lui transmettre ça, à mon avis c’est à ça qu’il a été sensible. J’ai peine à croire qu’il ait pu décrypter le texte. Tu étais porté par quelque chose, vraiment.
N. H. : Effectivement c’est de répondre, je ne sais pas si j’utilise le terme adéquat, mais de répondre, de me répondre qu’il est présent, qu’il a reçu le message, ce qu’est la parole, le langage.
V.N. Mais tu as été extrêmement efficace parce que tu étais porté par la parole ; L’autre chose sur quoi je m’interroge : acte d’ouvrir les yeux, acte ou mouvement de présence ? parce que dans l’Acte psychanalytique, d’après Lacan, le sujet s’absente. Moi, j’aimerais mieux dire qu’il y a un mouvement qui atteste de sa présence, et non pas un acte.
N.H. :Oui, peut-être. Peut-être que c’est faux ce que je dis. Oui.
Th. R. : On va peut-être laisser la parole à Louis Sciara, puis Jean-Luc Cacciali. Je ne le vois pas sur Zoom.
Juste une question, quand tu dis ça, ce bébé, est-ce que tu dirais, Nazir, que tu es déjà en position de sujet supposé savoir ? Il y a quelque chose de tiers dans ta position, ça me fait penser à Freud qui en parlant au petit Hans dit « Bien avant que tu naisses… » Et ça fait un effet-boeuf.
N. H. : Seulement je ne lui ai pas dit, avant que tu naisses… Je lui ai dit : Tu vois, il y a tout ça qui t’arrives, et maintenant qu’est-ce que tu veux faire avec ? Oui, c’est un rôle de tiers, mais aussi je lui renvoie le savoir, « qu’est-ce que tu nous joue là ? C’est quelque chose ! ». Effectivement il a fait quelque chose, il a ouvert les yeux. De ma plainte, j’ai fait appel, aussi bizarre que ça puisse s’entendre, à son savoir, à sa façon de pouvoir anticiper sur ce que je viens de lui dire, de répondre à ce que je viens de lui dire, le savoir était de son côté à ce moment-là.
Louis Sciara : Je voulais remercier Nazir. Ce à quoi je suis très sensible dans ces discussions, concernant la psychanalyse de l’enfant et la psychanalyse de l’adulte, c’est quoi ? C’est qu’au fond dans la clinique de l’enfant, si on est en position d’analyste si tant est que c’est le cas, il y a quand même à entendre que les concepts qu’on manie pour restituer le pas à pas de l’évolution d’une séance ou d’un cas, ça parait toujours un forçage dans la mesure où il y a des temps logiques de construction du sujet qui sont extrêmement complexes et qui peuvent se dévoiler au fur et à mesure de certaines séances, et pas d’autres, comme pour une cure d’adulte, mais quand même, qui fait que le côté magique est presque inévitable parce qu’à l’occasion de l’énonciation dans une séance à partir d’un dessin ou de n’importe quoi, ou voit quelque chose qui bouge chez l’enfant que ce soit dans sa parole ou dans sa gestuelle, et la conceptualisation qui se fait par-dessus est toujours quelque chose qu’on ramène du côté des concepts qu’on utilise pour l’adulte, mais le temps logique il n’est jamais facile à restituer. Par ailleurs, il y a toujours la dimension du corps, pour la question des bébés ça me paraît évident. Je ne sais pas qui a parlé de dimension d’énonciation, mais c’est la dimension de l’énonciation qui compte, bien sûr, et aussi sans doute et en ce qui concerne ce bébé, quelque chose qui a pu être porté par la parole de Nazir, peut-être aussi par l’équipe qui s’occupait de l’enfant.
Alors pour que le bébé fasse l’hypothèse du sujet dans l’Autre, avec les tout petits c’est à l’analyste de la faire, il n’y a peut-être pas un sujet, mais en tout cas un parlêtre qu’il faut entendre au plus vif de là où il en est de son rapport à la parole et au langage. Et tout ça, c’est d’un maniement très délicat, même si on a l’impression parfois que ça peut faire des miracles.
Et puis il y a une autre question que je voulais poser à Nazir, je trouve qu’il est toujours très difficile, je te parle là de mon travail avec des adultes remanié par le contrat avec les enfants, c’est au fond de ces traces infantiles, quelque chose qui est en-deçà de l’Œdipe, on en sait quelque chose dans une cure d’adulte, mais on en entend un peu plus quelque chose avec les tout petits, et qui réveille chez l’analyste quelque chose de son propre rapport à l’infans qu’il a été. Et ça, c’est des choses qui impliquent l’analyste différemment, et ça compte pour les cures de l’adulte.
Puis il y a cette réflexion, ces subtilités entre névrose infantile, névrose de transfert, névrose de l’enfant, là encore, il y a quelque chose de la construction du fantasme, de la diachronie de la métaphore paternelle, ces points de passage – Freud disait qu’il n’y a pas forcément de lien entre névrose infantile et névrose future, mais moi je n’y crois pas – Il y a toujours des liens, il y a des traces de cette affaire, et ces passages-là sont extrêmement importants dans les cures avec les enfants.
Et puis juste un peu Thierry, je ne sais pas comment tu peux dire… les questions Oedipiennes, même si elles se présentent différemment aujourd’hui, elles sont encore éminemment présentes dans la clinique avec l’enfant. Et c’est pour ça que la réflexion initiale de Nazir : Ce n’est pas l’enfant qui a changé, mais sa famille de nos jours ; ça n’enlève pas l’idée oedipienne, ou les questions de castration qui perdurent ; mais quelque chose a changé dans le contexte familial. Voilà les quelques remarques que je voulais faire.
Th. R. : Oui, castration ou Œdipe, il faudrait encore différencier. Mais là on n’a pas le temps, Louis. Il y a juste Jean-Luc, et Nazir répond et après, il faut qu’on s’arrête.
Jean-Luc Cacciali : Oui, merci beaucoup, Nazir. A propos de l’interprétation, tu as insisté sur la lettre dans l’interprétation dans les cures d’enfant. Alors une question un peu radicale : s’il y a un miracle, c’est le signifiant. Mais est-ce que pour autant, au commencement était la lettre ou était le signifiant ?
Th. R. : il est 22h35, tu as vingt secondes pour répondre !
B.V. : Et selon ta réponse, tu es accepté ou pas. Réponds !
Th. R. : La prochaine fois, Jean-Luc. Merci Nazir.
N. H. : Tu m’as posé une question, je vais aller la travailler en rentrant !